vendredi 25 septembre 2009

Grasse matinée


Théâtre des Mathurins
36, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 90 00
Métro : Havre-Caumartin / Auber

Une comédie de René de Obaldia
Mise en scène par Thomas Le Douarec
Décor de Claude Piet
Costumes de Magali Ségouin
Avec Cyrielle Clair (Artémise) et Marie Le Cam (Babeth).

Ma note : 7/10

L’histoire : Artémise et Babeth, deux voisines de cercueil, prennent le frais et se racontent des histoires croustillantes de leurs vies passées, en attendant le train qui emportera leurs âmes pour le voyage final…

Mon avis : On ne peut imaginer d’entrée en matière plus originale : deux cercueils dressés sur la scène, l’un en sapin, l’autre en chêne. Sur les notes de la Danse macabre de Saint-Saëns, un couvercle chute bruyamment sur le sol pendant que l’autre tourne sur ses gonds. Apparaissent alors… deux squelettes qui se mettent à, s’agiter au rythme de la musique. Absolument « des os pilant » ! Un humour noir du meilleur effet. Et puis les deux occupantes se matérialisent… Jolie trouvaille de ma mise en chêne, pardon, de la mise en scène, les deux défuntes arborent les mêmes tenues que leur squelette respectif, mais dans un meilleur état de fraîcheur. Les maquillages, également savamment étudiés, sont idoines : teint de craie et yeux affreusement cernés. Et les deux trépassées se mettent alors à babiller.
Immédiatement, on décèle deux caractères et deux conditions sociales diamétralement opposées. L’une – Artémise (Cyrielle Clair) –, l’occupante de la bière en chêne, vêtue d’une robe pourpre de grand couturier, est une grande bourgeoise enjouée, franchement zen et quelque peu docte. L’autre – Babeth (Marie Le Cam) –, la locataire de la bière en sapin, tout juste affublée d’une nuisette rosâtre, est une prolo, geignarde, craintive et revendicatrice.
Sur une bande-son judicieusement adaptée, nos deux macchabées devisent plus ou moins aimablement, chacune confiant à l’autre ses mémoires d’outre-tombe (leur fosse devenant alors un trou de mémoire)… Leurs conversations, qui abordent différents thèmes, est truffée de subtils jeux de mot, genre « Vous n’y allez pas de main morte ». Elles parlent de tout de rien, échangent des banalités, des réflexions philosophiques, des analyses sociétales. Elles évoquent évidemment leurs amours, plutôt baroques pour l’une et plus basiques pour l’autre. Elles vont même jusqu’à aborder la théorie de la réincarnation, ce qui, dans leur situation, prend un aspect tout-à-fait intéressant… Leurs journées sont ponctuées par les passages des trains sur la voie ferrée voisine du cimetière et par les vols des longs courriers. Nous sommes à fond dans l’irrationnel, et c’est ma foi bien plaisant à suivre. Même si, une ou deux digressions nous paraissent parfois un peu longuettes et surtout légèrement décalées.

Les deux comédiennes, formidablement complémentaires, s’en donnent à corps joie. Chacune dans son registre est absolument épatante. Marie Le Cam est convaincante en femme d’extraction modeste, terre-à-terre (c’est le cas de le dire), bourrée d’une énergie désordonnée, bougonne, un peu complexée par l’attitude très aristocratique de sa voisine de tombe. A celle-ci, Cyrielle Clair apporte une élégance racée, un ton quelque peu affecté et puis, soudain il lui arrive de péter un câble, de faire la fofolle… C’est une jolie découverte que de la voir ainsi aussi farfelue et pleine d’autodérision. Vers la fin, elle va même très loin dans une audacieuse excentricité lors d’un tableau dont je vous laisse l’heureuse surprise. On n’est pas mort de rire, mais presque.
C’est donc avec beaucoup de plaisir que nous partageons la Grasse matinée de ces deux mort-vivantes. Pour qui aime l’humour noir, pour qui frissonne de plaisir à bord d’un train-fantôme, pour qui est friand de grand guignol soft et malicieux, c’est vraiment réussi.

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