lundi 16 février 2009

Le Facteur sonne toujours deux fois


Théâtre des Mathurins
36, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 90 00
Métro : Havre-Caumartin/Saint Augustin/Auber

D'après le roman de James M. Cain
Scénario d Harry Ruskin et Niven Busch
Adaptation de Jean et Alice Curtelin
Mise en scène de Daniel Colas
Avec Etienne Chicot (Nick Papadakis), Olivier Sitruk (Frank Chambers), Laura Presgurvic (Cora Papadakis), Yvan Varco, Xavier Lafitte.

Ma note : 8,5/10

L'histoire : Frank Chambers, un "Hobo", sorte de routard qui a choisi ce mode d'existence : billard, cartes, arnaques, et prompt à donner le coup de poing, s'arrête à la station service des Twin Oaks (les Chênes-Jumeaux), tenue par Nick Papadakis et sa jeune femme Cora...

Mon avis : Ouh la la, quelle intensité ! Et quel trio !
J'avais été extrêmement séduit par le film avec Jack Nicholson et Jessica Lange et je me demandais comment Daniel Colas s'en sortirait avec sa transposition au théâtre. Et bien, c'est tout simple, au bout de quelques minutes, on ne pense même plus au film !
Cette adaptation est vraiment bien ficelée. La station service-restaurant qui sert de décor à ce drame est joliment reconstituée avec ses deux pompes rutilantes typiquement américaines. La bande-son, à grand renfort de blues râpeux, nous transporte immédiatement dans le sud-ouest des Etats-Unis, en Californie précisément. L'action peut commencer, nous sommes prêts.

En préambule, Olivier Sitruk (Frank) nous explique sa situation. Pour lui, la route va se terminer. Alors, résigné, il jette un dernier regard dans le rétro, et il nous invite à remonter le cours du temps, à nous exposer comment il en est arrivé à cette issue fatale. Flash-back...
Quand Frank débarque dans ce havre paumé en plein désert californien, il recherche juste le gîte et le couvert. Le patron de l'endroit, le brave Nick, après l'avoir sondé, décrète que ce n'est pas un mauvais bougre, et il lui offre de quoi se nourrir. Puis, dans son élan de générosité, il lui propose même de l'embaucher comme garagiste. Mais le travail est un mot qui fait visiblement peur à Frank. Il préfère sa liberté et tailler la route. Chose qu'il s'apprête à faire quand Cora, la jeune épouse du patron, fait son entrée dans le bar...
Et là tout bascule.

Le Facteur sonne toujours deux fois est une tragédie grecque. On sait tout de suite que l'appel des sens va bouleverser la vie de ces deux-là. Et, en dommage colatéral, celle de ce pauvre mari.
Dès leur premier regard, la sensualité devient palpable. Leur attirance l'un pour l'autre est irresistible, au mépris de toute raison, de toute prudence. Le pire, c'est que Nick se montre profondément sympathique. Il porte une réelle affection envers Frank. Mais son épouse est trop jeune, trop belle, trop désirable, trop frustrée, trop languide, trop avide de plaisir. La bonhommie et la gentillesse de Nick ne font pas le poids face au tempérament fougueux et au physique de Frank.
Grâce à une mise en scène très habile, on sent la présence implacable du soleil. La chaleur est omniprésente, elle exacerbe les sens. Les gestes sont plus lents, les corps se font lascifs, le désir est chauffé à blanc...
Il ne faut pas en dévoiler plus sur le déroulement de cette histoire d'amour. Car ce n'est pas qu'une affaire de cul, c'est d'abord et avant tout une vraie histoire d'amour. Cora d'abord puis, petit à petit Frank, éprouvent l'un pour l'autre des sentiments sincères. Bien que l'on connaisse la fin, on se prend parfois à rêver qu'ils s'en sortent. Même si c'est totalement amoral. C'est beau une belle histoire d'amour. Et puis, il faut bien l'admettre, en dépit de sa sympathie, Nick n'est pas très ragoûtant.
Et là, il faut parler de ce trio infernal, de ce trio classique.

Etienne Chicot donne au personnage de Nick une formidable dimension, toute en contraste avec Olivier Sitruk. Il est Grec avant d'être Américain, d'où son sens de l'hospitalité et son amour de la famille (il rêve d'en fonder une avec Cora). Il est tout à fait conscient d'avoir eu la chance inespérée de ramener dans sa couche ce prix de beauté. Elle lui doit tout, il lui donne tout, donc elle lui appartient... Il étale un registre d'une phénoménale amplitude. C'est un rôle très riche pour un comédien. Mais il passe par un tel mélange de sentiments qu'il faut une sensibilité de stradivarius pour les interpréter. La gentillesse, la brutalité, la colère, la fragilité, la truculence, la lubricité, la méfiance, la manipulation, la domination... Toute cette gamme figure sur sa partition. Et il nous offre un véritable récital.

Olivier Sitruk, une fois de plus, se montre d'une justesse remarquable. Il est sobre, tout en retenue, jusqu'au moment où il faut lâcher les chevaux. C'est une voiture de sport. Grâce à sa finesse de jeu, on décrypte aisément l'évolution de ses sentiments. Au début de son idylle avec Cora, il n'engage que son sexe puis, peu à peu, il engage son coeur. Le petit opportuniste du début se mue en parfait soupirant, protecteur et aimant. Il en oublie son amour chronique pour la liberté. Il est prêt à s'engager, il est même ravi de sa prochaine paternité. Il est pratqiuement de toutes les scènes puisque c'est avec lui que l'histoire commence, c'est par lui que l'adultère arrive, et c'est avec lui que l'histoire se termine. Sitruk est tout bonnement excellent.

Et enfin, il y a Laura Presgurvic... Laura, il y a belle lurette que je la connais et que je la suis au gré de ses expériences scéniques. J'ai assisté à ses débuts un peu gauches (elle était toute jeune) dans la comédie musicale de son papa Autant en emporte le vent, je l'ai vue s'affirmer et prendre un peu d'épaules dans Les demoiselles d'Avignon, une pièce pas facile. J'étais donc très attentif à sa prestation dans ce rôle lourd et particulièrement casse-gueule car on peut y tomber très vite dans l'à-peu-près, voire dans la caricature, pire dans l'exhibitionnisme. Et bien, elle m'a cueilli d'un formidable crochet au plexus. Elle s'est remarquablement glissée dans la peau de Cora jusqu'à en prendre complètement possession. Pratiquement muette au début, elle ne laisse filtrer que ses regards appuyés et c'est son corps qui se fait bavard. Puis, quand elle se laisse submerger par le désir et la passion, elle laisse exploser toute son animalité. Elle est absolument impeccable. Après un tel rôle, on peut tout jouer.

De toute façon, si un seul de ces trois comédiens avait joué petit bras, Le Facteur ne serait pas venu sonner une deuxième fois, il serait tombé de vélo avant. Car cette tragédie est constituée d'une multitude de rouages fragiles qui se doivent d'être parfaitement huilés. Si un seul grince ou se déboîte, c'est tout l'édifice qui dégringole. Et la pièce ne serait en aucun point crédible.
Cette adaptation est donc une totale réussite. Il suffit de réaliser le silence impressionnant qui règne dans la salle des Mathurins et de ressentir la tension qui prend les spectateurs au ventre. Il y avait du beau monde ce soir là (Roger Hanin, Roger Dumas, Vladimir Cosma...) et chacun avouait avoir été bluffé par cette mise en scène et par le jeu de ces trois talentueux comédiens.
Ce Facteur présente donc une excellente distribution. Il peut sans souci partir en tournée...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Pièce formidable, comédiens remarquables avec une mention spéciale pour Olivier Sitruk qui porte la pièce sur ses épaules.

Allez la voir, cette pièce est vraiment admirablement jouée.

Anonyme a dit…

Bravo pour cette critique! Depuis une semaine, je cherche à transformer en mots mon enthousiasme quant à ce "Facteur...".
Je viens de vous lire et ne vais donc pas chercher plus loin puisque ces mots justes, vous les avez eus (c'est un métier, je sais...).
Bonne continuation!