vendredi 8 décembre 2017

Pierre Palmade "Aimez-moi"

Théâtre du Rond Point
2bis, avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Tel : 01 44 95 98 44
Métro : Franklin-Roosevelt / Champs-Elysées Clémenceau

Seul en scène écrit et interprété par Pierre Palmade
Mis en scène par Benjamin Guillard
Scénographie de Jean Haas
Lumières d’Olivier Oudiou
Son de Sébastien Trouvé

Présentation : Pierre Palmade a eu plusieurs vies, autant de grands écarts. Mais il revient aujourd’hui à la source de son art, à son amour de la scène en solitaire, à ses figures d’ébahis, de naïfs magnifiques ou de patriarches à la mauvaise foi bétonnée.
Il repart à l’aventure d’un tout nouveau spectacle ; sketchs, puzzle hilarant de figures humaines, galerie éclatée de portraits nourris à ses trente ans de carrière. Il revient, égal à lui-même mais grandi, toujours ahuri devant les folies des hommes, leur football, leur pouvoir, leurs scrabbles. Avec ses hanches qui se cassent, ses coups d’épaule, sa tête d’enfant, moineau tombé de haut, il reste abasourdi face aux absurdités de la vie. Buster Keaton de la parole, il accumule catastrophes et rires en cascades.

Mon avis : Mais oui Pierre, on t’aime ! Pas besoin de nous le demander encore. Ah, cet irrépressible besoin de se sentir sans cesse rassuré… Cet « Aimez-moi », c’est une plainte ou une exhortation ?

Pierre Palmade célèbre ses 30 ans de carrière et cela fait… 30 ans que je le connais ! Il n’avait que 19 ans quand je l’ai vu arriver à La Classe, dont j’étais parfois membre du jury pour les sélections. J’ai assisté à ses grands débuts au Point Virgule en 1989, et je l’ai interviewé pour la première fois fin août de la même année. Je me souviens avoir terminé mon article par ce jeu de mot approximatif : « C’est Palmade pour un début ! ». J’ai rencontré ses sœurs et plusieurs fois sa mère. On se croisait la nuit à l’Amazonial où il dînait souvent en compagnie de Jean-Marie Bigard, ou au Banana Café… Et, pendant plusieurs années, je l’ai régulièrement interviewé une fois par an, au rythme de ses nouvelles productions.


Pierre Palmade, je l’ai apprécié tout de suite. Il a apporté quelque chose de d’original, un type de personnage nouveau dans le monde de l’humour avec un univers si personnel. J’ai raffolé de son goût pour un non sense so British (ce devait être dans ses gènes car Bordeaux a été quasiment anglaise aux 14 et 15èmes siècles). Et puis, j’ai aimé l’homme, si attachant et irritant avec son mélange de doutes et de certitudes, ses maladresses, sa fragilité et sa fringale de vie. Bref, j’avoue faire partie des gens qui l’ont aimé, l’aiment et l’aimeront.

Je ne vois donc pas pourquoi, après trente ans de succès et d’aventures scéniques diverses, il s’inquiète encore de savoir si on l’aime. Hier soir, la grande salle du Rond Point était pleine à craquer. On ne se déplace pas un soir pluvieux et froid pour quelqu’un qui vous est indifférent. Le public vient par amour de l’humour si particulier de Pierre.
En plus, la promesse de le voir effectuer avec ce nouveau seul en scène une sorte de retour aux sources, un retour à ses fondamentaux, à savoir des sketchs mettant en présence toute une galerie de personnages, c’était tout à fait alléchant.


Effectivement, on retrouve le Palmade des débuts, mais avec l’expérience en plus, avec une parfaite maîtrise du jeu d'acteur et un peu plus d’assurance… Il attaque bille en tête avec une confidence complètement absurde qu’il veut nous faire candidement passer pour réelle : son enlèvement par un aigle à l’âge de 4 ans, ses deux années passées dans le nid du couple de rapaces et l’éducation qu’il y a reçue… Or, il réussit néanmoins à nous instiller un doute quant à la véracité des faits en nous affirmant que c’est au cours de ce stage aviaire qu’il a acquis, mimétisme oblige, sa curieuse tête d’oiseau. Si ça, ce n’est pas de l’autodérision !

Après un départ aussi extravagant, le ton est donné, il peut tout se permettre et nous entraîner dans un défilé de personnages tous aussi gratinés les uns que les autres ; certains revenant même plusieurs fois dans une sorte de running gag comme le bien barré Jacques Michelin. Cet hurluberlu reprend à sa manière la recette de « La Lettre », un sketch que Pierre avait écrit pour Muriel Robin. C’est d’une redoutable efficacité comique.

Sous des dehors de légèreté et de désinvolture, Pierre Palmade a l’art de glisser dans ses sketchs des situations et des propos qui donnent bigrement à réfléchir. Il introduit beaucoup d’humain dans son observation du monde qui l’entoure. Il adore jouer les étonnés alors qu’il est dupe de rien. Il s’amuse à analyser les méfaits d’une trop grande franchise (L’alcoolique, Myriam). Il aborde les difficultés de vivre en couple, surtout lorsqu’il y a un trop grand décalage entre les deux partenaires (Le Jeune). Il dénonce l’emprise maléfique qu’a sur nous la beauté. Il se complaît aussi, car il y excelle, à cultiver une vraie mauvaise foi (Plus de scrabble) ; etc, etc…


Ce spectacle est très homogène et plein de malice. Les sketchs sont plutôt brefs (il y en a une vingtaine). La mise en scène est impeccable car, en favorisant la suggestion, elle ne va qu’à l’essentiel. Et puis, j’insiste, derrière l’aspect parfois caricatural ou loufoque de certaines scènes, il y a beaucoup de sens. Avec Pierre Palmade, virtuose de la pirouette, il vaut mieux être équipé de lunettes double foyer car il y a presque systématiquement deux niveaux de lecture.

Enfin, quelques heures après le spectacle, il m’est soudain apparu comme évidente l’existence d’un message subliminal. Sur l’écran en fond de scène, on voit une lune qui grossit progressivement jusqu’à envahir l’espace. Bon sang, mais c'est bien sûr : Palmade, c’est l’ami Pierrot de la chanson ! En effet, c’est au clair de la lune qu’il vient nous prêter sa plume. Mais pas n’importe quelle plume, une plume d’aigle. D’un aigle fin. Fin comme lui.
Je suis désormais complètement rassuré : même s’il s’est souvent évertué de la brûler par les deux bouts, la chandelle de Pierre Palmade est bien loin d’être morte. Il a encore tellement de mots à écrire. Comme ça, on va encore pouvoir l’aimer un bon moment.

Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 1 décembre 2017

Noémie de Lattre "Féministe pour homme"

La Nouvelle Seine
Péniche sur berge
Face au 3, Quai Montebello
75005 Paris
Tel : 01 43 54 08 08
Métro : Saint-Michel

Tous les jeudis à 21 h 30

Ecrit et interprété par Noémie de Lattre

Présentation : Noémie de Lattre a des faux seins. Elle danse, change souvent de couleur de cheveux et écrit des lettres d’insultes aux gros cons des rues. Elle parle des hommes et des femmes, aux hommes et aux femmes ; elle parle de sexe, de carrière, de famille, de publicité et de quotidien. Elle porte des robes fourreau, des talons de 12 et des décolletés plongeants. Et pourtant, elle est féministe !
Elle, pour qui ce mot était synonyme de vieilles filles aigries à aisselles velues, va vous raconter comment elle en est arrivée là et comment ça va vous arriver à vous aussi…

Mon avis : Titré « Féministe pour homme », le nouveau seule en scène de Noémie de Lattre est un véritable manifeste (définition : « Déclaration publique par laquelle une personne expose un programme d’action ou une position, le plus souvent politique ou esthétique »). « programme d’action », « position », « politique » (dans le sens sociétal du terme) et « esthétique », ces quatre mots résument parfaitement ce spectacle. Il faut néanmoins préciser qu’il s’agit d’un manifeste festif car on y rit pratiquement tout le temps…

Lorsque nous pénétrons dans la salle située en proue de la péniche sur laquelle elle se produit, Noémie de Lattre est déjà sur scène… et sur Seine, évidemment. Vêtue d’une seule serviette de bain, elle s’apprête. Tout en se maquillant, elle nous accueille et devise avec nous, offre des bonbons et des « graines », papote… Ce n’est qu’après qu’elle ait effectué un très, très sensuel striptease à l’envers que le spectacle commence.


Tout de go, avec le franc-parler qui la caractérise, elle se proclame « féministe ». Et elle entreprend de nous expliquer comment et pourquoi. Tout en prenant garde de bien préciser qu’elle est « féministe, mais pas que »… Pas une seconde elle est dans la caricature. Et, surtout, elle ne se comporte pas comme une féministhérique, bien au contraire, car le moindre de ses propos est argumenté, étayé, illustré… Je crois que c’est ce que j’ai entendu de plus exhaustif sur la question. Noémie ne se ménage pas. Après avoir fait sa lascive, elle balaie large, époussette dans les coins, récure jusqu’à l’os, gratte où ça fait mal, passe et repasse sur les idées reçues et les stéréotypes (et ça ne fait pas un pli). Quelle corvée pour les éventuels machos et/ou misogynes qui se seraient aventurés innocemment dans la salle entraînés par une compagne ô combien maligne, voire perverse !


Pratiquant à profusion l’autodérision – elle parle beaucoup d’elle-même et ne se fait pas de cadeaux - Noémie de Lattre paie de sa personne avec une débauche d’énergie communicative. Qu’est-ce qu’elle bouge bien ! Elle nous sort des chorégraphies qui sont à la fois gracieuses, langoureuses et burlesques. C’est très agréable à voir. Ces virgules physiques sont là ou pour servir de transition ou pour aider à faire passer des propos qui peuvent heurter la gent masculine. Noémie n’exclut rien : la chirurgie esthétique, les inégalités hommes-femmes, le sexisme ordinaire, la Journée du Droit des Femmes, la femme dans l’univers du rap, l’exploitation de la femme dans la pub, l’ignorance du plaisir féminin avec, pour corollaire, avoir la jouissance de sa jouissance… Elle ne recule devant rien pour faire passer son message. Bref, c’est la quadrature du sexe. Et comme elle y va franco de porc (#), c’est même parfois du cash sexe.
Elle va jusqu’à nous donner, avec exemple concret à l’appui, une leçon d’anatomie et à se servir de plumes pour se mettre à poil. Plutôt gonflée la suffragette !


Noémie de Lattre est une super comédienne, elle occupe la scène avec une incroyable générosité mais c’est aussi une remarquable auteure. Ses mots sont précis, bien formulés, crus quand il le faut, son vocabulaire est riche, imagé, ses assertions sont hyper documentées. Elle se livre à une véritable master class. Son spectacle est intelligent, profond, et donne à réfléchir.

Enfin, si on passe 80% du spectacle à rire, à beaucoup rire, Noémie nous s’offre et nous offre deux parenthèses où le sérieux du sujet ne peut pas se prêter ne serait-ce qu’au sourire ou à la gaudriole : les difficultés d’être une femme au quotidien et une aussi effrayante qu’émouvante litanie de « Il ne faut pas que j’oublie… » que je vous laisse découvrir, écouter et digérer.

En conclusion, si j’ai tout bien compris le spectacle, entre la princesse et la pute, il y a tout de même de quoi trouver sa place. Même si ce n’est pas du goût des « putophages » ; et même si c’est loin d’être gagné. Courage et Respect, mesdames…
En prêchant un convaincu, Noémie de Lattre a fini de me conforter dans mes sentiments. Je ne vais pas me gêner pour claironner, en osant tirer l'affaire au Clerc : "Femmes, je vous aime !"...

Gilbert « Critikator » Jouin