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vendredi 22 octobre 2021

Assume bordel !

 


Les Enfants du Paradis

34, rue Richer

75009 Paris

Tel : 01 42 46 03 63

Métro : Cadet / Grands Boulevards

 

Ecrit et mis en scène par Pierre Palmade

Avec Benjamin Gauthier et Pierre Palmade

 

Présentation : Pierre et Benjamin s’aiment d’un amour fou depuis trois ans. Mais tout devient prétexte à engueulades et ils ne se parlent plus qu’en se disputant.

C’est l’amour vache ! Le fond du problème ?... Pierre n’assume pas vraiment d’être en couple avec un homme et, disons-le tout net, il n’assume simplement pas son homosexualité. Benjamin, militant convaincu pour la cause gay, n’en peut plus de devoir se cacher…

 

Mon avis : En se montrant quelque peu réducteur, on pourrait dire qu’Assume bordel ! est le prolongement de Ils s’aiment dans une version homo. Mais, en fait, Pierre Palmade va beaucoup plus loin car cette pièce est bien plus personnelle, plus intime, plus introspective.

 Que ce soit dans la vie, dans son autobiographie (Dites à mon père que je suis célèbre), dans ses pièces ou one man show (Le Comique, le fils du comique, Aimez-moi…) Pierre Palmade est d’une franchise désarmante. On dirait qu’il cherche en permanence à s’expliquer et à se montrer tel qu’il est au fond de lui-même. Il ne revendique aucune excuse, aucun jugement, aucun dédouanement. Il se contente de parler vrai, avec ses mots à lui, ses pirouettes, ses métaphores. Il déballe tout et, après, chacun en pense ce qu’il veut ; on ne peut pas le taxer d’hypocrisie.


L’hypocrisie, justement, s’il en use, c’est pour son personnage. La trame d’Assume bordel !, c’est la vie de couple à travers une vingtaine de saynètes qui, parfois, donnent lieu à de véritables sketchs. Comme dans tous les couples ordinaires, ils sont deux. Ils s’aiment visiblement, mais ils n’ont pas du tout les mêmes caractères. Tout au long de ces courtes scènes de ménage, on découvre leurs mentalités respectives.

Avec sa propension gourmande à l’autoflagellation, Pierre Palmade ne s’est pas donné le beau rôle. Dans un ping-pong verbal des plus réjouissants, il déroule, sans complaisance aucune, sa pusillanimité, ses atermoiements, ses blocages, sa lâcheté, mais aussi sa fragilité, son terrible besoin d’amour, sa réelle tendresse… Evidemment, cette complexité d’âme, lui permet de s’adonner à l’exercice dans lequel il excelle le plus : la mauvaise foi. Il assène à son compagnon les excuses les plus vaseuses qui soient avec un naturel confondant. Alors qu’on voit bien qu’il invente ses échappatoires au fur et à mesure, qu’il n’y croit pas lui-même une seconde, mais ça le rassure ponctuellement. Pierre est un fuyard de la réalité, un velléitaire. Il se voudrait plus droit, plus fort mais, à son grand désespoir, il n’y parvient pas.

 Le beau rôle, il l’a attribué à son partenaire. Benjamin, c’est un mec normal. Il est franc, direct, parfois cash quand il est trop outré ou trop malheureux. Il n’a aucun problème avec son homosexualité. Il en est même un fervent militant.

Photo : Coadic Guirec - Bestimage

L’opposition entre les deux hommes est donc croustillante. Leurs joutes verbales, entre un combattant sincère et fougueux et un champion de l’esquive, sont explosives. Les dialogues – autre grande qualité de Pierre Palmade – sont vifs, incisifs, cruels et, parfois aussi, comme dans la vraie vie, très crus. Le sens inné de la formule de Pierre fait encore son œuvre. Il a l’art des phrases et des répliques qui font mouche. J’en ai noté deux qui sont de véritables petites pépites. Une dans la bouche de Pierre : « Je ne suis pas fier d’être gay, je suis heureux d’être homo ». La seconde dans la bouche de Benjamin : « Sois
gay si t’es un homme ! »…



Bref, on passe un très bon moment à être les témoins amusés, attendris, voire émus, de ce duel d’un peu plus d’une heure entre deux hommes qui s’aiment sincèrement, mais dont l’équilibre et l’harmonie de leur couple sont sans cesse menacés par les tergiversations de l’un. En outre, cette pièce a l'avantage de rendre banale une situation amoureuse que l'on aurait pu qualifier de différente. Quelle que soit son orientation sexuelle, un couple reste un couple. Et pis c'est tout ! Pas besoin de ratiociner à l'infini...

Enfin, si Pierre Palmade est égal à lui-même, il faut saluer la prestation de Benjamin Gauthier, toujours juste, absolument convaincant et vraiment épatant dans ce beau personnage que lui a ciselé l’auteur de la pièce.

 Gilbert « Critikator » Jouin

 

 

mardi 12 octobre 2021

Lorsque Françoise paraît

 


Théâtre Lepic

1, avenue Junot

75018 Paris

Tel : 01 42 54 15 12

Métro : Lamarck-Caulaincourt

 

Ecrit et mis en scène par Eric Bu

Lumières de Cécile Trelluyer

Costumes de Julia Allègre

Scénographie d’Aurélien Maille

Musique et création sonore de Pierre-Antoine Durand

Chorégraphie de Florentine Houdinière

 

Avec Sophie Forte, Christine Gagnepain, Stéphane Giletta

 

Présentation : 1916. A huit ans, Françoise a une révélation : quand elle sera grande, elle sera médecin d’éducation ! Personne ne la prend au sérieux. Surtout pas sa mère, effrayée par cette enfant à la pensée si libre. Mais Françoise n’est pas seule, son Bon Ange Gardien veille sur elle et la soutient tout au long des épreuves de son enfance. Des épreuves que nous revivons avec eux, en remontant aux origines de la pensée de Françoise Dolto, et au gré de son regard d’enfant, à la fois si naïf et si clairvoyant…

 

Mon avis : Cette pièce est un pur bonheur !

J’étais à des lieues de penser que l’on puisse créer à partir de la vie de Françoise Dolto un vrai divertissement. Il faut dire que le mot « psychanalyse » n’est pas a priori très glamour. Et pourtant Eric Bu, son auteur et metteur en scène, a réussi la gageure de faire de Lorsque Françoise paraît un spectacle total, un spectacle dans lequel on passe par tous les sentiments, un spectacle où l’on est parfois ému et, surtout, où l’on sourit et on rit beaucoup.



Une mise en scène nerveuse, inventive, rythmée, des dialogues riches, incisifs et percutants, une bande-son intelligente et trois comédiens pluridisciplinaires absolument épatants, nous font vivre un grand moment de théâtre… Lorsque je qualifie cette pièce de « spectacle total », c’est qu’en plus de la part de comédie, on y a introduit d’autres disciplines telles que la danse, le chant, le mime, les accents.

Effectivement, les trois acteurs nous embarquent dans un véritable show. Il fallait de la part d’Eric Bu une sacrée force de conviction pour réussir à obtenir de ses comédiens une telle diversité, une telle palette de jeu. Je suis convaincu que Sophie Forte, Christine Gagnepain et Stéphane Giletta sont allés au-delà de son exigence tant ils sont performants. Il règne entre eux un profond esprit de troupe. Leur plaisir d’être ensemble et leur complicité sont tellement évidents qu’ils passent la rampe et nous emportent dans un beau moment de partage.

 


Dans le rôle de François Dolto, Sophie Forte se révèle carrément époustouflante. Elle s’avère aussi crédible en gamine de 8 ans qu’en vieille dame de près de 80 ans. Avec sa bonne bouille, sa voix et ses rires enfantins, son regard candide, elle nous fait comprendre combien l’enfance de François Marette a été loin d’être un long fleuve tranquille… Plus tard, devenue adulte, elle nous rappelle le caractère affirmé et la parole acérée de la Grande Dame de la psychanalyse pour enfants.


Christine Gagnepain (la mère, la fille, etc…) et Stéphane Giletta (le père, l’ange gardien, etc…) jouent à eux deux tous les personnages qui ont jalonné et accompagné la vie de Françoise Dolto. Là aussi, on assiste à une performance étonnante. Ils savent tout faire ! Stéphane Giletta possède en outre une réjouissante aptitude à prendre tous les accents. Grâce à lui, on croise les psychanalystes René Laforgue et Jacques Lacan, Jean Rostand, les animateurs radio et télé Jacques Pradel et Bernard Pivot, mais aussi Boris Dolto, le mari, et Carlos, l’un des deux fils. Un générique réellement haut de gamme !

Enfin, cerise sur le Dolto, j’ai eu le privilège d’assister à cette pièce dans le théâtre de l’Agoreine de Bourg-la-Reine, ville où résidait au début de 20ème siècle la famille maternelle de Françoise. Elle y repose d’ailleurs en compagnie de son mari et de son fils Carlos. C’était donc d’autant plus émouvant.

 Gilbert « Critikator » Jouin

 

vendredi 7 février 2020

Les Ritals

La Scène Parisienne
34, rue Richer
75009 Paris
Tel : 01 40 41 00 00
Métro : Grands Boulevards / Cadet

Salle Anémone
Jusqu’au 26 avril 2020

D’après le livre de François Cavanna
Adaptation de Bruno Putzulu
Mis en scène par Mario Putzulu
Lumières de Vincent Lemonnier
Musique originale de Grégory Daltin
Interprété par Bruno Putzulu et Grégory Daltin à l’accordéon (en alternance avec Aurélien Noël)

Présentation : François Cavanna livre le récit drôle et émouvant de son enfance de petit Italien émigré, fils de maçon, installé avec sa famille sur les bords de la Marne. Nogent, les guinguettes, les bals populaires, tout cela en marge du Front populaire.
Bruno Putzulu et Grégory Daltin donnent à entendre la drôlerie, la tendresse et le souffle de vie de ce truculent et décapant roman autobiographique. Du Cavanna, quoi !
Le bonheur populaire, l’élégance prolétarienne et la richesse des humbles : c’est cela Les Ritals !

Mon avis : En quittant la charmante salle Anémone de La Scène Parisienne, je me suis posé la question de savoir quel élément de ce spectacle je devais mettre le plus en exergue. Je n’ai pas hésité une seconde. Si je devais hiérarchiser mes impressions, c’est la performance de Bruno Putzulu que je mets en avant. Totalement habité par son personnage, sans cesse en mouvement, déployant une palette de jeu d’une richesse époustouflante, il nous livre une prestation de haut vol.
On le sent profondément impliqué dans la narration de l’enfance de François Cavanna. Ses origines sardes, par son père, y sont sans doute pour beaucoup. Il a dû opérer une forme de rétro transfert très compréhensible. Pourtant, quelle gageure que d’essayer d’adapter Les Ritals de François Cavanna, une autobiographie pleine de vie et haute en couleurs.
L’affiche est maline, évocatrice : Bruno Putzulu se tient tout au bord, comme s’il osait à peine s’immiscer dans l’espace, impressionné qu’il est par l’œil bleu perce-muraille de François Cavanna. Que de respect dans cette attitude !


Face à ce récit bouillonnant, truculent, Bruno Putzulu a dû faire un choix. Il le reconnaît d’ailleurs en toute sincérité à la fin : il s’est beaucoup concentré sur la mémoire du papa du petit François, Luigi, un maçon modeste et travailleur. Il en brosse un portrait attachant, drôle et émouvant. Ce spectacle qui couvre dix ans de l’enfance de l’auteur – de 6 à 16 ans – pendant les années 30, aurait pu être sous-titré « Mon père, ce héros » ou « La Gloire de mon père »… 

Le racisme anti-Italiens, pourtant vivace à cette époque à Nogent-sur-Marne, est juste effleuré. Bruno Putzulu évoque néanmoins les insultes, les coups échangés, le repli communautaire. Mais il ne manque pas de rendre un vibrant hommage à l’éducation nationale. François Cavanna était le premier de sa classe. Ses instits l’ont éveillé, instruit, lui ont donné la passion de la lecture. Il allait devenir un des plus prolifiques auteurs contemporains avec 70 livres en tous genres. Pierre Desproges, qui l’admirait, le qualifiait de « Rabelais moderne ».


Au-delà de l’amour filial, omniprésent, ce spectacle déborde de tendresse, d’humanité, d’humour, de mélancolie avec, de temps à autre, quelques sentiments de révolte qui nous rappellent que, toute sa vie, François Cavanna s’est érigé en grand défenseur des valeurs républicaines et que, toute sa vie, il a combattu toutes les formes d’injustice.
Personnellement, ayant eu le bonheur de l’interviewer à plusieurs reprises, je garde le souvenir d’un homme doux, profondément bon, profondément humain, traitant ses colères avec beaucoup de dérision.


Au son d’un accordéon qui habille subtilement chaque séquence, l’interprétation « putzulienne » des Ritals nous happe immédiatement. Sa gestuelle, très physique, est inventive, proche souvent du mime. Comédien hors pair (mais surtout pas « hors père ») il est tout entier au service de sa narration.
Bref, ses Ritals font de nous les témoins d’une intense et picaresque tranche de vie. Cette trajectoire, pourtant si personnelle, touche à l’universel.

Gilbert "Critikator" Jouin

dimanche 24 novembre 2019

A vrai dire


Gymnase Marie-Bell
38, boulevard de Bonne Nouvelle
75010 Paris
Tel : 01 42 46 79 79
Métro : Bonne Nouvelle

Une comédie de Sylvain Meyniac et Manuel Gélin
Mise en scène par Catherine Marchal
Décors de Caroline Lowenbach
Costumes de Chloé Boutry
Lumières de Stéphane Baquet

Avec, en alternance Manuel Gélin ou Christian Charmetant (Simon), Enora Malagré (Marie), Cyril Couton (Sam), Jessica Borio (Anne), Xavier Letourneur (Mathieu)

Présentation : Imaginez un monde où le mensonge n’existe pas, un monde dans lequel on ne peut dire que la vérité.
Des discours politiques aux slogans publicitaires en passant par les journaux télévisés, tout est vrai !
Marie, Simon, Anne, Mathieu et son frère Sam vivent dans ce monde, et ils se disent tout, sans réserve, sans filtre et sans complexe… Jusqu’au jour où Sam, terrassé par un chagrin d’amour, prononce le premier mensonge de l’humanité.
Cette découverte, aussi surprenante que miraculeuse, va bouleverser sa vie, celle de son entourage, et peut-être même renverser le destin du monde.

Mon avis : Quand on fait profession de critique, on est déontologiquement tenu de livrer le plus honnêtement possible son ressenti. Alors, lorsqu’il s’agit de donner son avis sur une pièce dont le titre est A vrai dire, on sent moins que jamais le droit de bidonner.

Déjà, petite restriction, je ne suis pas d’accord avec le sous-titre. Il ne devrait pas être « Que serait le monde sans le mensonge ? », mais plutôt « Comment est devenu le monde avec le mensonge ? »
Le monde SANS le mensonge, on le découvre dans la première partie – absolument jubilatoire – de la pièce. J’ai pris un plaisir fou à entendre les cinq protagonistes se parler cash tout à fait naturellement. C’est vraiment jouissif. D’autant que partout, y compris dans le journal télévisé, on ne dit que la vérité. Et on s’aperçoit que le monde serait bien plus facile à vivre. Quasi idyllique. Tout ce qu’on dit, tout ce qu’on entend, ne traduit que la réalité. Quand chacun s’exprime sans aucun filtre et dit tout haut ce qu’il pense, les relations sont d’office installées dans une banale normalité.
Tout est transparent, commode, il n’y a aucune ambiguïté. Même quand on se prend en pleine figure ce que nous, spectateurs, on considère comme des horreurs, on reste impassible. Personne n’est susceptible, rancunier. Puisque tout ce que l’on vous dit est marqué du sceau de la vérité, il n’y a aucune raison à s’insurger ; tout glisse… Quand on voit ce que Mathieu, Anne, Marie et Simon se balancent sur un ton totalement dégagé, l’effet comique est irrésistible. Rien que pour cette première partie, la pièce vaut le déplacement.

Photo : Jean Rauzier
 Et puis soudain, tout bascule. Sam, poussé à bout, désespéré, uniquement pour que les autres ressentent pour lui un peu de considération, en arrive, presque contre son gré, à émettre le tout premier mensonge…
Le postulat de A vrai dire est ingénieux, imparable. Quelle idée magistrale ! Ce sujet, immensément philosophique, voire métaphysique, est une aubaine à traiter sur le plan théâtral tant il est générateur de situations comiques et de dialogues décalés mais qui, par extension, donnent aussi beaucoup à réfléchir.

Or donc, Sam a prononcé ce fameux premier mensonge… Toute son existence va s’en trouver métamorphosée. Le loser chronique, la tête de turc idéale, va d’un seul coup se retrouver starifié. Du jour au lendemain, ce stakhanoviste de l’échec va connaître, grâce à son affabulation, réussite et succès dans tous les domaines… Puis, par un phénomène logique de mimétisme, il va progressivement gagner ses proches à la cause du mensonge.
Cette deuxième partie de la pièce est parfaitement amorale car elle fait l’apologie du mensonge. Grâce à ce subterfuge, tout devient possible. Et la vie s’en retrouve embellie. On en conclut que, plus que la découverte du feu ou celle de l’électricité, l’invention du mensonge a été une révolution pour l’Humanité.

Photo : Jean Rauzier
 Pour être franc, la deuxième partie de cette pièce est un véritable feu d’artifices. « Artifices » dans le sens de tromperie. Sam, déchaîné, s’en donne à cœur joie. Grâce au mensonge, il trouve une solution à tout. Pourtant, je trouve que, dans ce chapitre, les auteurs n’ont pas poussé le bouchon assez loin. Par exemple, les slogans publicitaires que Sam imagine, qui bien sûr ne reflètent plus la réalité vraie, ne sont pas assez percutants. De même, les fausses annonces que Simon le présentateur du journal télévisé doit divulguer sont, hormis la première, un tantinet faiblardes… C’est là ma seule restriction. Elle est sans doute le fruit de mon goût pour la provocation et de mon penchant pour l’iconoclasme. Je devais être un des seuls à ressentir cette petite faiblesse car, côté public, la mécanique fonctionne. Les spectateurs n’arrêtent pas de rire.

Il faut préciser que les cinq acteurs sont absolument épatants. Si, en raison de son rôle, Sam (Cyril Couton), pivot de l’intrigue, nous livre une prestation de haut vol, ses quatre partenaires, chacun dans son registre, sont impeccables. Et la mise en scène vive, inventive et sans aucun temps mort de Catherine Marchal imprime le rythme idéal à cette parabole théâtrale.
J’ai découvert la pièce le premier soir. « En vérité je vous le dis », dès qu’elle sera un peu rodée et que les comédiens auront pris leur vitesse de croisière, je pense qu’elle va être, en raison de son thème et de la performance des acteurs, un des grands succès publics de cette fin d’année.

Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 22 octobre 2019

La Convivialité. La faute de l'orthographe


Théâtre Tristan Bernard
64, rue du Rocher
75008 Paris
Tel : 01 45 22 08 40
Métro : Villiers / Saint-Lazare

Mise en scène d’Arnaud Pirault, Clément Thirion, Dominique Bréda

Présentation : « Le spectacle des deux Belges qui veulent simplifier la langue française » : tout est faux dans cette phrase. Pas « simplifier » mais faire preuve d’esprit critique. Pas « deux Belges », mais deux passionnés qui veulent partager les découvertes des linguistes. Pas même la langue, juste le code graphique qui permet de la retranscrire. Une approche pop et iconoclaste, pour dédramatiser un débat et aussi parce qu’il faut bien avouer que l’Académie Française a un vrai potentiel comique…
Notez que tout n’est pas faux : il s’agit bien d’un spectacle… Et drôle en plus.

Mon avis : « La Convivialité »… Bizarre ce titre pour un spectacle sous-titré « La faute de l’orthographe ». On saisit mal l’association de ces deux mots, « Convivialité » et « Orthographe ». Mais elle excite la curiosité. Alors, pour la comprendre, le mieux était de se rendre au théâtre Tristan Bernard pour pouvoir juger « sur pièce »…
Je dois reconnaître que ce qui m’a d’abord motivé, c’est le nom de son producteur : Alex Vizorek. Il est un des humoristes actuels que je prise le plus. J’aime l’élégance qu’il met dans ses propos, y compris les plus trash. Le qualificatif qui le définit le mieux, c’est « Iconoclasse »… Donc, qu’il ait adoubé cette pièce, était pour moi un gage de qualité.

Ensuite, pour me rassurer, je suis allé consulter le Larousse pour y vérifier la définition du mot « Convivialité » : « Capacité d’une société à favoriser la tolérance et les échanges réciproques des personnes et les groupes qui la composent »et aussi « Goût des réunions joyeuses ». Ces quatre mots ont achevé de me convaincre.


Le spectacle commence par une dictée collective. Chaque spectateur reçoit à l’entrée un support, une feuille blanche et un crayon. J’ai trouvé que les quatre lignes que l’on nous demande de rédiger ne comportaient aucun piège particulier. Hormis le fait de nous plonger dans une ambiance salle de classe et donc de nous émoustiller, je pense que cet exercice n’est pas indispensable. A moins d’y glisser quelques vraies difficultés… En revanche, les supports bicolores, recto vert, verso rouge (et inversement), qui nous serviront ultérieurement se révèlent indispensables.

Plus qu’une pièce, La Convialité est une sorte de conférence-débat. Jérôme Piron et Arnaud Hoedt sont d’anciens professeurs. Et ils se comportent comme tels pour nous parler des anomalies et des complexités de la langue française. Aussi didactiques que drôles, à grand renfort de projections astucieuses et éclairantes, ils se livrent à une démonstration absolument jubilatoire. Dans la salle, on s’étonne à voix haute, on s’esclaffe, on s’ébaubit. Redevenus écoliers d’un soir, les spectateurs participent avec enthousiasme à cet exposé interactif.


Quand l’instructif est traité d’une manière ludique, il est tellement plus facile d’apprendre. La mission de nos magisters est amplement réussie. Ils nous passionnent avec une foultitude d’exemples et d’informations sur l’histoire de la langue française, son évolution, ses influences extérieures. Et, surtout, ils jonglent avec les subtilités et les incongruités de l’orthographe ; sans omettre un chapitre particulier sur l’emploi du participe passé. Pour qui aime les mots et leur étymologie, c’est un pur régal… Mis à part quelques passages que j’ai trouvés un peu trop techniques, j’ai pris beaucoup de plaisir à assister à ce cours du soir qui tient plus de la récréation que du pensum.

Jérôme Piron et Arnaud Hoedt, passionnés et passionnants, font partie de ces personnes avec lesquelles il est très agréable de prendre langue. En tout cas, ils nous rendent avec La Convivialité une copie parfaite. Un sans-faute…

Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 10 octobre 2019

Donnant donnant


Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 42 80 01 81
Métro : Trinité, Blanche, Saint-Lazare

Une comédie de Fred Proust
Mise en scène d’Anne Bouvier
Collaboration artistique d’Anne Poirier-Busson
Scénographie d’Edouard Laug
Lumières de Denis Koransky
Costumes de Julia Allègre
Musique originale de Raphaël Sanchez
Avec Marie Fugain (Lucie), Loïc Legendre (Romain), Arnaud Gidoin (Bastien), Juliette Meyniac (Isabelle)

Présentation : Tout juste parents d’un petit Léo, Romain et Lucie n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Pour sortir la tête de l’eau, ils ont une idée : inviter à dîner Bastien, un vieil ami de Romain, un riche publicitaire, afin de le convaincre d’embaucher Romain dans sa boîte. C’est un ami, il ne pourra pas refuser ce service. Seulement voilà, Bastien et sa femme, Isabelle, ont également en tête une demande… très personnelle à formuler.
Romain et Lucie sont pris de court. Qu’est-ce qu’on fait ? On accepte ? On refuse ?
Donnant, donnant ?... Pas simple.

Mon avis : Donnant donnant est le type même de comédie douce amère que l’on aime aimer… A partir du moment où on a accepté le postulat de départ qui, si l’on y réfléchit bien, est un tantinet peu crédible, on n’a plus qu’à se laisser porter par l’enchaînement des situations et goûter le jeu, tout à fait emballant, des quatre comédiens.
Le décor déjà, nous aide à pénétrer dans l’univers de Lucie et Romain. C’est une grande pièce à vivre nichée sous les toits dans laquelle règne un gentil désordre ; du linge qui sèche, des jouets qui traînent, un canapé mal en point… On remarque également côté cour l’existence d’une petite chambre qui abrite un berceau. Celui de Léo, l’enfant du couple.
Dès leurs premiers échanges, on découvre les caractères respectifs de Lucie et Romain. Elle est volontaire, pragmatique, réaliste. C’est une battante. Lui, aspirant comédien sans emploi, est un doux rêveur. Il n’est visiblement pas armé pour un monde dur, impitoyable. Au contraire, il est fragile, naïf, pusillanime. C’est un velléitaire.

Photo Céline Nieszawer
 Une fois ces deux profils dessinés, on peut prévoir quel sera leur comportement respectif face à leurs invités, Isabelle et Bastien. C’est qu’ils attendent beaucoup de ce dîner : Romain est censé demander à son vieux copain Bastien, qui a remarquablement réussi, de l’engager dans la boîte qu’il dirige. Mais ce serait trop simple. Et il n’y aurait pas de pièce si, de leur côté, Bastien et son épouse Isabelle, n’avaient pas eux aussi, un service à demander… Ce service, particulièrement déconcertant, va phagocyter l’entreprise de Lucie et Romain.
  
Photo Céline Nieszawer
 Donnant donnant, c’est important de le signaler, repose sur des dialogues percutants, incisifs et sur les quatre personnalités très différentes qui vont s’affronter. En effet, celle de Bastien est aux antipodes de celle de Romain. Lui, c’est un winner. Il est sûr de lui, cassant et, surtout, c’est un vanneur invétéré. Face à lui, Romain ne fait pas le poids… Quant à Isabelle, elle est douce, conciliante, sympathique mais, on s’en apercevra par la suite, elle n’est néanmoins pas dupe.

Habileté du scénario, certains prétextes sont judicieusement créés pour laisser parfois les deux femmes seules, puis les deux hommes. Ce qui permet des discussions, toujours savoureuses dans lesquelles chacune et chacun peut donner libre cours à son tempérament ou, dans le cas précis de Bastien, montrer toute l’étendue de son immoralité.

Photo Céline Nieszawer
 Cette pièce, très bien ficelée, aborde plusieurs thèmes. Celui, très délicat, de la teneur du service que demandent Isabelle et Bastien ; les relations dans le couple ; et, enfin, la différence de classes, de milieu social… On est donc tous concernés. D’où notre attention à suivre leurs ébats et notre interrogation à savoir comment tout cela va se terminer… Grâce à de nombreuse répliques, cinglantes, délectables, efficaces, on rit souvent. Et de bon cœur. Or, valeur ajoutée qui apporte à cette comédie beaucoup de profondeur : il y a d’intenses moments d’émotion (particulièrement dans la deuxième partie) et parfois, une tension telle qu’on n’entend pas un souffle dans la salle. C’est impressionnant.

Photo Céline Nieszawer
 Si, comme je l’ai précisé, les dialogues sont excellents, il faut également saluer l’interprétation des quatre comédiens. Chacun est parfaitement à sa place. Ça joue juste. Les deux femmes sont épatantes, attachantes, touchantes ; humaines, quoi !
Arnaud Gidoin, éblouissant de cynisme, trouve en Bastien un rôle dans lequel on ne l’a jamais vu. Il joue un magnifique salopard. Il ne faiblit pas un seul instant. Tellement habitué à faire rire, viscéralement drôle, il doit jubiler intérieurement à incarner un personnage aussi déplaisant. Il est vraiment convaincant dans ce contre-emploi. Cela devrait pouvoir lui ouvrir de nouvelles perspectives.
Mais la palme va à Loïc Legendre. Quelle prestation ! Il est attendrissement de gaucherie et d’ingénuité. Il faut voir comme il s’emmêle magistralement les crayons. Sa palette de jeu, sa finesse, sa gestuelle, ses hésitations, sa perplexité, sa maladresse, son manque d’assurance et, parfois, sa malice, sont remarquablement transposés. C’est un grand moment de comédie pure qu’il nous offre.

Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 14 septembre 2019

L'un de nous deux


Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une pièce de Jean-Noël Jeanneney
Mise en scène par Jean-Claude Idée
Décor et lumières de Jean-Claude Idée
Costumes de Sonia Bosc
Son et vidéo d’Olivier Louis Camille

Avec Christophe Barbier (Georges Mandel), Emmanuel Dechartre (Léon Blum), Simon Willame (Hans)

Présentation : Juin 1944. Une prison en Allemagne. Derrière les barreaux, deux hommes côte-à-côte et face-à-face : Léon Blum, fidèle de Jaurès et chef du Font Populaire, et Georges Mandel, collaborateur de Clémenceau. La mort immédiate s’annonce pour l’un d’entre eux… L’intensité de leur dialogue se nourrit de cette angoisse, de leurs mémoires contrastées, de leurs tempéraments opposés, de leurs pudeurs bousculées, de leurs connivences révélées. Ils nous parlement de la République, au cœur de ses contradictions et au plus haut de sa dignité.
Lequel survivra ?

Mon avis : Quelle page d’Histoire ! Troublante, intense, émouvante…
La pièce s’ouvre avec des projections du Débarquement commentées en allemand. Nous savons donc tout de suite que nous nous trouvons en juin 1944 ; et en Allemagne.
Dans le salon d’un appartement-prison, deux hommes très élégants devisent. Par les fenêtres, on voit passer des avions, des véhicules militaires. Comme eux, on perçoit les sons du dehors, les bruits de moteurs, des cris, des coups de feu… Le décor est planté. Nous sommes à quelques encablures du camp de concentration de Buchenwald.

Photo : J. Stey
Très vite, au fil de leur conversation, on apprend qui est qui. Le plus âgé est Léon Blum, ancien président du Conseil et son interlocuteur est Georges Mandel, ancien ministre de l’intérieur. Pétain les a livrés à Hitler pour qu’ils servent éventuellement de monnaie d’échange… Blum, homme de gauche, admirateur de Jaurès, et Mandel, homme de droite, admirateur de Clémenceau, sont tous deux porteurs des grandes valeurs républicaines. Cela fait pratiquement un an qu’ils cohabitent. Alors qu’ils ont des sensibilités politiques opposées, ils ont appris à se connaître et à se respecter. Intelligents et érudits, ces deux témoins totalement impliqués, échangent sur plus d’un demi-siècle d’une vie politique française dont ils connaissent toutes les arcanes.

Photo : J. Stey
Si leurs idéologies respectives sont opposées, leurs tempéraments le sont également. Au départ, ils ont néanmoins en commun leur aversion pour le fascisme, le fait d’être détestés par Pétain, leur ralliement à De Gaulle et… leur judaïté. Ce qui n’est pas mal… Ces deux hommes, engagés, ont deux manières très différentes de voir et de pratiquer la politique. Autant Léon Blum, qui dégage une réelle bonhomie et une profonde humanité, se montre bienveillant, diplomate, autant Georges Mandel, se révèle intransigeant, réaliste, pessimiste. C’est un jusqu’au-boutiste qui ne tolère aucune compromission.

Photo : J. Stey
En raison de cette discordance, leurs échanges sont aussi riches que passionnants. Et parfois drôles aussi car Mandel adore titiller son grand aîné. Le texte de Jean-Noël Jeanneney est brillant. Très documenté, il fourmille de faits précis, d’anecdotes. Parfaitement incarnés par deux comédiens férus de politique, Blum et Mandel nous font revivre un pan déterminant de l’histoire de notre pays. On s’attache d’autant plus à eux qu’ils sont en train de vivre sous nos yeux un moment capital de leur propre existence. S’ils savent en effet que l’un d’entre eux va être sacrifié sur l’autel des représailles, ils ne perdent jamais une once de leur dignité… Unis par un destin qui les dépasse, Emmanuel « Blum » Dechartre et Christophe « Mandel » Barbier nous donnent une belle leçon de confiance en l’Homme. Leur jeu est tellement juste, simple et précis qu’on en oublie qu’ils jouent la comédie. Un beau moment de théâtre !

Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 2 septembre 2019

Madame Pylinska et le secret de Chopin


Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 35 32 31
Métro : Edgard Quinet / Gaîté

Une pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt
Mise en scène par Pascal Faber
Lumière de Sébastien Lanoue

Avec Eric-Emmanuel Schmitt et Nicolas Stavy (piano)

Présentation : Madame Pylinska, aussi accueillante qu’un buisson de ronces, impose une méthode excentrique pour jouer du piano : se coucher sous l’instrument, faire des ronds dans l’eau, écouter le silence, faire lentement l’amour… Au fil de ses cours, de surprise en surprise, le jeune Eric apprend plus que la musique. Il apprend la vie.
Une fable tendre et comique, garnie de chats snobs, d’araignées mélomanes, d’une tante adorée, et surtout de mélodies de Chopin. Les grands compositeurs ne sont pas que des compositeurs, mais des guides spirituels qui nous aident en nous apprennent à vivre…

Mon avis : Si vous aimez ET les mots ET la musique, Madame Pylinska et le secret de Chopin va vous emmener au ciel… Personnellement, j’ai passé au théâtre Rive Gauche une délicieuse soirée. Et quand je dis « délicieux », c’est un euphémisme tant mon plaisir a été total.
Non content d’être un remarquable auteur, Eric-Emmanuel Schmitt est un formidable conteur doublé d’un comédien épatant. Après un « prélude » plein d’humour, il nous embarque dans une histoire intime qui va nous tenir en haleine pendant deux heures. C’est passionnant. Le vocabulaire est d’une richesse et d’une précision rares. Sur le plan descriptif, les images et les métaphores abondent ce qui nous permet de nous projeter et de tout visualiser. Chaque décor est planté, chaque situation est illustrée, le moindre sentiment est traduit… On a l’impression qu’Eric-Emmanuel Schmitt nous prend chacun par la main pour nous emmener en sa chaleureuse compagnie dans son voyage initiatique. On ne peut pas être au plus près de son cheminement.


Le petit Eric-Emmanuel a 10 ans. Le piano qui trône chez lui n’est qu’un meuble pour lequel il ressent une certaine hostilité car il est l’instrument involontaire d’un massacre musical perpétré par sa sœur. Son rejet est total. Jusqu’au jour où intervient la Tante Aimée. Elle s’installe devant l’objet de son aversion, l’ouvre respectueusement, pose ses doigts sur le clavier et se met à jouer… du Chopin. En quelques secondes le garçonnet est foudroyé par la Révélation… Dès lors, en parallèle avec ses études, il va consacrer sa jeunesse à tenter d’apprivoiser et d’interpréter au mieux l’inaccessible Frédéric.

Si la tant aimée Tante Aimée a été l’initiatrice c’est une autre femme qui va prendre le relais, la fantasque Madame Pylinska, une Polonaise (tiens, tiens !) particulièrement radicale et haute en couleurs qui revendique être une « monothéiste ». Son seul Dieu, c’est Chopin. Seuls, mais à l’échelon inférieur, Bach et Mozart trouvent grâce à ses yeux.


Eric-Emmanuel Schmitt incarne les trois rôles : lui, Tante Aimée et Madame Pylinska… Un accessoire - un éventail pour Aimée, une étole pour la professeure - lui suffisent pour nous indiquer qui est en scène. En plus, pour Madame Pylinska, il adopte un savoureux accent d’Europe centrale. Pour illustrer les différentes situations et pour ponctuer ses évolutions psychologique et musicale, il convoque Nicolas Stavy, un époustouflant soliste qui possède son Chopin sur le bout de ses longs doigts agiles et délicats. Quel bonheur !
Dans ce spectacle, les mots nous portent et les notes nous transportent. Il est impossible de dissocier le récitant et le musicien tant ils sont en symbiose.

La partition écrite par Eric-Emmanuel Schmitt présente, comme l’œuvre de Chopin, toute une succession de climats différents. Si on rit beaucoup et souvent, s’il y a de la légèreté, il y a aussi des pages de mélancolie, des plages de tendresse et des mouvements de révolte. Difficile d’être plus exhaustif.

Photo : Fabienne Rappeneau
Finalement, à travers celui de Chopin, c’est son propre secret qu’Eric-Emmanuel Schmitt nous livre. Comment, grâce aux conseils et aux suggestions de Madame Pylinska qui, fine mouche, avait pressenti que sa destinée serait littéraire plus que musicale, il a trouvé sa voie. C’est elle qui, de manière subliminale, l’a guidé vers sa vocation.

J’ai passé au Rive Gauche une soirée idyllique. J’étais comme un enfant à qui on raconte une histoire emplie de personnages et d’objets pittoresques ; une histoire magnifiée par les notes de Chopin.
Bref, captivé par l’histoire et enchanté par la musique, j’ai passé avec Madame Pylinska et le secret de Chopin, une de mes plus aimables (dans le sens littéral du terme) soirées théâtrales. Lorsque les lumières se sont rallumées, la salle n’était qu’un immense sourire de bonheur…

Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 30 août 2019

J'ai envie de toi


Théâtre Fontaine
10, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 48 74 74 40
Métro : Blanche / Saint-Georges / Pigalle

Une pièce de Sébastien Castro
Mise en scène par José Paul
Décors de Jean-Michel Adam
Costumes de Juliette Chanaud
Lumières de Laurent Béal
Son de Virgile Hilaire

Avec Sébastien Castro (Youssouf), Maud Le Guénédal (Sabine), Guillaume Clérice (Guillaume), Anne-Sophie Germanaz (Christelle), Astrid Roos (Julie), Alexandre Jérôme (Gaël)

Présentation : Il vous est sûrement arrivé de vous tromper de destinataire en envoyant un texto... 
Ce soir, c’est à Guillaume que ça arrive. Alors qu’il pense adresser “j’ai envie de toi” à Julie, sa nouvelle conquête, le texto est envoyé par erreur à Christelle, son ex… La soirée, bien mal partie, dérape définitivement quand son voisin s’invite chez lui après avoir abattu la cloison qui sépare les deux appartements.

Mon avis : On ne va pas ratiociner à l’infini : cette pièce a été écrite pour faire rire, uniquement pour faire rire. Et ce but est largement atteint.
Pour avoir joué dans un grand nombre de (très bonnes) comédies, Sébastien Castro, qui signe avec J’ai envie de toi, sa première pièce, connaît parfaitement tous les ressorts et toutes les subtilités du genre.
Tout part d’une affreuse erreur de manipulation. Au lieu d’adresser son texto à sa Julie, sa nouvelle conquête, une proposition on ne peut plus explicite, “J’ai envie de toi”, Guillaume l’envoie à Christelle, son ex, une jeune femme qu’il ne veut surtout plus revoir… Il faut dire à sa décharge qu’il ne se trouve pas à ce moment-là en pleine possession de tous ses moyens car il est un tantinet perturbé par un voisin fâcheusement intrusif. D’où cette malencontreuse précipitation.

Ce voisin, cet empêcheur de pianoter en rond sur son clavier, c’est Youssouf. Lorsqu’un énergumène de cet acabit fait irruption dans votre vie, c’est l’équivalent d’un tsunami qui vient balayer votre quotidien. Youssouf, c’est un peu le François Pignon du Dîner de con. Mais avec, en plus, une réelle dose de cynisme. C’est à dire que, tout en étant aussi gaffeur et interventionniste que le héros de Francis Weber, il se révèle également totalement dénué de scrupules. Cette double mentalité en fait un personnage à la fois imprévisible et redoutable. Omniprésent, Sébastien Castro s’en donne à coeur joie. Tout son registre, dont l’éventail est très, très large, y passe. Face à ses mimiques, à son timbre de voix “droopyesque” si particulier, sa gestuelle hésitante, ses regards tour à tour effarés ou entendus, ses silences aussi, la salle ne résiste pas. Plus les situations sont folles, plus les rires se mettent au diapason et deviennent fous à leur tour.


Grâce à une mise en scène de José Paul nerveuse et millimétrée, J’ai envie de toi nous emporte comme un tourbillon. Le rythme, effréné, ne faiblit jamais. Les gags, les quiproquos, les malentendus, les imbroglios s’enchaînent. Les scènes entre Youssouf et Guillaume ont parfois un tel niveau de virtuosité absurde qu’elles en deviennent paroxystiques. Comique de répétition, humour parfois trash (je vous laisse découvrir à quels moments), situations improbables… L’appartement lui-même, avec sa fameuse cloison amovible, est un plus qu'un décor, c'est un élément de jeu à part entière. Il y a aussi une inénarrable trouvaille d’écriture avec le personnage de Gaël, l’homme qui ne finit jamais…

Sébastien Castro et José Paul ont su insuffler un authentique esprit de troupe. Chacun des six protagonistes de cette loufoquerie jubilatoire, joue sa partition avec précision et, surtout, avec le plus grand sérieux. Ce qui, pour une comédie, amplifie les effets comiques.
J’avais derrière moi un ado d’une quinzaine d’années, dont les éclats de rire, frais et spontanés ajoutaient à mon amusement. Et dans la rangée devant, c’étaient deux jeunes filles, très complices, accompagnées de leurs parents, qui ne cessaient de se regarder, de se prendre à témoin, et de s’esclaffer en choeur. J’ai envie de toi est une comédie tous publics. Quel que soit son âge, on y trouve son compte. Et un conte à dormir debout même car cette pièce n’est qu’une formidable farce. C’est Feydeau qui aurait bouffé du lion… le lion de Tex Avery ! Il ne faut pas y chercher de crédibilité ; il faut laisser son cartésianisme au vestiaire, et se préparer à souffrir des zygomatiques tant ils vont être sollicités.

Gilbert "Critikator" Jouin