dimanche 28 avril 2019

Pierre Palmade "Dites à mon père que je suis célèbre"


Autobiographie écrite avec la collaboration d’Eric Libiot
Editions Harper Collins
202 pages + cahier photos
19,00 €

Sortie le 2 mai 2019

Présentation : C’est l’histoire d’un homme qui voulait être aimé par tout le monde.
Qui va être happé trop tôt par le show-business.
Qui va s’afficher tout sourire devant le public pour mieux se cacher dans les ombres de la nuit.
Qui va s’y brûler… pour suivre aujourd’hui un chemin plus serein…

Mon avis : Ce livre est à l’image de Pierre Palmade, il est d’une sincérité désarmante.
Sous-titrée « Ceci est mon histoire », cette autobiographie couvre cinquante ans de la vie de Pierre Palmade, de sa naissance, en 1968, à aujourd’hui. Il s’y livre avec une totale franchise. On sent, dès les premières lignes, que la rédaction de cet ouvrage était pour lui une nécessité impérieuse ; pour de multiples raisons. Même si l’on pouvait penser bien connaître l’artiste à travers une œuvre originale et foisonnante, et l’homme à travers ses confidences dans les médias et, surtout, à travers des agissements qui ont souvent défrayé la chronique.


Pierre Palmade coupe court à toute supputation. Tout au long de ces 200 pages, il balance. Il SE balance. Le moment était venu pour lui de se retrouver face à lui-même et de révéler au grand jour tout ce qui était « planqué sous la couverture ». Alors, il dit tout avec une honnêteté absolue. Il s’auto-analyse méticuleusement avec une volonté affirmée de « transparence » qui aurait pu s’avérer destructrice si elle n’avait pas été tempérée par la première de ses dispositions naturelles, « l’autodérision ». Il n’élude rien.

Pendant trente ans, en gros de 20 à 50 ans, Pierre Palmade, « mégalo de naissance », s’est construit un personnage paradoxal et ambigu. Mélange de candeur et d’orgueil, de force et de vulnérabilité, de partage et de suffisance, mais d’une lucidité impressionnante. Pour synthétiser, son accomplissement personnel a été en permanence altéré par trois problèmes essentiels de gestion : la gestion de la célébrité, la gestion de son homosexualité, et la gestion de la mort prématurée de son père. Rien que du lourd !

Précoce et hyperactif, doté d’un sens très aiguisé de l’observation, il a eu très tôt conscience de son talent hors norme et de sa capacité à faire rire. La plus imparable des armes de séduction. Il n’a jamais douté de lui et de sa réussite. Raison pour laquelle il a quitté Bordeaux, terrain de jeu trop étriqué pour lui, pour venir à la conquête de Paris, la ville aux 130 salles de théâtre et, surtout la ville où il pourra rencontrer ses deux idoles, Jacqueline Maillan et Sylvie Joly… Il n’aura guère le temps de douter car il rencontre coup sur coup Sylvie Joly, Muriel Robin et Chantal Ladesou et… le succès. C’est fulgurant.


Il s’étourdit, s’enivre de tout : de travail, de rencontres, d’alcool, de sexe et, enfin, de coke. Il côtoie les célébrités, il gagne de l’argent et il jouit d’une santé formidable. Il décrit tout cela à grands coups de révélations (« J’ai eu le melon entre 20 et 30 ans »), il n’a qu’une idée en tête, « faire la bringue ». Pendant 30 ans, il entretient une routine nocturne « lamentable » en se consacrant à ce qu’il appelle son « tiercé perdant : la baise, l’alcool, la drogue »... Dans ce livre où il se dévoile sans tabou, il pratique une sorte de naturisme confidentiel : ni cache-cœur, ni cache-sexe.

Dans ces confessions sans concessions, il aborde le meilleur et le pire. Le meilleur : « Je sais que j’ai du talent », « Je suis une entreprise de séduction », « Je suis un dandy », « Je suis très orgueilleux », « Je suis totalement midinette » (il dit par là qu’il a su garder sa capacité d’émerveillement), « Je n’ai pratiquement jamais connu l’échec »… Puis, sans complaisance aucune, il évoque ses addictions (qu’il résume à un laconique « quand je déconne » qui ouvre la porte à tous les excès) : « Ce poison (la coke) a gâché une grande partie de ma vie »… Aujourd’hui, à 50 ans, il est conscient d’avoir frôlé l’abîme : « Je suis un miraculé, un survivant ».

Et l’amour dans tout ça ? Il en parle. Il en parle énormément. Hélas, encore une fois, ce sentiment est phagocyté par le drame qui a conditionné son existence : la perte de son père quand il avait 8 ans. Depuis, il a peur en permanence de perdre l’être aimé. Il est incapable d’entretenir une relation durable et comme il craint d’être abandonné de nouveau, il préfère être celui qui quitte. Pas simple à gérer tout cela.


Je pense que la rédaction de ce livre était un passage obligé pour Pierre Palmade. En fait, il l’a écrit pour lui. Pour se mettre SA vérité en face. Ses ombres, ses lumières, ses muses, ses démons, ses succès, ses dérives, tout y est dûment consigné. Une chose est certaine : il se connaît parfaitement et il sait ce qu’il doit faire. Une phrase résume à elle seule où il en est psychologiquement aujourd’hui : « Je me sens mieux parce que j’assume de ne pas être normal »… 
Assurément, Pierre Palmade est Trop. Trop doué, trop différent, trop boulimique, trop excessif, trop en demande, trop sûr de lui, trop vulnérable, trop agaçant, trop attachant…

Délibérément hors mode, « plus spirituel que comique », il est l’enfant brillant et turbulent qu’auraient pu adopter Sacha Guitry et Oscar Wilde. Mais il est avant tout unique… Personnellement, lorsque j’ai refermé ce livre lu d’une seule traite, touché par autant de sincérité, j’ai eu envie de l’aimer encore plus…

mercredi 24 avril 2019

Eliane Arav "Théâtre au sang"


Roman policier
Editions Le Chant des Voyelles
340 pages
19 €

Présentation : Un crime au théâtre, cela n’arrive pas tous les jours ; surtout quand la victime tombe des cintres sous les yeux effarés du public ! Où est donc passée l’actrice principale de cette pièce de Beckett, l’excessive et capricieuse Tessa Saguine ?
Flic d’astreinte au théâtre Charles Victor le soir du crime, le commandant Didaille aura bien du mal à démêler le vrai du faux.

Mon avis : Théâtre au sang est un excellent polar qui vaut non seulement pour son intrigue mais qui se distingue également par la qualité de son écriture.
Amoureuse du théâtre et tout autant des mots, Eliane Arav nous livre un ouvrage d’une grande qualité. Son écriture est riche, foisonnante, très imagée. Elle possède vraiment un style personnel qui mêle habilement l’académisme et la truculence avec, ça et là, une petite dose de cynisme, un zeste d’humour noir souvent féroce et quelques pincées de mots crus. Quand il le faut, Eliane Arav, qui se complaît à saupoudrer ses phrases de métaphores audacieuses mais réjouissantes, appelle un chat un chat (on peut d’ailleurs noter la présence de nombreux félins dans cet ouvrage). Bref, c’est un peu comme si Agatha Christie s’était entichée de Léo Malet et de Frédéric Dard !

Eliane Arav (photo Jean-Marc Demarie)
 Théâtre au sang nous plonge dans le monde du théâtre. On suit l’enquête du commandant de police Didaille, lui-même épris de théâtre, avec énormément d’intérêt. On y croise une bonne trentaine de personnages particulièrement pittoresques et hauts en couleurs. Les principaux protagonistes de cette sombre affaire sont en effet fort bien dessinés tant physiquement que psychologiquement. Le monde du théâtre est un milieu très fermé. De la directrice de la salle aux acteurs vedettes en passant par les techniciens, on y pratique l’entre-soi. Il s’y côtoie, comme dans tout groupe humain, autant de grandeur que de petitesse et de narcissisme. On y consomme aussi énormément d’alcool !

Ce livre nous embarque vraiment. Eliane Arav adore nous emmener sur des chemins de traverses, nous amuser avec de savoureuses digressions, nous décrire les tribulations amoureuses de Didaille… Evidemment, en parfaite harmonie avec le titre, l’intrigue comporte de nombreux « coups de théâtre » avant de nous conduire au dénouement qui est machiavélique à souhait.
Une chose est certaine, Théâtre au sang ferait un excellent film ou téléfilm.

Anne Roumanoff "Tout va bien !"


L’Olympia
28, boulevard des Capucines
75009 Paris
Tel : 08 92 68 33 68
Métro : Madeleine / Opéra / Auber

En tournée jusqu’au 18 juin 2020

Seule en scène écrit et interprété par Anne Roumanoff

Présentation : Anne Roumanoff revient avec un tout nouveau spectacle : « Tout va bien ! »
Tout va vraiment bien ? Au menu, les réseaux sociaux, Emmanuel Macron, le politiquement correct, les femmes divorcées, la start-up nation, les sites de rencontres, le culte de l’apparence…

Mon avis : A chaque fois que j’assiste à un spectacle d’Anne Roumanoff – et je pense les avoir pratiquement tous vus -, il me vient, pour en parler, l’irrésistible réflexe de paraphraser Paul Verlaine : « Une femme qui n’est chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre »… En effet, à chacun de ses seule en scène, Anne Roumanoff réussit à se renouveler intégralement sans pour autant changer de style et de ton. Bien sûr, elle a évolué, elle évolue et elle évoluera toujours car elle est un témoin curieux et avisé de son temps. Cette stakhanoviste d’Internet et des réseaux sociaux passe une grande partie de ses nuits sur la Toile à fureter, à s’informer. C’est dans cette actualité effervescente qu’elle puise une grande partie des nouveaux thèmes qu’elle va aborder.



 Alors qu’en est-il de ce millésime 2019 qu’elle a intitulé « Tout va bien ! » ? La présence d’un point d’exclamation n’est pas anodine. Personne n’est dupe, et surtout pas elle. Elle pratique bien sûr effrontément la Méthode Coué. Chez elle, la malice est une seconde nature. Elle possède cet incomparable talent de traiter des sujets qui, lorsqu’elle les évoque, nous sautent aux yeux comme des évidences mais qui, une fois passés au prisme de son regard satirique et impertinent, se métamorphosent en une succession de traits d’esprit et de situations hilarantes.

Premier choc lors de son apparition, « La Dame en Rouge » n’a gardé de sa panoplie scénique que les chaussures ! Ce changement de tenue est tout un symbole, un véritable tournant même dans sa carrière. Il signifie en réalité plusieurs choses : d’abord Anne n’a plus besoin de se cacher derrière l’artifice d’un costume écarlate pour être elle-même ; sa notoriété, validée depuis nombre d’années par la reconnaissance du public, se suffit à elle-même. Ensuite, elle a changé de statut social. Elle l’annonce d’ailleurs fièrement dès son entrée en scène : elle a divorcé ! Elle est donc redevenue une femme libre et se trouve, comme elle le formule de façon volontairement triviale, de nouveau « sur le marché »… Evidemment, cette situation est génératrice de nouvelles expériences et, partant, de nouvelles sources de sketchs.


Tout va bien ! est un spectacle remarquablement structuré. Il se divise en neuf thèmes. Neuf thèmes qui comportent chacun une introduction, un développement et, systématiquement, une chute. C’est très efficace car chaque chute étant ponctuée d’un noir (c’est à dire que la scène s’éteint), on sait qu’on va passer à un sujet différent… Pas question de déflorer le contenu de ce spectacle. Pendant près de deux heures, sans aucun temps mort, Anne dévide le fil rouge des neuf pelotes humoristiques qui constituent la trame de son spectacle. Elle parle ainsi successivement des réseaux sociaux et décrypte les nouveaux mots qui en découlent, des Gilets jaunes, d’Emmanuel Macron, du « politiquement correct », du féminisme, de la vie de couple, des sites de rencontres, des nouvelles technologies adaptées à la boucherie de Liliane et Jean-Claude, des relations ados-parents…

Pour éviter la moindre redondance, elle créée habilement quelques ruptures. Elle interprète un rap, se livre à une consultation de voyance avec un spectateur qu’elle fait monter sur scène, récite une fable et, évidemment, épisode très attendu, elle consacre un bon moment à sa fameuse « Radio Bistro ». L’actualité actuellement complètement folle, lui fournit de quoi nous offrir un véritable feu d’artifice.

Personnellement, tout m’a plu dans ce nouveau spectacle. Néanmoins, l’amoureux des mots que je suis, a été particulièrement enthousiasmé par sa fable qu’on pourrait intituler « Les poulettes et le cochon ». J’ai de même beaucoup goûté sa jolie métaphore jardinière dans le troisième sketch, apprécié la leçon de vulgarisation de Liliane sur les nouvelles technologies et savouré sa virtuosité de chansonnière dans la séquence « Radio Bistro ». J’ai trouvé par exemple sa comparaison entre le prix du litre d’encre d’une cartouche d’imprimante et celui d’un parfum Chanel particulièrement brillante et édifiante.


Bref, Anne Roumanoff a atteint désormais un niveau qualitatif indiscutable. Très exigeante, elle peaufine tellement ses textes qu’il ne reste aucune scorie, aucune fioriture. Elle ne garde que l’essentiel. Assistée de Jean-Claude, Liliane enlève tout le gras superflu et gratte ses sujets jusqu’à l’os pour ne mettre à l’étalage que des morceaux de choix… Elle possède un sens infaillible de la formule, a l’art de faire jaillir ça et là de superbes fulgurances et, surtout, elle est d’une logique et d’un bon sens imparables, ce qui rend ses propos d’autant plus réjouissants pour le plus grand nombre.

Je suis sincèrement très admiratif à la fois de son écriture et de son jeu de scène. Elle serait musicienne, on dirait qu’elle est une remarquable ACI, auteure-compositrice-interprète. Cela fait déjà plusieurs spectacles qu’elle est à l’acmé de son talent. Mais pour obtenir un tel niveau et s’y maintenir, il ne faut jamais occulter ce que cela induit de rigueur et de travail…

Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 8 avril 2019

La 31ème Nuit des Molières


France 2
Diffusion le lundi 13 mai en direct
En deuxième partie de soirée

La 31ème Nuit des Molières sera diffusée sur France 2 le lundi 13 mai en deuxième partie de soirée. Elle sera retransmise en direct (légèrement différé comme cela se pratique désormais pour ce type d’émission) depuis le théâtre des Folies Bergère.
Elle sera précédée d’une fiction historique de Jacques Malaterre, Brûler Molière, sur l’affaire « Tartuffe », avec Dimitri Storoge dans le rôle-titre.


Après Nicolas Bedos, Alex Lutz et Zabou Breitman, cette cérémonie sera présentée par Alex Vizorek. Mais, si l’on en croit Jean-Marc Dumontet, le président des Molières depuis 2013, l’humoriste belge ne sera pas seul sur la scène des Folies Bergère puisqu’il sera chargé d’animer cette 31ème édition « avec Brio »… Trêve de plaisanterie oiseuse, le choix d’Alex Vizorek est tout à fait opportun. D’abord, il est lui-même comédien. Il est régulièrement sur scène avec son one man show, Alex Vizorek est une œuvre d’art. Ensuite, depuis la rentrée 2014, il est présent toute la semaine de 17 à 18 h sur l’antenne de France Inter depuis 2014 où il co-anime avec Charline Vanhoenaker Si tu écoutes, j’annule tout, une émission drôle et impertinente renommée Par Jupiter ! depuis 2017. Enfin, depuis septembre 2017, il a imposé son ton décalé et gentiment irrévérencieux dans Salut les Terriens, chaque samedi sur C8, avec « Les infos de Vizo ».
L’homme est donc tout à fait au courant de l’actualité politique, audiovisuelle et culturelle. Il l’analyse avec un regard très personnel et la commente avec son humour fait de second degré, de non-sens, de provocation. Il devrait donc tirer son épingle (très acérée) du jeu lors de cette soirée.


Le mardi 2 avril, à la Mairie de Paris, a été présentée la liste des nommés.
Avec 7 nominations, Le canard à l’orange, se taille la part du lion. Cette pièce de William Douglas Home, adaptée par Marc-Gilbert Sauvajon et mise en scène par Nicolas Briançon a suscité un véritable plébiscite.
En deuxième position avec 5 citations, vient Kean, une pièce d’Alexandre Dumas, adaptée par Jean-Paul Sartre et mise en scène pour le théâtre public par Alain Sachs.
Enfin, viennent avec 4 nominations, La Nuit des Rois ou Tout ce que vous voulez (de William Shakespeare, adaptée et mise en scène par Thomas Ostermeier), La Macine de Turing (de Benoît Solès, mise en scène par Tristan Petitgirard) et La Dégustation (une comédie écrite et mise en scène par Ivan Calbérac).
Des choix on ne peut plus éclectiques…

vendredi 5 avril 2019

Franck Dubosc "Fifty / Fifty"


Le Dôme de Paris / Palais des Sports
34, boulevard Victor
75015 Paris
Tel : 01 48 28 40 10
Métro : Porte de Versailles

Seul en scène écrit et interprété par Franck Dubosc

Présentation : « A 50 balais, le plus dur c’est que t’es vieux pour les jeunes, et t’es un jeune pour les vieux ; t’es fifty-fifty… Mi-figue, mi-raisin… Sec, pour le coup ».
A la fois éternel séducteur aux yeux couleur océan et jeune papa poule attendri par ses deux petits super-héros, Franck Dubosc nous livre un nouveau spectacle d’une sincérité totale et d’une drôlerie imparable. « J’ai 50 ans et j’aime ça ! »…

Mon avis : Franck Dubosc assume. Il assume tout : son âge, ses cheveux de plus en plus envahis par le sel au détriment du poivre, ses petits ennuis physiques, les « engueulades » dans son couple «  à cause des gosses », sa gestion de la notoriété… Elégant, silhouette affûtée, excellente forme physique attestée par quelques pas de danse, à peine est-il sur scène qu’il nous annonce la couleur : Fifty Fifty est « un spectacle sans tabou ». Il va tout nous confier, sans concession, quitte à se montrer parfois un peu « trash ».


Sur le plan comptable, les années en « 9 » constituent des chiffres symboliques pour Franck Dubosc. Il a commencé à la télévision, dans Temps X au côté des frères Bogdanoff en 1979. Il a présenté son premier one man show, J’ vous ai pas raconté ?, au Splendid en 1999. Il s’est marié en 2009. Et le revoici en 2019 avec son cinquième seul en scène… Après quarante ans de carrière dont vingt consacrés au one man show (un nouveau spectacle tous les 4-5 ans), il a donc décidé de faire un point à mi-parcours. D’où Fifty Fifty.

Excellente idée que de procéder, à 50 balais (voire un peu plus), à un check-up artistique. Aussi, comme annoncé, Franck Dubosc nous parle franchement, sincèrement, cash. Et il ne fait pas les choses à moitié. Refermée la parenthèse « A l’état sauvage ». Age oblige, avec entre autres ses obligations parentales, il est rentré dans le rang.
Ni jeune, ni vieux, il apprécie cet entre-deux. Il s’y sent bien… Avec sa façon unique de raconter, il nous ouvre les portes de son intimité. Ce que j’aime chez lui, c’est qu’il peut passer sans transition de l’autodérision à la fanfaronnade, de la tendresse à la goujaterie, de la poésie au trivial. Champion de la pirouette, adepte de la virevolte, Franck Dubosc adore les phrases à double sens et les pointes d’humour noir. Il s’en amuse lui-même. 50 ans, certes, mais il revendique toujours son esprit potache et son penchant pour le pipi-caca.


Interprété sans aucun temps mort, ce one man « chaud » qui dure pratiquement deux heures, est divisé en plusieurs chapitres thématiques entrecoupés régulièrement d’interpellations des quelques spectateurs sur lesquels il a jeté son dévolu. Ce rythme, cette diversité des sujets abordés (y compris les plus personnels), l’originalité des images qu’il utilise pour illustrer ses propos et la variété des situations croquignolesques font qu’on ne s’ennuie pas une seconde. Et il faut voir comme il occupe l’espace. Remarquez, avec 50 balais, c’est facile de faire l’essuie-glace sur la grande scène du Palais des Sports.

Fifty Fifty sur l’échelle du temps, mais 100% d’amour et d’humanité. Il est amoureux de sa femme – il lui rend d’ailleurs un vibrant hommage -, il adore ses garçons, il est très attaché à sa mère, et il aime son public. Par pudeur et aussi, un peu, par provocation, il s’efforce de diluer ces nobles sentiments dans la gaudriole et les plaisanteries plus ou moins douteuses. Mais personne n’est dupe.
Enfin, soyez rassurées mesdames et mesdemoiselles, votre « Franckie » n’est en rien émoussé par la cinquantaine, il a toujours le sang qui bout. C'est lui, du moins, qui l'affirme…

Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 4 avril 2019

L'Invitation


Théâtre de la Madeleine
19, rue de Surène
7508 Paris
Tel : 01 42 65 07 09
Métro : Madeleine

Une comédie d’Hadrien Raccah
Mise en scène par Philippe Lellouche
Collaboration artistique : Judith Elmaleh
Avec Gad Elmaleh (Daniel), Lucie Jeanne (Catherine), Philippe Lellouche (Fred/Charlie)

Présentation : Charlie, c’est l’ami imaginaire que Daniel a créé pour tromper son épouse sans éveiller les soupçons. Charlie, c’était l’idée parfaite pour ne perdre ni sa femme, ni sa situation, ni son appartement, ni sa maîtresse. Jusqu’au jour où Catherine, sa femme, exaspérée peut-être, suspicieuse sans doute, demande à le rencontrer…
Pour sauver son mariage Daniel va donc inviter à dîner un inconnu qui, l’espace d’une soirée, jouera le rôle de son meilleur ami. Inventer ce Charlie, était-ce une si bonne idée finalement ?

Mon avis : Cette comédie est certes surtout une « Invitation » à rire, mais c’est également, en creux, une « Invitation » à réfléchir sur les relations au sein du couple.
Elle présente en outre un côté événementiel avec le retour au théâtre de Gad Elmaleh vingt ans après sa première expérience, Tout contre, une pièce à quatre personnages de Patrick Marber avec Anne Brochet. Cette présence a, en elle seule, un pouvoir suffisamment attractif.

« Invitation » à rire, donc… Il suffit en effet de lire le résumé pour comprendre, même si le postulat de départ est un tantinet invraisemblable, qu’un tel scénario ne peut que provoquer des situations à fort potentiel comique.

Le rideau se lève sur le salon d’un luxueux appartement avec vue sur le Tour Eiffel. Ce décor classieux indique que nous sommes chez des nantis… Le ton est donné dès les premiers échanges. Il est 5 heures du matin, Daniel vient tout juste de rentrer. A ce moment, Catherine, qui l’attendait dans une semi-pénombre, allume brusquement les lumières. Elle découvre son mari, tout sourire, avec un superbe bouquet à la main. Et le dialogue s’instaure. Daniel part dans ses explications habituelles : il était en compagnie de son ami Charlie. Quand Catherine le pousse un peu dans ses retranchements, Daniel se livre à un festival de mauvaise foi ; il enfile les mensonges avec une virtuosité acquise à grand force de répétitions. Nous, en témoins avertis de ses turpitudes, on se régale à le voir s’agiter et s’emberlificoter dans des réponses pour le moins oiseuses. Aussi, lorsque Catherine, feignant d’accepter ces justifications, décrète soudain qu’il est grand temps qu’elle fasse enfin connaissance avec ce providentiel et précieux Charlie. Et elle intime à Daniel de le convier à dîner pour le soir même. Déjà, on se demande comment il va pouvoir honorer cette « invitation ». Et lui aussi, bien sûr…


Daniel a de la ressource et de l’imagination à revendre. Il a tôt fait de dénicher dans un bar en bas de chez lui un individu désoeuvré, de le ramener à la maison, et d’entreprendre de lui expliquer ce qu’il attend de lui, à savoir endosser l’identité de l’hypothétique Charlie.
Ce sont deux personnalités et deux milieux sociaux qui s’affrontent. Autant Daniel, avocat tiré à quatre épingles, se montre fébrile et survolté, autant Fred, un peu balourd, est calme, débonnaire et pragmatique. Cette opposition de styles est un grand classique du théâtre ou du cinéma. On pense inévitablement à ces fameux binômes formés de Bourvil et de Funès, Pierre Richard et Gérard Depardieu et, surtout, par Jacques Villeret et Thierry Lhermitte car on ne peut s’empêcher de faire une relation entre cette comédie et Le dîner de cons. En tout cas, le tandem formé de Philippe Lellouche (Fred/ Charlie) et Gad Elmaleh (Daniel) fonctionne à ravir.

En démiurge exalté, Daniel prend un plaisir quasi jouissif à créer le personnage de Charlie. C’est sa bouée de sauvetage, il s’investit donc à fond allant même jusqu’à se lancer devant un Fred peu convaincu, voire hostile, dans une diatribe qui pourrait s’intituler « Adultère, mode d’emploi ». C’est là qu’il sort sur un ton doctoral une des phrases-clé de la pièce : « Les hommes tournent la page, les femmes jettent le livre »… Le problème c’est que nous, depuis notre siège, on voit bien qu’il construit son stratagème sur le sable et on sait qu’il va s’enliser. On s’en réjouit d’ailleurs d’avance tant l’élaboration de « Charlie » nous apparaît bâclée. Daniel a créé un avatar ; comment cet avatar va-t-il se comporter tout au long de cette soirée ?

J’en ai déjà beaucoup (trop ?) dit. L’arrivée de Catherine, sa confrontation avec Charlie devant un Daniel sur le qui-vive, sont évidemment très attendues. Ce dîner nous réserve de grands moments. Comme par exemple, ce monologue féministe impétueux de Catherine en forme d’anaphore sur le mode « On veut… mais pas que… », une explosion dont on ne comprendra qu’à la fin pourquoi elle est si véhémente. Car il va, bien sûr, y avoir un rebondissement… imprévisible (ce qui est le propre des rebondissements).

Même si cette comédie contient ça et là de jolies répliques et engendre des situations cocasses, j’estime qu’au niveau de l’écriture elle aurait pu être un peu plus incisive, un peu plus fouillée. Mais si L’Invitation sera un indéniable succès – car je suis persuadé qu’elle va cartonner – elle le devra à l’interprétation de ses trois protagonistes, véritablement épatants de bout en bout. Voyons-les par ordre d’entrée en scène...


Lucie Jeanne fait de Catherine une femme élégante, fine et d’humeur égale. Elle observe les agitations de son mari avec un regard entendu qui montre qu’elle n’est pas dupe. Elle le scrute un peu comme une entomologiste étudiant les soubresauts d’une mouche prise dans une toile d’araignée. Elle semble en permanence maîtresse d’elle-même sauf à ce moment, que j’ai évoqué plus haut, où elle s’emporte pour expliquer à ces deux mâles ce que la gent féminine attend d’eux. C’est un joli rôle de femme qu’elle assume avec beaucoup de justesse et de sensibilité.

Gad Elmaleh… Ah, Gad ! Il prend un plaisir évident à retrouver la scène avec un exercice choral. Il endosse avec aisance le personnage de Daniel. Et, ce qui est très bien de sa part, c’est qu’à aucun moment il cède à la facilité de reproduir des gestes ou des attitudes qui sont sa marque de fabrique dans ses one man shows. Au contraire, il s’investit tout entier dans ce rôle d’avocat-qui-a-réussi, pour qui le mensonge, tant dans sa vie professionnelle que dans sa vie privée, est une seconde nature. Bien sûr, jouer un beau parleur et un séducteur est pour lui un rôle de composition ; il n’est pas du tout comme ça dans la vie… Il s’approprie à merveille son personnage. Sa science du geste, ses mimiques, ses expressions corporelles, acquises dans la pratique du mime, nous traduisent parfaitement ce qui se passe dans la tête de Daniel. Hâbleur, arrogant, insincère, il laisse parfois filtrer, lorsqu’il est ébranlé dans ses certitudes, une certaine vulnérabilité, ce qui nous le rend plus humain… Bref, avec le formidable éventail de ses talents et la finesse de son jeu, Gad nous offre une prestation très aboutie qui confère à son personnage une vraie crédibilité.

J’ai vu Philippe Lellouche tant en one man show que dans la plupart de ses pièces. Je pensais bien connaître son registre de comédien, mais là il m’a vraiment bluffé. J’ignorais qu’il puisse se montrer aussi touchant, aussi émouvant… Face au virevoltant Gad Elmaleh, il campe un Fred tout en retenue, tout en sobriété. Ce contraste constitue évidemment un très efficace ressort comique. Fred semble placide, il s’amuse même à l’idée d’incarner cet ami virtuel mais, en même temps, bien que passablement déprimé par une rupture, il a son caractère, et il ne se laisse pas si facilement manipuler. Sa condition plus modeste que celle de Daniel ne l’empêche pas d’avoir son orgueil. A un moment même, c’est lui qui devient l’avocat de l’avocat !… Philippe Lellouche donne au personnage de Fred d’une réelle épaisseur.

En conclusion, grâce au talent de Lucie Jeanne, Gad Elmaleh et Philippe Lellouche, cette pièce, qui n’est pas la mieux écrite que j’aie vue mais qui a le mérite de proposer une confrontation éminemment drolatique, se laisse voir avec énormément de plaisir. Après tout, on vient au théâtre pour se laisser emporter par la qualité de jeu des acteurs, par leur présence. Là, on est vraiment gâté… Avec le recul, maintenant que je connais tous les éléments de L’Invitation, je me demande s’il ne faudrait pas la voir une deuxième fois avec un autre niveau de lecture. Je suis convaincu que j’y prendrais encore plus de plaisir…

Gilbert « Critikator » Jouin