jeudi 10 novembre 2022

Starmania

 


La Seine Musicale

Ile Seguin

92100 Boulogne-Billancourt

Tel : 01 74 34 53 53

Métro : Pont de Sèvres

T2 : Brimborion

 

Jusqu’au 29 janvier 2023

 

L’opéra rock de Michel Berger et Luc Plamondon

 

Mise en scène : Thomas Jolly assisté de Samy Zerrouki

Direction musicale : Victor Le Masne

Chorégraphie : Sidi Larbi Cherkaoui assisté de Kevin Vivès

Scénographie : Emmanuelle Favre

Lumières : Thomas Dechandon

Vidéos : Guillaume Cottet

Costumes : Nicolas Ghesquière

 

Avec : Côme (Johnny Rockfort), Miriam Baghdassarian (Sadia), David Latulippe (Zéro Janvier), Lilya Adad (Cristal), Alex Montembault (Marie-Jeanne), Adrien Fruit (Ziggy), Magali Goblet (Stella Spotlight), Simon Geoffroy (Le Grand Gourou Marabout)

 

L’histoire : A l’approche de l’élection présidentielle, Monopolis, la capitale de l’occident, est terrorisée par la bande des Etoiles Noires dirigée par Johnny Rockfort et sa compagne Sadia, une étudiante agitatrice… Dans les souterrains de la ville, Marie-Jeanne, serveuse à l’Underground Café assiste à leurs préparations d’attentats.

Du haut de sa tour dorée, le milliardaire Zéro Janvier, annonce sa candidature. Il défend un modèle de société libérale, sécuritaire et raciste. Son principal adversaire, le Grand Gourou Marabout, prône quant à lui un retour à la nature.

Sur télé-Capitale, l’animatrice vedette Cristal présente l’émission Starmania, qui promet à ses candidats de devenir « la star d’un soir »… Ziggy, un jeune disquaire homosexuel dont Marie-Jeanne est éprise, rêve d’y passer pour devenir le premier danseur rock du monde…

 

Mon avis : Quelle claque ! Il en faudrait en user des superlatifs pour qualifier les nombreuses sensations et impressions que procure ce spectacle.

Le problème, c’est que l’on a envie d’en révéler le maximum de détails et, en même temps, on ne veut trop en déflorer d’éléments pour préserver les effets de surprise. Bref, je vais m’efforcer d’être ni trop dithyrambique, ni trop laconique.

 J’ai eu la chance d’assister à la création de cet opéra-rock en 1979. J’avais été immédiatement subjugué par ce tout nouveau genre de spectacle. Si, à l’époque, je n’avais pas compris grand-chose à l’histoire, j’avais été en revanche emballé par la beauté des chansons et par les prestations vocales de Daniel Balavoine, France Gall, Diane Dufresne, Nanette Workman, Fabienne Thibault… Puis j’ai vu les versions de 1988 et 1993. Là encore, j’avoue m’être contenté de me laisser bercer par les chansons sans plus faire cas de l’histoire.

Cette fois, dans ce spectacle estampillé 2022, mon plaisir a été total. J’ai été immédiatement happé et je me suis laissé emporter par le récit…


Flashback de 43 ans : Michel Berger et Luc Plamondon étaient de sacrés visionnaires. Tous les thèmes abordés dans leur
Starmania sont exactement ceux qui préoccupent notre société d’aujourd’hui : l’écologie, le terrorisme, le pouvoir, la télé-réalité, le genre…

Respectant fidèlement le livret de 1979 et les messages qu’il colportait, Thomas Jolly, a fait de ce spectacle musical une véritable tragédie grecque ; sans concession aucune. Noir, c’est noir ! D’ailleurs, mon impression générale est d’avoir vu un film en noir et blanc. Le soleil n’entre pas à Monopolis. Les premières couleurs apparaissent assez tard, dans le générique de l’émission de Cristal. Et encore, ce sont des projections façon Crazy Horse qui nuancent les robes.

 L’espoir, le romantisme n’ont pas leur place dans cette histoire. L’issue, inéluctable, ne peut qu’être fatale. Hormis Marie-Jeanne, tous les personnages sont des « monstres ». Même Ziggy, qui privilégie égoïstement son rêve utopique de gloire au détriment d’une amitié amoureuse inconditionnelle. Ce n’est pas par hasard s’ils périront tous. Tous… sauf Marie-Jeanne, la seule personne à visage et à cœur humains.

Starmania, c’est la fin d’un monde. On y atteint un paroxysme ; un paroxysme d’argent, de puissance, de violence, de débauche…



La mise en scène est implacable. Le tout premier tableau, c’est Playtime de Jacques Tati avec une ville aux formes géométriques rectilignes (des cubes, des rectangles, des flèches). La douceur des rondeurs y est bannie. L’architecture du cœur de ville est une immense étoile. Les silhouettes sont découpées par les lasers-scalpels. Les lumières sont prépondérantes dans ce spectacle, dérangeantes, envahissantes, agressives. Dans la formidable scène dans laquelle il interprète Le Blues du businessman, Zéro Janvier est littéralement emprisonné tel un insecte dans une multitude de faisceaux formant autour de lui une gigantesque toile d’araignée.

Ça déborde de trouvailles scéniques, d’effets spéciaux… Quelle idée efficace que ces projections en gros plan pour rendre l’action encore plus réaliste et tumultueuse ! Certaines scènes sont crues, parfois insoutenables. Les principaux tableaux illustrant les chansons les plus connues rivalisent d’ingéniosité, de créativité, d’esthétisme.

Avec un orchestre jouant en live, la musique prend une amplitude résolument rock’n’roll. Les arrangements, littéralement bodybuildés, sont en adéquation parfaite avec la violence du propos. On n’est pas dans la bluette. La seule petite plage de douceur et de calme nous est apportée par la complainte de Ziggy, sobrement interprétée guitare-voix par Marie-Jeanne.

 Il est temps, justement, de parler des artistes et de leurs voix. Le casting est parfait. En dépit de la lourde responsabilité qui leur pèse sur les épaules à l’idée de s’approprier des chansons devenues iconiques, ils sont tous impeccables. Ils ne souffrent en aucun cas la comparaison.


Côme
(Johnny Rockfort) possède une palette vocale impressionnante. Il n’a pas de limites. Bien sûr, on l’attendait au tournant sur SOS d’un terrien en détresse. Et bien, le défi est plus que largement relevé… Miriam Baghdassarian apporte à Sadia une sauvagerie effrayante. C’est une tigresse ; elle feule, rugit, gronde. Elle est encore plus dangereuse et sanguinaire que Johnny, c’est dire… David Latulippe a la voix de son personnage, Zéro Janvier. C’est un puissant, un performer. Il ne doute de rien, il est d’une facilité déconcertante. Son interprétation du majestueux Blues du businessman est absolument magistrale… Alex Montembault est une Marie-Jeanne qui va marquer la story de Starmania tant elle est incarnée. Une voix pleine de sensibilité, une émotion palpable, chacune de ses interventions enchante la salle… Adrien Fruit EST Ziggy. Sa voix à la fois puissante et soyeuse lui permet toutes les audaces. Il est aérien, déterminé et fragile à la fois ce qui le rend très attachant… Lilya Adad campe une Cristal très rock’n’roll. A l’aise dans tous les registres, elle a une formidable présence. Si Sadia est une tigresse, Cristal est une chatte sûre de son charme, de son pouvoir de séduction. C’est une star dans tous les domaines y compris la rébellion. Par moment, en fermant les yeux, je retrouvais dans sa voix des intonations à la France Gall. Elle est tout simplement magnifique… Magali Goblet s’empare du personnage de Stella Spotlight avec une présence bluffante. Elle est au même niveau de démesure, de folie et de vulnérabilité que Diane Dufresne. De toutes les voix, pourtant haut de gamme, de cette distribution elle est celle qui m’a le plus impressionné… Avec sa voix posée, virile, Simon Geoffroy offre au Grand Gourou Marabout sa force de conviction et de persuasion.

Inutile de préciser qu’avec de tels interprètes, tous les duos sont magnifiés et nous font vivre de grands moments de plaisir et d’émotion.



Voilà ! J’ai quitté la Seine Musicale littéralement transporté, avec l’assurance d’avoir passé un moment exceptionnel dans tous les domaines, techniques et artistiques. J’en ai pris plein les yeux et les oreilles et, surtout, plein le cœur. Starmania est un spectacle de toute beauté, vénéneux à souhait certes, mais tellement exaltant. Et puis, on ne peut pas se lasser d’un tel hit-parade de chansons.

Dans le métro, une phrase affichée de Guillaume Appolinaire a attiré mon regard. J’ai été troublé par la coïncidence avec ce que je venais de vivre. Elle disait : « Il est grand temps de rallumer les étoiles »… Pour sûr, après ce chaos, après ce cataclysme, après cette obscurité provoquée par la folie des hommes, il serait urgent et salvateur de les rallumer les Etoiles... à condition bien sûr qu’elles ne fussent pas Noires…

 

Gilbert « Critikator » Jouin