Polydor / Universal Music
France
Salvatore Adamo est de
retour avec Si vous saviez… un album
annoncé comme étant son 25ème enregistré en studio. C’est bizarre,
j’en compte personnellement une dizaine de plus. Bof, on ne prête qu’aux
riches…
Sur la pochette, il pose
presque comme un parrain de la Mafia sicilienne. Je dis bien
« presque » car s’il est vêtu d’un costume et d’une chemise noirs,
deux détails sautent aux yeux : son pied gauche déchaussé dévoile une
chaussette d’un rouge écarlate et son pan de veste écarté laisse apparaître une
bretelle de la même couleur. Beaucoup de choses sont dites à travers cette
superbe photo. Il y a d’abord un mélange recherché de sérieux et de fantaisie. Sur
son visage presque impassible, on distingue une lueur espiègle dans le regard
et le léger sourire entendu de celui qui n’en pense pas moins. C’est vrai qu’il
a l’air de nous dire « Si vous saviez… ». Si vous saviez l’homme que
je suis réellement. Longtemps catalogué d’artiste lisse, gentil, poli, bien
élevé – rassurez-vous, il est et sera toujours un modèle de courtoisie et de
bienveillance – Salvatore Adamo a petit à petit affiché un côté rebelle. Il
demande certes parfois la permission, mais cela ne l’empêche pas de dénoncer
certains dysfonctionnements, certaines injustices, certaines incohérences dans
le monde qu’il entoure. Il y a du reporter en lui ou, plutôt, du rapporteur. Il
se veut témoin de son temps. Il a, de plus en plus souvent désormais, eu envie
de poser un doigt accusateur là où ça fait mal et de titiller. De même qu’il a
de plus en plus souvent montré un sens aigu de l’humour, sa facette
facétieuse ? Chez lui, l’autodérision est chronique et il a acquis en
vivant en Belgique cette propension à l’absurde si vivace outre-Quiévrain.
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Photo Belga/AFP |
Beaucoup plus Mister
Jekyll que Mister Hyde (heureusement), Salvatore Adamo n’a plus peur d’affirmer
sa complexité, ses dualités, ses faiblesses, de même qu’il exprime ses
engagements, ses indignations et ses enthousiasmes. Il faut beaucoup de temps
pour devenir l’homme que l’on est vraiment. Et quand on est artiste, la route
est encore plus longue car distraite par une multitude de chemins de traverse
et freinée par l’adulation que l’on vous porte et les multiples tentations.
Aujourd’hui, Salvatore a atteint son point d’équilibre. S’il lui faut toujours
plaire et séduire (professionnellement s’entend), il n’a plus rien à prouver.
Il apparaît comme un homme libéré de toute contrainte, de toute affectation, de
toute hypocrisie. Cette libération se retrouve dans son écriture. Il n’a jamais
eu autant de mots à dire. Sa plume, au lieu de se tarir avec l’âge, n’a jamais
été aussi prolifique. Lisez ses textes. Ils sont si travaillés, si forts, qu’on
pourrait aisément occulter la musique. Mais Adamo est chanteur, Italien de
surcroît. Comment, pour lui, imaginer une vie sans musique, sans mélodies, sans
ces petites touches de couleurs qui habillent ses textes et les renforcent.
Alors, parlons-en de cet
album et de ses « ada-mots ».
Je ne veux pas me livrer
comme j’en ai l’habitude à une analyse quasi clinique. Je préfère en dessiner
les grandes lignes de façon à ménager à l’auditeur à la fois le plaisir de la
découverte et un espace pour son imaginaire. Je l’ai écouté au casque cet
album. C’est préférable car on peut en saisir toutes les nuances car, si les
mots sont forts, les musiques et les arrangements sont subtils, taillé, c’est
le cas de le dire, sur mesure(s).
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Photo Belga/AFP |
Voici donc, titre par
titre, l’écume de mes impressions.
1/ Je te chanterai la chanson.
Ce titre est, pour moi, l’équivalent de l’Utile
de Julien Clerc. Elle évoque le pouvoir insidieux d’une chanson. Adamo n’est
dupe de rien. Il console les gens en répandant de la « poudre aux
yeux ». Cette poésie qu’il prône face à la violence agit comme un baume ?
C’est que l’on peut appeler « un effet placé beau »…
2/ Un rêve. Cette chanson
complète et développe la précédente. Elle exalte la force et le pouvoir du
rêve. « I made a dream »… Le rêve est une petite graine qui, un jour,
par la volonté d’un être d’exception, peut germer. D’où l’importance du name
dropping ou plutôt ici, c’est malin, du first name dropping car Salvatore
ne cite que des prénoms de ces personnes qui ont fait de leur rêve une œuvre.
Certains rêves sont constructifs mais il ne faut jamais les confondre avec
l’utopie.
3/ Sans toucher terre. Elle
est diablement finaude cette chanson avec son double niveau de lecture. C’est
l’histoire d’un transfert à l’envers. Ou comment une personne a priori
défavorisée, une migrante, réussit avec son seul sourire à redonner un sens à
la vie d’un nanti.
4/ Juste un « Je t’aime ».
D’abord, on constate avec ce duo combien Camille chante bien ! Il y a d’un
côté sa voix cristalline, fragile qui s’entrelace à merveille avec celle,
chaude et rassurante de Salvatore. Du nectar pour les trompes d’Eustache… Cette
chanson exprime combien il est important de se dire « Je t’aime ».
Même si c’est éphémère, il faut le dire, ne pas le garder pour soi. Ce doit
être une immédiateté.
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Photo Philippe de Poulpiquet |
5/ Si vous saviez… C’est le
contraire des Passantes de Georges Brassens car, ici l’objet de tous les
fantasmes est statique. C’est l’histoire d’une non-rencontre. Le désir est non
exprimé pour ne pas effaroucher la belle. L’audace n’est qu’intérieure… Cette
situation prend tout son sel dans le contexte actuel de la croisade
« Balance ton porc ». Là, il n’y a pas de risque de mauvaise
interprétation.
6/ Méfie-toi (Y’a pas plus gentil
que moi). Il ne faut pas se fier à la bonne réputation, à l’image de
l’homme idéal. La musique est aussi espiègle que ce texte en forme
d’autocritique. Il en dit beaucoup sur lui : « Je suis
multiple », « Je ne suis pas celui qu’on voit »… Il a
« brisé des cœurs » malgré lui (!) mais il été « toujours de
bonne foi ». Ça sent un peu la schizophrénie, non ?
7/ Le pianola. Quelle jolie
historiette empreinte de mélancolie sur la vanité de l’état de pianiste de bar
qu’un regard suffit à bouleverser. C’est le bon, la brute et la belle. Imparable
cette rime riche entre « bar » et « malabar ». A écouter le
désarroi de ce gentil musicien, on a tellement envie que ça se termine bien…
8/ Nu. « Nu »
comme Nu… mérique ? Big Brother nous regarde et nous espionne. Tout le
monde surveille tout le monde. Big Data est liberticide. On s’achemine
inexorablement vers la pensée unique. Le vocabulaire est envahi de nouveaux
mots issus de l’informatique. Nous vivons une véritable révolution… A noter la
beauté des rythmes africains et des chœurs. C’est peut-être ma chanson
préférée.
9/ Tes chaînes. Confidences d’un homme heureux de sa
servitude, qui l’assume et la réclame. Il faudrait inventer le mot masculin
pour « odalisque ». Il va même jusqu’à faire acte de contrition. Un
abandon de soi qui confine au sacrificiel.
10/ Toujours, forever… Parfum
de nostalgie. Le temps « doré » de la jeunesse est idéalisé. La
tendresse, l’amour, les délicieux frissons sont magnifiés par le prisme
déformant du souvenir. Bien des années plus tard, on sait que ça a existé, mais
la « fièvre » est retombée et il ne subsiste qu’une « belle
illusion ». « On survit comme on peut »…
11/ Et tant d’amour. Deuxième
chanson du triptyque Nostalgie. Elle se rattache à la précédente. Promenade
dans le temps passé. Là aussi tout est idéalisé. Les coutumes, les costumes, la
courtoisie, les relations simples. Les valeurs, quoi ! Et tellement,
tellement d’amour… C’est ma deuxième chanson préférée. Ce doit être une
question d’âge, une fraternité dans le vécu…
12/ Ma mère disait. La
nostalgie, suite et fin. Une magnifique déclaration d’amour filial. Quand le
« rire » est un « soleil » on ne peut qu’être ébloui par
tant de tendresse et de bienveillance. Qu’ajouter de plus ? Il n’y a qu’à
écouter.
13/ Racines. Tout est dans le
titre. Même s’il avoue s’être « perdu dans l’ennui de l’Olympe »,
Salvatore Adamo est toujours resté fidèle à ses origines siciliennes. Soixante-dix
ans se sont écoulés mais l’enfant prodigue jette encore « derrière ses
vitres fumées » un regard enamouré sur la terre de ses ancêtres. Le temps
lui semble s’être un peu figé, mais la vie est restée simple et saine. Les gens
se parlent beaucoup, les hommes pérorent, les femmes s’en amusent et les gosses,
qui « n’ont pas changé » ont les mêmes rêves que lui quand il était
enfant. Bien rassurant, tout ça…
Gilbert "Critikator" Jouin