lundi 29 février 2016

Michel Drucker "Seul... avec vous"

Ecrit et interprété par Michel Drucker
Mis en scène par Steve Suissa
Décor de Stéphanie Jarre
Lumières de Jacques Rouveyrollis

Présentation : « J’avais envie depuis longtemps d’être seul avec vous l’espace d’une soirée, pour évoquer mes souvenirs accumulés au cours d’une carrière dont la longévité n’a pas fini de m’étonner.
Rendez-vous compte : cinquante ans !!!
Cinquante ans de complicité avec trois générations de stars, chanteurs, acteurs, sportifs, hommes politiques, vedettes de télévision…
Mais surtout cinquante ans de complicité… avec vous !
Ce soir, je vais vous raconter les coulisses, l’envers du décor. J’espère vous étonner, vous émouvoir, mais aussi vous faire rire. Je suis très impatient d’être devant vous. »
Michel Drucker

Mon avis : Samedi, huitième étape de son Tour de France, Michel Drucker jouait à Lyon en lever de rideau d’OL/PSG. Le stade – pardon – la salle était comble. Ce qui est d’ailleurs un comble pour un débutant dans l’exercice du one man show ! Et, pour l’encourager, certains de ses plus fervents supporters avaient fait le déplacement dans la cité rhodanienne : Laurent Gerra, Michèle Bernier, Michel Boujenah, Dominique Besnéhard, son « pays » et, fidèles d’entre les fidèles, son précieux Eric Barbette et sa décoratrice préférée, sa fille Stéphanie Jarre…


73 ans. 51 ans (donc 620 mois) de carrière et… une douzaine d’heures de Seul en scène ! Cherchez l’erreur…
A l’heure où la grande majorité des septuagénaires coule des jours de retraite paisibles, un de leurs plus célèbres contemporains, Michel Drucker, entame une nouvelle expérience professionnelle en se lançant dans le one man show. Il aurait pu s’installer dans le confort de son émission hebdomadaire et de quelques émissions spéciales, mais non. Qu’est-ce qui le pousse à tenter une nouvelle aventure, à se mettre ainsi en danger ? A qui lance-t-il un défi ? Que veut-il prouver ? Que veut-il SE prouver ? Est-il toujours dans l’état d’esprit du petit Michou qui voulait tellement que ses parents soient fiers de lui ? Peut-être… Il n’a jamais pu se débarrasser – ô combien à tort, vu sa phénoménale carrière – du syndrome du cancre. Il est surréaliste de l’imaginer se poser à lui-même la question qui taraudait son père cinq décennies plus tôt : « Qu’est-ce que je vais faire de moi ? »

Visiblement, Michel Drucker ne veut pas finir sa course en roue libre. Il s’invente un nouveau défi, un nouveau col à gravir. Pas en danseuse, mais en saltimbanque. Il endosse le maillot jeune, le maillot blanc du meilleur néophyte. L’idée de se lancer dans le one man show lui est devenue une évidence. A force d’accoucher des stars, il a fait éponge. Et par un phénomène logique de mimétisme, il est devenu artiste à son tour. En fait, il l’ignorait, mais il en était un déjà. C’était dans ses gènes. Son spectacle arrive à point nommé pour nous le prouver…


Comme dans le film de Woody Allen La Rose pourpre du Caire, l’animateur le plus célèbre de France sort du petit écran pour se présenter sur scène en chair et en os. Lui qui a passé son existence à présenter les autres, il se présente désormais tout seul. Il quitte en outre la position assise au profit de la verticalité et du mouvement.
Le décor, finement concocté par Stéphanie Jarre, nous fait faire un grand écart d’un demi-siècle entre un vieil écran de télévision sur lequel apparaît en noir et blanc la fameuse horloge siglée ORTF, et le canapé rouge de ses rendez-vous dominicaux actuels. Ayant ainsi ses repères, Michel va naviguer entre les deux pendant plus d’une heure et demie. Mais, ce qui est judicieux, c’est qu’il ne navigue pas de façon linéaire, il godille ; suivant parfois la chronologie, usant d’autres fois du procédé du flashback, il nous embarque pour un voyage télévisuel aux escales variées et hautes en couleurs.

Personnellement, pas une seconde, je n’ai vu un débutant évoluer sur la scène lyonnaise de cette salle Rameau. Au contraire, j’y ai découvert un homme très à l’aise, parfaitement détendu. Bluffant ! Michel Drucker, on s’en doutait, est un conteur né. Il a en lui le sens du rythme, celui de la rupture et l’art d’utiliser les points de suspension. Son attaque est fédératrice : « Mes souvenirs sont les vôtres », déclare-t-il à son public. Et, aussitôt, il met en avant les deux principaux piliers sur lesquels il a établi sa prestation, l’humour et l’autodérision. Fort de cette base, il peut s’ébattre en toute liberté. En présence de celui qu’il définit comme son « professeur ès imitations », Laurent Gerra, il se livre à quelques savoureuses parodies plutôt réussies. Il ne se prive pas de balancer aussi. Lorsqu’il se permet de saupoudrer ses propos de quelques perfidies, il le fait sur un ton empreint de douceur. Il n’y a aucune méchanceté. Juste un constat. On découvre ainsi un Michel Drucker vanneur. Toujours objectif, il dresse une galerie de portraits souvent truculents, riches en anecdotes, évoque ses plus belles rencontres, dresse quelques hommages… Il dévoile pour nous les « pièces de collection » qui ont jalonné sa carrière.


Et c’est là qu’il achève de nous séduire et de nous faire ronronner de plaisir. En effet, non content de nous narrer certains épisodes cocasses ou émouvants de ses vies professionnelle et même privée, il nous les joue ! Il mime, reconstitue les scènes, se dédouble en reproduisant les dialogues… Ça coule tellement facilement qu’on a l’impression qu’il a fait ça toute sa vie !
Carrière à la télévision oblige, la présence d’un écran derrière lui permet de projeter des images, des photos, des extraits d’émissions. Ce qui rend évidemment le spectacle encore plus vivant, plus interactif.

Je ne dévoilerai rien des célébrités qu’il décrit, rien des nombreuses confidences qu’il nous livre, rien des révélations – parfois saisissantes – qu’il s’accorde à sortir de son armoire à secrets, rien sur ceux qu’il encense ou égratigne. Je me contenterai de préciser que ce spectacle est fort bien écrit, qu’on y rit énormément, que l’on est à plusieurs reprises ému, qu’il lui arrive (eh oui, lui, Michel Drucker !) de dire des gros mots, qu’il présente un chapitre pour le moins pittoresques sur les politiques, qu’il passe de l’évocation de la plus grande star à des sujets très intimistes et qu’il clôt son livre de souvenirs en exprimant aussi quelques regrets…


Bref, c’est avec naturel et simplicité que Michel Drucker se raconte. Il est en totale empathie avec le public, un public qu’il respecte et dont il fait son confident. Il est assurément tellement heureux de se retrouver sur scène. C’est un autre homme que nous découvrons ; plus proche, plus touchant, mais surtout plus drôle. Et incroyablement libre. Il n’a plus rien à prouver. Le pire, c’est que ces cent minutes de spectacle ne sont que la partie émergée de l’iceberg Drucker. Il en a encore des choses à dire, à nous faire partager. Car, j’en suis persuadé, son seul but, c’est le partage. Il rend au public ce que celui-ci lui a donné durant plus de cinq décennies. Il sait d’où il vient, il sait que ce sont les téléspectateurs qui l’ont fait roi. Il les en remercie à sa façon. Mais on ne saurait occulter la somme de travail, l’investissement, la rigueur qu’il a fallu à ce perfectionniste inquiet de nature pour en arriver là et acquérir enfin une espèce de sérénité qui fait plaisir à voir.
Il se place d’emblée au niveau de ses désormais collègues stand-uppers. Aujourd’hui, Michel Drucker se présente « seul… avec vous », avec nous… Et nous, nous sommes tous avec lui.

Gilbert « Critikator » Jouin


Sa tournée

4 mars. Palais des Congrès. Perpignan
5 mars. Zinga Zanga. Béziers
11 mars. Le Silo. Marseille
12 mars. Acropolis (Salle Athéna). Nice
18 mars. Théâtre Gabriel Robinne. Montluçon
19 mars. Pyramide (Espace François 1er). Romorantin-Lanthenay
25 mars. Salle Poirel. Nancy
26 mars. Espace Dollfus Noack. Sausheim
1 avril. Théâtre Galli. Sanary-sur-Mer
2 avril. Opéra Grand Avignon. Avignon
8 avril. Salle Marcel Sermbat. Chalon-sur-Saône
9 avril. Théâtre des Feuillants. Dijon
15 avril. Théâtre Fémina. Bordeaux
16 avril. Casino Barrière. Toulouse
22 avril. Théâtre Le Rhône. Valence
23 avril. Grand Théâtre de Provence. Aix-en-Provence
29 avril. Salle Jeanne d’Arc. Saint-Etienne
30 avril. Opéra. Vichy

A partir du 1er octobre aux Bouffes Parisiens, à Paris

samedi 27 février 2016

Noëlle Perna "Super Mado"

Alhambra
21, rue Yves Toudic
75010 Paris
Tel : 01 40 20 40 25
Métro : République / Jacques Bonsergent

Seule en scène écrit par Noëlle Perna et Richard Chambrier

Présentation : Quand Mado et son « reproducteur » ne sont pas sur la même longueur d’ondes… Quand celui-ci met sa star du « chauve binz » dans l’impasse… Elle seule saura trouver la sortie… Armée de sa devise « Celui qui veut faire trouve le moyen, celui qui ne veut pas trouve une excuse ».
Enfin une mission pour transformer Mado en Super Mado !

Mon avis : Dès qu’elle revêt la robe rose électrique de Mado, Noëlle Perna devient une autre personne. Une personne extravagante, attachante, infiniment drôle. Sur scène, ce n’est pas une brise de Nice qui soufflote, c’est une véritable tornade. Mado, c’est la reine des pipelettes. Pendant une heure et demie, elle n’arrête pas de parler, de s’agiter, de trottiner, de s’indigner, de s’esclaffer, de se moquer, d’analyser. Elle a un avis sur tout et une façon de le donner qui n’appartient qu’à elle. Elle s’exprime avec énormément de bon sens et d’esprit d’observation. Ce qui la caractérise le plus, c’est son incroyable générosité à vouloir communiquer, échanger, mais avec son langage si particulier. Mado a le sens inné de la formule imagée, de l’expression déformée, des jeux de mots approximatifs. Elle utilise pour cela une langue très vivante, dans tous les sens du terme.


Le prétexte de Super Mado est simple : son (re)producteur lui a conseillé de beaucoup moins parler. C’est tout juste qu’il n’exige pas d’elle un spectacle quasiment mimé. Mais comment endiguer un torrent de paroles, comment assagir une rebelle pleine de fougue qui n’en fait qu’à sa tête. On ne peut pas chasser son naturel, il est déjà au galop lorsqu’elle fait irruption sur scène. Une entrée qui pète, « à l’Américaine », devant une salle chaude, et c’est parti pour quatre-vingt-dix minutes de folie.
Mado s’adresse à nous comme à des confidents, comme à des amis d’un jour rencontrés au Bar des Oiseaux. Elle nous prend à témoins et se raconte. Bien sûr, elle nous narre avec force détails pittoresques ses relations avec son mari Albert et ses tribulations avec leur fils Toinou ; lesquels ont, en plus, le malheur d’être ses plus proches collaborateurs pendant le spectacle, l’un en « couilles-lisses », l’autre aux lumières « bien qu’il soit loin d’en être une ». Mais plus elle les critique, plus on sent poindre en elle sa tendresse à leur égard. Mado est très féminine.


Comme elle parle tout-à-trac, elle aborde moult sujets. Elle passe sans vergogne du plus général au plus intime : les expressions périmées, l’éducation nationale, les vertus du rire, la télévision, le foot, le rugby, la politique, la conception de Toinou, le speed dating, les méfaits des gâteaux « aux herbes », les vacances avec Albert… Certains sketches sont de purs et grands moments de comédie et de truculence. Et puis, soudain, rupture de rythme. Son chauvinisme pour sa ville s’exprime alors avec lyrisme. Son exaltation se mue en propagande attendrie. En plein milieu d’un spectacle sur-vitaminé, elle nous offre une plage, sa plage, une plage de poésie. Un ange passe, qui nous laisse bouche Baie…


Mado la Niçoise, c’est tout cela. Comme dans la salade du même nom, il y a un peu de tout et, surtout, pas mal de crudités. Il y a parfois un ingrédient un peu facile, un peu léger (comme une image ou un calembour quelque peu éculé), mais la majorité du plat est vraiment goûtue, originale, bien relevée, parfaitement assaisonnée. En tout cas, le menu qu’elle nous propose se digère aisément. Son ingestion est certes un peu retardée par les spasmes qui nous font tressauter le ventre de rire, mais qui s’en plaindrait ?
Noëlle Perna aborde le public parisien avec une certaine appréhension. A tort. Car vu la chaleur des applaudissements, la spontanéité des rires, et les cris de contentement, elle ne peut qu’être rassurée. Il règne dans la salle de l’Alhambra un microclimat quasi méditerranéen. Bien sûr, cela est dû en grande partie à la folle énergie de Super Mado. A l’image de ses formes, tout en elle est généreux.


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 20 février 2016

Lamine Lezghad "Rire de tout !"

L’Européen
5, rue Biot
75017 Paris
Tel : 01 43 87 97 13
Métro : Place de Clichy

Seul en scène écrit et interprété par Lamine Lezghad
Mis en scène par Lamine Lezghad et Fabrice Pelette

Présentation : En ces temps troublés, il est bon de rire sans réserve… Et rire de tout, c’est bel et bien ce qui est au programme de ce spectacle. Lamine ose tout avec une liberté sans limite.

Mon avis : Le contenu du nouveau seul en scène de Lamine Lezghad est dans on titre : Rire de tout !... Ce qui est important, c’est le point d’exclamation. Lamine ne se pose pas de questions métaphysico-philosophiques, il affirme. Oui, on peut rire de tout, et il ajoute même en conclusion de son spectacle : « et de tous ».
Pas de publicité mensongère, il ne triche pas sur la marchandise. Il arrose à 360 degrés. Du coup, tout le monde est éclaboussé et certains sont mêmes copieusement douchés. Avec lui, pas de round d’observation. Il ne virevolte pas autour du pot, il lui rentre dedans. Il nous cueille d’emblée aux zygomatiques avec le sujet le plus brûlant et le plus délicat à traiter : le terrorisme. Visiblement, tout ce qu’il énonce est parfaitement assumé. Il en rit lui-même et, forcément, nous avec. C’est qu’il va loin, le bougre ! Il ne s’autorise aucune limite.

Après une entrée en matière aussi « explosive », il peut tout se permettre. Il a poussé le curseur tellement loin dans la zone de l’humour noir et grinçant, qu’il ne peut – ni ne veut – plus reculer. Alors, il y va. La mine rieuse, l’œil pétillant, les fossettes ravageuses, il dézingue à tout-vat. Les religions, les communautés, les vieux, les Arabes, les Noirs, les Juifs, les racistes, les handicapés, les nains, le viol, ses collègues humoristes… Il n’exclut même pas les plus exclus, les SDF. Tout le monde passe à la moulinette réjouissante de son joyeux cynisme. Il possède tant de charme et de charisme qu’on lui pardonne tout.
Mais, ce qu’il y a de plus abouti dans son spectacle c’est que, au milieu des pires insanités et des horreurs qu’il distille ou profère, il glisse quelques messages et quelques vérités profondes qui nous donnent à réfléchir. Et ça, c’est très fort.


Pour avoir vu tous ses spectacles, j’ai constaté une irrésistible évolution. Lamine Lezghad est aujourd’hui à maturité. Il a trouvé son juste ton. Très à l’aise, il occupe l’espace scénique de façon magistrale. Là où il a formidablement progressé aussi, c’est dans l’improvisation. Il joue avec son public comme personne. Sa faculté à rebondir dans l’échange, à prendre une spectatrice en otage ou un spectateur comme tête de Turc, est impressionnante. Il détecte tout ce qui se passe dans la salle. Malheur à celui ou celle qui grignote, qui bâille, qui se met à l’écart, qui tente de s’éclipser pour aller aux toilettes, qui ose une apostrophe. Son radar est assassin. Mais si les mots sont plutôt hard, sa bonhommie les enrobe et les fait passer. Il ne cherche pas la fleur qui pousse sur le fumier, il balance tout en vrac, les fleurs et le fumier. A nous de faire le tri.
Son spectacle est très bien écrit. Il contient des vannes de très, très haut niveau. Comme il a éradiqué toutes les limites, il peut gambader loin. Il est comme un cerf-volant dont on a coupé la ficelle. Radieux, il évolue en pleine liberté dans un ciel pourtant lourd de nuages. Il ne les élude pas, au contraire, il slalome entre eux en leur appliquant au passage d’espiègles et virulents coups de pique. Ça fait vraiment un bien fou, par les temps qui courent, de se laisser distraire par quelqu’un qui bafoue aussi allègrement la morale, la bien pensance, le consensuel et le politiquement correct.
La mine Lezgahd a trouvé son univers et c’est très sympathique à lui de nous le faire partager aussi joyeusement.


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 18 février 2016

Rumeurs

Théâtre Fontaine
10, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 48 74 74 40
Métro : Blanche / Pigalle

Une farce de Neil Simon
Adaptée par Dominique Deschamps
Mise en scène par Eric Delcourt et Dominique Deschamps
Décor de Juliette Azzopardi
Costumes de Pauline Yaoua Zurini
Lumières de Thierry Alexandre
Avec Samantha Benoit (Claire), Alain Bouzigues (Ken), Christophe Canard (Eddy), Eric Delcourt (Lenny), Jean-Marie Lhomme (le flic), Amélina Limousin (la fliquette), Amandine Maugy (Cathy), Marie Montoya (Chris), Lucie Muratet (Cookie), Romain Thunin (Glenn)

Présentation : Là-haut, dans la chambre de sa très chic résidence secondaire, Charly Brook, le premier adjoint au maire de New York, baigne dans son sang. A-t-il essayé de mettre fin à ses jours, ou est-ce sa femme Myra qui lui a tiré dessus ? Telle est la question qui va se poser aux invités que le couple a conviés à une fête ce soir-là pour célébrer le dixième anniversaire de ce mariage apparemment exemplaire.
Heureusement, la blessure n’est que légère. Mais voila, Myra a disparu et Charly, sous valium, dort en suçant son pouce… Réduits aux conjectures, son avocat, son chargé d’affaires, son psy, un jeune loup de son parti politique et leurs épouses vont tout faire pour éviter un énorme scandale et empêcher que les sales rumeurs qui couraient déjà sur le couple ne prennent des proportions catastrophiques.

Mon avis : Je suis très partagé. D’abord parce que je n’ai pas vu la pièce à laquelle je m’attendais (problème de fond). Ensuite parce que son traitement m’a parfois indisposé (problème de forme).
Commençons par la forme. A vouloir faire trop survolté, on risque de tomber dans l’hystérie. Attitudes outrées, réactions exagérées, situations grotesques, trop de cris, voire de hurlements (ceux de Cookie m’ont véritablement agressé les trompes d’Eustache)… Pourtant, j’aime ce genre de pièces où plus rien n’est under control, où tout échappe aux protagonistes. Le problème, ici, c’est la gestion de l’excès. Les metteurs en scène ont misé sur la surenchère. Un vent de folie, c’est bien, à condition de savoir le maîtriser et le maintenir dans un cadre rigoureux. Il faut qu’il y ait toujours un zeste de crédibilité pour que le spectateur garde ses repères. Plus les ficelles sont grosses, moins il faut forcer le trait.


Bien sûr, ces propos n’expriment que ma propre perception. Nombreux étaient les gens qui riaient autour de moi. Et je reconnais m’être amusé et avoir ri à plusieurs reprises. Surtout grâce à de bonne répliques et à quelques saillies cinglantes. Par rapport au jeu intrinsèque, les dialogues tiennent plutôt bien la route. Et puis, il y a aussi quelques prestations qui méritent le respect. Avec ses intonations et sa gestuelle si caractéristiques, Marie Montoya est toujours aussi épatante. Chris, son personnage, est complètement soumis à son hyper-émotivité. Elle le tient de bout en bout avec une parfaite stabilité… Alain Bouzigues (Ken), même s’il est amené hélas à en faire des kilos, tire lui aussi son épingle du jeu grâce à quelques scènes vraiment désopilantes… Eric Delcourt (Lenny) joue remarquablement au type infect, odieux, égocentrique et pédant. Il possède une maîtrise aigüe de l’effet comique. Et son monologue en fin de pièce est un formidable numéro de voltige… J’ai bien aimé également la composition de Samantha Benoit (Claire), assez sobre, très féminine, cédant parfois à de brefs moments de
Panique… Et puis Christophe Canard, dans le rôle d’Eddy, le psy infatué et libidineux, apporte son grain de fantaisie et de drôlerie.


Si tous les comédiens sans exception se montrent d’une générosité incontestable, ils sont hélas desservis par un scénario quelque peu fumeux et manquant de rigueur. Je n’ai pas vu la pièce adaptée par Jean Poiret et mise en scène par Pierre Mondy en 1988, je n’ai donc pas d’éléments de comparaison. Ce qui aurait pu s’apparenter à de l’Agatha Christie revisité par Tex Avery ne rend pas vraiment l’atmosphère qui devrait se dégager d’un penthouse accueillant quatre couples de la high society new-yorkaise. On ne comprend pas vraiment pourquoi ces gens sont autant en panique. Ça ne nous est pas clairement expliqué. Et puis j’aurais goûté à beaucoup plus de cynisme. Ils sont trop gentillets nos personnages. Eric Delcourt est le seul à apporter cette note d’arrogance et d’amoralité qui sied aux nantis.

En conclusion, en baissant un tantinet le survoltage, en atténuant les décibels et en recadrant un peu le jeu, Rumeurs est une pièce qui se laisse voir sans déplaisir. En cela, Grâces soient rendues aux dix comédiens qui se dépensent sans compter et dont il faut saluer l’implication sans faille.


Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 12 février 2016

Langevin "Créateur d'illusions"

Casino de Paris
16, rue de Clichy
75009 Paris
Tel : 0 892 69 89 26
Métro : Trinité / Liège / Place de Clichy

Jusqu’au 28 février

Présentation : Dans un laboratoire inspiré de l’univers de Jules Verne, où jamais il ne fait croire qu’il possède des pouvoirs ou des dons particuliers, la magie de Langevin voyage entre la science, le rêve et l’illusion.
En combinant science et magie, numéros poétiques et grandes illusions, Langevin est aujourd’hui la référence du renouveau du spectacle de magie. Adieu paillettes, lapins, chapeaux et assistantes sciées en deux !...

Mon avis : Depuis son plus jeune âge, Luc Langevin est un garçon curieux. Aussi, pour obtenir un maximum de réponses à ses questions, il est allé les chercher là où elles étaient le plus intangibles, du côté de la science et, plus particulièrement de la physique. C’est d’ailleurs en cherchant à comprendre les lois qui régissent l’univers qu’il a su les adapter au monde de la magie.


Rares en effet sont les magiciens qui sont détenteurs comme lui d’une licence en génie physique et d’une maîtrise en optique ! L’obtention de ces diplômes était pour lui le chemin le plus sûr pour réussir à concrétiser ses tours. Logique et rigueur scientifique composent la base de son travail. Fort de ces enseignements, il a toute latitude pour agrémenter ses illusions d’une bonne dose de fantaisie. Aujourd’hui, à 32 ans, il est à la pointe de son art. Il utilise les nouvelles technologies pour accomplir des performances toujours plus ahurissantes.
Mais, ce qui est bien avec lui, c’est qu’il n’est pas égoïste. Sa curiosité, il nous l’explique, et il partage ses découvertes et ses applications avec nous. Pour lui tout est simple, rationnel. Mais pour nous, public de béotiens, tout est étrange et déstabilisant. Pourtant Luc Langevin fait le maximum pour que l’on en comprenne un minimum. Il prend bien son temps pour nous expliquer son cheminement intellectuel et pour nous faire suivre toutes les étapes d’un tour.


Son entrée en scène est époustouflante. On ne sait plus trop bien dans quel domaine on se trouve. Il y a des écrans, des images qui circulent d’un support à l’autre, des effets d’optiques, de la 3D… On n’a plus qu’à écarquiller les yeux et à se laisser emporter par la fascination. Le mystère, la surprise, l’étonnement et la poésie se bousculent dans notre cerveau… Bien qu’il s’en défende, sa logique n’est pas la nôtre. Personnellement, j’ai renoncé très vite à chercher à comprendre le comment des choses. J’ai accepté paresseusement son postulat et ne me suis attaché qu’au résultat. C'est-à-dire à l’accomplissement du numéro. A lui le discours de la méthode, à nous la béatitude de l’émerveillement.


Elégant, sympathique, chaleureux et plein d’humour, Luc Langevin met sans cesse le public à contribution. Son show est totalement interactif. Les spectateurs sont interpellés, certains sont invités à monter sur scène, pour le plus grand plaisir de ceux qui n’ont pas été désignés. Ses tours sont divers et variés. Ils vont du « banal » tour de cartes à la grande illusion, de l’assemblage hétéroclites d’objets à la transportation, du calcul mathématique au trompe-l’œil… Il y en a pour tout le monde, quel que soit son âge… Pendant près de deux heures, Luc Langevin ramène sa science en toute simplicité et réalise l’exploit de faire de l’abstrait une réalité. SA réalité…


Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 8 février 2016

Barbara et l'Homme en Habit Rouge

Théâtre Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 35 32 31
Métro : Edgar Quinet / Gaîté

Un spectacle musical de Roland Romanelli et Rébecca Mai
Mis en scène par Eric-Emmanuel Schmitt
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Décor de Nils Zachariasen
Vidéo d’Antoine Manichon
Costumes de Nathalie Chevalier
Avec Rébecca Mai (chant), Roland Romanelli (accordéon et piano), Jean-Philippe Audin (violoncelle)

Présentation : L’homme qui accompagna Barbara, à la scène comme dans la vie, nous raconte enfin cette femme unique, surprenante, drôle, passionnée, différente, géniale. Roland Romanelli, accordéoniste et pianiste, est choisi tout jeune par Barbara pour effectuer une tournée.
Cette rencontre fulgurante, féconde, complexe, qui devint amoureuse, c’est avec Rébecca Mai, sa compagne d’’aujourd’hui, chanteuse amoureuse du répertoire de Barbara, que Romand Romanelli nous la raconte. Vingt chansons interprétées en direct entrecoupent le récit où alternent confidences de Roland Romanelli et extraits d’interviews données par Barbara…

Mon avis : Roland Romanelli a la nostalgie souriante. Et heureusement ! Heureusement parce que les chansons de Barbara, elles, le sont rarement, souriantes. Elles sont en effet pour la plupart teintées au minimum de mélancolie. Mais, en même temps, ce sont des chansons qui nous plaisent.
Roland Romanelli, alias « L’Homme en Habit Rouge » (j’ai compris le titre en voyant le spectacle), nous raconte dons SA Barbara, la femme qu’il a accompagnée professionnellement durant une vingtaine d’années et, plus « bibliquement », pendant huit ans… Même si notre ardente curiosité de voyeur, n’est pas complètement satisfaite, car on aimerait en savoir plus, on sait se contenter des quelques anecdotes qu’il accepte de nous livrer. Roland Romanelli est un pudique. Je pense qu’il a fallu qu’Eric-Emmanuel Schmitt déploie des trésors de persuasion pour l’amener à se confier. Et encore, je suis convaincu qu’il n’en a obtenu que la partie émergée de l’iceberg.


Ceci dit, « iceberg » n’est guère un terme approprié pour qualifier Barbara qui, apparemment, était plutôt dotée d’un tempérament de feu. Mais on ne peut non plus la réduire à cela. Elle était bien plus complexe. Le sang slave qui coulait dans ses veines ajouté aux drames de son enfance et de son adolescence ont fait d’elle un être instable, cyclothymique, d’un romantisme exacerbé ; une femme passionnée aussi, généreuse, à l’humour dévastateur, une femme qui s’est donnée corps et âme à son métier. Barbara était un monstre sacré. Et dans « monstre sacré », il y a « monstre ».


La personnalité hors norme de « La Chanteuse de minuit » est fidèlement transposée dans ce spectacle. Plus qu’une reconstitution, j’y ai vu une restitution. Discret chronique, Roland Romanelli se complaît visiblement dans son rôle de prédilection, celui d’’accompagnateur. Il est tout entier au service de l’artiste. La nouvelle « Dame brune » de sa vie, Rébecca Mai, réussit le tour de force de ne jamais tomber dans le piège de l’imitation. Elle interprète une vingtaine de titres de Barbara en en respectant fidèlement le sens profond. Elle en a soigné le fond tout en y amenant sa forme. La voix est prenante, mouvante et émouvante, et sa gestuelle est légère, gracieuse, féminine. Il n’y a pas de confusion possible, pas d’accaparation. C’est un authentique hommage, vibrant, sensible, intelligent.
La mise en scène, remarquablement secondée par les effets de lumières et les images projetées, est aussi sobre qu’efficace. L’Absente est ici symbolisée par son rocking-chair. Quelques extraits d’entretiens nous permettent de réentendre sa voix, si caractéristique avec son débit saccadé, de partager l’intimité de ses confidences, nous la rendant ainsi encore plus proche, plus vivante.


Mais si Barbara est toujours aussi vivante pour nous, c’est grâce à ses chansons. Le choix qui en a été fait n’est pas anodin. Il illustre certains pans de sa vie que Roland Romanelli éclaire de ses propres souvenirs. Il y en a donc de moins connues que l’on écoute avec encore plus d’attention et d’acuité. Et puis, il y a les incontournables, les indispensables, les nécessaires... J’ai vécu, en totale fusion avec tous les spectateurs du Rive Gauche, deux moments d’exception, deux moments d’une force rare. D’abord avec le superbe arrangement qui accompagne et habille Dis, quand reviendras tu ?. Et surtout, il est quasiment impossible de décrire l’émotion qui a étreint toute la salle lors de l’interprétation de L’aigle noir. J’en ai eu le corps parcouru de frissons. Devant moi, une dame essuyait furtivement ses larmes pendant que sa voisine avait ses verres de lunettes complètement embués… Une telle émotion se passe de commentaires. Elle se vit et se partage.
Ne serait-ce que pour vivre ce moment-là, cette communion aussi intense, il faut aller voir Barbara et l’Homme en Habit Rouge.


Gilbert « Critikator » Jouin