mardi 26 mars 2019

Larry Benzaken "Journal d'une banalité extraordinaire"


Seul en scène écrit et interprété par Larry Benzaken
Mis en scène par Perrine Blondel

Présentation : Dans Journal d’une banalité extraordinaire, Larry invite le public dans l’intimité de son quotidien : celui d’un jeune écrivain.
Ses tribulations mènent les spectateurs dans les artères de Paris, au milieu des chanteurs de rues, à la terrasse des cafés, ou encore dans le métro…
Dans un spectacle où la poésie émane de situations banales du quotidien, le spectateur sera au plus près de la conception d’une œuvre littéraire.

Mon avis : Déjà, un spectacle qui commence avec Georges Brassens interprétant J’ai rendez-vous avec vous me met personnellement dans les meilleures dispositions.
Larry Benzaken est visiblement ému d’avoir « rendez-vous » avec nous. Il ne nous fait pas lanterner. Tout de suite, il annonce la couleur : il a toujours rêvé de devenir écrivain. Dès les premiers mots, dès les premières phrases, on sent l’amoureux du verbe. Avec un vocabulaire riche et imagé, il nous raconte son quotidien. Un quotidien évidemment tout entier consacré à l’écriture. Ce besoin de noircir des pages est obsessionnel, quasi mystique. Mais Larry ne tombe jamais dans le piège du lyrisme ou du superfétatoire, il a trop de recul, trop de lucidité, trop d’autodérision surtout.
Attentif du monde qui l’entoure, il se complaît à observer les gens, particulièrement les femmes. En fonction de leurs attitudes, il essaie d’imaginer ce qu’elles ressentent et, partant, de reconstituer leur vie. Il fantasme ; il fantasme grave. Ô il ne leur invente pas une existence particulièrement intense et passionnante. Au contraire, ainsi que le titre de son second one man show l’indique, il leur concocte une vie « banale », celle de mesdames toulemonde.


Larry a ses habitudes dans un bistro. Il y possède SA table convertie à la fois en poste d’observation et en écritoire. Une bande-son judicieuse nous permet d’en savourer l’ambiance et d’assister à ses échanges avec le serveur. La principale cible de ses fantasmes, c’est Justine. Il la scrute, épie la moindre de ses attitudes, tente de traduire ses sentiments. Il lui crée une identité : c’est une femme divorcée qui donne rendez-vous à son ex dans l’établissement pour procéder à l’échange de leur gamin une semaine sur deux. Ça lui suffit pour échafauder toute une histoire…

Larry Benzaken est une sorte de Don Quichotte romantique dont la lance serait un stylo. Certes, il ne combat pas les moulins, il combattrait plutôt sa propre nature. Son ambition première est de se repaître d’art. Et de mots. Et d’images. On comprend qu’il soit attiré autant par le théâtre que par le cinéma. Il a trop besoin de métaphores. Le texte de son spectacle est foisonnant, chatoyant, très descriptif. Il passe habilement de la poésie pure au jeu de mot. J’en ai rarement entendu d’aussi bons. J’ai bu du petit lait en l’entendant affirmer : « Bien que n’étant pas économe, j’épluche les offres d’emploi »… Je ne suis pas sûr que tout le monde ait saisi cette subtilité. Il utilise aussi énormément le name dropping. On croise tout de même dans sa vie banale des illustres personnages comme, entre autres, Chopin, Fragonard, Picasso, Houellebecq, Wolinski, Proust, Gainsbourg, Rimbaud, Pasolini, Godard, mais aussi… Loana et Booba.


Le garçon est simple, normal, touchant. Sa routine n’a rien d’extravagant. S’il ne se contentait pas de son sort (« Je mange à ma faim et j’écris tous les jours ») il pourrait passer pour un loser magnifique… En fait, il est plus fataliste que résigné.

Même si l’on sourit beaucoup, le Journal d’une banalité extraordinaire (faire jouxter « banalité » et « extraordinaire » est un magnifique oxymore) n’est pas vraiment le spectacle d’un humoriste pur mais plutôt celui d’un conteur drôle et léger, voire d’un griot. On est réellement captivé par sa façon d’être, par son naturel, et par la qualité rare de son texte. Un texte qu’on aimerait pouvoir lire tant il est dense et riche. Et aussi pour en posséder toutes les ramifications et les digressions qui l’amènent à la fin – magistrale – de son histoire. Quelle réjouissante pirouette !
Avec lui, qu’importe le flacon pourvu qu’on l’ait livresque !

Je ne sais pas où Larry Benzaken va se produire prochainement – sa prestation hier soir au théâtre de Dix Heures était un one shot, un showcase – il faudra donc le guetter. Vous ne le regretterez pas.

vendredi 22 mars 2019

Le Graal des Humoristes "Histoire du Point Virgule"


Editions Riveneuve / Archimbaud
18 €

Sortie le 23 mars 2019

Une fois n’est pas coutume, je m’autorise sans vergogne à me livrer à une « auto-critique » pour évoquer la sortie de mon 21ème livre, Le Graal des Humoristes.
Surnommée à juste titre « La plus petite des grandes salles parisiennes », le Point Virgule a ouvert ses portes le 24 avril 1978. Ce local, qui était auparavant une menuiserie, a alors fait feu de tout bois en offrant ses planches aux humoristes en herbe. 40 ans plus tard, l’endroit est devenu mythique et son nom, un véritable label.


J’ai embrassé le métier de journaliste en 1986. Très vite, pour l’humoureux transi que je suis, le Point Virgule est devenu un de mes lieux de prédilection. Epoque bénie, car j’ai ainsi pu y assister aux tout débuts de Jean-Marie Bigard, Pierre Palmade, Chantal Ladesou, Jean-Jacques Devaux, Collier de Nouilles, Christophe Alévêque, Patrick Adler, Mathieu Madénian… J’ai été invité par Eddie Barclay à la toute première représentation d’Elie Kakou ; j’ai été témoin du premier show case de Panayotis… Je les ai toutes et tous interviewés. De jolies et durables relations humaines se sont forgées. J’ai eu le temps de connaître et d’apprécier Christian Varini, l’ange-gardien du lieu. J’ai même écrit des parodies pour Patrick Adler.
Et, comme tout le monde, je me retrouvais de l’autre côté de la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie au Rendez-vous des Amis où Madame David nous accueillait avec une bienveillance toute maternelle.


Je nourris donc une tendresse toute particulière pour cette petite serre dont le terreau ô combien fertile a permis l’éclosion de la fine fleur du rire et au blé en herbe de germer en épis… phénomènes.
Ces 40 ans d’existence ont entraîné 40 entretiens. Je n’ai rencontré que de l’enthousiasme de la part de tous ceux qui ont été appelés à raconter leur relation avec ce théâtre, une relation qui s’apparente en fait à une très intense histoire d’amour. Ce livre est constitué de tranches de vie. Il décrit des parcours tant humains qu’artistiques.
S’il n’est question que de passion tout au long de cet ouvrage, il s’en dégage aussi une kyrielle de beaux sentiments comme la fraternité, l’humilité, le désintéressement ; et il fourmille d’anecdotes drôles et émouvantes.
En conclusion, le fil rouge qui relie ces 200 pages du Graal des Humoristes, c’est sa profonde humanité.

samedi 16 mars 2019

Les Sphères ennemies


A la Folie Théâtre
6, rue de la Folie-Méricourt
75011 Paris
Tel :
Métro : Saint-Ambroise

Vendredi et samedi à 21 heures
Jusqu’au 1er juin

Ecrit par Jean-Baptiste Thomas-Sertillanges
Mis en scène par Alexis Berecz

Avec Jean-Baptiste Thomas-Sertillanges et Olivier Teillac

Présentation : Jo Latrick, primaire, impulsif, cynique, aime chasser la gazelle… Nathan Lafleur, romantique, idéaliste, protecteur, aime cueillir les coquelicots… Tout les oppose, mais ils sont copilotes dans le même cerveau… Et quand ils rencontrent la femme de leur vie, le duo de chasseurs-cueilleurs va devoir trouver un terrain d’entente pour la conquérir.

Mon avis : J’avais déjà exprimé mon avis et, surtout, mon enthousiasme, à propos de cette pièce que j’ai découverte fin janvier 2018… A l’occasion de sa reprise ce soir, il me paraît faire œuvre utile en la recommandant de nouveau avec la plus intense chaleur.
Les Sphères ennemies est une pièce vraiment originale, et dans son sujet et dans sa façon de le traiter et dans la manière de le jouer. Le postulat de départ est totalement inattendu car nous sommes les témoins de ce qui se trame dans le cerveau d’un homme et, plus précisément, dans ses deux hémisphères, le gauche et le droit. Quelle idée !

On va donc assister pendant une heure et demie (que l’on ne voit pas passer) à la rivalité qui oppose Jo et Nathan, les deux moitiés de l’encéphale de Jonathan. Dans un décor ingénieux qui fait penser à l’univers de Jules Verne ou au laboratoire d’un savant obligatoirement fou, les deux adversaires, pour qui cette cohabitation forcée est insupportable, vont s’affronter avec les armes et les arguments qui leurs sont propres. Cet antagonisme va donc donner lieu à des joutes verbales savoureuses. Leurs chamailleries sont incessantes parce que tout les oppose. Jusqu’au jour où…


Jusqu’au jour où ils vont rencontrer Mary-Jane… Le coup de foudre frappe simultanément Jo et Nathan. Leur petite routine schizophrénique va s’en trouver toute chamboulée. Leurs principes et leurs certitudes vont être remis en question. Dès lors il ne s’agit plus que de circonvolutions stratégiques. Lequel de Jo ou de Jonathan possède les meilleurs atouts pour emporter le cœur de la belle ? Ou bien, plutôt que de s’opposer, ne vaudrait-il pas mieux unir leurs forces pour la conquérir et la séduire ?

Voilà, vous n’en saurez pas plus. Vous vous DEVEZ d’aller assister, de préférence en couple, mais aussi entre copines, à ce combat intérieur homérique.
Cet excellent divertissement, remarquablement intelligent, est spirituel, drôle, émouvant, plein d'inventivité(s) et superbement interprété.

A l'époque, je concluais ma critique à peu près en ces termes : « Cette remarquable étude de l’intellect masculin dans ses pulsions et ses fantasmes est si précisément décrite – et sans complaisance aucune – qu’elle peut permettre aux femmes de mieux nous comprendre, nous les hommes, pauvres diables (pour paraphraser Julio Iglesias).
Cette pièce contient donc une valeur pédagogique indiscutable pour une meilleure compréhension dans la relation homme-femme.

Gilbert « Critikator » Jouin