vendredi 18 septembre 2009
Parole & guérison
Théâtre Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet
Une pièce de Christopher Hampton
Adaptée et mise en scène par Didier Long
Avec Barbara Schulz (Sabina Spielrein), Samuel Le Bihan (Carl-Gustav Jung), Bruno Abraham-Kremer (Sigmund Freud), Léna Bréban (Emma Jung), Alexandre Zambeaux (Otto Gross), Candice Crosmary (l’infirmière)
Ma note : 8/10
L’histoire : En 1904, Sabrina Spielrein devient à la fois la patiente et l’élève du docteur Jung qui expérimente avec elle une toute nouvelle méthode thérapeutique révolutionnaire, inventée par Freud : la psychanalyse.
D’abord dans un rapport de filiation intellectuelle, Jung se détache peu à peu de son mentor… La scission entre les deux hommes est consommée malgré l’intercession de Sabrina devenue à son tour médecin.
Mon avis : « Tout ce qui est prononcé dans cette pièce, tout ce qui y est mentionné – y compris les rêves prémonitoires – est absolument véridique » confirme Barbara Schulz dans sa loge à l’issue du spectacle. Une Barbara Schulz étonnamment « normale » et toujours aussi simple. Et pourtant, pendant près de deux heures elle vient de nous livrer une prestation de haut vol, surtout dans le premier tiers où elle interprète une Sabrina habitée par ses névroses et hantée par ses souvenirs de jeunesse. Sa performance est aussi hallucinée qu’hallucinante. Elle va chercher aux tréfonds d’elle-même des attitudes, des postures, une gestuelle, un débit haché et hésitant, des regards, qui sont proprement impressionnants. Elle passe sans transition de la prostration à la violence la plus brutale. Elle accomplit là une performance que l’on peut qualifier sans grand risque de « moliérisable »…
L’action se déroule au début dans le décor on ne peut plus austère d’un asile public zurichois. Mais ce décor se module ingénieusement par la suite grâce au glissement de structures qui symbolisent alors soit un lit, un bureau, une loge d’opéra, un divan. Vraiment efficace comme procédé.
Très élégant dans son costume trois-pièces, petites lunettes d’intellectuel, le docteur Jung (Samuel Le Bihan) devise avec son épouse. Il se prépare à accueillir une jeune patiente de 19 ans dont la pathologie semble bien compliquée cernée. Il envisage de l’utiliser comme cobaye pour tester une nouvelle méthode thérapeutique qu’il nomme « la cure par la parole », directement inspirée par les pratiques d’un certain docteur Sigmund Freud qu’il présente lui sous le nom de psychanalyse.
C’est dans cet univers de blouses blanches, froid et aseptisé, que débarque Sabrina Spielrein, une jeune Russe, annoncée comme étant passablement agitée, instable et hystérique. C’est là que le jeu très physique de Barbara Schulz est véritablement saisissant. En tant que spectateur, on ne peut que se focaliser sur un tas de petits détails comportementaux : crispations des mains, gestes désordonnés, regard éteint, débit saccadé… Mais il ne faut pas trop en dire pour vous laisser juger vous-même le niveau fascinant de jeu de la jeune femme avec des réactions imprévisibles qui conduisent à de grands moments de tension … Quant à Samuel Le Bihan, apaisant, rassurant, il s’efforce d’être le catalyseur tout en se régalant intérieurement en tant que médecin d’avoir à sa disposition un sujet aussi passionnant. Puis, petit à petit, quand il est amené à lutter contre ses contradictions, ses doutes, son attirance pour sa patiente, il se révèle moins serein, moins sûr dans ses convictions et, surtout, dans sa déontologie.
Cette pièce, qui nous montre les balbutiements de la psychanalyse à travers les travaux et les rencontres de deux des plus grandes sommités de la discipline, Freud et Jung, n’est jamais ennuyeuse. Au contraire, elle se révèle tout-à-fait captivante de par sa construction, alternant les séances de soins (avec Barbara, puis avec Otto Gross), les confrontations entre les deux médecins, esprits brillants, et les simples scènes de vie conjugale du couple Jung.
A ce propos, il faut mettre en avant une distribution impeccable… Bruno Abraham-Kremer, qui incarne Freud, c’est la force tranquille d’un homme sûr de son fait. Ses idées sont bien arrêtées. Pour lui, tout tourne autour de la sexualité et il ne veut surtout pas entendre parler d’un possible impact de la religion. Il apporte en outre à son personnage beaucoup de malice… Alexandre Zambeaux, qui campe Otto Gross, nous offre deux scènes réellement réjouissantes. Lui, c’est le parfait épicurien, le jouisseur absolu ; et, ma foi, il ne profère pas que des bêtises à propos de certains comportements si typiquement masculins… Et puis il y a Léna Bréban, qui joue Emma, l’épouse de Karl-Gustav Jung. Avec sa blonde douceur, elle apporte d’authentiques valeurs de tolérance, d’humanité. C’est une femme « aimable » dans le sens littéral du terme.
Enfin, même si le sujet traité est sérieux, on sourit souvent au cours de cette pièce, en raison de certaines situations, de certains affrontements d’égos, et de certaines réflexions du genre « Les médecins sains d’esprit sont terriblement limités »…
Parole & guérison s’avère donc être une pièce véritablement prenante, intelligente sans être jamais hermétique, remarquablement écrite, et parsemée de dialogues de haute volée. Un joli moment de théâtre, je vous en donne ma « parole »…
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