lundi 22 décembre 2008

Les Sea Girls "Chansons à pousse-pousse"


La Nouvelle Eve
25, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 48 65 97 90
Métro : Blanche / Pigalle

Avec Judith Rémy, Prunella Rivière, Elise Roche, Delphine Simon
Accompagnées par Benoît Simon (guitare) et Christophe Dorémus (contrebasse)

Ma note 8,5/10

Le spectacle : Les Sea Girls chantent, dansent, portent bien la moustache, sont grandes et petites, blondes, brunes ou un peu rousses, elles aiment le fromage, les personnes d'un certain âge et... faire pipi sur le gazon.

Mon avis : Quatre filles dans le vent ; dans un vent de folie. Avec ce carré de dames sans coeur, les mecs bêtes à bouffer du trèfle se tiennent à carreau devant leurs piques. Car ces péronnelles sont tout autant espiègles, taquines, vachardes, cruelles, coquines qu'égrillardes. Mais, quand il leur arrive, plus ou moins consciemment, de baisser la garde, elles peuvent se révéler sentimentales (si, si), adorables, émouvantes, voire fragiles (pas trop quand même !) Heureusement, elles se ressaisissent vite.

Les Sea Girls ? C'est vague comme nom. On entend "les Six Girls", mais elles ne sont que quatre, à moins que leurs deux accompagnateurs... Mais cela ne nous regarde pas. Ce sont donc quatre filles-mer ; un bouquet de crevettes envoûtantes comme des sirènes. Mais, contrairement à Ulysse, devant leurs chants, on a pas envie de se faire attacher. On veut jouir d'elles sans entraves. Même s'il est impossible de prendre un air détaché face à certaines de leurs abominations à l'encontre de la gent masculine. C'est qu'elles ont parfois la quenotte dure les murènes !

Vu le soin qu'elles ont apporté à leur esthétique, ce sont bien des filles. Ah ça, elles aiment les fanfreluches, les tissus satinés, les soieries, les rubans, les paillettes... Et pis elles en arborent des coiffures bien compliquées. A thématique bucolique car composées avec des plumes, des feuilles, des plantes, des étoiles... Voilà, le décor sera complètement planté quand on y aura ajouté un gramophone de caractère très instable et, surtout, histoire de justifier le titre de ce spectacle, un superbe pousse-pousse côté jardin (normal). Et des chinoiseries, il va y en avoir...

Les Sea Girls ne nous font pas mariner longtemps. Question existentielle (pour elles en tout cas) : Où sont passés les hommes ? C'est leur problème après tout, si elles en croisent peu. Elles n'ont qu'à être un peu plus aimables avec le sexe fort... Il serait incongru de trop en dévoiler sur ce spectacle à nul autre pareil. Ces filles sont folles ! Elles ne reculent devant aucune audace. Pour elles, il eût fallu inventer le terme de comiques-troupières. Cascades, chorégraphies improbables, rivalités sournoises, recherche de la femelle dominante, sensualité débridée (paradoxal près d'un pousse-pousse). Elles ne sont solidaires que dans un seul domaine : vilipender et ridiculiser les hommes. Littéralement exécrabes, elles nous étrillent !

Même si ça écorche un peu les babines de le dire, il faut reconnaître que dans leurs huitres, on trouve des perles. Elles ne se noient jamais dans la facilité, leurs chansons ne sont jamais mièvres... Je suis une crevette est une variation de bon thon sur la faune aquatique. On ne peut aussi que saluer leur honnêteté quand elles claironnent Je cherche un riche, ainsi que leur grandeur d'âme quand elles font l'apologie des bars à putes... A travers différents arrangements, elles nous invitent également au voyage sur des musiques orientales, polynésiennes ou acadiennes. Elles se risquent même vers la chanson réaliste pour nous présenter leurs meilleurs vieux. En revanche, elles ne devraient peut-être pas s'aventurer dans la magie tant leur numéro est grotesque et lamentable (à moins que ce ne soit voulu). Et pour nous faire encore plus poiler, elles n'hésitent pas à s'affubler de grosses moustaches...

Il y a beaucoup à dire sur ce show vraiment épatant, riche et foisonnant de trouvailles et d'une belle énergie. Merveilleusement complices (sur la gazon comme sur la scène), elles s'entendent comme larronnes en foire. Elles se moquent comme de leur première brassière de prendre des poses ridicules, de fouler du pied leur féminité, de s'enlaidir avec des grimaces outrées..
Bref, Les Sea Girls, c'est vache, c'est vachement bien. C'est un spectacle garanti iodé ; fou, inventif, déjanté et vraiment généreux (pas que dans les formes). Laissez-vous embarquer par elles pour cette désopilante croisière au fil de la scène. Pour moi, c'est foutu. Je ne serai jamais un mâle de mer, j'ai adhéré à leur fan-club masculin : je suis devenu un Sea Sea Rider...
Au fait, j'allais oublier : elles ne font pas que chahuter sur scène, elles chantent vraiment très très très bien.

Orphéon Célesta "de la fuite dans les idées"


La Nouvelle Eve
25, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tél : 08 92 70 75 07
Métro : Blanche / Pigalle

Mise en scène de Nicolas Lormeau et Emmanuel Hussenot
Avec Emmanuel Hussenot (sax alto, trompinette, flûte à bec, kazoo, ustensiles ménagers, vocals), Patrick Perrin (soubassophone, percussion, kazoo, vocals), Christian Ponard (guitare, banjo, cornet, kazoo, vocals)

Ma note : 7/10

Le spectacle : Trois jazzmen de talent, bricoleurs éclectiques, comédiens surdoués, enchaînent avec précision gags et parodies à la recherche d'effets musicaux orignaux pour la bande son d'un film. A la clef : un gros contrat avec Hollywood ! Le plus petit big band du monde renouvelle les grands standards du jazz, détourne objets et situations, revisite avec fougue le répertoire classique et populaire, dévoilant le "making off" de son univers musical insolite, loufoque et jubilatoire, à la fois brulesque et poétique.

Mon avis : Ils sont très élégants nos trois orphéonistes célestes dans leur tenue noire rehaussée d'un galon blanc parfaitement symétrique. Dès les premières notes, on sait qu'on va entendre de la bonne musique. Dès les premiers gestes, on sait que l'on va s'amuser. Sweet Georgia Brown nous insuffle immédiatement entrain et bonne humeur, alors que le Duelling Banjos qui lui succède nous tire aussitôt vers la performance. Accidents de scène, gags, clins d'oeil, détournements, utilisation de gadgets, bruitages, bande son hilarante... nos trois energumènes ont ouvert en grand le robinet de l'inventivité burlesque. Ils adaptent au gré de leur fantaisie débridée toutes sortes d'univers musicaux : jazz (surtout), classique, musique western, musique de dessin animé... Ce sont Tex Avery et Spike Jones qui auraient fait copain-copain avec Duke Ellington et Beethoven. Drôle de résultat !

Parfaitement impassibles, avec un humour très british, ils se livent à des tableaux totalement incongrus et surpenants que seule leur grande maîtrise de leurs différents instruments peut leur permettre d'accomplir. Banjo à quatre puis à six mains, numéro de dressage "éléphantesque", version parodique particulièrement "aiguisée" de Just A Gigolo, jouant comme des casseroles au sens propre du terme, adaptant savoureusement Ol' Man River en gospel, flûte de pan transposée avec des canettes de bière (et pas en play-bock, s'il vous plaît ! Qui a dit que souffler n'était pas jouer ? On se prend à rêver d'une adptation de l'Ave Maria de Goulot)... on est sans cesse bluffé par leur créativité et leur virtuosité. Et je ne vous parle pas de leur mini-revue nègre à faire pâlir de jalousie Al Johnson lui-même car je préfère que vous la goûtiez dans toute son originalité.

Il faut emmener les enfants à ce spectacle. Ils vont découvrir la musique sous son aspect le plus ludique tout en assistant à un véritable cartoon exécuté par trois messieurs d'apparence faussement sérieuse. Un mini-jazz band aux néons de la Nouvelle Eve à ne pas rater. Eden garanti !

vendredi 12 décembre 2008

Un monde fou


Petit Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 42 80 01 81
Métro : Trinité d'Estienne d'Orves

Une pièce de Becky Mode
Texte français d'Attica Guedj et Stephan Meldegg
Mise en scène de Stephan Meldegg
Avec Eric Métayer

Ma note : 8/10

L'histoire : Sam, acteur au chômage, arrondit ses fins de mois comme standardiste aux réservations d'un grand restaurant.
Eric Métayer joue Sam... et tous ses interlocuteurs au téléphone, ainsi que tout le personnel du lieu, qui intervient par interphone. cette trentaine de personnages nous montre un raccourci d'un monde saisissant. Sam s'approprie leurs voix, leurs corps, leur mental.
Froidement poli face aux caprices des VIP qui usent de sa patience, il prend le temps de répondre gentiment aux correspondants qui le méritent. Du haut de sa cuisine high-tech, le chef le harcèle, le manager le snobe, le cuistot oublie de lui garder son repas, on lui demande même d'exécuter les tâches les plus ingrates.
Et il y a son père, qui vit seul, et qui espère qu'il pourra se libérer pour passer Noël auprès de lui...


Mon avis : Amateurs de performance unique, précipitez-vous au Petit Théâtre de Paris voir un Grand artiste. On ne peut pas présenter cette pièce comme étant un one-man show puisqu'il y a en tout 32 personnages qui se succèdent sur scène. 32 personnage... et un seul acteur pour les interpréter ! Eric Métayer.
C'est tout simplement époustouflant. Comment fait-il pour enchaîner aussi rapidement les personnages, prendre leurs gestes, leurs accents (quand ils en ont un, ce qui est souvent le cas), leurs tics, leurs manies. Il mime les accessoires avec une précision incroyable. Son micro-téléphone, qu'il symbolise avec deux doigts, on le voit ! Et puis il y a cette multitude de bruitages, aussi précis que saugrenus car c'est tout un univers qui s'installe en quelques secondes à l'intrusion d'un nouveau personnage. Cet homme est un fou. mais un fou comme on les aime : loufoque, inventif, cartoonesque. Dans un rythme infernal, il se démène, gesticule... Il vit chaque situation avec une intensité telle qu'il fait passer ce que peut ressentir Sam, ses états d'âme, et il brosse en même temps les caractères de tous les intervenants. Quelle maîtrise !

Il n'y a pas que les clients qui viennent l'assaillir. Il y a son patron, sadique et tyrannique, ses collègues, plutôt timorés, sans relief et parfaitement égoïstes. Il y a aussi son père et son frère, un collègue apprenti comédien comme lui, l'assistant de son agent qui ne croit pas trop en ses talents...
Eric fait la pluie qui tombe, reproduit le bruit des voitures, les grincements d'un fauteuil roulant, il fait le chien, il fait même le homard qui vit ses derniers instants... Etc, etc... C'est carrément dingue, franchement hallucinant. Et c'est tellement plein d'humanité ! On se prend très vite d'affection pour ce pauvre Sam tellement exploité, tellement gentil, qui veut tellement rendre service à tout le monde et qui est au bord de l'implosion.
Eric Métayer fait preuve là d'une débauche d'énergie inouïe. Il nous fait bénéficier de tout le fruit des années passées à la ligue d'improvisation. Dans la salle, les gens, pris dans ce maelström insensé, hoquètent de rire. On est épuisé pour lui.
On comprend tout à fait pourquoi les gens de la profession lui ont décerné le Molière 2008 du "Spectacle seul en scène"...
Une performance qui fait date dans une carrière. On ne peut humainement aller plus loin dans le délire.