jeudi 30 janvier 2014

Roméo et Juliette

Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, boulevard Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 00 32
Métro ; Strasbourg Saint-Denis

Pièce de William Shakespeare
Mise en scène par Nicolas Briançon
Adaptée par Pierre-Alain leleu et Nicolas Briançon
Dramaturgie de Julie-Anne Roth
Décors de Pierre-Yves Leprince
Costumes de Michel Dussarat
Lumières de Gaëlle de Malglaive
Musiques de Gérard Daguerre
Chorégraphies de Karine Orts
Avec Ana Girardot (Juliette), Niels Schneider (Roméo), Valérie Mairesse (la nourrice), Bernard Malaka (Frère Laurent), Dimitri Storoge (Mercutio), Cédric Zimmerlin (Benvolio), Brian Polach(Tybalt), Charles Clément (Père Capulet), Valentine Varéla (Lady Capulet), Mas Belsito (Paris)…

Présentation : Entourés d’une troupe de plus de vingt acteurs, Ana Girardot et Niels Schneider sont les héros de cette nouvelle grande production du Théâtre de la Porte Saint-Martin. Après La Nuit des Rois et Le Songe d’une nuit d’été, Nicolas Briançon met en scène la pièce la plus célèbre du répertoire de Shakespeare, Roméo et Juliette. Retrouvez la plus belle histoire d’amour du théâtre classique dans une mise en scène prestigieuse et populaire…

Mon avis : Je pense que Sir William de Stratford-upon-Avon aurait fortement apprécié cette version modernisée mais totalement fidèle de son Roméo et Juliette.
Après La Nuit des Rois et Le Songe d’une nuit d’été, Nicolas Briançon boucle avec cette pièce sa formidable trilogie shakespearienne. Il ne faut pas y inclure évidemment son incartade de Divina avec la Reine Lear… Une fois de plus, il fait fort. Il en a transposé l’action dans une Vénétie plus proche de nous, dans les années 50. L’histoire de Roméo et Juliette étant éternelle et universelle, cela ne pose aucun problème de compréhension. Les costumes (toujours aussi réussis) de Michel Dussarat sont essentiellement en noir et blanc. Cela donne une véritable esthétique qui se marie impeccablement avec le décor formé de grands panneaux gris mobiles. En fait, on s’en fout de ce décor stylisé et minimaliste. Il ne sert que de cadre à l’action et, en fonction de ses déplacements, on sait où l’on se trouve. Le seul élément qui attire vraiment l’attention est le lit baladeur de Juliette. Il a son importance ce lit !


D’emblée, d’une part à cause de l’austérité des costumes, et d’autre part grâce à la présence de cinq musiciens jouant en live, on se retrouve dans une ambiance typiquement italienne mais dans le côté sombre des clans mafieux. Entourés de leurs sbires, le père Capulet et le père Montaigu sentent les parrains à plein nez. A peine cinq minutes après le lever de rideau, une bagarre terrible éclate entre les deux clans, les femmes n’étant pas les dernières à participer au pugilat. La violence, dans toutes ses formes d’expression (physique ou psychologique), va être le fil rouge de l’histoire.
Nicolas Briançon a su s’entourer d’une troupe de comédiens réellement convaincants. J’ai particulièrement apprécié les prestations de Dimitri Storoge (Mercutio), Cédric Zimmerlin (Benvolio), Bryan Polach (Tybalt), Valentine Varéla (Lady Capulet). Un ton au-dessus encore, je place le jeu tout en force de Charles Clément (impressionnant de dureté dans le rôle du Père Capulet) et celui plus retenu mais brûlant intérieurement de Bernard Malaka en Frère Laurent.


Comme d’habitude, l’écueil avec les pièces de Shakespeare, c’est leur longueur. Et encore, on en a amputé le texte d'une heure ! Seule, à mon avis, La Nuit des Rois n’était pas trop encombrée de ces digressions lyriques et ces tirades allégorico-bucoliques qui plombent un tantinet l’action du Songe d’une nuit d’été et de Roméo et Juliette. Nicolas Briançon fait de son mieux en enchaînant les scènes sans aucun temps mort mais, hélas, l’histoire, qui devrait être haletante, est régulièrement ralentie par des monologues, de fort bonne qualité sur un simple plan littéraire, mais la plupart du temps superflus, voire abscons. Il faudra bien un jour qu’il se fasse violence et taille allègrement dans ces textes trop riches pour y gagner en rythme et en intensité. Je pense que personne ne lui en tiendrait rigueur… Avec vingt minutes de moins, son adaptation serait imparable et nous laisserait à l’esprit un souvenir enchanté tant son travail est en tout point irréprochable.


Venons-en enfin aux deux héros de cette tragédie. Ana Girardot campe une formidable Juliette. Espiègle, mutine, pleine de vie, fougueuse, on comprend tout de suite qu’elle ne va pas faire les choses à moitié. Quand la passion s’empare d’elle, elle la vit à fond, exigeante et sans concessions. Elle est d’abord candidement émerveillée par ce sentiment nouveau qui s’éveille en elle puis, comme mue par un sentiment d’urgence, elle va se donner corps et âme à celui que son cœur a choisi. Ana incarne la vie-même. Elle s’approprie ce rôle écrasant avec une justesse étonnante…
Bizarrement, j’ai eu parfois un peu de mal avec Roméo. Niels Schneider a incontestablement le physique du rôle. Il compose un Roméo fiévreux, exalté, virulent, mais j’ai trouvé qu’il manquait de ce romantisme qui fait fondre les jeunes filles en fleur. Il est plus impétueux et véhément que tendre. Pourtant, quand il joue certaines scènes avec plus de retenue, quand il laisse filtrer une vraie douceur, il est parfaitement émouvant. Et puis il a un timbre de voix et un débit parfois trop rapide qui peuvent s’avérer dérangeants pour la compréhension… Ne faisons pas néanmoins la fine bouche, il forme avec Ana un très beau couple et leur complicité au moment des saluts fait vraiment plaisir à voir.

On ne peut évoquer ce Roméo et Juliette sans souligner la composition absolument réjouissante de Valérie Mairesse dans le rôle de la Nourrice. Protectrice et aimante, elle est totalement dévouée à sa jeune maîtresse. Pour la servir, elle accepte même de subir les moqueries et les outrances des jeunes godelureaux des deux camps. Mais elle ne s’en laisse pas conter, elle a de l’envergure et du bagou. Quelle savoureuse composition ! Bien épaulée par Adrien Guitton, irrésistible en Grégoire, elle apporte la seule note de franche gaîté dans cette sombre pièce. Sa présence nous fait un bien fou, elle apporte le seul bol d’oxygène dans une ambiance plutôt éprouvante.

Enfin, pour être complet, il faut aussi citer la beauté de certains tableaux : les bagarres et les duels sont remarquablement réalistes et chorégraphiés ; le bal est une jolie parenthèse autant esthétique que légère ; la scène dans la chambre de Juliette est un beau moment de comédie ; et le tableau final, celui du tombeau des deux amants, est également très réussi (le silence qui règne dans la salle à ce moment est impressionnant).

Mais qu’est-ce que c’est insupportable de faire mourir ce deux jeunes gens ! Il est fou ce Shakespeare, il aurait pu se fendre d’une happy end. Ils avaient le droit de la vivre leur passions Roméo et Juliette, ils le méritaient…

samedi 25 janvier 2014

Régis Mailhot "Reprise des hostilités"

Théâtre du Petit Saint-Martin
17, rue René Boulanger
75010 Paris
Tel : 01 42 08 00 32
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Seul en scène écrit et interprété par Régis Mailhot
Mis en scène par Gil Galliot

Présentation : Reprise des hostilités, c’est l’histoire d’une rupture non conventionnelle, celle d’un comique qui décide de claquer la porte d’une société où la franchise est dorénavant considérée comme un acte de délinquance. Entre le ras-le-bol de commenter la sempiternelle même info spectacle, la difficulté de s’exprimer dans une époque moraliste et démoralisante, et la peur de penser mal, le métier d’humoriste devient un défi quotidien.

Mon avis : Hier soir, je me suis fait le Mailhot… Qu’est-ce que je me suis poilé !
Ce préambule un peu vaseux reflète pourtant le grand plaisir que j’ai connu en découvrant le nouveau seul en scène de Régis Mailhot. Ce garçon propre sur lui, très élégant (costume, cravate), ce qui devient rare, est un de nos humoristes les plus iconoclastes et les plus joyeusement subversifs actuellement. Avec lui, il n’y a pas de langue bois, il n’y a que des échardes qu’il plante allègrement ça et là au gré de ses envies et de l’actualité.
Il annonce d’ailleurs la couleur avec le titre de son spectacle : « Reprise des hostilités »… Régis Mailhot repart donc au combat. Et il a fait le plein de munitions. Il faut dire que l’actualité française et mondiale a de quoi le ravitailler. Même s’il est un redoutable tireur d’élite, il n’est pas du genre sniper, il ne tire pas au coup par coup. Lui, son arme, c’est plutôt la mitraillette car il arrose copieusement tout ce qui bouge.


Son spectacle est découpé en plusieurs chapitres thématisés. C’est très bien pour le public car il a droit à du concentré à chaque fois. Régis Mailhot ne nous propose que le suc ; il élimine le superflu, ne va qu’à l’essentiel. C’est d’autant plus efficace que le jet est continu… Il a une façon très personnelle de prendre un sujet et de ne lâcher que lorsqu’il en a intégralement fait le tour. Il travaille comme un orpailleur : il passe tout au tamis et ne conserve que les pépites. Son sens de la formule est imparable (« Si le printemps était arabe, l’automne sera voilé »… « Pierre Bergé, c’est le grenier à blé du PS »… « Le Superbowl de ceux qui n’en ont pas », « Le taux de suicide chez les kamikaze »). Très à l’aise sur scène, il occupe bien l’espace et démontre également qu’il est un sacrément bon comédien (ce qui ne transparaît pas automatiquement à la radio). Ses images et ses comparaisons sont particulièrement osées, et il ponctue ses pires assertions d’un sourire à la fois candide et sardonique (il faut le faire !). Il est vrai qu’il possède un sens de l’euphémisme qui frise la mauvaise foi lorsqu’il avoue : « Je suis un peu taquin ». Il y a dans son texte – remarquablement écrit – quelques « taquineries » qui pousseraient quelques unes de ses cibles préférées à avoir envie de « régisside ».


Tout est vraiment bon dans ce spectacle intelligemment charpenté. Parmi les thèmes qu’il aborde, les infos dans dix ans, le mariage pour tous, l’homosexualité, les « héros » médiatiques (genre Zaïa et Leonarda), les Femen, les syndicats, les handicapés, la sexualité, la grossesse, la paternité, les artistes engagés, le plus abouti est, pour moi, celui qui traite des trois religions monothéistes. C’est d’autant plus percutant que c’est dénué de tout sectarisme. C’est d’ailleurs dans le même esprit qu’il analyse la politique ; il y en a pour tout le monde... En outre, rien n'est excessif ou gratuitement méchant. Tout est marqué du sceau du bon sens et de la logique la plus irréfutable.
Bref, autant sur le plan qualitatif que quantitatif, Reprise des hostilités est un spectacle très dense, très riche. Il est vrai qu’avec un tonton qui a passé sa vie à faire (brillamment) le Jacques, l’énergumène a été à bonne école…

Entre La Framboise Frivole et Régis Mailhot, mes zygomatiques ont vraiment vécu une semaine faste !...


Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 22 janvier 2014

Framboise Frivole "Delicatissimo"

Bouffes Parisiens
4, rue Monsigny
75002 Paris
Tel : 01 42 96 92 42
Métro : 4 Septembre / Pyramides

Le spectacle : Ce duo d’humour musical, chic et populaire, a trouvé dans le théâtre historique d’Offenbach l’écrin idéal pour sa nouvelle création.
Delicatissimo marque le grand retour de Bart van Caenegem au piano, aux côtés du brillant ténor et violoncelliste Peter Hens. Nos deux aventuriers partent à la recherche de l’Archet perdu… Cette quête échevelée les conduira à des découvertes musicales aussi improbables qu’hilarantes. En outre, la technologie moderne s’est insidieusement infiltrée dans ce spectacle…

Mon avis : J’en ai vus en une trentaine d’années de ces spectacles musicaux que l’on qualifie de « burlesques », mais qui atteignent un tel niveau d’excellence, jamais ! J’en ai pris plein la tête, plein les oreilles et plein les yeux. Pas besoin d’avoir fait Belge en première langue, on comprend tout… Mais le fait que Peter Hens et Bart Van Caenegem soient Belges explique beaucoup de choses. Une fois que l’on a intégré le fait que nous avons affaire à deux virtuoses (Bart est même multi-instrumentiste), leur seconde particularité, toute aussi évidente, est leur sens de l’humour. Au surréalisme et à l’autodérision ataviques de leur pays, ils ajoutent une forte dose de non-sens typiquement britannique…


Leur belgitude, ils la revendiquent dès leur premier morceau. Le mythique tube de Saint-Preux devient ainsi Le Concerto pour une… fois. Les choses sont ainsi dites, le ton est donné, dès lors nous allons assister à 1 h 35 d’un délire absolu mais parfaitement maîtrisé. Tout y passe : dérapages musicaux, enchaînements audacieux et subtils, détournements d’œuvres majeures, paroles plaquées sur d’autres mélodies, « symphonisation » de chansons hyper populaires (Sheila, Cloclo, Johnny… même Les Sardines de Patrick Sébastien s’invitent dans ce spectacle), tout cela s’emboîte magistralement façon matriochkas (poupées russes). On imagine les heures de travail et la somme de répétitions nécessaires à l’obtention d’un tel niveau de perfection.
Car, non seulement la musique est irréprochable, mais les textes chantés ou parlés, parsemés de calembours et de jeux de mots d’un niveau remarquable, sont formidablement écrits (l’histoire, pour complètement loufoque qu’elle soit, possède néanmoins une vraie cohérence) et tout aussi admirablement interprétés. Peter Hens fait ce qu’il veut avec sa voix, il peut tout chanter. Et il le prouve.


Je ne veux rien dévoiler de plus quant au contenu et aux surprises qui nous laissent abasourdis de bonheur. Les trouvailles foisonnent : gags visuels, effets spéciaux, jeux de lumière… C’est un spectacle total. Et que dire du final !...
Delicatissimo peut être qualifié d’œuvre de Genèse. Peter et Bart son des mélodieux de l’Olympe. J’ai rarement entendu autant de gloussements de plaisir dans une salle. Avec cette Framboise aussi Frivole qu’éminemment juteuse et survitaminée, je n’ai pas vu le tempo passer.
Je crois que je retournerai aux Bouffes Parisiens car je sais que je suis passé à côté de jeux de mots et de subtilités qui se sont retrouvées noyés par les rires ou, tout simplement parce que ça s’enchaîne trop vite.
Courez vite voir et déguster Framboise Frivole. C’est une gourmandise absolue.


Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 21 janvier 2014

Le Jeu de la Vérité


Comédie réalisée par François Desagnat
D’après la pièce de Philippe Lellouche
Scénario et dialogues de Philippe Lellouche
Musique d’Alexandre Azaria
Avec Vanessa Demouy (Margaux), David Brécourt (Fabrice), Philippe Lellouche (Jules), Christian Vadim (Pascal)

Sortie le 22 janvier

Synopsis : Au cours d’un de leurs habituels dîners hebdomadaires, trois quadras vont retrouver Margaux, leur coup de cœur d’ados. Mais la surprise que leur réserve l’ancienne « bombe du lycée » va bouleverser le cours de la soirée…

Mon avis : Si vous avez aimé la pièce, vous adorerez le film… Si vous n’avez pas vu la pièce, vous adorerez le film.
Philippe Lellouche n’a pas son pareil pour raconter des histoires de quadras. Son postulat est tout simple : trois amis, inséparables depuis l’enfance, vont brutalement se retrouver mis en présence de leur fantasme de jeunesse, Margaux, « la bombe du lycée ». Leur amitié inoxydable va-t-elle tenir au cours de ce concours de séduction dans lequel ils décident de s’affronter ?


Comme la pièce, le film est quasiment un huis-clos. L’essentiel de l’action se passe dans le loft de Jules. Seul le générique de début nous permet de faire connaissance des trois garçons et de les voir évoluer dans leur milieu professionnel. Ce qui nous livre déjà quelques informations quant à leurs caractères…
La qualité de l’écriture lellouchienne réside dans sa capacité à dessiner les profils psychologiques de ses interprètes. Il connaît bien la gent masculine, le bougre ! Les trois héros ( ?) sont dans des situations déjà différentes : Jules est un célibataire pur et dur doublé d’un coureur invétéré ; Pascal est fraîchement divorcé. Encore fragile, il ne sait pas comment gérer sa toute nouvelle liberté ; Fabrice est marié depuis seize ans, père de deux enfants, et il commence à sentir sa libido exacerbée par une jolie collègue…
Se connaissant par cœur, sachant où distiller le poil à gratter par rapport les uns aux autres, ils n’arrêtent pas de se vanner. Ce sont trois grands gamins. L’irruption de Margaux dans leur vie et ce foutu Jeu de la Vérité auquel ils vont se livrer va servir de révélateur. D’autant que la jeune femme porte sur eux un regard d’une acuité redoutable. Elle les pousse à être enfin eux-mêmes, à gommer peu à peu leurs côtés matamores et puérils. Jusqu’au bout, si on n’a pas vu la pièce, on se demande comment tout cela va bien pouvoir se terminer.


L’énorme avantage du film, ce sont les gros plans. Le moindre regard, la moindre mimique, sont décelées. Pas possible de se laisser aller. Et là, on peut dire que les quatre comédiens, qui connaissent bien sûr leur partition jusqu’au bout des doigts, la jouent à la perfection. La Vérité est aussi dans cette interprétation pleine de subtilité. On n’est jamais dans la caricature, même si la plupart des situations sont amenées de façon à nous faire rire ou sourire. Et puis, avec les gros plans, l’émotion est beaucoup plus palpable. A plusieurs reprises, on ne peut empêcher de délicieux picotis venir nous titiller le coin de l’œil.


Le Jeu de la Vérité est une bonne comédie moderne qui n’a de prétention que de nous amuser, nous attendrir et aussi de nous faire réfléchir car elle nous renvoie à toutes nos faiblesses autant qu’à nos plus belles qualités humaines. C’est avant tout une belle histoire d’amitié, une histoire universelle qui peut toucher le plus grand nombre.

lundi 20 janvier 2014

Cowboy Mouth

Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 20 60 56
Métro : Edgar Quinet / Gaîté

Une pièce de Sam Sheppard et Patti Smith
Adaptée par Marie Barraud et Nicolas Tarrin
Mise en scène de Nicolas Tarrin
Avec Marie Barraud (Cavale), Cali (Slim)
Avec la participation d’Andrey Zouari
Décors d’Olivier Prost

L’histoire : New York, 1971. Armée d’un colt 45, Cavale kidnappe en pleine rue Slim, un père de famille. Enfermés dans une chambre d’hôtel, elle tente de faire de lui une star du rock afin d’offrir un sauveur à toute une génération perdue, « un Jésus rock’n’roll avec une gueule de cowboy ». Mais le captif tombe amoureux de son ravisseur…

Mon avis : Irréductibles cartésiens, pragmatiques de tout poil, cette pièce n’est pas pour vous… Inutile d’y chercher une quelconque cohérence.
En revanche, si vous avez gardé un anticonformisme naturel, un esprit de révolte juvénile, si vous avez su entretenir un brin de folie, si vous êtes sensible à la poésie et, surtout, si vous êtes gourmands de performances d’acteur, Cowboy Mouth est pour vous.

Lorsque Patti Smith et Sam Sheppard ont écrit cette pièce en 1971 (en deux nuits !), ils étaient follement amoureux et, vraisemblablement sous l’emprise de substances illicites. Ils ont respectivement 25 et 28 ans. Elle peint et écrit des poèmes ; il est un dramaturge en vogue. Il est déjà marié et père d’un enfant.
Tout se passe dans une chambre du Chelsea Hotel. Il y règne un profond désordre. Un lit défait, des dessins accrochés aux murs, deux guitares, deux caisses claires. On sent que le couple formé par Cavale et Slim n’en sort jamais. C’est donc à un véritable huis-clos que nous assistons. Et à une histoire d’amour… Brève mais intense.

Pour bien saisir la plausibilité de cette pièce, il faut la replacer dans son contexte historique. Nous sommes donc au tout début des années 70 aux Etats-Unis. Nixon est président, il y a toujours la guerre au Viêt Nam, chez les jeunes, le Flower Power romantique et pacifiste est en train de s’étioler, mais la Beat Generation née dans les années 50 est toujours là, et bien là…
Slim, et plus encore Cavale, en sont des spécimens vivants. Ils ont la contestation et le nihilisme chroniques. Leur vision du monde et de la société est sombre mais pas désespérée, car, grâce aux paradis artificiels,  ils se réfugient dans un no man’s land psychédélique édifié sur ces quatre piliers que sont l’utopie, l’écriture (et plus particulièrement la poésie), la peinture et la musique (et plus particulièrement le rock).
Cowboy Mouth est une pièce onirique. Cavale et Slim sont deux enfants qui jouent. Qui jouent à s’aimer, qui jouent à se faire mal. Dans un perpétuel va-et-vient entre attirance et répulsion, ils se cherchent, tentant pathétiquement de se construire un avenir qu’ils savent illusoire (Cavale parle d’un « putain de grand rêve »). La passion est omniprésente, mais vraisemblablement attisée par les drogues, elle peut aussi bien engendrer la plus grande tendresse que générer la violence la plus fulgurante.

Il ne faut pas chercher à comprendre, il n’y a qu’à se laisser emporter par ce maelstrom se sentiments exacerbés. Parfois Cavale et Slim sont ancrés dans la réalité, parfois ils sont en plein trip. On partage leurs hallucinations, leurs idées radicales, leurs moments de grâce (quand Slim joue au magicien pour épater Cavale) et surtout leurs rêves insensés (comme le statut mystique de la star de rock)…
Inutile de préciser que pour interpréter ces deux êtres à la dérive, on ne peut pas le faire avec tiédeur. Il faut y aller à fond, se racler la chair jusqu’à l’os, se tordre le cœur comme un vieux gant de toilette. Après avoir vu leur prestation, difficile d’imaginer deux autres comédiens que Marie Barraud et Cali.


Marie Barraud, qui a adapté la pièce et qui la connaît donc dans ses moindres aspects, est complètement habitée par le personnage de Cavale. Cali m’a d’ailleurs confié à l’issue du spectacle que parfois, elle lui « faisait peur » ! Elle va au-delà du don de soi. Elle est littéralement possédée. Avec ses gestes compulsifs, ses déplacements claudicants, elle passe sans transition de l’hystérie dévastatrice à la féminité la plus touchante. En fait, c’est une petite fille qui essaie de se désempêtrer de sa fragilité. Elle nous fait vivre en tout cas un formidable moment de comédie. Seule avec ses démons, elle lâche tout, se dépouille au propre comme au figuré. Elle nous fait vivre en tout cas un formidable moment de comédie.

Et Cali, que vaut-il dans ce face-à-face tumultueux ? Pour sa première expérience théâtrale, il est tout simplement bluffant. Il ne fait que confirmer que, à l’instar de ses tours de chant, il est une bête de scène. Pour incarner Slim, il dégage une forme d’animalité (il se compare lui-même à un coyote). Je lui ai trouvé un côté plus indien que cowboy. Sa folie à lui est plus pondérée, moins destructrice. Il a gardé une espèce de candeur, une faculté d’émerveillement. C’est avec ces sentiments-là qu’il réussit à toucher et à amadouer Cavale.
Cette jolie performance va inévitablement l’amener à devoir désormais composer entre les deux carrières de chanteur et de comédien. Il en a acquis grandement la légitimité.


Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 17 janvier 2014

Age tendre

Palais des Congrès
2, place de la Porte Maillot
75017 Paris
Tel : 08 99 23 33 72
Métro : Porte Maillot

8ème et dernière édition.
Présenté par Julien Lepers

Huit ans que cette tournée existe (elle est née en mars 2006), huit ans qu’elle draine les foules à travers la France. Dire qu’au départ personne ne croyait à ce concept fou imaginé par Maichel Algay : ressortir de la naphtaline des artistes qui avaient été soit des idoles soit les interprètes d’un megatube dans les années 60 et 70. Et ça a marché au-delà de toutes les espérances. A croire qu’il y avait une vraie attente inconsciente. Michel Algay a créé la notion de « nostalgie positive et festive ». Il faut le voir le public ; il faut lire le bonheur dans ses yeux ; il faut partager cette ferveur, cette communion, ce plaisir tout simple. Ils forment une famille générationnelle. Ils se sont faits beaux, ils affublent des atours qui ne sont pas toujours du meilleur goût, mais c’est leur manière de remercier. Ils vont à la messe…

La huitième édition (annoncée comme étant la dernière) ne déroge pas à la règle. Au fil des années, le spectacle est devenu de plus en plus professionnel. On ne se moque pas du monde. Un grand orchestre, quatre choristes, quatre danseuses, des tenues élégantes, des lumières magnifiques, des projections judicieuses et deux gigantesques écran qui encadrent la scène de façon à ce que l’on puisse, d’où que l’on se trouve, voir les artistes en gros plan. C’est dans ce superbe décor, véritable écrin, que viennent se produire une grosse douzaine de ceux et celles qui ont enchanté la jeunesse de la grande majorité des spectateurs.


C’est Hervé Vilard qui a l’honneur d’ouvrir le bal et de donner le ton à la suite du spectacle. Hervé est le Monsieur Loyal idéal. Légitimé par ses tubes (Venise, Nous, Capri c’est fini, Méditerranéenne), il s’investit en tant que porte-parole de ses collègues pour confier le bonheur qu’ils ont à « donner du bonheur ». Sur scène, il ne triche jamais. Interprète hors pair, il vit ses chansons (les gros plans, qui ne pardonnent rien, l’attestent). Il est parfait pour donner le la, faire l'apologie de ce noble statut de "chanteur populaire" et personnaliser ce qu’était ce fameux « âge tendre »…

Après lui surgit l’inamovible et inoxydable Michel Orso. A 77 ans, incroyablement trépidant et bondissant, il semble avoir reçu en transfusion les cent-mille volts de Gilbert Bécaud qui sont venus enrichir encore les cent-mille siens !
Viendront ensuite Michelle Torr, Gianni Lazzaro, Annie Cordy, Dave, l’accordéoniste Michel Pruvot, Monty, le Grand Orchestre du Splendid, Pierre Charby, Gigliola Cinquetti, Herbert Léonard et Danyel Gérard… Ne manquent à la liste annoncée que deux sacrées pointures, Jean-Jacques Debout et, pour cause de maladie, François Valéry.


Bien sûr, on en aime certains plus que d’autres, mais tous donnent le meilleur d’eux-mêmes.
Personnellement, j’ai particulièrement apprécié trois grands moments : l’interprétation a cappella et sans micro du Clown, la performance vocale de Dave dans La Décision sur un thème classique de Brahms avec un somptueux arrangement symphonique, et la version aussi délirante que classieuse de Macao par le Grand Orchestre du Spendid.


Voilà. Trois heures de spectacle, trois heures de partage, trois heures d’un bonheur simple et total… Le rideau se baissera définitivement (?) en juin.

vendredi 10 janvier 2014

Forever Gentlemen


Distribution (entre parenthèses, le nombre de participations)
Paul Anka (2), Dany Brillant (4), Corneille (2), Gad Elmaleh (2), Sofia Essaïdi, Elodie Frégé, Garou (2), Bruce Johnson (3), Gilles Lellouche, Philippe Lellouche (3), Emmanuel Moire (3), Vincent Niclo (3), M. Pokora, Damien Sargue (6), Sinclair, Roch Voisine (4)

En ces temps de morosité qui durent, qui durent, un seul domaine ne connaît pas la crise : le luxe.
L’album Forever Gentlemen fait partie de cette catégorie, les produits de luxe. Non pas pour son prix d’achat, mais pour son contenu. La pochette est explicite ; smoking ; chemise immaculée, nœud pap’… On ne peut pas distinguer si le personnage porte des boutons de manchettes, mais j’en jurerais. La classe quoi, la grande classe.
Il est vrai qu’on ne se moque pas de nous à tout point de vue.
D’abord pour ce qui est du choix des chansons. Que des énormes tubes ! Inutile de les énumérer tous les quinze, ce n’est que du lourd, du gravé dans nos mémoires, de l’intemporel absolu. C’est l’hydromel des dieux des crooners, un pur nectar pour les trompes d’Eustache délicates…


Et puis, il y a les interprètes…
On n’est pas surpris d’y retrouver des valeurs sûres, des artistes à la voix de velours comme Dany Brillant, Vincent Niclo, Roch Voisine… Pas étonnant non plus d’avoir fait appel à des pointures comme Garou et Sinclair. Sympa aussi d’avoir introduit de la sève dans ce cocktail avec Corneille, Emmanuel Moire, M. Pokora. Confirmation aussi du talent tout terrain de Damien Sargue… Ajoutez à cela une touche anglo-saxonne avec, excusez du peu, le très LasVegassien Paul Anka et le « TheVoicisé » Bruce Johnson.
Plus inattendue, mais tout à fait conforme à l’esprit du concept, la présence de Gad Elmaleh dans deux des titres les plus pimpants, New York New York et Singing in the Rain. En revanche, découvrir dans ce générique haut de gamme (au propre comme au figuré) les noms de Philippe et Gilles Lellouche, ça m’a interloqué. J’ignorais que ces bougres savaient aussi bien crooner. On ne nous dit pas tout…
Enfin, at last but not the least, au milieu de toutes ces voix viriles, chaudes et bien trempées, il fallait glisser une note de féminité, une once de glamour. A ce niveau, ces messieurs ont été plutôt gâtés avec la sensuelle Elodie Frégé et la piquante Sofia Essaïdi. La classe, je vous dis.


Bref, Forever Gentlemen est un album totalement réussi, tant au niveau des voix (impeccables) que des arrangements (somptueux). Je pense que les Américains vont en prendre un petit coup dans l’ego car, là, l’élégance à la française est une vraie valeur ajoutée.

Vivement la suite…