Théâtre 14
20,
avenue Marc Sangnier
75014
Paris
Tel :
01 45 45 49 77
Métro :
Porte de Vanves
T3 :
Didot
Jusqu’au
30 juin 2018
D’après
le roman de Fiodor Dostoïevski
Texte
et mise en scène de Thomas Le Douarec
Décor
de Matthieu Beutter
Costumes
de José Gomez
Lumières
de Stéphane Balny
Musique
et bande-son de Mehdi Bourayou
Perruques
et maquillages de Stéphane Testu
Avec
Arnaud Denis (Le Prince Mychkine), Thomas Le Douarec ou Gilles Nicoleau (Rogojine Parfione), Bruno Paviot (Lebedev), Daniel-Jean Colloredo (Le général
Epantchine / Le général Ivolguine), Fabrice
Scott (Gania Ivolguine), Marie
Lenoir (La générale Epantchine / la générale Nina Alexandrovna Ivolguine /
Daria), Marie Oppert (Aglaë Ivanovna
Epantchine / Une femme de chambre de Nastassia), Solenn Mariani (Adélaïde Epantchine / Varia Ivolguine / Totski), Caroline Devismes (Nastassia Philippovna)
L’histoire :
Si un homme vraiment bon et noble,
quelqu’un sans calcul ni arrière-pensée… S’il venait parmi nous tels que nous
sommes, avec notre méfiance, nos préjugés, est-ce que ce serait un bien ?
Est-ce qu’il ne risquerait pas de causer les pires malentendus, de provoquer le
désordre et même des catastrophes ?
Après
plusieurs années en Suisse pour soigner son épilepsie et une certaine forme
d’idiotie, le prince Mychkine, ruiné, doit retourner dans son pays pour y
rencontrer la bonne société russe. Visionnaire, sincère et spontané,
fondamentalement bon, il sera accepté par cette société cupide et hypocrite
comme un être à part. Offrant une nouvelle manière de voir le monde, celui que
l’on nomme « l’Idiot » déclenchera chez tous ceux qu’il rencontrera
de nouvelles interrogations, révélant les caractères passionnels d’une société
décadente, en fin de vie.
Mon avis :
Deux heures et vingt-deux minutes de bonheur. Deux heures et vingt-deux minutes
qu’on ne voit pas passer. Deux heures et vingt-deux minutes de grand
théâtre !
J’ai
été captivé de bout en bout par cette brillante et intelligente transposition
théâtrale du pavé de près de 1000 pages de Dostoïevski. Thomas Le Douarec a su
en épurer la complexité pour ne se concentrer que sur la thématique essentielle
de l’ouvrage : la confrontation entre deux mondes, celui qui est régi par
les conventions, l’hypocrisie, le pouvoir et l’argent (l’appât des roubles rend
roublard), et celui qui repose sur la bienveillance, la compréhension et,
surtout, sur l’expression de la Vérité. Pour faire court, L’Idiot est une parabole opposant le Bien et le Mal.
Le
Bien est incarné par le Prince Mychkine, le Mal par la haute société saint-pétersbourgeoise.
Dit comme ça, ça paraît tout simple. Or, cette pièce est tout sauf manichéenne.
L’irruption
du Prince Mychkine dans ce monde en déliquescence, imbu de ses privilèges, de
ses prérogatives, de son éducation et de ses richesses, va provoquer un
véritable séisme. Leur position sociale, construite et assise uniquement sur les
faux-semblants et la perversion, en est devenue figée, totalement naphtalinée. Et
Mychkine, en toute innocence, va bouleverser et faire exploser tous les codes
de ce bel establishment.
La
pièce est superbe. La mise en scène (particulièrement rythmée et inventive),
les dialogues (incisifs et percutants), les costumes, la psychologie et le jeu
des quinze personnages (interprétés par neuf comédiens) sont en tout point
remarquables. Cette pièce est une véritable quintessence du théâtre. Elle
propose en effet une succession de tableaux qui donnent lieu à de grands
moments de comédie pure. Un régal absolu pour le spectateur !
Hier
soir, à plusieurs reprises, on a entendu gronder l’orage et tomber une pluie
violente comme si, telle une bande-son subliminale, le temps s’était mis en phase
avec l’atmosphère de la scène du Théâtre 14. C’était troublant.
Amateur
de raccourcis parfois audacieux, j’ai vu dans cette pièce la synthèse entre le Carmen de Bizet, pour son dénouement, et
le Sans filtre de Laurent Baffie pour
sa thématique. Le Prince Mychkine, presque à son corps défendant, ne peut
s’empêcher de dire ce qu’il pense. Au début, cette franchise désarmante, amuse,
suscite des railleries. Mais, peu à peu, sa lucidité, ses analyses pures et
enfantines, vont semer le trouble dans l’esprit des gens à qui il s’adresse. Sans
le vouloir, il va faire tomber les masques, tous les masques. Chacun apparaît
tel qu’il l’est, non seulement à ses propres yeux, mais également aux yeux de ceux
qui l’entourent. Ce qui est terriblement dangereux. Si bien que d’amusant,
Mychkine va peu à peu leur paraître compromettant, puis menaçant ; jusqu’à
devenir un paria. Et là, on pense à ces paroles de la chanson de Guy
Béart : « Celui qui dit la vérité doit être exécuté »…
Les
neuf comédiens sont si investis, si complices, si généreux qu’on a l’impression
de voir évoluer une troupe (c’est tout de même un peu le cas). Il faudrait tous
les citer tant ils sont justes et créatifs.
Dans
le rôle du Prince Mychkine, de « L’Idiot » donc, Arnaud Denis, qui
porte la pièce sur les épaules, est tout simplement éblouissant. En décalage,
voire en porte-à-faux permanent, son jeu et ses attitudes sont d’une
impressionnante subtilité. On voit qu’il aimerait réfréner son irrépressible
franchise, on le voit lutter, mais il est impuissant à endiguer les mots. D’ailleurs,
en une phrase émise vers la fin, il résume son ressenti : « Comme il
est difficile d’expliquer les choses les plus simples ! »… Il nous
offre une prestation d’un très, très haut niveau.
Et
il est tellement bien entouré ! Chacun, pratiquement, a droit à son ou ses
morceaux de bravoure. Les différents caractères sont tellement bien écrits,
tellement bien dessinés. C’est un sans faute. En un mot, j’ai apprécié
l’authenticité de Gilles Nicoleau, l’obséquiosité de Bruno Paviot, la
truculence de Daniel-Jean Colloredo, la dualité de Fabrice Scott, la
flamboyance de Marie Lenoir, l’exaltation de Marie Oppert, l’altruisme de
Solenn Mariani et la souffrance de Caroline Devismes…
Enfin
- j’estime qu’il n’est pas « idiot » de le préciser – j’aime bien
venir au Théâtre 14. C’est une salle très agréable tant par son format que par
sa configuration. On y est bien reçu et on y voit bien de partout.
Gilbert
« Critikator » Jouin