samedi 22 octobre 2016

Ivo Livi, ou le destin d'Yves Montand

Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Du jeudi au samedi à 19 h / le dimanche à 17 h

Ecrit par Ali Bougheraba et Cristos Mitropoulos
Mis en scène par Marc Pistolesi
Décors d’Annie Giral et Olivier Hébert
Costumes de Virginie Bréget
Chorégraphies de Camille Favre-Bulle
Lumières de David Darricarrère
Son de Matthieu Cacheur
Arrangements d’Olivier Selac

Avec Ali Bougheraba, Cristos Mitropoulos, Camille Favre-Bulle, Benjamin Falletto, Olivier Selac

L’histoire : Le 13 octobre 1921, un an avant l’arrivée de Benito Mussolini et les fascistes au pouvoir naît, à Monsummano Alto en Toscane, Ivo Livi. Des quartiers mal famés de Marseille aux studios hollywoodiens, des chantiers de la jeunesse aux théâtres de Broadway, ou bien encore de Kroutchev à Kennedy, comment un fils d’immigrés communistes italiens va devenir un artiste majeur et le témoin des grands moments de l’histoire du XXème siècle ? Alors que tout s’y oppose, comment le petit Ivo Livi, porté par le destin, deviendra-t-il le grand Yves Montand ?

Mon avis : J’avais découvert Ali Bougheraba il y a six ans dans son « Seul en scène », Ali au Pays des Merveilles, un petit bijou d’humour et de tendresse. Raison pour laquelle, alors qu’a priori je ne me sentais pas particulièrement attiré par un spectacle sur la vie d’Yves Montand que je connaissais plutôt bien, je me suis quand même rendu au théâtre de la Gaîté. Bien m’en a pris. Ali et ses quatre complices ont réalisé avec Ivo Livi une création emballante en tous points et je suis sorti de la salle complètement enthousiasmé.


J’ai assisté à un spectacle total. Toutes les formes théâtrales y sont réunies. Nous sommes en pleine commedia dell’arte. Chanson, danse, mime, pantomime, allégories, burlesque frisant le cartoon, tableaux figuratifs, réalisme, poésie, accents colorés, bruitages faits maison… et j’en passe. Ce spectacle est un ravissement. La mise en scène est inventive, hyper dynamique. Par moments on ne sait plus où donner de la tête tant il se passe de choses sur la scène et tant les comédiens sont impliqués et créatifs. Tous les cinq revêtus de la fameuse tenue de scène d’Yves Montand, pantalon et chemise noirs, ils endossent chacun, sans aucun temps mort, une multitude de personnages. C’est dense, c’est riche, c’est très, très drôle et, parfois, émouvant.
Très sincèrement, j’ai trouvé que la performance des comédiens était intrinsèquement plus forte que l’histoire elle-même. C’est leur jeu qui nous transporte, ainsi que leur façon d’incarner tour à tour Montand et toutes les personnes, célèbres ou pas, qui ont jalonné son existence : parents, frère et sœur, amis, managers, producteurs, auteurs-compositeurs, musiciens, et les femmes de sa vie bien sûr, Edith Piaf, Simone Signoret, Marilyn Monroe, Carole Amiel…


Le fonds historique tient une place tout aussi prépondérante que le relationnel. Le récit est truffé d’anecdotes illustrées à chaque fois par un tableau plus ou moins bref. Difficile de dégager ce qui m’a plu le plus dans ce spectacle entre la performance des acteurs, l’ingéniosité de la mise en scène et le formidable parcours d’un modeste migrant devenu star internationale. Le défi de raconter en près de deux heures la trajectoire d’Yves Montand est parfaitement relevé. Les auteurs ne sont allés qu’à l’essentiel. Ils n’ont conservé que ce qui avait été fondateur pour le petit Ivo Livi : le fascisme en Italie, la seconde guerre mondiale et l’occupation, Marseille, le communisme, la guerre froide et, évidemment, toutes ces rencontres qui ont permis à ce gamin issu du prolétariat de gravir une à une les marches de la célébrité et de la gloire.

Impossible de dissocier les quatre comédiens et leur accompagnateur accordéoniste. Quatre physiques et quatre talents différents mais tellement complémentaires. Habitués qu’ils sont à travailler ensemble, leur complicité, évidente, passe aisément la rampe. Ils sont naturellement joyeux et généreux. Quand l’un(e) d’entre eux est mis en avant en fonction du personnage qu’ils interprètent, les trois autres se mettent à son service, le soutiennent, amplifiant ainsi la compréhension de la situation. Leur éventail de jeu est si large qu’un simple accessoire leur permet de matérialiser un personnage, un lieu, une époque. Un banc et une table, déplacés et utilisés à d’autres fonctions, suffisent à planter un décor.


Benjamin Falletto, Cristos Mitropoulos et Ali Bougheraba, qui incarnent successivement Yves Montand en fonction de son âge, ont su éviter l’écueil de l’imitation vocale. Ils s’appliquent juste à restituer parfois quelques éléments de sa gestuelle si particulière… Quant à Camille Favre-Bulle, qui campe tous les personnages féminins (excusez du peu), elle est tout simplement époustouflante de présence, de joie de vivre et de sensibilité.
Bref, au risque de me répéter, Ivo Livi, ou le destin d’Yves Montand, est un spectacle vraiment complet, particulièrement créatif et jubilatoire. Il dame le pion à moult comédies musicales a priori plus huppées, plus ambitieuses. Non seulement en raison de la prestation de ses interprètes, mais aussi pour les valeurs humaines qu’elle dégage.
Lorsque ce qu’il y a de meilleur dans le théâtre et le music-hall est ainsi réuni en une seule œuvre, on touche à l’absolu. Ce spectacle m’a permis de vivre à la Gaîté Montparnasse un réel grand moment de grâce. Un moment rare qui fait chaud au cœur, qui exalte l’âme et vous emplit de bonheur.


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 13 octobre 2016

Saturday Night Fever, La Fièvre du Samedi Soir

Show Case

Metteur en scène et directeur artistique : Stéphane Jarny
Scénographe : Stéphane Roy
Chorégraphe : Malik Le Nost

Au Palais des Sports à partir du 9 février 2017
En tournée à partir du 13 mai 2917

Saturday Night Fever, le spectacle musical, raconte l’histoire de Tony Manero qui, écrasé par l’ombre d’un frère aîné promis à la prêtrise, habite dans la quartier de Brooklyn et travaille dans un magasin de peinture. Mais le samedi soir, tout change. Accompagné de ses amis, il brille sur la piste de danse de l’Odyssée 2001, une boîte disco. Un soir, il tombe sous le charme de Stéphanie, à qui il propose de faire équipe pour le concours de danse organisé par leur boîte de nuit favorite. Est-ce le début d’une histoire d’amour ?


Sorti aux Etats-Unis le 15 décembre 1977 et en France le 5 avril 1978, ce film culte immortalisé par John Travolta, est adapté, près de quarante ans plus tard, en comédie musicale.
Une présentation de ce spectacle a été proposée à la presse le lundi 10 octobre dans une salle du Palais de Tokyo métamorphosée en night club.
Si l’on savait depuis quelque temps que Fauve Hautot (Danse avec les Stars) incarnerait Stéphanie, le secret avait été en revanche bien gardé pour celui qui endosserait la responsabilité du rôle de Tony Manero, si fortement marqué par la formidable performance chorégraphique de John Travolta.


C’est la troupe des danseurs et danseuses qui a ouvert le bal sur un des tubes des Bee Gees interprété en direct par un trio. Tout de suite, le ton était donné : harmonie des voix, arrangements efficaces, beauté des costumes, qualité époustouflante de danseurs et danseuses toniques et sensuels… On était dans l’ambiance, au cœur de Brooklyn, autour de la piste de danse de l’Odyssée 2001…
Puis a surgi Fauve Hautot. On ne la présente plus. Sa joie de danser et sa grande expérience lui permettent les plus parfaites évolutions. Il ne manquait plus que son partenaire pour que le couple mythique du film soit reformé.
On n’a pas été déçu ! Dès son apparition, Nicolas Archambault, viril à souhait, a fait l’unanimité. D’abord parmi la gent féminine bien sûr. Mais toutes les personnes des trois sexes sont tombées sous le charme.



Les extraits qui nous ont été donnés à voir et à entendre sont déjà plus qu’une promesse. Ils préfigurent un show d’une esthétique et d’une qualité rares. A l’issue de la représentation, il suffisait de voir les sourires de plaisir pour traduire la satisfaction. Ce spectacle est tellement généreux et stimulant qu’il va nous faire grand bien dans une époque où, plus que jamais, l’esprit de fête, doit être préservé. Cette comédie musicale va nous offrir, j’en suis convaincu, deux heures d’évasion, d’émerveillement, de partage et de bonheur.

vendredi 7 octobre 2016

Gaspard Proust "Nouveau spectacle"

Comédie des Champs Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau / Franklin-Roosevelt

Ecrit et interprété par Gaspard Proust

Présentation : Il a conquis le public avec son spectacle Gaspard Proust tapine.
Après une absence de deux ans de la scène parisienne, il revient avec un nouveau spectacle à la Comédie des Champs-Elysées.

Mon avis : Vraiment un gars à part ce Gaspard ! Il ne respecte rien ni personne. Ni Dieu, ni maître, sans foi ni loi, il ne connaît ni pitié ni compassion, il n’exprime aucun affect. Tout le monde y passe et y trépasse… Bref, Gaspard Proust est de retour ; il est pire qu’avant et, êtres humains tordus et vicieux que nous sommes, nous prenons un réel plaisir à l’entendre débiter ses horreurs.
Gaspard Proust ne tapine plus. Il n’a plus besoin de se « proustituer » pour se faire connaître. Il a désormais sa clientèle, ses habitués, son public de sado-masos qui aime se faire violenter les trompes d’Eustache.

J’ai trouvé ce « Nouveau spectacle », même s’il ne s’est pas foulé pour le titre, encore plus fort, plus dévastateur que le précédent. C’est dire… Son entame de spectacle, c’est du jamais vu. Dans le sens propre, puisqu’on on ne le voit pas car la scène reste plongée dans le noir. Du coup, de spectateurs nous devenons de simples auditeurs devant leur poste de radio en train d’écouter un long monologue. Privée d’image, notre attention, toute entière absorbée par le son, en est d’autant plus décuplée. Ce prologue est prodigieux. Une vacherie toutes les dix secondes ! Jamais je n’ai entendu un concentré de vannes aussi dense, aussi percutant, aussi gonflé. Il va loin le bougre, très loin ; se réjouissant (ou plutôt jouissant) de percevoir quelques cris offusqués, quelques réactions choquées, divers grincements de dents ou éructations de surprise et brefs rires de ravissements…


A l’issue de cette entrée en matière étourdissante, il daigne apparaître enfin. Fidèle à sa façon d’être, il se demande ce qu’il est venu faire là. Ça l’ennuie visiblement de devoir jouer à l’histrion de service. Chevalier à la triste figure mais au regard sarcastico-goguenard, il affecte un détachement désabusé, voire hautain. C’est son image de marque. D’un ton détaché, presque uniforme, il continue à disséquer notre monde, notre société, notre Histoire, avec des commentaires d’une malveillance inégalable. Gaspard Proust est un vachard d’assaut, un bulldozer qui écrase tout sur son passage.
Il ne nous prend pas en traitre puisqu’il en fait lui-même imperceptiblement l’aveu : « Moi, je suis pas très sociable »… S’il le reconnaît, on ne peut guère critiquer sa misanthropie et/ou sa misogynie. Notre Slovène d’origine a quelque chose en lui d’Attila. Aucun brin d’herbe n’a grâce à ses yeux. Non seulement, il appelle un chat un chat, mais il lorsqu’il l’attrape c’est l’écorcher vif !

Son texte, brillant et ciselé, est une triviale poursuite qui se distingue par la richesse de son vocabulaire. Gaspard Proust est un artisan. On sent que chaque mot, chaque adjectif a été travaillé avec soin (même s’il n’est pas souvent très poli). Je dois admettre que dans ce registre de l’humour très noir, du brocard systématique et de l’iconoclastie désintégratrice, il n’a pas d’égal. Desproges, à qui d’aucuns se sont empressés de le comparer, laissait parfois paraître quelques soupçons d’humanité. Pas lui… Il n’y a guère que pour le Nazisme qu’il nourrit une certaine complaisance. Mais là, il faut savoir décrypter de dixième degré. En effet, des personnes de son ascendance en ont été des victimes directes. Cette sympathie qu’il affecte pour ce régime n’est qu’un procédé pour aller encore plus loin dans la provocation. C’est tellement bien dit et interprété !


Sincèrement, je n’ai jamais vu un artiste aller aussi loin dans l’irrévérence. Bien pensants de tous poils s’abstenir. Gaspard Proust ne se revendique d’aucune chapelle, il n’appartient à aucune communauté. Il est tout simplement un humoriste de l’extrême, un ours mal léché qui fait du cynisme son miel. Il l’étale bien épais sur une tartine et on se régale.
Le seul regret que j’ai formulé en quittant, enchanté, la Comédie des Champs-Elysées est d’être incapable de tout retenir, de me souvenir de toutes ses saillies, ses réflexions, ses images, ses aphorismes, son name dropping, tant ils jaillissaient à jets continus. J’aimerais tant maintenant pouvoir disposer du texte de ce Nouveau spectacle pour en goûter benoîtement toute la richesse, toute la finesse et toute la portée. C’est du grand (Gasp)art !

Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 3 octobre 2016

A droite à gauche

Théâtre des Variétés
7, boulevard Montmartre
75002 Paris
Tel : 01 42 33 09 92
Métro : Grands Boulevards

Une comédie de Laurent Ruquier
Mise en scène par Steve Suissa
Décors de Bernard Fau
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Musique de Maxime Richelme

Avec Francis Huster (Franck Pierson), Régis Laspalès (Paul Caillard), Odile Cohen (Nicole), François Berland (David), Jessé Rémond Lacroix (Ugo), Olivier Dote Doévi (Germain)

L’histoire : Comment peut-on être un acteur riche, célèbre et être de gauche ? C’est ce que se demandent la plupart des gens de droite. Comment peut-on être ouvrier chauffagiste et voter à droite ? C’est ce que pensent la plupart des gens de gauche.
A quelques mois des élections, la confrontation inattendue entre ces deux personnages casse les codes, se joue des stéréotypes, fait vaciller nos opinions.

Mon avis : Avec A droite à gauche, Laurent Ruquier a incontestablement écrit là sa comédie la plus consistante au niveau du fond. Délibérément installé au centre des débats, il reproduit une conversation à bâtons rompus dont il aurait été le témoin entre un artiste de gauche et un ouvrier de droite.
L’animateur-auteur est, on le sait, un véritable passionné de politique. Cette pièce sort judicieusement à un moment où notre vie politique va s’exacerber à l’approche des Primaires des différents partis avec, en ligne de mire, les prochaines élections présidentielles. Laurent Ruquier s’est visiblement ingénié à réunir sur les plateaux d’une immense balance tous les éléments caractéristiques qui définissent les idées et les comportements des gens de gauche et des gens de droite. Sur ce plan, il est quasiment exhaustif. Avec son stylo-scalpel, on peut dire qu’il a gratté jusqu’à l’os. Tout au long de la pièce on a en effet droit à toutes les idées reçues, à tous les clichés, à tous les poncifs sur la gauche et la droite, et ce dans tous les domaines : le féminisme, la contraception, l’art, la culture, les 35 heures, la délinquance, le racisme, la religion, la dépénalisation du cannabis, l’homosexualité, le mariage pour tous, l’éducation, l’économie, l’écologie…). Il a ratissé large ! Réussir à réaliser une comédie avec tous ces éléments est une prouesse.

Photo : Christine Renaudie
Aucune fois, je ne l’ai pris en défaut. Bien qu’il n’ait jamais caché ses idées politiques, il a su tout au long de la pièce garder une neutralité parfaite. Jamais il ne s’est érigé en donneur de leçon (ce qui lui arrive parfois dans On n’est pas couché), jamais il a été de « parti » pris… Bien sûr, et heureusement pour nous, Ruquier a fait du Ruquier. Jeux de mots, formules percutantes, saillies hilarantes, quiproquos réjouissants, allusions pertinentes et drolatiques… C’est de la belle ouvrage. Et, au service de ce texte dense et alerte, il dispose avec Francis Huster et Régis Laspalès de deux comédiens absolument épatants.


C’est à un impitoyable match de boxe verbale auquel se livrent les deux hommes dans une cave métamorphosée en ring. A ma gauche, Franck, un artiste riche et célèbre. A ma droite, Paulo, un ouvrier chauffagiste. Deux manières de combattre très différentes. Franck, très exalté, pugnace, virevolte autour de son adversaire pour essayer de placer ses uppercuts du gauche. Paulo, placide, évite benoitement les coups et réplique par des crochets déstabilisants. Le combat est très spectaculaire, équilibré. Paulo contre très aisément les assauts nombreux mais désordonnés de Franck. Véhémence versus inertie, cette opposition de styles fait, avec ses dialogues, tout le piment de la pièce.
Francis Huster est parfait dans ce registre où les convictions sont parfois teintées de mauvaise foi. Quant à Régis Laspalès il est tout bonnement inénarrable. Ses mimiques, son phrasé si particulier, sa faculté à suspendre le temps en jouant avec les silences, son flegme, son œil rigolard, en font un partenaire idéal. D’ailleurs, Francis Huster, avec lequel j’ai fait un bout de chemin à l’issue de la représentation, m’a confié qu’il retrouvait en Laspallès un comédien du niveau de l’inoubliable Jacques Villeret.

Si l’on met de côté une ou deux longueurs et quelques facilités (j’ai été gêné par la scène autour du racisme entre le médecin et le patron noir de Paulo. Je l’ai trouvée trop premier degré, trop agressive ; trop vraie, peut-être ?), A droite à gauche m’a bien amusé. C’est rythmé, ça a du sens, c’est une bonne satire de l’état de nos partis politiques, c’est bien écrit, bien mis en scène et remarquablement interprété. Je pense que, en sortant du théâtre des Variétés, ceux qui sont de gauche resteront à gauche et ceux de droite à droite. Et les autres aussi… C’est sans doute ça la loi du milieu !


Gilbert « Critikator » Jouin