vendredi 22 octobre 2021

Assume bordel !

 


Les Enfants du Paradis

34, rue Richer

75009 Paris

Tel : 01 42 46 03 63

Métro : Cadet / Grands Boulevards

 

Ecrit et mis en scène par Pierre Palmade

Avec Benjamin Gauthier et Pierre Palmade

 

Présentation : Pierre et Benjamin s’aiment d’un amour fou depuis trois ans. Mais tout devient prétexte à engueulades et ils ne se parlent plus qu’en se disputant.

C’est l’amour vache ! Le fond du problème ?... Pierre n’assume pas vraiment d’être en couple avec un homme et, disons-le tout net, il n’assume simplement pas son homosexualité. Benjamin, militant convaincu pour la cause gay, n’en peut plus de devoir se cacher…

 

Mon avis : En se montrant quelque peu réducteur, on pourrait dire qu’Assume bordel ! est le prolongement de Ils s’aiment dans une version homo. Mais, en fait, Pierre Palmade va beaucoup plus loin car cette pièce est bien plus personnelle, plus intime, plus introspective.

 Que ce soit dans la vie, dans son autobiographie (Dites à mon père que je suis célèbre), dans ses pièces ou one man show (Le Comique, le fils du comique, Aimez-moi…) Pierre Palmade est d’une franchise désarmante. On dirait qu’il cherche en permanence à s’expliquer et à se montrer tel qu’il est au fond de lui-même. Il ne revendique aucune excuse, aucun jugement, aucun dédouanement. Il se contente de parler vrai, avec ses mots à lui, ses pirouettes, ses métaphores. Il déballe tout et, après, chacun en pense ce qu’il veut ; on ne peut pas le taxer d’hypocrisie.


L’hypocrisie, justement, s’il en use, c’est pour son personnage. La trame d’Assume bordel !, c’est la vie de couple à travers une vingtaine de saynètes qui, parfois, donnent lieu à de véritables sketchs. Comme dans tous les couples ordinaires, ils sont deux. Ils s’aiment visiblement, mais ils n’ont pas du tout les mêmes caractères. Tout au long de ces courtes scènes de ménage, on découvre leurs mentalités respectives.

Avec sa propension gourmande à l’autoflagellation, Pierre Palmade ne s’est pas donné le beau rôle. Dans un ping-pong verbal des plus réjouissants, il déroule, sans complaisance aucune, sa pusillanimité, ses atermoiements, ses blocages, sa lâcheté, mais aussi sa fragilité, son terrible besoin d’amour, sa réelle tendresse… Evidemment, cette complexité d’âme, lui permet de s’adonner à l’exercice dans lequel il excelle le plus : la mauvaise foi. Il assène à son compagnon les excuses les plus vaseuses qui soient avec un naturel confondant. Alors qu’on voit bien qu’il invente ses échappatoires au fur et à mesure, qu’il n’y croit pas lui-même une seconde, mais ça le rassure ponctuellement. Pierre est un fuyard de la réalité, un velléitaire. Il se voudrait plus droit, plus fort mais, à son grand désespoir, il n’y parvient pas.

 Le beau rôle, il l’a attribué à son partenaire. Benjamin, c’est un mec normal. Il est franc, direct, parfois cash quand il est trop outré ou trop malheureux. Il n’a aucun problème avec son homosexualité. Il en est même un fervent militant.

Photo : Coadic Guirec - Bestimage

L’opposition entre les deux hommes est donc croustillante. Leurs joutes verbales, entre un combattant sincère et fougueux et un champion de l’esquive, sont explosives. Les dialogues – autre grande qualité de Pierre Palmade – sont vifs, incisifs, cruels et, parfois aussi, comme dans la vraie vie, très crus. Le sens inné de la formule de Pierre fait encore son œuvre. Il a l’art des phrases et des répliques qui font mouche. J’en ai noté deux qui sont de véritables petites pépites. Une dans la bouche de Pierre : « Je ne suis pas fier d’être gay, je suis heureux d’être homo ». La seconde dans la bouche de Benjamin : « Sois
gay si t’es un homme ! »…



Bref, on passe un très bon moment à être les témoins amusés, attendris, voire émus, de ce duel d’un peu plus d’une heure entre deux hommes qui s’aiment sincèrement, mais dont l’équilibre et l’harmonie de leur couple sont sans cesse menacés par les tergiversations de l’un. En outre, cette pièce a l'avantage de rendre banale une situation amoureuse que l'on aurait pu qualifier de différente. Quelle que soit son orientation sexuelle, un couple reste un couple. Et pis c'est tout ! Pas besoin de ratiociner à l'infini...

Enfin, si Pierre Palmade est égal à lui-même, il faut saluer la prestation de Benjamin Gauthier, toujours juste, absolument convaincant et vraiment épatant dans ce beau personnage que lui a ciselé l’auteur de la pièce.

 Gilbert « Critikator » Jouin

 

 

mardi 12 octobre 2021

Lorsque Françoise paraît

 


Théâtre Lepic

1, avenue Junot

75018 Paris

Tel : 01 42 54 15 12

Métro : Lamarck-Caulaincourt

 

Ecrit et mis en scène par Eric Bu

Lumières de Cécile Trelluyer

Costumes de Julia Allègre

Scénographie d’Aurélien Maille

Musique et création sonore de Pierre-Antoine Durand

Chorégraphie de Florentine Houdinière

 

Avec Sophie Forte, Christine Gagnepain, Stéphane Giletta

 

Présentation : 1916. A huit ans, Françoise a une révélation : quand elle sera grande, elle sera médecin d’éducation ! Personne ne la prend au sérieux. Surtout pas sa mère, effrayée par cette enfant à la pensée si libre. Mais Françoise n’est pas seule, son Bon Ange Gardien veille sur elle et la soutient tout au long des épreuves de son enfance. Des épreuves que nous revivons avec eux, en remontant aux origines de la pensée de Françoise Dolto, et au gré de son regard d’enfant, à la fois si naïf et si clairvoyant…

 

Mon avis : Cette pièce est un pur bonheur !

J’étais à des lieues de penser que l’on puisse créer à partir de la vie de Françoise Dolto un vrai divertissement. Il faut dire que le mot « psychanalyse » n’est pas a priori très glamour. Et pourtant Eric Bu, son auteur et metteur en scène, a réussi la gageure de faire de Lorsque Françoise paraît un spectacle total, un spectacle dans lequel on passe par tous les sentiments, un spectacle où l’on est parfois ému et, surtout, où l’on sourit et on rit beaucoup.



Une mise en scène nerveuse, inventive, rythmée, des dialogues riches, incisifs et percutants, une bande-son intelligente et trois comédiens pluridisciplinaires absolument épatants, nous font vivre un grand moment de théâtre… Lorsque je qualifie cette pièce de « spectacle total », c’est qu’en plus de la part de comédie, on y a introduit d’autres disciplines telles que la danse, le chant, le mime, les accents.

Effectivement, les trois acteurs nous embarquent dans un véritable show. Il fallait de la part d’Eric Bu une sacrée force de conviction pour réussir à obtenir de ses comédiens une telle diversité, une telle palette de jeu. Je suis convaincu que Sophie Forte, Christine Gagnepain et Stéphane Giletta sont allés au-delà de son exigence tant ils sont performants. Il règne entre eux un profond esprit de troupe. Leur plaisir d’être ensemble et leur complicité sont tellement évidents qu’ils passent la rampe et nous emportent dans un beau moment de partage.

 


Dans le rôle de François Dolto, Sophie Forte se révèle carrément époustouflante. Elle s’avère aussi crédible en gamine de 8 ans qu’en vieille dame de près de 80 ans. Avec sa bonne bouille, sa voix et ses rires enfantins, son regard candide, elle nous fait comprendre combien l’enfance de François Marette a été loin d’être un long fleuve tranquille… Plus tard, devenue adulte, elle nous rappelle le caractère affirmé et la parole acérée de la Grande Dame de la psychanalyse pour enfants.


Christine Gagnepain (la mère, la fille, etc…) et Stéphane Giletta (le père, l’ange gardien, etc…) jouent à eux deux tous les personnages qui ont jalonné et accompagné la vie de Françoise Dolto. Là aussi, on assiste à une performance étonnante. Ils savent tout faire ! Stéphane Giletta possède en outre une réjouissante aptitude à prendre tous les accents. Grâce à lui, on croise les psychanalystes René Laforgue et Jacques Lacan, Jean Rostand, les animateurs radio et télé Jacques Pradel et Bernard Pivot, mais aussi Boris Dolto, le mari, et Carlos, l’un des deux fils. Un générique réellement haut de gamme !

Enfin, cerise sur le Dolto, j’ai eu le privilège d’assister à cette pièce dans le théâtre de l’Agoreine de Bourg-la-Reine, ville où résidait au début de 20ème siècle la famille maternelle de Françoise. Elle y repose d’ailleurs en compagnie de son mari et de son fils Carlos. C’était donc d’autant plus émouvant.

 Gilbert « Critikator » Jouin