jeudi 27 février 2014

Artus "Al Dente"

Petit Palais des Glaces
37, rue du Faubourg du Temple
75010 Paris
Tel : 01 48 03 11 36
Métro : République / Goncourt

Seul en scène écrit et interprété par Artus

Présentation : Artus met les petits plats dans les grands pour vous concocter un menu qui comblera les gourmands d’humour et les gastronomes de la déconne. Il se met à poêle pour un show Al Dente ! Un one man à déguster tant que c’est chaud, cuisiné par un chef qui vous aime déjà.

Mon avis : Artus a qualifié son spectacle d’« Al dente », terme culinaire italien qui se traduit par « ferme sous la dent »… Effectivement, le plat qu’il nous sert dans sa petite trattoria du Palais des Glaces n’est ni mollasson ni tiédasse. Il se révèle en outre plutôt roboratif et, surtout, assez relevé.

Il est malin l’Artus ! Après une entrée en scène qui sonne comme un générique de blockbuster, genre garçon-qui-se-la-pète, il se présente au contraire à nous avec énormément de simplicité et de naturel. Pendant le premier quart de son spectacle, il nous la joue vraiment bonne pâte. C’est le bon copain qui se réjouit de partager sa cuisine et qui en profite pour nous raconter sa vie. Comme il y met un maximum d’autodérision, il nous met tout de suite dans sa poche et provoque illico la sympathie. Son entrée est très conventionnelle, il a choisi des mets simples que tout le monde peut déguster sans difficulté avec le sourire. Il nous met à l’aise, installe un climat convivial en s’adressant régulièrement à ses convives d’un soir. On sent qu’il s’intéresse vraiment à nous ; ça nous détend le tube digestif et nous met dans les meilleures dispositions pour découvrir la suite du menu.


Les antipasti ayant passé tout seuls, sans se départir de son allure et de son sourire bonhommes, il commence à servir le plat de résistance : son parcours professionnel avant qu’il soit comique et devienne une « star » du petit écran via On n’ demande qu’à en rire. Et là, insidieusement d’abord, il commence à introduire des petits piments dans sa préparation. Il saupoudre ça et là son propos de pincées d’humour noir, voire très noir. J’ai entendu une dame s’écrier spontanément « Quelle horreur ! ». Dès lors, la suite du repas va être de plus en plus relevée. De crainte que notre palais (des Glaces ?) ne s’accoutume trop vite à une certaine acidité, il ne va plus cesser de sur-épicer son assaisonnement. Pour assaisonner, il assaisonne ! Il en met partout, il y en a pour tout le monde.


L’air toujours aussi patelin, il balance des vannes de plus en plus subversives, étale des images franchement osées, prend tous les accents (asiatique, arabe, ashkénaze, italien…), n’épargnant ainsi aucune communauté, va même jusqu’à s’offrir un couplet plein de perfidie sur les handicapés… Pour notre plus grand plaisir, Artus s’avère être un garçon très incorrect. On en redemande et, comme il y a du rab, il nous en ressert.
Al Dente est une gourmandise qui fait du bien à une époque où l’on a tendance à s’effaroucher de tout et à tout aseptiser. Artus nous a concocté un menu audacieux, composé de douceurs (un peu) et d’impertinence (beaucoup). Personnellement, j’y ai fait bonne chère.
Et puis, il ne faut pas bouder sur le dessert. C’est un morceau de choix qu’il nous propose avec une parodie remarquablement écrite de la tirade des nez de Cyrano de Bergerac qui, sans que je vous en dise plus sur le thème, n’est pas sans fondement…


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 22 février 2014

Antonie de Rendinger "Travail, Famille, Poterie"

Théâtre des Mathurins
36, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 90 00
Métro : Havre-Caumartin / Auber

One woman show écrit par Antonia de Rendinger
Mis en scène par Olivier Sitruk

Présentation : Bienvenue dans la loge de madame Cayeux, 80 ans, concierge de son état et plaque tournante d’un petit immeuble où, au fil des rencontres, se croisent autant de points de vue que de personnages variés…
On embarque dès que le noir se fait dans un voyage d’une heure quinze qu’on ne saurait vraiment qualifier de « seule en scène » tant nombreux sont les protagonistes qui s’y invitent ! On remarquera surtout la manière dont chacun fait écho à l’autre, composant un puzzle jubilatoire, dans l’esprit des films choraux…

Mon avis : Je m’attendais à un bon spectacle. J’ai découvert une prestation d’une qualité allant au-delà de mes espérances. Comme beaucoup, Antonia m’avait époustouflé par son talent et son culot avec son sketch sur Miss France et ses apparitions à On n’ demande qu’à en rire m’avaient fréquemment enchanté. Et bien, Antonia gagne encore plus à être vue sur la longueur, pendant les Quatre-vingt minutes que dure son one woman show.

Antonia de Rendinger (oui, oui, comme Olivier de Benoist, c’est une aristocrate grand teint) est un véritable phénomène. Mine de rien, ça fait vingt ans qu’elle écume les planches. Ligue d’impro, théâtre, sketchs en solo… elle a un sacré bagage et de l’expérience à revendre. Et, particularité qu’il ne faut surtout pas négliger, elle a fait des études de lettres modernes et possède une maîtrise de littérature française. D’où la remarquable qualité de son écriture… Antonia, c’est de 4G agrémentée du haut débit. 4G comme Gaîté, Grâce, Générosité et Grivoiserie ; avec une touche de Génie comique.

Huit sketchs, huit performances de très, très haut niveau. Dès son entrée en scène, elle nous déclenche une irrépressible envie de faire l’humour avec elle. Elle nous entraîne dans son monde, un monde fait de folie, d’extravagance et d’irrévérence. Je crois que l’adjectif qui la qualifie le mieux à mes yeux (et à mes oreilles), c’est « truculente » (Petit Larousse : « Qui exprime les choses avec crudité et réalisme ; pittoresque, haut en couleurs »… Elle est rabelaisienne dans le sens le plus noble ‘normal pour une aristocrate qui pratique l’irrévérence) du terme. Dans son spectacle, en effet, comme chez Rabelais, il y a de l’épique, du parodique, de l’exagération, de la satire, de la paillardise, voire de la scatologie et, surtout, elle est la démonstration vivante de l’adage « le rire est le propre de l’homme ».


Olivia sait tout faire. Du mime (voir le premier sketch), elle prend tous les accents, elle danse remarquablement (voir sa bluffante chorégraphie du septième sketch), elle a l’art d’incarner des personnages. Visiblement, elle n’a aucune limite. Elle n’a peur de rien. Elle est sacrément gonflée… J’ai tout aimé dans ce spectacle : le jeu, l’audace, le délire, l’écriture, la mise en scène. C’est d’une efficacité rare. Jacqueline Cayeux, la concierge qui est le fil rouge de Travail, Famille, Poterie, est une sorte de compromis pour la voix entre Michel Serrault et la Gisèle des Vamps. Cette bignole est une sacrée nature. Son franc-parler est dévastateur. Comme Monsieur Jourdain, elle pratique sans le savoir l’anticonformisme, la xénophobie, le politiquement (très) incorrect, la subversion. Etre, en même temps, elle peut s’avérer touchante.
Dans ce spectacle qualitativement impeccable, deux sketchs m’ont arraché encore plus que les autres des spasmes de rire : l’épilation et la conférence sur le nombril. Mais, motus et clavier cousu, je n’en révélerai absolument rien.
Précipitez-vous aux Mathurins. Vous y passerez un moment de bonheur total. Antonia de Rendinger possède un talent monstrueux. C’est une auteure et une comédienne hors pair. Elle a largement sa place au Panthéon de l’humour…


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 15 février 2014

Je préfère qu'on reste amis

Théâtre Antoine
14, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 08 77 71
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Une pièce de Laurent Ruquier
Mise en scène par Marie-Pascale Osterrieth
Lumières de Laurent Castaingt
Décors de Pierre-François Limbosch
Costumes de Charlotte David
Musiques de Jacques Davidovici
Avec Michèle Bernier (Claudine) et Frédéric Diefenthal (Valentin)

L’histoire : ‘Je préfère qu’on resta amis » c’est la phrase qu’il ne fallait pas prononcer. La réponse toute faite que Claudine ne voulait jamais entendre ; et surtout pas de la bouche de Valentin à qui, ce soir-là, elle a enfin décidé de dévoiler son amour.

Mon avis : J’ai vu toutes les pièces de Laurent Ruquier. Il y en a que j’ai beaucoup aimées, d’autres moins. Au niveau de l’écriture, je tiens Je préfère qu’on reste amis pour la plus aboutie, la mieux ciselée. Il nous a pondu là une vraie comédie romantique, mais pas romantique avec la bouche en cœur et les violons, bellâtre suffisant et couguar enamourée… Une histoire d’amour jamais sirupeuse avec des mots de tous les jours, moderne, incisive, rythmée et terriblement drôle… Mais pas que drôle. Il y a distillé ça et là quelques plages d’émotion qui nous prennent bien à la gorge. Et, surtout, il a dessiné deux très beaux caractères de femme et d’homme ce qui lui permet de les mettre en opposition aussi bien dans la tendresse que dans la violence. Car Claudine et Valentin sont rarement au diapason. Tout au long de la pièce, ils évoluent en parallèle, en décalage, et on passe notre temps à se demander si ces deux parallèles vont finir à se croiser à un moment. C’est très, très bien construit, tout à fait cohérent et plein d’humanité. Les personnages existent, on y croit. Chacun d’eux propose (ou oppose) à l’autre une argumentation qui se défend.

C’est du concentré de Ruquier. Il y a mis le meilleur de tout son savoir-faire. Pas une seule fois, il ne s’est laissé aller à son pêché mignon, le calembour gratuit. Ici les jeux de mots, les vannes, les saillies viennent toujours à propos. De même a-t-il réussi à y placer son amour de la chanson en faisant interpréter à cette midinette de Claudine quelques extraits qui, plutôt que de figer l’action, s’inscrivent joliment dans le propos et le soulignent. Ces chansonnettes font partie intégrante de l’action. En plus, elles nous donnent à découvrir un talent de chanteuse que Michèle Bernier nous avait jusque là bien caché.
Les dialogues sont remarquablement troussés. La pièce, fort bien construite avec ses rebondissements inattendus, nous fait passer du rire à l’émotion, de la folie douce à la raison. La mise en scène, tonique, offre son lot de surprises de bon aloi. Excellente idée que cette double succession de monologues devant le rideau au cours desquels Claudine et Valentin se livrent à leur propre analyse de la situation.


En même temps, cette pièce, pour remarquablement écrite qu’elle soit, vaut également par la prestation de ses acteurs. On sait que Laurent Ruquier a écrit le rôle de Claudine à l’intention de Michèle Bernier. La connaissant par cœur, il savait parfaitement ce qu’il pouvait lui faire dire et jouer. Il lui a fait du sur mesure. Michèle peut donner libre cours à sa fantaisie débridée, à son énergie dévastatrice mais également laisser apparaître sa grande fragilité et son côté fleur bleue. Quand on vous dit que c’est une comédie romantique !
On savait tout l’étendue du talent et de la sensibilité de Michèle, mais encore fallait-il qu’on lui adjoigne un partenaire qui puisse lui rendre la pareille. Frédéric Diefenthal nous offre une composition à la fois toute en finesse et en autorité. Comme son personnage a, contrairement à celui de Claudine qui ne cache rien, quelques zones d’ombre, il doit faire appel à toute une palette de sentiments. Sans cesse aiguillonné, poussé dans ses retranchements, il fait preuve d’une sacrée vitalité, d’une profonde honnêteté et d’un fameux sens de l’humour… La sincérité avec laquelle Michèle et Frédéric jouent leurs personnages est d’ailleurs un des autres grands atouts de la pièce.

Quand je parle d’autres atouts, je pense au décor qui est d’une beauté enchanteresse. On peut jeter des fleurs à Pierre-François Limbosch. Evoluer dans un tel décor doit sacrément aider les comédiens à se sentir romantiques.
Le seul problème que j’ai rencontré hier soir (jour de la Saint Valentin, s’il vous plaît) c’est que les gens rient tellement et se mettent spontanément à applaudir qu’ils couvrent la fin de certaines répliques. C’est d’un frustrant ! A moins que ça soit fait exprès pour que l’on se procure le livret de la pièce à l’issue du spectacle… Non, sincèrement, il y a des réparties qui sont vraiment d’un très, très haut niveau.
La pièce dure 1 h 40 et on ne voit pas le temps passer. Ça se sent, Laurent Ruquier préfère qu’on reste ravis.

Gilbert "Critikator" Jouin


mercredi 12 février 2014

Des fleurs pour Algernon

Théâtre Hébertot
78bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
Tel : 01 43 87 23 23
Métro : Villiers / Rome

D’après l’œuvre de Daniel Keyes
Adaptation de Gérald Sibleyras
Mise en scène d’Anne Kesssler
Scénographie de Guy Zilberstein
Lumières d’Arnaud Jung
Avec Grégory Gadebois

Présentation : Algernon est une souris de laboratoire. Elle a subi une opération du cerveau, deux chercheurs veulent accroître son intelligence. Encouragés par les progrès extraordinaires d’Algernon, ils tentent l’expérience sur un homme, Charlie Gordon. Charlie est simple, son QI ne dépasse pas 68. Mais il a envie d’apprendre, surtout grâce à Miss Kinian, son professeur dont il est secrètement amoureux…
L’opération réussit. Commence alors le combat pacifique entre Algernon et Charlie sur fond de découverte du savoir, de l’intelligence, de la connaissance, de l’amour, jusqu’à ce que…

Mon avis : « Meilleur Spectacle du Théâtre privé », « Meilleur Comédien » et « Prix Beaumarchais du meilleur Acteur » pour Grégory Gadebois en 2013…
Pour ceux qui, comme moi, ont manqué ce rendez-vous l’an dernier, il est interdit de réitérer cette erreur et profiter des séances de rattrapage qui sont proposées au Théâtre Hébertot. Je me suis rendu boulevard des Batignolles dans le même état d’esprit qu’un fin gourmet allant dîner dans un restaurant triplétoilé. J’en salivais d’avance, sachant que j’aller déguster un mets rare. Et bien, j’ai été comblé, satisfait, enchanté par autant de délicatesse, de raffinement.


La performance de Grégory Gadebois est proprement époustouflante. Dès les premières secondes, son personnage nous happe, nous attire et nous fascine. Il campe un attardé mental hyper-attachant, émouvant et drôle, terriblement humain tout en évitant la moindre once de pathos. Quelle composition ! Tout y est : le débit hésitant, les gestes compulsifs, les analyses et réflexions simplistes mais pleines de bon sens et de logique. Comment ne pourrait-on pas tomber en empathie avec ce Charlie Gordon à la fois si démuni et si motivé avec sa soif d’apprendre.


On n’a pas envie de s’étendre sur ce genre de spectacle. On ne peut que se répandre en louanges et partager tout le plaisir que l’on reçoit avec les spectateurs qui nous entourent. Applaudissements nourris, « bravos » qui fusent, tout le monde a envie d’exprimer bruyamment son ravissement et de remercier de la façon la plus tangible qui soit ce comédien qui vient de nous offrir une prestation hors pair. Quelle sensibilité, quelle subtilité, quel jeu !


Je ne peux que vous encourager, à vous exhorter même, à aller vivre ce grand moment de comédie.
Après, vous aussi, vous n’aurez qu’un seul impératif : des fleurs pour Grégory Gadebois…

samedi 8 février 2014

Même pas vrai !

Théâtre Saint-Georges
51, rue saint-Georges
75009 Paris
Tel : 01 48 78 63 47
Métro : Saint-Georges

Une pièce de Nicolas Poiret et Sébastien Blanc
Mise en scène par Jean-Luc Revol
Décors de Stéphanie Jarre
Costumes d’Aurore Popineau
Lumières de Philippe Lacombe
Avec Raphaëline Goupilleau (Mathilde), Bruno Madinier (Arnaud), Anne Bouvier (Marie), Christophe Guybet (Bernard), Thomas Maurion (Michaël), Valérie Zaccomer (Irène)

L’histoire : La famille, ça peut être amusant pour peu qu’on soit joueur… Mathilde déteste les secrets et quand il s’agit de cuisiner Arnaud, son mari, et Michaël, son fils, elle sait se montrer très inventive. Trop peut-être ? Une chose est sûre, cette famille adore régler ses comptes en public, et leurs amis se trouvent toujours au milieu de leurs scènes de ménage. Le rire, la moquerie et l’autodérision sont omniprésents… Jusqu’au moment où la vérité éclate, et les sentiments, les  vrais sentiments, font leur apparition…

Mon avis : Voici une pièce qui ne peut laisser indifférent tant, au cours de son déroulement, on passe par des états d’esprit variés. D’abord, c’est une des pièces les plus féroces, les plus impitoyables qu’il m’ait été donné de voir. Et, pourtant, paradoxalement, elle diffuse en filigrane énormément d’amour. C’est une des bizarreries de cette œuvre.
La force de Même pas vrai !, c’est son texte. C’est un véritable tsunami de vacheries. Au niveau des dialogues, c’est un train fou qui nous emporte, un véritable « cynique railway ». Autant de perfidie dans les répliques, de situations déstabilisantes à cause de ce qui est proféré, c’est quasi épouvantable. De ce ping-pong assassin, on ne peut pas sortir indemne. Et c’est vrai que j’ai été traversé sans cesse par des sentiments contradictoires.


Pour qui aime les bons mots, c’est un florilège. On en consomme sans aucune modération. Mais lorsqu’on essaie de s’attarder sur l’intrigue, on est un tantinet ballotté. Notre wagonnet incontrôlable nous entraîne parfois dans des contrées qui ne nous rassurent guère. Où peut mener autant de méchanceté ? Bonjour les dégâts collatéraux ! J’ai vu des gens quitter subrepticement la salle en profitant d’un changement de décor… Il est sûr que si on la reçoit stricto sensu, cette pièce a de quoi déstabiliser les rigoristes. Par moment, submergé par une trop grande accumulation de propos vipérins, je me suis dit que les auteurs, par pur plaisir d’en rajouter, se croyant à l’école des vannes, avaient un peu trop chargé la mule. Il est vrai que ce peut être enivrant.


A un moment, vers le milieu de la pièce, j’ai décidé de lâcher prise et de me laisser porter sans essayer de m’accrocher à un hypothétique réalisme. Et tout m’a paru soudain plus facile. J’ai pu goûter sans arrière-pensée tout le sel de certaines formules qui faisaient vraiment mouche. Et, surtout, j’ai enfin compris le personnage de Mathilde.
Mathilde est le pivot de la pièce. Tout tourne autour d’elle. Il y a un réel masochisme à l’aimer. En fait, Mathilde fuit la réalité. Elle en a peur. Alors, elle se construit et impose à ses proches un monde virtuel, factice, qui lui permet de donner libre cours à sa fantaisie débridée et assassine. Son mari, Arnaud, qui l’aime sincèrement, s’engouffre dans son jeu et lui donne une brillante réplique. Leur fils, Michaël, qui se sait voué depuis tout petit au rôle de tête de Turc, connaît par cœur la mécanique et embraye sans difficulté pour se mettre au diapason… Ce n’est que des heures plus tard – car cette pièce interpelle encore longtemps après – que j’ai réalisé que Mathilde était une femme en souffrance et que chacun l’aidait à sa manière, mais à tort, à supporter son mal-être.


Même pas vrai ! est un ovni qui a bien plus de fond qu’il n’y paraît. Elle repose entièrement sur des dialogues écrits avec deux plumes trempées dans l’acide. Et il faut saluer l’immense talent des six comédiens. On les sent impliqués, complètement dans leurs personnages de frappadingues. La palme revient évidemment à Raphaëline Goupilleau. Les auteurs ont mis dans la bouche de Mathilde les répliques, les plus saignantes, les plus abominables. Elle les sert à ravir avec sa voix à la sonorité si particulière. Et elle est remarquablement entourée par une brochette de comédiens totalement désinhibés, qui n’ont peur de rien, et surtout pas du ridicule. Certaines répliques ou situations provoquent des rires inextinguibles, entraînant le reste de la salle.

Je ne sais pas si cette pièce trouvera son public. Même quand on se pose des questions, on ne s’y ennuie pas une seconde tant elle est rythmée et acerbe. Et elle est tellement bien interprétée !

Et si, finalement, tout ce que je viens de vous raconter, c’était même pas vrai ? A vous d’aller voir…

Gilbert "Critikator" Jouin

jeudi 6 février 2014

Un Temps de Chien

Théâtre Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une pièce de Brigitte Buc
Mise en scène par Jean Bouchaud
Décor de Jean Haas
Costumes de Carine Sarfati
Lumières de Franck Thévenon
Avec Valérie Lemercier (Hélène), Pascale Arbillot (Gabrielle), Patrick Catalifo (Le garçon de café), Mélanie Bernier (Loulou)

L’histoire : Gabrielle abuse du Lexomil, avalé à grandes lampées d’Armagnac et enchaîne les amours catastrophiques avec de beaux mufles qui la laissent sur le carreau.
Loulou se fout des autres et n’aime que son fils.
Quant à Hélène, elle est au bord de l’implosion et tente désespérément de donner le change par un optimisme forcené.
Ces trois femmes, qui se sont de prime abord regardées en chiens de faïence, vont finalement se donner un sacré coup de main pour traverser une période délicate de leur vie, sous l’œil narquois d’un garçon de café en pleine crise de misogynie aigüe…

Mon avis : La présentation ci-dessus résume parfaitement l’esprit de la pièce et définit en quelques mots les caractères de ses quatre protagonistes. Trois d’entre eux, Gabrielle, Hélène et le garçon de café, sont en plein mal-être ; pour différentes raisons. Le quatrième personnage, Loulou, est visiblement le moins perturbé parce qu’elle est protégée à la fois par son égocentrisme et son un bon sens chronique. En fait, on est dans un Desperate Housewives à la française.
On voit très vite que la pièce a été écrite par une femme pour des femmes. Brigitte Buc a sans doute puisé dans son propre vécu et observé de près les relations amoureuses de ses copines pour en brosser ensuite trois archétypes : la célibataire en quête d’amour mais mal aimée (Gabrielle), l’épouse et mère de famille délaissée (Hélène), et la mère célibataire qui considère les hommes comme des objets (Loulou).
Une fois les profils psychologiques de chacune définis, il suffisait de les mettre en présence, de les confronter les unes avec les autres, de secouer le tout et de le porter à ébullition.


Je dois avouer que le premier tiers de cette pièce m’a fait un peu peur. L’action se déroule dans un endroit improbable, une arrière-salle plutôt glauque de café-restaurant (pourquoi y loge-t-on des client(e)s parce que la salle est pleine ? Bizarre…). C’est dans cette espèce de no man’s land que va avoir lieu la rencontre fortuite de nos trois héroïnes. Tout cela avec la bénédiction d’un garçon de café goguenard et bourru qui va servir dès lors à la fois de catalyseur et de représentant de la pensée masculine. Un rôle on ne peut plus essentiel…

La pièce est divisée en quatre tableaux. Comme je le signalais plus haut, j’ai vécu les deux premiers avec un certain détachement. Je ne parvenais pas à entrer dans l’histoire tant je trouvais les personnages un tantinet excessifs et les situations plutôt irréalistes. Les comédiens faisaient très, très bien ce qu’ils avaient à faire, mais le trait était trop gros, trop appuyé.

Et puis, hallelujah, à partir du troisième tableau, le « Chien » s’est mis à faire le beau. Les pièces du patchwork se sont soudains parfaitement assemblées, les personnages se sont débarrassés de toutes les scories, ont trouvé leur réalité et j’ai commencé à prendre vraiment du plaisir. En dehors de quelques dialogues parfois surréalistes (l’évocation des kangourous par exemple), les rouages, enfin huilés, se sont mis à fonctionner avec beaucoup plus de cohérence.


Cette pièce est servie par quatre remarquables comédiens. C’est un pur bonheur que de les voir s’ébattre et se débattre. Bien sûr, Valérie Lemercier, dont le personnage est le seul amené à faire le grand écart sur le plan psychologique, nous offre une prestation de haut vol. Est-il besoin une fois de plus de stipuler sa formidable présence comique. Elle est impeccable dans tous les registres. A l’aise avec son corps, précise dans la moindre de ses mimiques, elle nous fait rire et nous émeut du début à la fin…
Et elle est très bien épaulée. Pascale Arbillot joue les looseuses avec un réalisme réjouissant. Acariâtre, bougonne, susceptible, désenchantée, mais terriblement fleur bleue, on a vraiment envie qu’elle s’en sorte et on éprouve pour elle un réel attachement… Mélanie Bernier est véritablement épatante. Elle compose avec le personnage de Loulou une petite bonne femme dotée d’un sacré caractère. Elle est positive, son franc-parler fait des ravages mais il place ses interlocutrices en face de leur réalité. Son naturel, sa vitalité, son charme piquant nous la rendent immédiatement sympathique.
Et puis il y a le seul élément masculin de ce Temps de chien, Patrick Catalifo. Pas facile, a priori, de tirer son épingle du jeu face à ces trois harpies. Il faut être sacrément costaud pour tenir front à trois furies soudain désinhibées. Et bien, dans son rôle de contrepoids, il réalise un sans faute. Brigitte Buc lui a écrit une superbe partition. Sous sa brutalité apparente, se cache un homme blessé qui voue aux femmes une aversion assumée.


Grâce à ces quatre beaux personnages, humains et attachants, incarnés par quatre comédiens hors pair, on peut sans se tromper, prédire à cette pièce un joli succès. La quadruple prestation gomme sans difficulté les quelques imperfections d’un texte souffrant par moment de complaisance et d’incohérences, mais qui, dans l’ensemble tient bien la route. Je suis convaincu que ce Temps de chien va s’auréoler vite de l’arc-en-ciel du succès…

Gilbert "Critikator" Jouin

mercredi 5 février 2014

La Contrebasse

Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 42 80 01 81
Métro : trinité / Blanche / Saint-Lazare

Une pièce de Patrick Süskind
Mise en scène et en lumières par Daniel Benoin
Décors de Jean-Pierre Laporte
Costumes de Nathalie Bérard-Benoin

Présentation : « De l’amour à la haine, il y a ma contrebasse… L’instrument n’est pas précisément maniable. Une contrebasse, c’est plutôt, comment dire, un embarras qu’un instrument. Vous ne pouvez guère le porter, il faut la traîner, et si vous la faites tomber, elle est cassée… dans un appartement, elle se trouve sans cesse sur votre chemin. Elle est plantée là… avec un air si bête, vous voyez… mais pas comme un piano. Un piano, vous pouvez le fermer et le laisser là où il est. Elle, non, elle est toujours plantée là… Tout est de sa faute, je l’aime tellement…
Je suis un fonctionnaire de 40 ans, mais pas n’importe lequel, je suis contrebassiste à l’Orchestre National, amoureux transparent d’une soprano et inconditionnel de Schubert ».
La Contrebasse nous révèle la face cachée de la vie d’artiste. Une vie faite de hauts et de bas qu’il faut savoir maîtriser. C’est une véritable introspection que l’histoire de ce musicien solitaire.

Mon avis : Je vais encore être dithyrambique ! Pourtant, Dieu sait que je me garde systématiquement de toute complaisance. Sinon à quoi servirait te tenir un blog de critique théâtrale si on n’est pas sincère et honnête ? La mission que je me suis donnée, c’est de faire partager mon plaisir, livrer mes sensations et traduire en mots mes impressions de simple spectateur…

Et bien hier soir, au Petit Théâtre de Paris (mais Grand par sa programmation), j’ai pris un pied énorme ! Dans tous les domaines. Mais j’ai surtout été emporté par la prestation époustouflante de Clovis Cornillac. Il est l’incarnation même de « l’acteur » ; c'est-à-dire, « celui qui met en action le texte écrit par le dramaturge et les situations organisées par le metteur en scène ». Là, il nous en donne au-delà de notre content.
Au vu de sa filmographie, on savait que Clovis Cornillac savait tout jouer. Mais au théâtre, c’est autre chose. Surtout dans une petite salle où l’on est en permanence en gros plan sans possibilité de recommencer une scène. Aucun doute, le Clovis est formaté pour le théâtre. S’offrir en plus un challenge de l’envergure de La Contrebasse, il faut être, ainsi que le formule le célèbre philosophe Bernard Tapie, « sévèrement burné ». Ce seul en scène est redoutable car son héros doit exprimer et faire passer tout un éventail de sentiments.


Mais pour réussir un tel challenge, il faut être deux. Le second, ici, est bien sûr le texte de Patrick Süskind. Il est d’un tel foisonnement ; et d’une construction pas du tout classique car il fait la part belle aux impulsions et aux digressions. Si bien qu’on a sans cesse l’impression d’être dans le cerveau du personnage. Il passe du coq à l’âne ; il peut aussi bien étaler toute sa connaissance de son instrument et de la musique classique dans les termes les plus techniques, que faire part de ses émois intimes de la manière la plus triviale. En prime, il est affublé de quelques tocs croquignolets comme le prix des choses (c’était beaucoup moins cher avant) ou l’évaluation des sons en décibels et, pour couronner le tout, c’est un amoureux transi. Un sacré package !

En intégriste de la contrebasse, Clovis Cornillac est prodigieux. Très physique, débordant de sensualité, il sait autant faire rire que faire vibrer la corde sensible. Il peut se montrer ironique, voire fielleux, puis, dans la seconde qui suit exprimer sa grande vulnérabilité. On est tellement captivé par sa narration qu’il nous entraîne automatiquement dans sa dinguerie. Il reconnaît d’ailleurs tout naturellement être quelque peu « dérangé psychologiquement ». En fait, c’est un homme en souffrance qui évolue devant nous. Au fur et au à mesure qu’il vide les canettes de bière, son esprit se remplit d’amertume. Du coup, le spectacle va crescendo. Il commence allegro pour finir furioso. Ses confidences débutent sur un ton badin et souriant et elles se terminent dans une violence presque incontrôlable, le visage en sueur et la chemise trempée. Il finit le cœur en vrac et le corps en frac.


Qu’on soit ou non un passionné de musique classique n’a aucune importance. C’est une histoire d’homme qui nous est livrée en pâture. Ses complexes, son malaise intime prennent une dimension universelle… Je n’avais pas vu la création de La Contrebasse avec Jacques Villeret. J’étais donc vierge de tout a priori et de tout élément de comparaison. Tout ce que je sais, c’est que j’ai vécu un moment privilégié, un grand moment de théâtre, une formidable performance d’acteur. C’est simple, j’en ai complètement oublié que le PSG jouait en même temps une demi-finale en Coupe de la Ligue…

Quand, sur un ultime vibrato, Le contrebassiste s’est tu, c’est une véritable ovation qui est venue saluer son récital. Ce don, si rare, si emballant, on sait d’où il l’a hérité et comment il a su le faire fructifier. Sa maman peut être très fière de lui…

Gilbert "Critikator" Jouin

mardi 4 février 2014

Olivier Sauton "Fabrice Luchini et moi"

Théâtre de l'Archipel
17, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 48 00 04 05
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Excellente nouvelle : Olivier Sauton vient de reprendre son brillant seul en scène. Il se produit le mercredi et le jeudi à 21 heures jusqu'au 24 avril 2014. Très bon moment garanti...
Voir critique sur mon blog en date du 31 décembre 2013

lundi 3 février 2014

Parce que c'était lui

Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Edgar Quinet / Gaîté

Une pièce conçue et réalisée par Jean-Claude Idée
Décor de Bastien Forestier
Costumes de Sonia Bosc
Lumières de Jean-Claude Idée
Avec Emmanuel Dechartre (Montaigne), Adrien Melin (La Boétie), Katia Miran (Marie de Gournay)

Présentation : Cette pièce propose une réflexion sur l’éternelle opposition gauche-droite qui déchire la société française. Comment des gens qui ne partagent pas du tout les mêmes idées politiques peuvent-ils rester les meilleurs amis du monde ? La Boétie était révolutionnaire et anarchiste. Montaigne royaliste et chrétien. Leurs écrits, souvent ironiques et brillants, fournissent la matière des dialogues et nous redécouvrons, avec surprise et jubilation, leurs disputes qui ressemblent fort à celles de notre temps.
De son côté, Marie de Gournay complète ce triangle amical et amoureux en ajoutant à tout cela un brin de féminisme et d’impertinence.

Mon avis : L’action de déroule tour à tour dans l’un des trois endroits d’un décor très simple : côté jardin, un petit bureau, côté cour un lit d’une personne et, au centre, trône un superbe arbre nu stylisé au pied duquel on a disposé un petit banc… Nous sommes en 1588, dans le pied-à-terre parisien de Montaigne.

Je tiens à vous rassurer sans plus tarder : cette pièce dont les héros sont Michel de Montaigne et Etienne de La Boétie pourrait faire peur, au contraire elle est à la fois fort intelligente, d’une modernité stupéfiante et très vivante. L’ingéniosité de l’auteur est d’avoir habilement mêlé les échanges philosophiques et le fonds historique et, surtout, d’avoir glissé entre ces deux écrivains le personnage dynamique et séduisant de Marie de Gournay.

La pièce commence avec son irruption dans le bureau de Montaigne. Elle a 23 ans, il en a 55 ans. Elle est éperdue d’admiration pour son œuvre et ne s’embarrasse pas de salamalecs pour le lui faire savoir. Mais avant tout, elle veut avec lui crever un abcès qui la turlupine : pourquoi a-t-il trahi son ami La Boétie en ne publiant pas, alors qu’il s’y était engagé, son Discours de la servitude Volontaire… Quand cette « trahison » lui est aussi vivement rappelée, Montaigne sent entrer en lui le perfide poison du remords. Et, dès lors, son ami va venir dans ses songes lui demander des comptes.

La construction de cette pièce est imparable. On ne s’ennuie pas une seconde. Les caractères et les idées des deux hommes sont remarquablement dessinés. La Boétie est un homme entier, fougueux, presque brutal. Montaigne au contraire est beaucoup plus nuancé, il aime analyser avant de trancher, il est comme un poisson dans les méandres de la politique. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a énormément d’estime et d’admiration entre eux. Preuve que l’on peut être amis tout en ayant des idées souvent diamétralement opposées (« Parfois les contraires s’attirent », constate Montaigne). Ce sont deux beaux esprits qui se livrent à une explication post mortem. Ce que l’on reproche à Montaigne, il l’élude en une seule phrase très explicite : « Bien souvent, il y a loin de nos convictions à nos critiques ». Lui, il doute, mais il est habile, il a un sens aigu de la diplomatie. Et, surtout, par effet miroir sans doute, il a une confiance très limitée en l’homme : « A quoi bon imposer des systèmes si les hommes restent les mêmes ? ». Une attitude qui fait bouillir ce révolutionnaire de La Boétie aux positions bien plus radicales : « Nous sommes au monde pour la changer, non pour en jouir ». Mais Montaigne, il veut bien en jouir de ce monde et de ce destin qui lui offre une ultime parenthèse amoureuse en la jolie personne de Marie de Gournay.

Quel beau personnage que Marie. Et quelle épatante comédienne que Katia Miran qui lui prête ses traits. Marie est une pionnière du féminisme. C’est une femme libre. Elle sait ce qu’elle veut. Ses élans, son déterminisme sont à la fois inconcevables et fascinants pour Montaigne. C’est elle qui va au contact, qui rend compte et qui oriente les décisions.


Parce que c’était lui est une pièce résolument moderne. Son texte, intemporel, contient une résonance troublante avec l’actualité. Ses thèmes les plus forts et les plus récurrents sont l’égalité et la liberté. Tout cela est formulé dans un langage d’une richesse absolue. Et, en plus, il est servi par trois comédiens véritablement habités par leurs personnages. Si cette pièce obtient le succès qu’elle mérite on pourra affirmer en parlant de la qualité de leur jeu et de leur investissement : Parce que c’était eux…

Gilbert "Critikator" Jouin