lundi 14 septembre 2009

Le Neveu de Rameau


Théâtre le Ranelagh
5, rue des Vignes
7016 Paris
Tel : 01 42 88 64 44
Métro : La Muette / Passy

Une pièce de Diderot
Mise en scène par Jean-Pierre Rumeau
Avec Nicolas Vaude (le neveu), Nicolas Marié (le philosophe), Olivier Beaumont (le musicien)

Ma note : 7/10

L’histoire : Un philosophe revient sur sa rencontre au café de la Régence avec un personnage singulier, le neveu de Rameau, jeune homme marginal accablé par la réussite musicale de son oncle, le célèbre Jean-Philippe Rameau. Il s’ensuit une joute extraordinairement vivante entre les deux hommes…

Mon avis : La première chose qui nous happe, c’est la qualité de la langue. Une langue riche, foisonnante, précise, parfois lyrique, mais le plus souvent caustique et acide. Un véritable torrent impétueux de mots qui nous emporte, nous renverse et nous émerveille. Après cela, il n’y a plus qu’à se laisser porter par le jeu des comédiens ponctué par les notes claires et mélodieuses du clavecin.
« Il n’y a pas de grand esprit sans grain de folie » ! Cette pièce pourrait se résumer à travers cette affirmation. Or là, nous avons ces deux éléments - le grand esprit et le grain de folie – réunis dans cette superbe salle qu’est le théâtre du Ranelagh. Le grand esprit, il est personnifié par Nicolas Marié, qui joue le philosophe avec énormément de distance, de finesse et de sagesse, parfait contrepoint à l’exubérance affichée par son partenaire et interlocuteur, Nicolas Vaude, le fameux « Neveu ».
Nicolas Vaude… C’est un phénomène ! Le « grain de folie », c’est lui… Il possède (ou il est possédé) le théâtre jusqu’aux tréfonds de son âme. Il endosse la personnalité du neveu avec une incroyable débauche d’énergie. Il emplit l’espace, il court dans la travée, monte dans les loges… Il fait totalement exister ce personnage hypersensible, susceptible, vindicatif, amer, grandiloquent, mais aussi terriblement lucide et doté d’une autodérision inoxydable. Et si incomparablement brillant…
Grâce à ces deux comédiens, on réalise combien Denis Diderot pouvait se montrer virulent, iconoclaste, transgressif, n’hésitant pas même à utiliser des métaphores crues pour mieux appuyer ses propos d’homme blessé. Cet état d’esprit hargneux et plein de rancœur amène aux dialogues et aux tirades enflammées du Neveu une vie formidable à cette œuvre âgée de presque 250 ans. Finalement, la satire, ça vieillit bien et c’est tellement dans la tradition française !
Lorsque, dans son emportement, le Neveu vomit « les gens de génie sont détestables », impossible de croire une seconde qu’il le pense. Certes, il est affreusement jaloux de la notoriété de son célèbre compositeur de tonton et c’est en cela qu’il abhorre son génie (Outre Rameau, ce cher Racine en prend d’ailleurs lui aussi plein la tête), mais je suis convaincu qu’il y a chez lui beaucoup de fausse modestie. Il s’affiche médiocre mais se sait très supérieur. C’est justement cet antagonisme qui a séduit le Philosophe. Il a tout de suite décelé chez le Neveu une intelligence vive, aigüe, exceptionnelle. Et il s’amuse de l’entendre ainsi vitupérer sur la société de l’époque et ses injustices.

Pour apporter un peu de tempérance et de douceur à ce déferlement emporté de charges verbales, rien n’était plus judicieux que de l’entrecouper de quelques plages musicales, aimablement distillées au clavecin par ce digne champion de la musique baroque qu’est Olivier Baumont. Lequel ne dédaigne pas, au passage, de se mêler à l’action par quelques réactions et commentaires glissés à bon escient.

En conclusion ce Neveu de Rameau repose essentiellement sur un texte d’une richesse rare et sur la prestation effervescente d’un Nicolas Vaude exalté. Ça reste bien sûr une pièce éminemment intellectuelle où il faut savoir rester en permanence en éveil et attentif, pour jouir comme elle le mérite de ses nombreuses perles d’écriture. Et le Ranelagh est un si bel écrin…

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