Comédie des Champs
Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau /
Franklin-Roosevelt
Texte, mise en scène et chansons
de Pierre Notte
Costumes de Colombe Lauriot-Prévost
Lumières d’Aron Olah
Scénographie de Natacha Le Guen
de Kerneizon
Avec Bernard Alane (le père), Romain
Apelbaum (Nathan), Brice Hillairet
(Tonio), Sylvie Laguna ou Marie-Christine Orry (la mère), Chloé Olivères ou Juliette Coulon (Geneviève)
L’histoire : Farce féroce autour de Noël : la famille
explose en vol, le tout fait des étincelles. Pierre Notte s’empare de notre
rite judéo-chrétien préféré. Et c’est un carnage.
Les guirlandes débloquent, les
plombs sautent, la grand-mère disparaît. On attend Noël, on espère la paix sur
la terre et l’accalmie en famille. Rien de vient. Le père installe les boules
du sapin et refuse la faveur sexuelle que la mère lui offre. Ça commence mal ;
ça ne finira pas mieux…
Mon avis : Ouille, ouille, ouille… Quelle pièce ! Quels
dialogues ! Quelles prestations d’acteurs !
C’est Noël tant pis… Dans ce titre, tous les mots sont importants. « Noël »,
d’abord. C’est la fête familiale par excellence, le jour où les hommes de bonne
volonté sont censés faire la paix (du moins selon saint Luc). Or, là, nous serions
plutôt dans l’évangile d’André Gide : familles,
je vous hais ! C’est dans cet esprit qu’intervient le fameux « tant
pis ». En effet, là où les ressentiments devraient faire une pause au
profit des beaux sentiments tels que l’amour filial et l’amour dans le couple,
c’est tout le contraire qui se produit. On apporte les cadeaux et les victuailles,
mais ils sont empoisonnés. On devrait se dire des mots doux, mais on choisit
les invectives. Ce devrait être une belle fête de famille, mais ça prend le
chemin d’une défaite de famille… Alors, tant pis. Ce sera mieux la prochaine
fois.
Le ton est donné dès le début. Le
père qui tente maladroitement de décorer le sapin se fait encore plus
enguirlander que le conifère. Devant son refus de succomber à une petite
gratification sexuelle, la mère, un tantinet humiliée, ouvre grand les vannes
de la récrimination et des reproches. Le ton est acerbe, les mots sont trempés
dans du vitriol… Ce sont donc un père indécis, bougon et lunaire et une mère
acariâtre et querelleuse que découvrent à leur arrivée les deux garçons du
couple, Nathan et Tonio ainsi que l’épouse de ce dernier, Geneviève, surnommée
aimablement « la pièce rapportée ». La simple scène de ménage du
début se métamorphose en empoignade collective. Rien ni personne n’est épargné.
L’expression « laver son linge sale en famille » prend ici tous son
sens et tout son sel. Ou plutôt son poivre tant les propos sont violents.
En plus, la mère de la mère est
au plus mal. On est plus proche d’un trépas annoncé que de la fête de la
Nativité. D’autant que qui dit décès pense héritage. L’appât du gain exacerbe
encore plus les dissensions. Les règlements de compte se multiplient. Ça tourne
au jeu de massacre. Il n’y a plus une once de tendresse. C’est le désamour en
héritage. Les mots sont féroces, perfides, cyniques. Lorsqu’on a un reproche (souvent
très futile) à faire à quelqu’un, on le lui assène une première fois, puis on y
revient, on touille, on avive la plaie. C’est insupportable pour la personne
visée. On en arrive tout logiquement à un paroxysme d’agressivité. Cris, insultes,
courses-poursuites, jets de projectiles… Tout est bon pour se comporter méchamment.
Et pourtant… Peut-être faut-il
réussir à vider d’abord sa bile, son fiel, son aigreur pour nettoyer son cœur.
Et, une fois qu’on y a fait place nette, on redécouvre ce diamant pur qu’est l’affection.
Et puis surtout, peut-être faut-il en venir à la pire extrémité, au point de
non-retour du désespoir pour réaliser combien on tient à ses proches. Au sens
propre comme au figuré on peut dire que ça dépend d’un électrochoc.
C’est Noël tant pis est une pièce où un humour noir et grinçant
mais jubilatoire règne en maître. Son thème va bien au-delà du conflit des
générations. Il traite des rapports humains en général, mais dans cette cellule
la plus réduite et la plus synthétisée qu’est la famille… Les dialogues les
plus vachards et les situations les plus cataclysmiques sont servis par un
quintette de comédiens absolument remarquables. Second degré, hypersensibilité,
exaltation, ils savent tout faire passer. Sur le plan de la composition, c’est
du très haut niveau. On hurle de rire et, à la seconde suivante, on est étreint
par l’émotion. Bien sûr, il faut être ouvert et disponible pour goûter à sa
juste valeur cette fable truculente et passionnée. Car le plat principal de ce
Noël-là, c’est une dinde fourrée à l’explosif…
Gilbert « Critikator »
Jouin