vendredi 30 décembre 2011

Jean-Jacques Vanier "Fest of"


Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

One man show écrit par François Rollin et Jean-Jacques Vanier
Mis en scène par Jean-Jacques Vanier

Mon avis : Jean-Jacques Vanier est un homme à part, une sorte d’extra (très extra)-terrestre qui nous emmène dans son monde à lui, un monde surréaliste, absurde, incongru dans lequel il se sent comme un pingouin sur sa banquise. A l’instar de son homonyme Nicolas Vanier, il n’aime rien tant que les grands espaces de liberté. Sa fantaisie n’a pas de frontières, pas de limites. Pénétrer dans son univers, c’est se préparer à un grand voyage, à une sorte de « rendez-vous en terre inconnue ». Tout au long de ce trajet initiatique, on ne cesse de s’émerveiller, d’aller de surprise en surprise, d’ébahissement en éblouissement. Mais, surtout, on ne cesse de rire ; d’un rire frais et léger, spontané, complice… Grâce à lui, j’ai terminé mon année artistique en beauté.

Dans un décor on ne peut plus nu, Jean-Jacques Vanier prend possession de la scène en pantalon noir et chemise blanche. Il attaque illico presto avec son fameux « tube », le sketch de la cafetière 9 tasses. Là, on est antipodes de George Clooney. On a beau le connaître par cœur, il produit toujours le même effet. L’œil (clair comme un ciel d’azur) écarquillé, il s’efforce de convaincre le public avec une démonstration mathématique aussi énervante qu’hilarante. Qu’ils connaissent ou non ce sketch, les spectateurs, pris en otage, se piquent au jeu. Chacun y va de sa calculette mentale, émet tout haut sa solution, se plante, s’insurge et, découragé, abandonne. S’appuyant sur un éprouvant comique de répétition, Vanier nous a l’usure. On en éprouve presque du soulagement lorsqu’il clôt son raisonnement… On a à peine le temps de recouvrer nos esprits qu’il enchaîne avec un sketch totalement farfelu, un road-movie improbable dans lequel il nous conduit sur le circuit de l’absurde. Ce récit est tellement décalé et imagé qu’il en devient implacable.

Or, arrivés à ce stade du spectacle, on ne se doute pas encore que nous n’en sommes qu’aux amuse-gueule, à la mise en bouche (en esprit plutôt). Ces deux sketchs-là servent en fait à nous dégripper les neurones et à les préparer à sa forme d’humour si particulière. Car ce qui va suivre va nous emmener dans ce fameux pays aux émerveillements dont je parlais en préambule… Imaginez en effet que le one man show de Jean-Jacques Vanier ne comporte QUE cinq sketchs ! Mais les troisième, quatrième et cinquième qui, qualitativement vont crescendo (comme si c’était possible) sont tout simplement des perles rares. C’est énorme. Excellent comédien, mime émérite, imitateur à ses heures, il possède une gestuelle, des intonations, des silences, des jeux de sourcil, des interrogations qui n’appartiennent qu’à lui. Peu me chaut de vous narrer par le menu le contenu de ces trois monuments de drôlerie, de non-sens, de poésie et… d’intelligence. D’abord ce serait impossible… Jean-Jacques Vanier est un pinailleur de l’extrême. Il a le souci du détail obsessionnel. Quand il a un os à ronger, il en décortique le moindre bout de chair, le moindre nerf et il nous le rend complètement nettoyé. Il profère les pires incongruités, les pires inepties avec une totale conviction… Lorsqu’il part sur une route, l’itinéraire n’en est jamais défini et rectiligne. Il emprunte des chemins de traverse, fait diversion, revient sur ses pas, semble s’égarer, se perdre, pour toujours retomber sur ses pattes. La construction de son mécano de l’absurde est magistrale, imparable. Chaque pièce y est ajustée avec une méticulosité quasi maladive et, au final, tout se tient. Plus c’est fou, plus on est sidéré par la totale logique qui en découle. C’est réellement du grand art. Un pur bonheur. La virtuosité du jeu n’y a d’égale que la qualité de l’écriture.
Que voulez-vous de mieux ?
Vous, Vanier, j’en suis fort aise, et bien riez maintenant…

jeudi 15 décembre 2011


Petit Palais des Glaces
37, rue du Faubourg du Temple
75010 Paris
Tel : 01 48 03 11 36
Métro : République / Goncourt

One man show écrit par Alexis Macquart
Mis en scène par David Salles

Mon avis : Le dossier de presse annonce un artiste « sincère, honnête, qui se présente sur scène sans faux-semblant à travers un humour spontané, incisif, perturbant, provocateur, acerbe, mordant et osé »… Et bien tout est vrai là-dedans, il n’y a rien à ajouter, et ma critique est pour ainsi dire déjà terminée…
De même, le titre de son one man show est « Faites le taire »… Là aussi je suis tout-à-fait d’accord. Pour la simple et bonne raison que ce sagouin, en parlant de sa vie personnelle, livre au public féminin toutes les clés de la psychologie masculine. Du coup, il aurait pu sous-titrer son spectacle : « les hommes : mode d’emploi ». Déjà qu’on est assez démuni comme ça face à la gent féminine, il n’y avait pas besoin de leur fournir autant d’éléments concernant les rouages les plus intimes de notre mécanique comportementale. C’est nul ! J’ai passé mon temps à l’insulter en silence. Et, évidemment, dans l’auditoire, il y avait une majorité de jeunes femmes et de couples. Nous, on se retrouve à poil, complètement désemparés et pire, démythifiés. Après ça, il faut être drôlement costaud pour affronter la vie à deux…

AleCh’ti Macquart – il revendique d’emblée ses origines nordistes, histoire ce se débarrasser tout de suite de ce poids – a tout pour attirer la sympathie. Avec son allure de copain de fac, son œil bleu ciel rigolard, et sa propension à jouer les losers, il nous met tous dans sa poche. Son truc, c’est le stand-up. Il raconte… Il SE raconte. Après avoir affirmé sa lâcheté chronique, son incapacité face à la violence, surtout celle émanant des femmes, il nous emmène dans son monde. En guise de préambule, il évoque des généralités. Il parle de la bouffe, des émissions télévisées, des dysfonctionnements de notre société, de Tweeter et de Facebook.
Sa vision des choses repose sur une logique froidement réaliste. Elle est toute entière contenue dans cette affirmation qu’il nous livre benoîtement : « C’est peut-être moi qui vois le mal partout… » Effectivement, plus on avance dans le spectacle, plus on se dit que ce gars-là, c’est la méchanceté tranquille. Rien n’est gratuit. Tout est finement décortiqué, analysé, mais sans jamais appuyer le trait. Ce qui est d’autant plus redoutable car il nous oblige à une réelle réflexion. Ses apparentes élucubrations sont bien plus profondes qu’il ne voudrait le faire croire.

Après avoir balayé avec son télescope de façon panoramique le monde qui l’entoure, il le retourne sur lui-même, se lamente sur son physique, avoue sa peur de vieillir puis, insensiblement, en vient à sa vie de couple. Un sujet qui lui tient particulièrement à cœur et auquel il va consacrer plus de la moitié de son discours. Huit ans qu’il vit avec sa copine, huit ans qu’il lui est fidèle, huit ans au cours desquels il n’a rien élucidé du « mystère féminin ». Une seule chose est sûre pour lui, les femmes lui font peur… Sans aucun tabou, avec un langage et des gestes parfois sans équivoque, il parle avec force détails de sexualité, de masturbation, de l’éducation des enfants avec en corollaire notre émerveillement crétin pour nos rejetons, des méfaits d’Internet… C’est la première fois que je vois un humoriste s’exprimer avec un réalisme aussi clinique, une lucidité implacable et, surtout, sans aucune mauvaise foi. Habile et fin, d’une honnêteté sans faille, il ne voit que l’aspect négatif des choses. Le doute l’habite et ça lui donne vachement de grain à moudre. Son parler vrai est absolument convaincant. Je suis certain en outre que ce comportement de loser doit considérablement émouvoir les spectatrices. Son côté Calimero, parfaitement assumé, c’est en fait sa façon de séduire. Et même, j’irai plus loin : en parlant sans cesse de sa compagne (après huit années de vie commune, on ne peut plus parler de copine), il lui rend en réalité un profond hommage. C’est certes en filigrane, mais on le ressent néanmoins très fort.

Je ne connaissais pas du tout Alexis Macquart. Il a été pour moi une véritable découverte. Il est intéressant, très drôle, intelligent, malin, avenant. Il mérite vraiment que les gens viennent en nombre à son spectacle car il s’y passe quelque chose. En tout cas, j’ai quitté le Petit Palais des Glaces absolument ravi et conquis. Ce Macquart est un tout-bon.

vendredi 9 décembre 2011

Delphine McCarty dérape !


Théâtre de Dix Heures
36, boulevard de Clichy
75018 Paris
Tel : 01 46 06 10 17
Métro : Pigalle

One woman show écrit par Delphine McCarty, Michaël Quiroga et Eric Théobald
Mis en scène par Elie Semoun

Mon avis : Quelle adorable petite peste ! Tout au long de ce spectacle bien écrit et remarquablement interprété, Delphine McCarty nous apporte la confirmation que l’on peut à la fois être ravissante et drôle. Pour paraphraser ce cher Brassens, c’est « une jolie fleur dans une peau d’ vache ». Parce que pour y aller, elle y va la drôlesse ! Avec son air de sainte Nitouche, sa frimousse juvénile, ses grands yeux ronds et candides, son sourire enjôleur, elle n’a pas son pareil pour débiter des chapelets d’insanités avec un naturel confondant. Les termes les plus crus et les détails les plus osés nous paraissent moins choquants lorsqu’ils sortent d’une bouche aussi aimable et purpurine.

Delphine McCarty nous propose un bon vieux one woman show à l’ancienne, c’est-à-dire à base de sketches. Treize au total, à travers lesquels elle faut montre de qualités de comédienne hors pair. Parfaitement à l’aise, faisant ce qu’elle veut avec sa voix et avec son corps, elle nous propose une galerie de personnages qui, la plupart du temps, tutoient l’odieux, se délectent dans le cynisme, se complaisent dans la méchanceté, se vautrent dans la luxure… Des personnages peu fréquentables qui, s’ils n’étaient pas aussi brillamment interprétés par une jolie fille, nous seraient totalement abjects. Mais comme je l’ai précisé plus haut, son naturel teinté d’une bonne dose d’autodérision fait tout passer, rend tout digeste. Plutôt que de se sentir outré, on rit de bon cœur devant tant d’audace.

Pourtant, le sketch d’ouverture où elle apparaît revêtue d’une robe de princesse de taffetas rose et coiffée d’un diadème en toc m’a laissé dubitatif. Impression de déjà vu, de déjà entendu, accent du Midi et grossièretés gratuites en prime… Je me souviens avoir pensé « Bof, elle est très mignonne à regarder mais elle nous sert du Disney réchauffé ». Et puis, avec une logique imparable, après le premier sketch est venu le deuxième. Et là, le ton est devenu différent. Est-ce dû au changement de costume. Est-elle plus elle-même quand elle est en jeans et t-shirt ? L’habit ne fait pas la nonne mais il contribue dans son cas à plus d’authenticité. D’autant que ce deuxième sketch, que je qualifierai « d’exposition », préfigure pour moi ce qui va suivre et qui va aller crescendo. Elle y parle d’elle, se rit d’elle-même, aborde le second degré et se lance avec une saine ironie dans une étude comparative des séries télé américaines et françaises. On sent qu’elle parle de ce qu’elle connaît puisqu’elle est apparue dans une bonne vingtaine de téléfilms dont Julie Lescaut, Alice Nevers, Le Tuteur, Diane femme flic, Crimes en série… Elle a donc le droit d’avoir la quenotte dure.

Et c’est seulement à partir du troisième sketch qu’elle se met à camper les fameux personnages dont je parlais en préambule. Il y en a huit car trois d’entre eux (la caissière, la fille à l’enterrement et la représentante) réapparaissent pour notre plus grand plaisir une seconde fois, histoire d’en remettre une couche. Tous ces personnages m’ont vraiment plu, et certains encore plus, comme Zoé la nouvelle belle-maman désinvolte et perverse (un des mieux écrits) ou la « caillera » qui lui permet une subtile étude anthropologique du croisement inopiné de deux mondes et de deux cultures… Mais elles sont toutes formidables ces filles, la caissière qui pratique l’ingérence parce que ça lui permet d’exister, la maman dépressive, Elvire, la « copine » acide et vacharde, la représentante détestable, la bourge couguar en mal de sexe… C’est un gant de crin manié par une main de velours qui nous gratte agréablement la peau et nous fait frissonner d’aise. Débitées ainsi, ces dragées au poivre réussissent à avoir un goût de bonbon acidulé. De toute façon, sucer n’est pas tromper. Et ce spectacle est fort bien léché. On y sent la patte Semoun. Il a dû se régaler l’Elie à mettre en scène une aussi jolie poupée à l’apparence inversement proportionnelle aux insanités qu’elle débite. Mignonne, allons voir si la rosse…

Delphine McCarty est une teigne (il faut savoir qu’une teigne est aussi un joli petit papillon) qui se réjouit visiblement de nous embrouiller en mélangeant le fond et les formes. Le fond, elle le puise en piochant dans une veine d’humour noir. Quant aux formes, ce sera à vous de juger, bien qu’elle n’en abuse nullement. C’est en effet le mot « naturel » qui revient lorsqu’on essaie de la définir. En tout cas, sa fraicheur et sa simplicité lui permettent sans aucune réserve notre absolution. Puisse-t-elle « déraper" encore longtemps pour notre plus grande joie…

jeudi 8 décembre 2011

Vive ma planète !


Annoncé comme « le premier livre/CD ludique et écologique », Vive ma Planète ! est un ouvrage qui devrait faire l’unanimité chez les petits comme chez leurs parents.

Les « 9 histoires pour un monde meilleur » qu’il contient sont un pur ravissement. Et le livre lui-même est un très bel objet aux illustrations vives et colorées, un véritable plaisir pour les mirettes. Et si les yeux sont comblés, les oreilles le sont également. En effet, non seulement on peut lire ces neuf aventures, mais on peut aussi (et surtout) les écouter. Accompagnée par une bande-son entraînante et émaillée de judicieux bruitages, Séverine Ferrer use de tout le savoir-faire de la comédienne qu’elle est devenue pour les conter et les jouer. Humour, émotion, tendresse, pédagogie, tout y est.
On y croise un cerf-volant qui s’alanguit de ne plus folâtrer dans le vent, un pyjama rassurant, un crocodile boulimique, une crevette amoureuse, une petite fille rêveuse et bienveillante, une souris minuscule et tête en l’air, un petit garçon désordonné et désobéissant, un ours gourmand et compatissant…

Valeur ajoutée à cet ouvrage, chaque histoire est séparée par une rubrique intitulée « Le Conseil du Panda » dans laquelle on enseigne de façon ludique à nos bambins les éco-gestes essentiels pour la protection de l'environnement… Vous vous demandez « mais que vient faire ce panda dans cette histoire ? » Et bien, tout simplement parce que Séverine Ferrer, « fan de » la faune et de la flore, est aujourd’hui ambassadrice du WWF (Fonds Mondial pour la Nature) dont le panda est le symbole. Si bien, qu’en plus de vous procurer énormément de plaisir, ce livre vous permettra de faire une bonne action car une partie de ses droits sera reversée au WWF France.
Alors, ouvrez, lisez, écoutez, découvrez, laissez-vous bercer et emporter. Et que vive notre planète !

Le Courrier du Livre Jeunesse (104 pages. 17, 90 €)

vendredi 2 décembre 2011

Titoff "Après 5 ans sans rien faire déjà de retour !"


Le Bataclan
50, boulevard Voltaire
75011 paris
Tel : 01 43 14 00 30
Métro : Oberkampf / Filles du Calvaire

Spectacle écrit par Titoff et Laurent Junca
Mis en scène par Laurent Junca

Mon avis : Il est vraiment particulier ce spectacle de Titoff. Plus stand-up que ça, ça n’existe pas… Titoff, c’est un peu comme un bon copain qui prendrait la parole à la fin d’un repas de fête ou de famille et qui s’amuserait à faire ses commentaires sur tout et rien : la politique, l’écologie, la crise, la rapidité avec laquelle une info chasse l’autre, les smoothies, la prolifération des comiques, la pub Kinder Bueno… et, surtout, la vie quotidienne : le couple, la paternité, les soirées filles et les soirées mecs, les bimbos, la mauvaise foi masculine… Bref, son spectacle est un grand fourre-tout dont le leitmotiv serait « On est chez les fous ». Il est vrai qu’actuellement, ce ne sont pas les sujets qui manquent et il pourrait sans problème tenir une heure de plus.
A son crédit, Titoff attire la sympathie et cette forme d’indulgence souriante que l’on accorde justement au « bon copain ». Il est, reconnaissons-le, un formidable tchatcheur. Il possède un vrai talent pour tirer le fil de l’ironie de la pelote du quotidien et d’en grossir la trame. Il a incontestablement du métier (à tisser). Mais s’il réussit fréquemment à nous faire sourire, il ne nous fait pas rire. Tout simplement parce que ses élucubrations manquent singulièrement de fond. Autant certaines des saillies qu’il distille au cours de l’émission de Laurent Ruquier sur Europe 1 sont savoureuses, autant sur la longueur a-t-il tendance de ronronner. Titoff serait donc plus un sprinter qu’un coureur de fond. Ce fond qui, effectivement, lui fait défaut.

Il ne lui manque pas grand-chose car il possède déjà pas mal d’atouts avec sa bonne gueule, son charme indéniable et sa faconde méridionale. Il s’est même considérablement amélioré dans ce domaine depuis ses débuts dans le one-man show il y a un peu plus de dix ans. Disons qu’il s’est professionnalisé, qu’il a pris de l’épaisseur. Il ne lui reste plus qu’à se montrer un peu plus ambitieux au niveau du texte pour franchir un palier décisif. Il en a le talent… Mais à trop surfer sur l’écume des choses, on en devient vague soi-même.
Je n’ai pas passé une mauvaise soirée au Bataclan mais, gavé par trop d’amuse-gueule, je suis resté sur ma faim. Il m’a manqué du consistant, du roboratif ; de ce genre de plat qui vous fait délicieusement mal au ventre quand on a dégusté.

lundi 28 novembre 2011

Les Lyonnais


Un film d’Olivier Marchal
Ecrit par Olivier Marchal d’après le livre d’Edmond Vidal
Avec Gérard Lanvin (Edmond Vidal), Dimitri Storoge (Edmond Vidal années 70), Tchéky Karyo (Serge Suttel), Olivier Chantreau (Serge Suttel années 70), Valeria Cavalli (Janou), Daniel Duval (Christo), Lionel Astier (Dany), Francis Renaud (Brandon), Patrick Catalifo (Max Brauner), Estelle Skornik (Lilou Suttel), Pierre-André Gilard (Diégo), François Levantal (Joan Chavez), Etienne Chicot (Le Grec)
Sortie le 30 novembre 2011

Synopsis : De sa jeunesse passée dans la misère d’un camp de gitans, Edmond Vidal, dit »Momon », a retenu le sens de la famille, une loyauté sans faille, et la fierté de ses origines. Il a surtout conservé l’amitié de Serge Suttel, l’ami d’enfance avec qui il a découvert la prison suite à un stupide vol de cerises. Avec lui, inexorablement, il a plongé dans le grand banditisme et connu l’apogée du Gang des Lyonnais, l’équipe qu’ils ont formée ensemble et qui a fait d’eux les plus célèbres braqueurs du début des années 70. Leur irrésistible ascension prend fin en 1974, lors d’une arrestation spectaculaire… Aujourd’hui, à l’approche de la soixantaine, Momon tente d’oublier cette période de sa vie. Sa rédemption, il l’a trouvée en se retirant des « affaires », en prenant soin de Janou, son épouse, qui a tant souffert à l’époque, et des ses enfants et petits-enfants…

Mon avis : Olivier Marchal a encore frappé ! Décidément, en matière de polar, il y a une patte, un ton, une signature « Marchal ». C’est le quatrième qu’il réalise et, à chaque fois, il nous propose un nouveau film tout aussi efficace et prenant. Dans 36, quai des Orfèvres et MR 73, il s’était appuyé sur son propre vécu, évoquant des personnes qu’il avait croisées durant ses dix années passées dans la police. Cette fois, il s’est inspiré de Pour une poignée de cerises, le livre de souvenirs écrit par Momon Vidal, un des caïds du gang des Lyonnais qui a sévi au début des années 70. De cette histoire pleine de bruit et de fureur, il a tiré un polar nerveux et haletant. Et formidablement humain.
Olivier Marchal a réalisé un film qui serait quelque part la synthèse entre Le Clan des Siciliens et Le Cercle rouge, mais avec une facture 2011. C’est d’autant plus troublant que les méfaits des Lyonnais ont eu lieu entre 1970 et 1974, et que le film de Verneuil et celui de Melville datent eux aussi de cette époque, 1969 pour le premier, 1970 pour le second (avec la DS 19 pour symbole commun)… Lorsque je parle de « facture 2011, c’est essentiellement au niveau du rythme et de la qualité de la photographie que je fais référence. Le film dure 1 h 40 et on ne le voit pas passer tant les actions s’enchaînent sans nous laisser à peine le temps de respirer.

Le générique lui-même est une sorte de mise en bouche du menu qui nous attend. Sur les notes d’un rock’n’roll rageur, se succèdent des images en noir et blanc et sépia. Procédé habile qui va nous faciliter la compréhension tout au long du film. Tout ce qui déroule entre les années 50 et 70 est traité dans ces trois tons. Et toutes les scènes du présent sont en couleurs. Il vaut mieux car le film effectue sans cesse des allers et retours dans les trois époques (l’enfance de Momon et Serge, leurs débuts dans le grand banditisme, et le présent).

En plus de Verneuil et Melville, Olivier Marchal est allé chercher une troisième référence outre-Atlantique du côté de Coppola. En effet, la scène de baptême qui ouvre le film fait inévitablement penser à celle du mariage du Parrain. A part qu’ici, les Gitans remplacent les Ritals. Sinon, c’est exactement la même ambiance avec une action qui se déroule en parallèle avec la fête… Mais passé ce clin d’œil, Olivier hausse le ton, change de braquet (de braquo ?) et refait du Marchal. Et c’est parti pour une succession de scènes spectaculaires, haletantes, brutales, éprouvantes qui tombent comme des couperets. Il ne s’embarrasse pas de fioritures, il ne va plus qu’à l’essentiel. Les images sont réalistes, sans concession; mais jamais gratuitement gore. Elles sont même volontairement moins violentes que dans les précédents films. Mais le résultat est le même : on subit une impérieuse et incontrôlable montée d’adrénaline.

Ce film est construit comme un western (Le Marshall n’est-il pas un shérif ?…). Il en a la dramaturgie, la dimension tragique. C’est tout simplement une histoire d’amour et d’amitié. D’amitié virile avec code de l’honneur à la clé. Hélas, pas pour tous. Alors les colts aboient… Avec le personnage de Momon Vidal, Gérard Lanvin décroche un de ses plus beaux rôles au cinéma. Il est géant. Quelle gueule, quel charisme ! Quand je pense que c’était Alain Delon qui avait été pressenti. Heureusement que Le Fils à Jo est passé par là !
Et quand on parle de « gueules », un autre des grands talents d’Olivier Marchal c’est de faire appel à d’excellents comédiens dotés de véritables tronches : Daniel Duval, Lionel Astier, Francis Renaud, François Levantal… Ils font tous plus vrais que nature. Face à ces visages taillés à coups de cutter, il y a peu de place pour la grâce et la douceur féminine. C’est très difficile pour elles d’exister dans ce monde où la testostérone est reine. Et pourtant, les trois personnages féminins du film tirent remarquablement leur épingle du jeu, que ce soit la fraîche et frémissante Stéphane Caillard (dans le rôle de Janou jeune), Estelle Skornik, aussi belle que déterminée dans le rôle de Lilou, la fille de Serge Suttel, et Valeria Cavelli, magnifique et touchante en Pénélope moderne.
Tchéky Karyo crée là une de ses plus fortes compositions, à la fois hiératique et ambiguë. Révélation du film, Dimitri Storoge apporte au personnage d’Edmond Vidal jeune toute sa fougue et sa complexité. Dans le moindre de ses gestes, le moindre de ses regards, se dessine le caractère qu’il va se forger pour devenir Momon, caïd respecté et (presque) respectable. C’est un truand à l’ancienne pour qui la parole donnée est sacrée et intangible. Comme c’est également un homme amoureux (et aimé), il prend une dimension quasiment romantique… Et comment ne pas mentionner Etienne Chicot ? Il n’a qu’une scène, mais il nous offre un numéro de haute voltige particulièrement impressionnant.

En conclusion, on ne peut qu’accorder un énorme crédit aux Lyonnais. Olivier Marchal signe ici un film totalement abouti, sans aucun temps mort, tout en réussissant à distiller les grands sentiments qui l’habitent. Moins âpre, moins noir, moins désespéré que 36, quai des Orfèvres et MR 73, il est vraiment tous publics. Du bon, du grand cinéma. Efficace, quoi…

vendredi 25 novembre 2011

Mozart, l'Opéra rock en 3D


Je tenais à signaler la sortie en salle de la comédie musicale Mozart, l’Opéra rock en 3D. Je l’ai vu au Grand Rex le 7 novembre et j’ai découvert ce spectacle sous un angle tout-à-fait nouveau.
Si vous l’avez aimé sur scène, vous allez l’adorer sur grand écran. Personnellement, ce qui m’a le plus bluffé, c’est la réelle qualité dans le domaine de la comédie pure des différents protagonistes de l’histoire, Mikelangelo Loconte en tête. Les nombreux gros plans sur les visages ne trompent pas. On peut y lire toute la palette des sentiments qui animent les acteurs, et plus particulièrement l’émotion. Sur grand écran, la beauté hiératique et la qualité de jeu de Mélissa Mars deviennent des évidences. Mais ils sont tous bons, il n’y a aucune fausse note. Les chansons elles-mêmes prennent une autre dimension car on peut capter l’intention de chacun des interprètes, lire ce qu’il ou elle ressent. En cela, on ne peut que saluer a posteriori la perfection de ce casting.
Ce sont des opérateurs Sud-Coréens qui ont assuré cette captation. 70 techniciens pour 22 caméras. De quoi débusquer le moindre geste et la moindre mimique. Le montage et le traitement de l’image ont duré un an… Mozart, l’Opéra rock en 3D est diffusé dans 230 salles à travers la France. C’est une première dans le genre. Une réussite.
Sortie le 25 novembre 2011

mercredi 23 novembre 2011

Hommage à Georges Brassens

Poème-hommage à Georges Brassens contenant les titres des 136 chansons qu'il a enregistrées...


La rose, la bouteille et la poignée de main,
L’amitié, la beauté, la bonté et le vin
Pour ce bonhomme sont les symboles parfaits.
Sa musique et ses mots feront des ricochets
Dans nos cœurs comm’ dans l’eau de la claire fontaine
La mauvaise herbe pousse au pied de ce grand chêne
Accueillant, comme hier, les oiseaux de passage.
Le bougre ne craint pas ni le vent ni l’orage
Et son ombre est pareille à l’ombre des maris
Où les bêtes à deux dos sont si bien à l’abri.

Quand on a mauvaise réputation à Sète
Il suffit de passer le pont, guitare prête,
D’emprunter vite la route aux quatre chansons
Pour monter à Paris redorer son blason.
Sans ses maman, papa et Corne d’aurochs loin
Il fallut conquérir croquants et Philistins
Heureusement pour lui il y avait la Jeanne,
Germaine Tourangelle et de galantes dames
Ainsi qu’oncle Archibald et surtout ce bougnat,
Ami qui inspira Chanson pour l’Auvergnat.

Bientôt ce mécréant bâti comme un gorille
Rendit sur scène hommage à sa première fille
Aux casseuses aussi, misogynie à part
La Ballade des gens qui sont nés quelque part,
Qui de Montélimar, qui de Choisy-le-Roi,
Il fallait y penser, c’est beau, putain de toi !
Et ce mauvais sujet repenti, si modeste
Devint soit pornographe aux chansons plutôt lestes
Soit ce Moyenâgeux qui a si bien décrit,
Tel Villon, le fameux verger du Roi Louis.

La femme dans sa vie, il l’aima au pluriel :
De la brave Margot, à Pupchen et Mireille
De la fille à cent sous jusques à la marquise,
Mélanie, Colombine et Vénus callipyge
Sans l’entraîner jamais à la marche nuptiale.
Il n’y a pas d’amour heureux quand on s’installe.
Il sait trop que le temps ne fait rien à l’affaire
Que Cupidon s’en fout, fait fi de la prière.
Joue donc les Don Juan, fais-les vibrer « Nounours »
Mets à part Pénélope et embrasse les tous.

Qu’il dise sans sourire : « Je suis un voyou »
Quelle image traîtresse et lui même il avoue :
«Je m’ suis fait tout p’tit pour un coin d’ parapluie
Le temps passé à l’ombre du cœur de ma mie
Il m’a paru bien doux et au bois de mon cœur
A grandi l’amandier tel une jolie fleur »
En moutons de Panurge on fut plus d’un million
A vouloir découvrir la chasse aux papillons
Ou les sabots d’Hélène ô combien érotiques,
A rêver de Fernande au pouvoir « élastique »

Bien qu’aimant effeuiller souvent la marguerite
C’est « les copains d’abord » son idée favorite.
Quatre-vingt-quinz’ pour cent d’amitié dans son cœur
Qui ressemble à l’amour vraiment comme une sœur.
Il aime autant, et sans concurrenc’ déloyale,
La cane de Jeann’, ses chats, le petit cheval,
Que son tonton Nestor, le vieux Léon, l’ancêtre,
Les quatre bacheliers, grand-père de Bicêtre
Et le pauvre Martin, sale petit bonhomme,
Qui hantent ses chansons en aimables fantômes.

J’aime à l’imaginer au bistrot La Marine
Ironisant parfois sur une Bécassine,
Admirant les passantes alors que Marinette
La serveuse, entassait, épaves, les canettes.
Il devait écouter la ronde des jurons
D’ivrognes égarés, patriotes, ex-troufions
D’ la guerr’ 14-18, l’avant-dernier « Grand Pan »,
Buvant pour oublier les funéraill’ d’antan.
Quand les pensées des morts se diluent dans le vin,
Mourir pour des idées comme ça semble vain !

Comme il faut d’indulgence et de chaleur au cœur
Pour écrire Les Stances à un cambrioleur,
L’élégie à un rat de cave ou La tondue,
Et Celui qui a mal tourné, bien entendu.
N’oublions pas La complainte des fill’ de joie
Ça, putain non, sauf le respect que je vous dois.
Bien qu’étant mécréant, on peut aimer en homme
La pas très religieusLégende de la nonne
Et vouloir célébrer la messe du pendu
Sans se soucier si le bon Dieu l’avait voulu.

Dans l’œuvre de Brassens, il n’y a rien à jeter.
Sonnez, sonnez, trompettes de la renommée
Son testament sera, défi au temps qui passe,
Art parmi les quat’z’arts, dans les livres de classe
Et La ballade des dames du temps jadis
Ou le Gastibelza, que l’on croirait ses fils,
C’est auprès de mon arbre un bouquet de lilas,
C’est l’anneau de Saturne à l’éternel éclat.
Il a, tout en faisant le père Hugo cocu,
- Le bel assassinat – mis la musique en plus.

Quatre-vingt-un : l’automne en affreux fossoyeur
Dépêche la camarde à ce pauvre pêcheur.
Le mot « fin » au dernier bulletin de santé,
S’il ne crée la tempête dans un bénitier,
Fait pleurer les deux oncles et la femme d’Hector,
Une foule d’amis, d’inconnus de tout bord.
Et on a vu les amoureux des bancs publics,
Cessant de s’embrasser, fredonner La supplique
Oui, pour être enterré à la plage de Sète ;
Merveilleux testament, pied de nez de poète.

Parfois la mort d’un seul nous semble une hécatombe.
Mais ce trompe-la-mort ne gît pas dans sa tombe :
La faucheuse s’est vue dedans son sarcophage
Recevoir une non-demande en mariage.
Car le petit joueur de flûteau d’un ton doux
Lui a dit : « C’est sûr, j’ai rendez-vous avec vous ;
C’est mes amours d’antan que je visite au ciel
Et malgré vos yeux doux je rejoindrai ma belle.
Point de lèche-cocu, d’histoire de faussaire,
Ou gare à la fessée, suaire ou pas suaire.
la
On ne f'ra pas la ballade des cimetières
Il n’aurait pas aimé, trop modeste, trop fier,
Qu’on lui fît les obsèques d’un roi, d’une reine
Mais d’aussi simples que l’enterr’ment de Verlaine,
Et qu’un bon mois après le vingte-deux septembre,
Il retrouve là-haut, si chers à son cœur tendre,
Et le père Noël et la petite fille,
Que le nombril des anges ait l’aspect du nombril
Des femmes d’agent, et qu’il ait aux cieux la cote
Tout comme dans la princesse et le croque-notes

lundi 21 novembre 2011

Echo logique

En adoptant des airs d'EPR la pudeur, François Hollande a versé la goutte de plutonium qui a fait déborder les Verts. Pas besoin d'être sorti de Centrale (nucléaire) pour craindre qu'il ne joue à qui EPR gagne. Mais de qui se mox-t-on ? C'est pas Joly, Joly tout ça...

T'Choupi fait son spectacle


Casino de Paris
16, rue de Clichy
75009 Paris
Tel : 08 926 98 926
Métro : Trinité

D’après le personnage créé par Thierry Courtin
Mise en scène de Caroline Duffau et Stéphan Guérin-Tillie
Textes de Jean-François Bordier
Chorégraphie de Gladys Gambie

L’histoire : T’Choupi a 3 ans et la curiosité qui va avec. Les enfants aiment partager avec lui les situations de la vie quotidienne qu’il traverse toujours avec douceur, malice et espièglerie, accompagné de son inséparable nounours Doudou… Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de maman et T’Choupi propose de lui faire une grande surprise : un vrai spectacle musical où il propose aux enfants de participer à sa création en direct avec lui…

Mon avis : Très joli spectacle pour enfants. Disons, jusqu’à 10 ans… Nous sommes dans le salon de la famille de T’Choupi ; un salon flashy à dominantes rouge et jaune, bizarrement surplombé d’un énorme soleil. T’Choupi et ses amis Lalou, la fille, et Pilou le garçon jouent, chantent, dansent et se chamaillent gentiment sous le regard complice de Doudou, le nounours… Apparaissent alors les parents. Maman doit s’absenter pour la journée. Elle confie la garde des enfants au papa. A peine est-elle sortie que le papa, incidemment, rappelle à T’Choupi que c’est aujourd’hui l’anniversaire de sa mère… Panique à bord. T’Choupi n’a rien prévu pour fêter l’événement. Alors, avec ses deux camarades, il va essayer de préparer à sa maman un accueil inoubliable lorsqu’elle rentrera à la maison…

Ce qui est bien avec ce spectacle empli de tendresse et de bons sentiments, c’est qu’il n’est pas bêtifiant. Les chansons, très entraînantes, sont fort bien écrites. Leurs paroles sont amusantes et absolument pas gnangnan. Quant aux chorégraphies, elles sont elles aussi plutôt réussies, avec une mention particulière pour la personne qui est cachée dans la panoplie de Pilou qui se révèle être un très bon danseur. T’Choupi fait son spectacle est un divertissement plaisant, idéalement formaté pour les enfants. La mise en scène est pleine de malice. J’ai trouvé entre autres très beau le tableau des fleurs. C’est tonique, fluide, rythmé et très, très coloré. On a l’impression de se retrouver au beau milieu d’un livre d’images animé.
Une seule chose est un peu désagréable dans ce type de spectacle, c’est le nombre incalculable de portables et de caméras qui s’allument sans cesse pour photographier ou filmer telle ou telle scène. C’est vraiment agaçant. Bien sûr, je comprends que les parents aient envie d’immortaliser ce moment partagé avec leurs chères têtes blondes et autres. Mais j’avoue que c’est parfois pénible. Le pire, c’est que c’est en train de se systématiser…
Voilà, c’est dit… Maintenant, je ne peux que vous recommander ce spectacle pour vos petits. Même en tant qu’adulte, on ne peut que le trouver absolument charmant. Il n’y a donc aucune restriction.

vendredi 18 novembre 2011

Sunderland


Petit Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 42 80 01 81
Métro : Trinité / Blanche / Saint-Lazare

Une pièce de Clément Koch
Mise en scène par Stéphane Hillel
Avec Elodie Navarre (Sally), Constance Dollé (Ruby), Léopoldine Serre (Jill), Vincent Deniard (Gaven), Vincent Németh (Paul), Thierry Desroses (Gordon), Bénédicte Dessombz (Mary Malwn), Pascale Mariani (Miss Gallagher)

L’histoire : Au nord de l’Angleterre, la pluie, la grippe aviaire, et les défaites de l’équipe de foot locale n’ont pas eu raison de la volonté de vivre de Sally. Pourtant, si dans quelques jours, elle ne trouve pas un travail, elle risque de perdre la garde de sa petite sœur, que certains seraient tentés de surnommer « la toquée ».
Alors, pour ne pas la renvoyer au Centre, elle est prête à tout, y compris à devenir une mère de passage et louer son utérus. Et c’est armée de sa meilleure amie, à l’esprit aussi vif que le flashy du vernis de ses ongles, qu’elle s’apprête à recevoir ce couple, certes peu conventionnel, qui peut changer sa vie…

Mon avis : Le Petit Théâtre de Paris a encore frappé ! Décidément, ils ont le chic pour programmer des pièces qui savent autant nous distraire que nous émouvoir et nous donner à réfléchir… Lorsqu’on se rencontre, entres critiques et/ou passionnés de théâtre, on se refile des tuyaux sur les spectacles à voir ou à éviter. La rentrée 2011/2012 a été tellement riche qu’on est bien obligé de faire des choix. Personnellement, j’avais dû faire l’impasse sur Sunderland, pièce à l’affiche depuis le 15 septembre. Mais quelques collègues et ami(e)s m’en ont dit tant de bien, certains allant même à assurer que c’était là LA pièce à voir, qu’au premier créneau de libre, j’ai sauté sur l’occasion. En arrivant rue Blanche, je suis tombé sur mon camarade Jean-Philippe Viaud, chroniqueur éminent et avisé à Télématin sur France 2, qui m’apprend qu’il vient voir cette pièce pour la deuxième fois ! C’est dire… La salle du Petit Théâtre de Paris était comble. Elle bruissait de cette ambiance engendrée spécifiquement par des spectateurs heureux de se trouver là. Patrice Leconte était discrètement installé au quatrième rang.

L’absence de rideau nous laissait le temps d’étudier le décor, une grande cuisine. Ce n’est pas le luxe, mais ce n’est pas non plus la misère. Côté cour, un large escalier mène aux chambres… La toute première scène, inattendue, déconcertante, crée presque une forme de malaise. Malaise vite dissipé par l’apparition de Ruby en haut des marches. En bas, face à un téléviseur allumé, se trouve Jill, une ado de 16 ans, qui parle toute seule en se balançant avec ce mouvement si particulier qu'adoptent les autistes. Puis on fait connaissance avec Gaven, géant débonnaire et serviable, qui doit vraisemblablement dormir avec le maillot rouge et blanc de son équipe de foot fétiche, celle bien sûr de Sunderland… D’ailleurs, dans cette ville portuaire du nord-est de l’Angleterre touchée par le chômage, tout gravite autour du foot. Les femmes elles-mêmes sont bien obligées de s’y intéresser. Mais si le ballon tourne plus ou moins rond, il n’en est pas de même pour Jill, sujette à des crises d’une violence inouïe dès qu’elle est contrariée ou de tétanie dès qu’elle est angoissée. Seule sa grande sœur, qui en a la garde, sait la calmer.
Cette grande sœur, c’est Sally. Elle est l’âme de la maison. Elle vient de perdre son emploi suite à l’épidémie de grippe aviaire qui a décimé tous les volatiles de l’usine pour laquelle elle travaillait. Il lui faut donc de toute urgence trouver de nouvelles ressources pour espérer continuer à garder Jill auprès d’elle. Le Centre d’éducation spécialisée d’où elle avait réussi à l’extraire, menace en effet de la reprendre à tout moment.
L’ambiance est tendue. Pas facile de trouver du boulot et de l’argent. Or, il y a cette foutue petite annonce qui lui tombe par hasard sous les yeux. En y répondant, ses problèmes seraient résolus. Seulement, personne autour d’elle n’est d’accord. Gaven le premier, qui est éperdument amoureux de celle qui fut sacrée « Miss Sunderland » à 17 ans. Quant à Ruby, que Sally a recueillie chez elle lorsque ses parents l’ont jetée dehors, elle voit d’un mauvais œil son amie se mettre une telle responsabilité sur le dos. Mais pour Jill, Sally est prête à tous les sacrifices...

Je m’interdis d’en dire plus. Cette pièce, il faut la vivre minute par minute. Elle est dure et drôle à la fois, jamais oppressante. Cela en grande partie grâce à des dialogues particulièrement aiguisés, grâce à la personnalité totalement extravertie de Ruby, fille délurée, au franc-parler redoutable, qui émaille ses propos de saillies tout-à-fait percutantes et assassines, grâce au jeu émouvant de Jill, grâce à la présence physiquement impressionnante de Gaven, brave type un peu frustre mais tellement plein de bonne volonté et, bien sûr grâce à Sally. Sally est une femme à la fois forte et fragile, c’est un cœur débordant d’altruisme et de générosité. Elle a les pieds sur terre. C’est une louve qui ne veut pas que l’on approche de sa petite…
Vous l’aurez compris, Sunderland est une pièce qui a la grâce, une belle histoire d’amour et d’amitié. Elle est portée par deux formidables personnages de femmes. Ce sont des gens simples, profondément humains et dotés d’un grand sens du partage. On y rit beaucoup alors qu’ils vivent un drame…

Autour des admirables Elodie Navarre et Constance Dollé, chacun joue sa partition avec une justesse et un talent épatants. Dans le rôle de Jill, la jeune Léopoldine Serre est touchante. Avec sa bonne bouille à fossettes, on a envie de la prendre dans ses bras et de la protéger… Geste que l’on n’oserait pas imaginer avec Vincent Deniard, montagne humaine qualifiée par les filles de « hooligan non violent ». C’est un gros nounours empêtré dans ses bons sentiments et qui ne sait comment exprimer sa passion amoureuse pour Sally. Il y a aussi Thierry Desroses et Vincent Németh, aux rôles si importants. Ils nous offrent chacun une composition savoureuse, drôle et émouvante… Pascale Mariani, qui joue l’assistance sociale envoyée par le Centre pour décider de la reprise ou non de Jill, est parfaite. Ni trop sensible, ni trop malveillante, elle n’a évidemment pas le rôle le plus positif de la pièce. Mais elle le tient fort bien… Et puis il y a Bénédicte Dessombz dont la présence amène une sorte de plus-value psychologique. Mais je ne veux pas entrer dans les détails sauf souligner qu’elle a un rôle essentiel et qu’elle le tient avec beaucoup d’allure et de vitalité.

Grande leçon de tolérance, Sunderland est vraiment une très, très belle pièce qui ne vous laissera pas insensibles. On en sort remué, les larmes aux yeux et, en même temps… avec un sourire grand comme ça. Quand je vous parlais l’autre jour de la loi des séries. Décidément, la magie du théâtre a l’heur de nous emporter parfois très haut. De telles pièces font du bien au cœur et à l’âme.

mercredi 16 novembre 2011

Geluck enfonce le clou


Editions Casterman
(Sorti le 26 octobre 2011)
18 €

Mon avis : Sous-titré « Textes et dessins inadmissibles », ce nouvel ouvrage de Philippe Geluck est au Chat ce qu’Idées Noires est à Gaston Lagaffe pour Franquin. Le temps de noircir et de colorier 140 pages, il abandonne ses chatteries et c’est lui qui sort ses griffes. Quoi que tenir un marteau avec des griffes ne soit pas un exercice des plus aisés. Mais il ne craint pas de se faire mal aux coussinets. Il y a belle lurette que les siens sont garnis de cals.

35 chroniques, 65 dessins, Geluck enfonce le clou ne souffre d’aucune complaisance. Piétiné le politiquement correct. Violentée la diplomatie. Conchié l’angélisme. Quel délice que de planter ses pointes dans une langue… de bois ! Ah ça, il ne faut pas se laisser prendre le doigt entre le marteau de son impertinence et l’enclume de sa causticité. C’est qu’il tape dur le bougre ! Comme il l’écrit lui-même en exergue de son livre il n’y va pas « avec le dos de la petite cuiller »…

Geluck montre ici une autre facette de son expression. Il écrit noir sur blanc ce que d’aucuns pensent parfois tout bas. Il va au-delà de toute bienséance. C’est âpre, dérangeant, virulent, corrosif, mais jamais oppressant. Car il met de l’humour dans tout. Ames sensibles et conventionnelles s’abstenir. Aucun sujet n’est tabou à sa vindicte. Y compris les plus « intouchables ». dans ce livre, il s’insurge, s’indigne et vitupère sur des thèmes aussi variés, intimes ou universels que les enfants des autres, la peine de mort, les journalistes, Dieu, la nostalgie, les motards, l’horoscope, les super héros, la mort, la société de consommation, le racisme, le corporatisme, les fêtes à date fixe, le prison, la publicité, le Père Noël, la mondialisation, la vieillesse… Et j’en passe. Il n’a pas peur en outre de se mettre en scène, de prendre ses patins et de se moquer de lui. C’est l’autodérision du plus fort… Ce livre est une bonne purge, un véritable lavement qui chasse les miasmes de la pensée unique. Comme ça a dû lui faire du bien de se libérer ainsi ! Il faut que certaines choses soient dites. Après, on peut être ou ne pas être d’accord. C’est selon. En tout cas, il y a un élément qui ne peut que faire l’unanimité : c’est vachement bien écrit (« vachement » étant utilisé ici à bon escient). C’est iconoclaste, perfide, osé, et c’est toujours drôle, à condition d'être friand de second degré.
Je suis convaincu que, dans certains cas, il ne pense absolument pas ce qu’il écrit. C’est son côté provocateur et sale gosse qui reprend le dessus. En revanche, je suis tout autant persuadé, pour partager avec lui quelques énervements, qu’il est totalement sincère dans la majorité de ses emportements.
Geluck enfonce le clou, c’est pas du chat-malow. L’artiste va dans le dur avec un crayon noir, bien noir. Et le résultat est parfaitement réjouissant…

Sketch Collection (l'Atelier de Pierre Palmade)


Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet
Le dimanche à 18 h. Le lundi à 20 h 30

L’intention : C’est un peu dans l’esprit du Petit Théâtre de Philippe Bouvard que Pierre Palmade a créé il y a deux ans maintenant, un Atelier permettant à plusieurs comédiens et comédiennes, choisis sur audition, de se rencontrer, d’écrire et de jouer ensemble leurs propres sketchs. Il s’agit donc de jeunes « pousses » qui illustrent avec beaucoup de finesse et de justesse des saynètes de la vie quotidienne.
Nulle comparaison ici avec des comiques de one man show car Pierre Palmade tient justement à proposer une alternative à cette forme de théâtre, avec plus de liberté, afin de s’éloigner de certaines conventions réductrices du divertissement.
Après avoir passé, avec succès, le cap du Festival d’Avignon cet été, ils se produisent actuellement sur une scène au nom qui leur va comme un gant : la Gaîté Montparnasse.

Mon avis : Depuis son sketch Le Colonel, on sait que Pierre Palmade est un homme de troupe. Tout doucement, il a évolué des spectacles en solo pour partager le plaisir de la scène. D’abord avec Dominique Lavanant, puis avec Michèle Laroque et Pierre Richard, avant de se frotter carrément à l’expérience théâtrale avec Si c’était à refaire, Le Comique et L’Amour sur un plateau. Pierre n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il partage (c’est d’ailleurs également le cas avec le divertissement télévisé Le Grand Restaurant). Au fil du temps, il s’’est constitué une famille, famille composée à la fois d’artistes de renom et d’inconnus. Ce sont ces derniers qu’il a voulu mettre en avant avec ce spectacle baptisé Sketch Collection qui est, en quelque sorte le tableau d’honneur de l’Atelier qu’il dirige désormais depuis deux ans avec autant de bonhommie que de rigueur.

Ce qui est présenté à la Gaîté Montparnasse le dimanche et le lundi est donc le florilège de ce travail collectif. On y privilégie l’écriture et le jeu choral. Chaque sketch présenté est à lui seul une petite pièce. Tout au long de la soirée, on va de surprise en surprise, de bonheur en bonheur. Pierre Palmade ne s’y est pas trompé. En présentant ainsi la quintessence des saynètes écrites et interprétées par sa troupe, il nous propose tout un éventail d’univers, toute une variété de formes d’humour. C’est vraiment un spectacle complet et très varié. C’est sympa de ne pas le garder pour lui et d’en faire profiter au public. Comme il n’a conservé que le meilleur, on a vraiment droit à du haut de gamme.

Lundi soir, j’ai vu défiler quinze comédiens sur scène pour dix-sept sketchs. Le plus souvent, ils se produisent en duo, mais il leur arrive aussi à jouer à trois ou à quatre. Pour le dernier sketch, véritable bouquet final de feu d’artifice, ils sont carrément tous les quinze (entre parenthèses, ce délire burlesque et farfelu qui a pour cadre le bureau Ovale de la Maison Blanche m’a fait mourir de rire. C’est un peu Le Docteur Folamour à la sauce Blake Edwards). Il y a certes quelques comédiens qui ont déjà une formidable dimension comique, mais ce serait aller à l’encontre du postulat de ce spectacle que de les mettre plus en évidence que d'autres. D’autant que personne ne tire la couverture à soi, chacun œuvrant pour le collectif… J’ai manqué certaines répliques parce qu’elles étaient couvertes par les rires, entre autre par celui particulièrement tonitruant du spectateur placé derrière moi, Raphaël Mezrahi. Comme je vous l’ai dit il y a tous les styles d’humour sauf le pipi-caca, le trash ou le vulgaire. Il y a, à l’image de Pierre, un vrai parti-pris d’élégance et de finesse.

Il m’avait été donné d’assister il y a plus d’un an à une soirée spéciale « Atelier Pierre Palmade » à la Grande Comédie, là où, je crois, Pierre fait travailler ses jeunes protégé(e)s et, alors que c’était déjà très bien, j’ai pu mesurer les énormes progrès accomplis tant ils tendent aujourd’hui vers l’excellence.
Les dimanches après-midi d’hiver sont souvent gris et moroses, les lundis soirs, il y a relâche presque partout, Castle, Camping Paradis ou Doc Martin à la télé, vous n’avez donc aucune excuse censée pour ne pas aller vous offrir une roborative pinte de rire(s) du côté de la Gaîté Montparnasse. Vous ne le regretterez assurément pas.

mardi 15 novembre 2011

Cendrillon


Théâtre Mogador
25, rue de Mogador
75009 Paris
Tel : 0820 88 87 86
Métro : Trinité / Saint-Lazare / Auber

Spectacle écrit par Gérald Sibleyras et Etienne de Balasy
Mis en scène par Agnès Boury
Avec Aurore Delplace, Stéphane Neville, Anjaya, Marie Facundo, Isabel Emilia Cramaro, Thomas Maurion, Caroline Roëlandss…

Mon avis : Quelle belle et bonne surprise que ce spectacle ! Je m’y suis rendu sans grand enthousiasme pour accompagner ma petite voisine âgée de 4 ans. Je faisais ma B.A., quoi. Dans le public fleurissaient les gamines en panoplies de princesses ou en robes roses. C’était charmant…

Cendrillon, tout le monde connaît l’histoire. Restait à voir comment elle allait être traitée. Et bien chapeau aux auteurs et à la mise en scène ! Ce spectacle musical, loin d’être mièvre, est certes destiné aux enfants, mais on peut y prendre du plaisir quel que ce soit son âge. Ça m’a vraiment beaucoup, beaucoup plu. Jolis décors tournants, magnifiques costumes, rien à dire au niveau de l’esthétique. C’est de la belle ouvrage. Déjà, le premier tableau nous révèle le parti pris qualitatif de la production. Il s’agit d’une danse celtique façon « Lords of the Dance » où le rideau, à demi-levé, ne laisse apparaître que les gambettes des danseurs. C’est du meilleur effet. J’avais déjà vu une scène similaire au Crazy Horse, mais c’était plus langoureux et ça ne s’adressait pas au même public…
Passé ce préambule, place à l’histoire et à ses héros.
Cendrillon est absolument ravissante. Elle possède la fraîcheur blonde et le sourire étincelant d’Olivia Newton-John dans Grease. On ne peut donc que l’aimer. Et tous les autres personnages sont au diapason. C’est-à-dire parfaits… Je me demandais surtout sous quelle forme apparaîtraient les fameuses souris amies de Cendrillon. Une ingénieuse idée les a métamorphosées en domestiques (3 femmes, 3 hommes) revêtus d’une livrée couleur souris grise. Ces six danseurs se livrent à des chorégraphies pleines d’entrain (j’ai beaucoup aimé la séance de jonglerie avec les paquets cadeaux) et composent même des tableaux à la fois drôles et poétiques (je pense plus particulièrement à l’inventivité de celui qui a pour cadre la savane). Autre astuce efficace de la part des auteurs, la création d’un nouveau personnage, Tonino, un jeune orphelin aimant et facétieux élevé avec Cendrillon qui va se révéler comme un indispensable complice et apporter une note de fantaisie lorsqu’il s’agira de dédramatiser quelques scènes.
Quoi d’autre encore ? Une fort jolie scène toute en ombres chinoises ; une projection en dessin animé pour amener de maline façon la scène du carrosse ; une truculente scène de bal dans laquelle les impétrantes ne reculent pas devant le ridicule pour se faire repérer par le Prince… C’est vraiment fort bien trouvé. Et puis il y a l’apparition de Cendrillon dans la salle de bal, un moment très attendu qui provoque spontanément un flot de murmures admiratifs.

Ceci nous amène plus directement aux comédiens et comédiennes qui endossent les rôles principaux. Celui qui tient le double rôle du père de Cendrillon et du chambellan est d’abord touchant d’émotion avant de se muer en un personnage haut en couleurs, maniaque et maniéré. Rachel, la gouvernante de Cendrillon, est l’âme de la maison. Elle est pleine de tendresse et de bonté. La marâtre et ses deux pestes de filles sont détestables à souhait même si les deux péronnelles sont bien plus bêtes que méchantes. Leurs chamailleries et pitreries incessantes ont pour effet d’amuser les enfants plus que de les inquiéter. Seule la mère s’en tient à composer un être totalement mauvais… Le prince charmant est… charmant. Il possède une voix chaude à faire fondre toutes les gamines romantiques et les midinettes.

Cendrillon est donc un spectacle musical très beau et très réussi auquel on peut sans problème assister en famille. N’hésitez pas, vous ne serez pas déçus.

Gaspard Proust tapine Salle Gaveau


Salle Gaveau
45-47, rue de La Boétie
75008 Paris
Tel : 01 49 53 05 07
Métro : Miromesnil

One man show écrit par Gaspard Proust

Mon avis : Comme à chacun de ses spectacles – c’est la troisième fois que je vais le voir – Gaspard Proust effectue la même entrée en scène. Il arrive nonchalamment du fond de la salle, tel un touriste, se hisse sur le plateau, dépose sa parka sur le fauteuil qui représente le seul élément du décor et se tourne enfin vers le public. Par rapport à ses précédents spectacles, la phrase d’intro est nouvelle : « Allez… Au tapin ! » marmonne-t-il pour se donner un semblant de cœur à l’ouvrage. Tout Gaspard Proust est dans cette posture. Son nouveau one man show est en effet baptisé « Gaspard Proust tapine Salle Gaveau ». Aurait-il la sensation de se prostituer ? Il voudrait le faire croire, mais de la péripatéticienne, il ne peut revendiquer que l’aspect « langue de pute », car il balance le bougre. Et pas qu’un peu !
Son introduction est très hard. Il n’y a pas de round d’observation. Il y va direct. Son personnage est désormais bien rôdé. Affichant le désabusement affecté de l’aquaboniste de Jacques Dutronc, il se montre aussi cynique qu’arrogant et ne dédaigne pas aiguillonner ses propos d’une pointe de cynisme. Sa façon de faire est très simple : il agit comme quelqu’un qui penserait tout haut et sortirait tout ce qui lui passe par la tête. Parfaitement impassible, il énonce ses sarcasmes comme autant de bulles de BD assassines. Cet homme n’épargne rien, il tire tous azimuts. Personne n’échappe à ses commentaires perfides et insidieux, les classes sociales comme les classes d’âge. Allègrement, sans complaisance aucune, il piétine toutes les valeurs et les idées reçues. Ames sensibles et esprits conformistes s’abstenir. Ce Gaspard est un rat dégoût, un plaisir d’odieux. Quand on va le voir, on sait très précisément à quoi s’attendre. Depuis quelques mois, le bouche à oreille a fait son oeuvre. Il faut aimer être choqué. Cet individu repousse les limites des frontières de la bienséance jusqu’à un no man’s land ou aucun humoriste n’a osé s’aventurer avant lui. C’est d’autant plus imparable qu’il est brillant. Il possède un vocabulaire riche, précis et imagé. Et sa plume, trempée dans le vitriol, est d’une qualité rare. La plupart de ses insanités sont étourdissantes. Le pire, c’est que, dans la majorité des cas, ce qu’il évoque, ce ne sont que des évidences. Il faut de grâce cesser de l’affubler de comparaisons avec d’autres artistes dont les plus fréquemment cités sont Desproges et Guillon. Non, lui il fait du Proust. Point ! Si Coluche s’interrogeait sur ce qui pouvait être « plus blanc que blanc », lui il s’ingénie à inventorier ce qui serait plus noir que noir.
Sans parti pris, il s’en prend aux hommes politiques de droite comme de gauche, il ironise sur les trois religions monothéistes et sur le bouddhisme, et se complaît à terminer son show « en beauté » avec un chapitre annoncé sur les femmes. On voit parfaitement qu’il jouit intérieurement à jouer ainsi les misogynes. En plus, il a l’outrecuidance d’affirmer sans frémir : « Moi, ce qui va me tuer, c’est mon romantisme »... Il y a franchement de quoi s’esclaffer et de s’ébaubir devant tant de mauvaise foi.

Gaspard Proust, on aime ou on n’aime pas. Il ne peut y avoir de milieu. Soit on adhère et on accepte en se délectant d’en prendre plein les trompes d’Eustache avec ses rodomontades et ses inconvenances. Soit on s’effarouche, on s’indigne, on s’insurge et on reste chez soi ou on va voir Mamma Mia !... A ce propos, je me demande ce qui a pu amener Guy Bedos à quitter la salle à la moitié du spectacle… Etonnant, non ?

Gaspard Proust sera de retour Salle Gaveau du 13 au 17 décembre.

vendredi 11 novembre 2011

Les ToiZéMoi fêtent leur divorce


Théâtre des Variétés
7, boulevard Montmartre
75002 Paris
Tel : 01 42 33 09 92
Métro : Grands Boulevards

One-couple show écrit par Marie Blanche et Alain Chapuis
Mise en scène de Jacques Décombe
Musique d’Alexandre Sabbah
Avec Marie Blanche et Alain Chapuis

Le sujet : Camille et Simon ont la joie de vous faire part de leur divorce. Ce soir, ils donnent une réception avec traiteur, orchestre et confettis pour célébrer… leur séparation ! Leurs parents, leurs amis sont là pour immortaliser ce grand jour… A travers l’histoire de Camille et Simon touchés par la « septénite », la fameuse crise des sept ans, Marie et Alain nous font vivre les petites lâchetés et les gros malentendus des couples modernes.

Mon avis : Quelle incongruité que ces deux là, Marie Blanche et Alain Chapuis, alias les ToiZéMoi, ne soient pas plus connus du grand public. Je les avais découverts en 2004 au Théâtre de Dix Heures, revus dans leur deuxième spectacle, Noces de Plomb et, à chaque fois, je me suis vraiment régalé devant leur inventivité, leur fantaisie, leur joie de vivre et, il faut le dire, leur talent de comédiens protéiformes. Pour moi, leur duo est du niveau de celui créé naguère par Pierre Palmade et Michèle Laroque, mais en moins vachard et cynique.
Certains pisse-froid vont encore me reprocher mon enthousiasme et pourtant, il existe et il est loin d’être béat. Je ne suis pas si bon public que d’aucuns le prétendent. Est-ce de ma faute si, conséquence plutôt heureuse d’une loi des séries, j’ai vu en un mois des comédies d’une grande qualité : Les Conjoints, Mon meilleur copain, Les Bonobos, Les Bodin’s et hier soir, les ToiZéMoi. Je ne pratique pas l’angélisme. Quand je m’amuse, je le dis, je le clame. J'estime sans arrogance aucune que c'est une mission d'utilité publique. En plus, limite introverti, je ne suis pas en public un garçon des plus exubérants. Hier, j’avoue, il m’est souvent arrivé de ne plus me contrôler et de glousser de plaisir. Assez parlé de moi, je m’efface devant Marie et Alain et, surtout, devant leurs personnages…

Or donc, Camille et Simon, qui ne font rien comme tout le monde, ont décidé après sept ans de vie commune (pas si commune que cela d’ailleurs, nous le vérifierons par la suite), sept ans de « recherche de l’harmonie conjugale », de se désunir devant nous pour le meilleur et pour le rire. Alors, pour fêter l’événement, ils ont convié la famille, les amis et des proches… Fidèles à leur schéma habituel, ils vont interpréter, en plus de leurs propres rôles, une douzaine de personnages. Oui, douze, je les ai comptés. Une sacrée performance. Ces intervenants ne sont évidemment pas choisis au hasard. Ils sont tous particulièrement gratinés. Vont ainsi défiler pour notre bonheur l’aumônier qui les avait mariés, flanqué de sa complice Sœur Marie Cropette, Jean-Norbert le maître-queux un tantinet « précieux » qui officie en cuisine, Jennifer, la filleule qui, avec l’ingénuité de ses 6 ans ½ va leur déclamer un poème, Marie-Claire, l’amie psy qui va s’efforcer d’analyser leur couple, puis son collègue Jean-Luc, québécois libidineux qui ne cherche qu’à tenter sa chance, Geoffroy, le copain bobo de l’Aquagym, flanqué de son épouse, Ghislaine, d’une vulgarité telle qu’elle mériterait que l’on invente pour elle le féminin de beauf, la jeune femme qui, suite à un quiproquo, transforme un entretien d’embauche en proposition de débauche, Malika, la femme de ménage rebeu érudite mais qui prend l’accent pour ne pas créer d’embarras, Jean-Jacques, le ch’ti copain de régiment qui dispute à sa femme Carole la palme de la connerie… Sans compter que le sémillant et frétillant Jean-Norbert, de plus en plus taché et de plus en plus pompette, va faire irruption encore deux fois, ça en fait du monde !

Camille et Simon abordent cette soirée de fête en parfaite symbiose. L’harmonie qu’ils n’ont pas trouvée durant sept ans, ils vont la connaître l’espace de cette soirée. Jusque dans leurs vêtements d’ailleurs. Camille porte une robe noire à parements rouges et Simon un costume noir avec une cravate rouge. C’est classe et très joli à voir. Après s’être adressés à nous, public, comme si nous étions les invités privilégiés de leur fiesta, ils vont donc faire appel à ces fameux témoins précités. Aussitôt, la pièce va passer en mode majeur et adopter un rythme effréné. Ce sont vraiment deux super comédiens, capables des pires clowneries (n’est-ce pas Alain ?) comme des scènes d’un humour plus subtil, plus raffiné. Ils savent aussi être coquins sans être jamais vulgaires. Ce spectacle est très écrit, intelligent, émaillé de très bons jeux de mots et de grands moments de comédie (par exemple cette parodie de Rabbi Jacob à laquelle se livre Simon). Il émane surtout d’eux une formidable complicité. Ils cherchent à tout moment à se surprendre, réussissant parfois à en perdre le fil de leur texte suite à une improvisation inattendue. Sont-elles feintes ou écrites ? On ne sait pas et on ne veut pas le savoir. En tout cas, elles sont remarquablement jouées. Et, en plus, chose qui ne gâte rien, ils sont tous deux beaux à voir. Ils sont heureux de partager la scène et, c’est évident, ils nous aiment.

Ils réussissent même sous le biais de la comédie à faire passer un message qui doit donner à réfléchir à tout un chacun : dans un couple, il faut se parler ! Le manque de dialogue peut faire naître des incompréhensions rédhibitoires. Ils le découvrent eux-mêmes, devant nous, à leurs dépens. Du coup leur décision de divorce vacille dangereusement car ils se retrouvent face à un être très différent de celui ou celle dont il/elle voulait se séparer. On peut fortement subodorer que le mot « fin » ne sera pas encore écrit cette fois pour les ToiZéMoi car l’amour a ses raisons que l’érosion ignore. Et c’est tant mieux pour nous.
Sincèrement, si vous voulez passer un bon moment, partager une heure et quart de rire avec deux comédiens généreux et talentueux, précipitez-vous au petit théâtre des Variétés.

jeudi 10 novembre 2011

Les Bodin's "Retour au pays"


Palais des Glaces
37, rue du Faubourg du Temple
75010 Paris
Tel : 01 42 02 27 17
Métro : République / Goncourt

Une comédie de Vincent Dubois et Jean-Christian Fraiscinet
Décors de Luc Boissinot
Costumes de Marylène Richard
Avec Vincent Dubois et Jean-Christian Fraiscinet

L’histoire : Maria Bodin, vieille paysanne coriace de 87 ans, perd la boule. Placée contre son gré en maison de retraite, elle décide de léguer sa ferme à son fils Christian, exilé à Paris depuis plusieurs années avec femme et enfants. Christian entrevoit l’opportunité d’un retour au pays. Mais cet héritage inattendu, n’est-il pas un cadeau empoisonné ?...

Mon avis : L’an prochain les Bodin’s fêteront leurs 18 ans d’existence. L’âge de la majorité. Mais on peut dire que depuis 4-5 ans, ils sont devenus des comédiens majeurs, présentant des spectacles et des films dont le succès va sans cesse croissant. Car, sans tambour ni trompette, la « Bodin’smania » a réellement pris forme. Maria (Vincent) et Christian (Jean-Christian) ont leur fan-club, leurs fidèles, leurs inconditionnels. Et ce n’est que justice.
Retour au pays, leur sixième spectacle, est, à mon goût, leur meilleur, le plus abouti, le plus complet. On peut bien sûr le voir sans connaître les chapitres précédents. Les deux personnages sont si bien ciblés, si parfaitement formatés qu’on n’a aucun mal à s’adapter à eux. Ce qui, à chaque fois, me sidère le plus c’est qu’on a beau savoir que c’est un homme qui se cache sous les oripeaux de Maria, on l’oublie au bout de quelques secondes tant elle est criante de vérité.

Avant même de pénétrer plus avant dans ce nouvel opus, je me dois de souligner les deux éléments qui font que ce spectacle est vraiment chouette : la qualité de l’écriture et le jeu des acteurs. Ces deux là ont vraiment le sens de la formule et de la réplique qui font mouche. Les réparties sont si nombreuses et si savoureuses qu’on aimerait en noter certaines pour les resservir dans les repas de famille. J’en ai d’ailleurs chopé quelques unes au vol, mais il y en a tellement, et de qualité : « C’est pas parce que tu ne les vois pas que t’as pas d’hémorroïdes », « C’est pas parce que j’ai un pied dans la tombe que je vais me laisser piétiner l’autre », « C’est pas parce qu’on n’a plus de dents qu’on n’a pas les crocs », « Les vieux, c’est comme les bouledogues, tant que ça bouffe pas, ça bave »… Etc, etc… Des comme ça, il y en a des dizaines. Maria, qui s’est entichée d’informatique dans sa maison de retraite, se met en tête d’expliquer à son benêt de fils ce qu’est le mot « buzz », et elle part dans une métaphore étourdissante qui provoque une salve d’applaudissements entièrement justifiée.

Donc, vous l’aurez compris, Retour au pays vaut autant pour le fond que pour la forme. La forme ? Ils l’ont les deux gaillards, et pas qu’un peu. Le spectacle va crescendo pour finir dans un véritable feu d’artifices avec une séquence burlesque digne des Marx Brothers réglée comme du papier à musique. Il est très bien construit, alternant des tableaux de durée inégale nécessaires à la trame de l’intrigue (car il y en a une), les moments de délire (les plus nombreux) et les moments d’émotion. Quant au fond, pour parodier le laboureur de la fable, ce n’est pas ce qui manque le moins. En effet, si la gaudriole ne cesse de déferler en vagues incessantes, elle s’apaise parfois pour laisser perler l’écume de la tendresse et des sentiments. Certes, c’est toujours un peu bourru, mais chez les Bodin’s, on est pudique. Les mains sont plus enclines aux torgnoles qu’aux caresses et les vacheries sortent plus naturellement que les mots doux. C’est pourquoi, lorsque ça arrive, l’émotion nous étreint d’autant plus fort. La scène du cimetière par exemple… L’avant-dernière scène, celle de l’inauguration de la ferme-auberge est pour moi la plus belle. C’est du concentré de Bodin’s. Il y a tout dedans : la roublardise de la mère, la bonhommie du fils, son désarroi… Et puis tout bascule, les masques tombent, les vérités fusent, la méchanceté s’estompe pour laisser filtrer une ébauche d’affection retenue qui ouvre une nouvelle porte…
Autre éléments qualitatif de la forme, la bande son. C’est une valeur ajoutée. Tant pour ses voix off (Ah, la scène du notaire… Quel régal !) que pour ses bruits extérieurs.

A travers ce nouveau spectacle, on s’aperçoit que les personnages ont considérablement évolué. Maria est certes toujours aussi sournoise, atrabilaire, calculatrice, papelarde, matoise, vicieuse, agressive, autoritaire, égoïste, envahissante, jalouse, mais en connaissant pendant un an la vie en maison de retraite, elle s’est ouverte au monde. Elle a appris l’anglais, l’informatique, Internet, elle s’est rapprochée de sa nièce Julie et, malgré tout et sans doute malgré elle, elle s’est un peu humanisée. Toutefois, même lorsqu’elle joue la généreuse, sa mauvaise foi chronique n’est jamais bien loin… Quant à Christian, toujours aussi intimidé voire terrorisé par sa génitrice, il commence à se montrer un peu plus finaud. Oh pas beaucoup, mais suffisamment en tout cas pour troubler son interlocutrice et la faire réfléchir. Parce qu’elle est drôlement intelligente la Maria !
Comme l’intégralité de la salle, je me suis beaucoup amusé tout au long de ce spectacle à l’humour fin et sain. On s’attache à ces deux êtres simples et si proches de nous. Comme comédiens, ils sont vraiment très forts. La moindre mimique, le moindre regard, le moindre geste, tout est peaufiné. Quand Christian est au comble de l’embarras, il a deux tics : soit il remet machinalement en place d'un geste gauche une mèche qui n’existe pas, soit il joue compulsivement avec la fermeture-éclair de son pantalon à l’improbable couleur orangée. C’est plein de subtilité et c’est pour ça qu’on y croit et que ça marche.
Bref, les Bodin’s sont aujourd’hui devenus culte.
Finalement, je n’ai que deux petits hiatus à formuler. Il y a deux scènes qui, pour moi dénotent. D’abord celle du surf, mais surtout celle du karaoké qui dérape en dance floor. On voit bien qu’ils ont voulu se faire plaisir. D’ailleurs la majeure partie du public adhère. Mais avec mon côté chiant de cartésien, je ne les ai pas trouvées crédibles et elles n’apportent rien en soi à l’histoire. Elles sont drôles à voir, mais trop décalées par rapport à l’esprit plus concentré et plus rigoureux du reste. Mais comme le reste représente 95% du spectacle, on ne va tout de même pas faire la fine bouche.

lundi 7 novembre 2011

Princes et Princesses


Théâtre Marigny
Carré Marigny
75008 Paris
Tel : 0 892 222 333
Métro : Champs Elysées-Clémenceau

D’après les contes de Michel Ocelot
Mise en scène de Legrand Bemba-Débert
Collaboration artistique de Marc Hollogne

Le sujet : Pour la première fois sur scène, découvrez l’adaptation scéniques des contes Princes et Princesses de Michel Ocelot.
Dans quatre merveilleux contes, au cours d’un voyage à travers le monde digne des contes des Mille et Une nuits, vous rencontrez des fées, des princes et des princesses, mais aussi des aigles et des voleurs…

Mon avis : Voici un spectacle pour enfants qui, en raison de son traitement original et particulier, ne ressemble à aucun autre. Dès les premières images, on l’impression d’entrer dans une immense BD animée. Sur un décor stylisé aux couleurs vives et chaudes, vont évoluer pendant une heure des personnages réels mais en ombres chinoises. Un effet qui amène du charme, de l’onirisme, de la poésie et de l’étrangeté.
Le premier tableau nous emmène en Afrique. Le plus beau garçon du village, berger de son état, vit une jolie histoire d’amour partagée avec une jeune femme. Il joue du djembé, et elle danse. Ils sont insouciants et heureux. Mais voilà-t-y pas qu’une fée s’entiche du « Pâris » local et se met à lui faire un gringue effréné en lui promettant monts et merveilles. Mais à chacune de ses relances, elle se prend un râteau de la part du jeune homme, sincèrement épris de sa belle. A bout d’arguments, la fée s’énerve et lui jette un sort. Puisque c’est comme ça, et bien elle va l’endormir pour cent ans. Ainsi, un siècle plus tard, sa copine ne sera plus là pour lui mettre des bâtons dans les roues ou alors elle sera si décatie que notre éphèbe, une fois réveillé, n’en voudra plus… L’amour sera-t-il plus fort que les sortilèges ?...
Parti d’Afrique, notre voyage enchanté et enchanteur fait ensuite escale au Japon pour un conte noir et drôle, réplique nippone de l’arroseur arrosé dans lequel une vieille dame prouve à un voleur qui veut la détrousser qu’elle a quand même bon dos… Ce conte va d’ailleurs servir de fil rouge pour les tableaux suivants puisque la vieille dame, tout en cheminant, va nous raconter deux autres histoires. La première a pour cadre l’Egypte et la seconde la Perse…

Chacun de ces quatre contes est porteur d’un message que les enfants n’ont aucun mal à décrypter. C’est un peu à chaque fois la lutte du bien et du mal avec happy end systématique. Mais outre la mise en avant des beaux sentiments, ce qui rend certainement ce spectacle si plaisant, c’est son esthétique, la beauté de son graphisme et ses couleurs. Petits et grands y trouvent leur compte (leur conte aussi). Ça fait parfois frémir, mais ça ne fait jamais peur et, grâce à la malicieuse vieille dame, il y a souvent une agréable pincée d’humour.
ET puis, surtout, la facture de ce spectacle est vraiment originale…

dimanche 6 novembre 2011

Jackpot


Théâtre Mélo d’Amélie
4, rue Marie Stuart
75002 Paris
Tel : 01 40 26 11 11
Métro : Etienne Marcel / Les Halles

Une comédie de Clément Naslin et Rémi Viallet
Mise en scène par Xavier Letourneur
Avec Morgane Bontemps (Isabelle), Loïc Legendre (Eric), Clément Naslin (Alain)

L’histoire : Ils ont coché les numéros ensemble, ils ont gagné 30 millions d’euros ! Il devait valider la grille seul, mais il a oublié de le faire… Osera-t-il leur annoncer ? Surtout quand la machine à rêves s’emballe et que certains ont déjà acheté une voiture de luxe, réglé leurs comptes avec leur banquier et insulté leur patron…

Mon avis : Ce n’est pas une pièce, c’est un trampoline ! Niveau rebondissements, c’est une vraie compil’. Difficile d’en caser autant. Il y en a même encore un ultime à la dernière seconde… En tout cas, c’est une foutue prouesse de la part des deux auteurs que d’avoir réussi à développer en une heure et quart un sujet aussi mince et à nous tenir en haleine. Tout au long de cette pièce, on ne cesse de se demander ce qu’ils vont encore sortir de leur chapeau et quels avatars ils vont faire subir à leur fameux bulletin gagnant. Ce foutu bout de papier est finalement le personnage central de ce vaudeville socialo-humain.
Bien sûr que le sujet est rebattu. Mais ça fait plus d’un siècle que l’on chante des chansons d’amour et on continue à en écrire. Ici, c’est l’appât du gain… Gagner un pactole au loto, tout le monde en rêve. Et tout le monde s’imagine ce qu’il ferait avec beaucoup d’argent. Alain, Eric et Isabelle sont comme nous. Ils sont notre reflet. Est-ce que, dans leur situation, on se comporterait de plus noble façon ? Peut-être… Du moins, j’ose l’espérer. Mais comme ici nous sommes dans une comédie, on va y aller à fond. A fonds perdus même ; ou gagnés ?... On n’arrive jamais à le savoir tant ces trois énergumènes ont l’esprit tordu.

Alors que la pièce commence dans la loto-dérision, elle fonce vitesse grand V vers la loto-destruction sans passer par la case loto-censure. Tous les coups sont permis, surtout les plus bas. Ils ne sont pas jolis-jolis ces trois zigotos, mais hélas, ils nous ressemblent. On devrait s’indigner (c’est à la mode), alors qu’on rit.
J’ai beaucoup, aimé les vingt premières minutes. Les deux garçons s’en donnent à cœur joie avec énormément de finesse et de générosité. Le contraste entre eux provoque déjà un effet comique. L’irruption d’Isabelle, très attendue, est à la hauteur de nos espérances… Du moins pendant les premières minutes. Et puis, progressivement, on connaît quelques dérapages. Eric, et surtout Isabelle commencent à en faire un peu trop. On dirait une sorte d’Armelle sur-vitaminée. C’est dommage car elle jouerait un ton en dessous qu’elle n’en serait que plus crédible et, surtout, plus machiavélique, plus redoutable. Pourtant, pour avoir vu auparavant Morgane Bontemps dans deux autres pièces, je la sais capable de jouer tout-à-fait juste. Là, sincèrement, elle en fait des tonnes. Trop ! Du coup ça sonne faux. C’est dommage, car elle a un physique, une présence. C’est un personnage… C’est là mon seul gros bémol.
Loïc Legendre fait son boulot. Il est très à l’aise dans ce genre de rôle même si je l’avais préféré dans le registre plus second degré du Temps du gourdin. Là, il n’y a pas à finasser, il faut y aller plein pot… Quant à Clément Naslin, impeccable de bout en bout, il n’a fait que confirmer tout le bien que je pensais de lui depuis Un conseil très municipal. Avec sa bonne bouille et son sens précis du rythme et de la mimique, il possède une vraie nature comique. J’ai bien aimé sa façon de prendre une voix de fausset lorsqu’il profère un énorme mensonge.

Cette pièce en dents de scie oscille sans cesse entre grosses ficelles et trouvailles ingénieuses, situations exagérées et moments de grâce. Mais surtout, lorsqu’on gratte un peu, on réalise que cette comédie véhicule quelques vérités sur l’âme humaine. En effet, sous l'angle de la farce sont abordés les travers et les turpitudes que l’argent (surtout beaucoup d’argent) entraîne. L’amitié, l’amour, les valeurs de base, le respect de l’autre… tout cela est balayé par l’attrait du fric. S’y substitue la trahison, le mensonge, la vénalité, la lâcheté, le vice. Comme dans un Tex Avery, les trois personnages ont des euros dans la prunelle de leurs yeux. Ça leur fait perdre toute dignité. Cette dimension-là est loin d’être négligeable et elle apporte une plus-value à cette pièce trépidante et somme toute distrayante.

jeudi 3 novembre 2011

Sophie Mounicot "Consensuelle !"


Théâtre du Gymnase
38, boulevard Bonne Nouvelle
75010 Paris
Tel : 01 42 46 79 79
Métro : Bonne Nouvelle

Ecrit par Gérald Sibleyras
Mis en scène par Isabelle Malin

Le thème : Sophie Mounicot est consensuelle… Ecologiste, progressiste, humaniste, généreuse, elle aime tout le monde avec une sincérité bouleversante. Le temps est enfin venu où elle va pouvoir déballer sur scène son trop-plein d’amour dans un grand spectacle œcuménique et fraternel. Son amour du prochain n’épargnera personne.

Mon avis : Trois ans après son précédent one woman show, C’est mon tour, Sophie Mounicot est de retour au théâtre du Gymnase avec un nouveau spectacle dont le titre annonce le propos sans détour : Consensuelle !...
C’est décidé, totalement assumé, elle se range du côté du plus grand nombre et se prend à vouloir aimer tout le monde. Ou presque. Car c’est plus délicat lorsqu’il s’agit des Nazis… Adepte de la pensée unique, elle chausse ses œillères et ne regarde que dans une seule direction, là où il n’y a pas de remous, de polémique, d’affrontement. Sophie (« sagesse » en grec) se fond avec détermination dans la majorité silencieuse. Son horizon, sa ligne bleue des Vosges, c’est quasiment le doux pays de Oui-Oui. La personnalité préférée des Français, c’est Yannick Noah ? Alors elle est yannickophile convaincue. Elle ne se pose pas de questions. L’écologie est à la mode ? Soit, elle sera une Ecolo Pratiquante Intégriste. Pas de problème, elle va dans le sens du vent…

Mais – car il y a un gros mais – derrière cette acceptation de façade, se cache en réalité une sacrée dose d’hypocrisie et de mauvaise foi. Sinon, il n’y aurait pas de spectacle. Et c’est presque en se tapant sur les doigts qu’elle susurre quelques vacheries, assène un certain nombre de vérités, distille force pointes assassines. Certes le ton est à la limite du fielleux. Elle dit les choses en faisant mine de ne pas les dire, se pose et nous pose des questions existentielles sur un ton quasiment jésuitique. Mounicot excelle dans ce double langage pernicieux. C’est un peu son fonds de commerce. Elle adore jouer avec la duplicité. Elle est une anti-héroïne professionnelle, une loseuse chronique. Elle dissimule son amertume d’une prétendue vie plate et monotone derrière un pseudo détachement qui ne trompe personne.
Dans « Consensuelle », il y a aussi « sensuelle ». Pourtant, elle s’ingénie à gommer tout excès de féminité. Elle se complaît à camper un personnage à la hussarde. Sauf quand elle danse, moment de grâce dans lequel elle est la séduction incarnée. C’est tout Mounicot, ça. En permanence dans la dualité. Ce n’est pas parce qu’on joue les faux-culs qu’on ne sait pas tortiller du popotin. C’est même loin d’être incompatible.

Vous l’aurez compris, ce nouveau one woman show de Sophie Mounicot n’a de consensuel que son titre. Pour elle, il doit être plus difficile à jouer que le précédent où le propos était plus direct, plus premier degré. Ici, elle nous la fait sournoise. Sans compter que, dans cette cuisine particulière, elle ne dédaigne pas utiliser des ingrédients comme l’absurde, la cruauté et l’humour noir. Elle se régale à passer du coq à l’âne (Johnny et Laeicia ?), des primaires (quelques vannes politiques) aux primates (les bonobos). Elle se livre même à plusieurs cascades hyper périlleuses, ou pour se servir un verre d’eau ou pour escalader un tabouret haut perché. Et son chapitre sur l’art et la culture est un pur moment de comédie… Sophie Mounicot est un personnage. Elle ne ressemble à aucune autre femme humoriste, et dans son registre et dans sa façon brute de décoffrage de se mouvoir sur scène. Elle ne compose pas, elle est elle-même, allant jusqu’à s’amuser de ses trous de mémoire passagers ou quand sa langue se met à savonner.