Théâtre de la Madeleine
19,
rue de Surène
7508
Paris
Tel :
01 42 65 07 09
Métro :
Madeleine
Une
comédie d’Hadrien Raccah
Mise
en scène par Philippe Lellouche
Collaboration
artistique : Judith Elmaleh
Avec
Gad Elmaleh (Daniel), Lucie Jeanne (Catherine), Philippe Lellouche (Fred/Charlie)
Présentation :
Charlie, c’est l’ami imaginaire que Daniel a créé pour tromper son épouse sans
éveiller les soupçons. Charlie, c’était l’idée parfaite pour ne perdre ni sa
femme, ni sa situation, ni son appartement, ni sa maîtresse. Jusqu’au jour où
Catherine, sa femme, exaspérée peut-être, suspicieuse sans doute, demande à le
rencontrer…
Pour
sauver son mariage Daniel va donc inviter à dîner un inconnu qui, l’espace d’une
soirée, jouera le rôle de son meilleur ami. Inventer ce Charlie, était-ce une
si bonne idée finalement ?
Mon avis :
Cette comédie est certes surtout une « Invitation » à rire, mais c’est
également, en creux, une « Invitation » à réfléchir sur les relations
au sein du couple.
Elle
présente en outre un côté événementiel avec le retour au théâtre de Gad Elmaleh
vingt ans après sa première expérience, Tout
contre, une pièce à quatre personnages de Patrick Marber avec Anne Brochet.
Cette présence a, en elle seule, un pouvoir suffisamment attractif.
« Invitation »
à rire, donc… Il suffit en effet de lire le résumé pour comprendre, même si le
postulat de départ est un tantinet invraisemblable, qu’un tel scénario ne peut
que provoquer des situations à fort potentiel comique.
Le
rideau se lève sur le salon d’un luxueux appartement avec vue sur le Tour Eiffel.
Ce décor classieux indique que nous sommes chez des nantis… Le ton est donné
dès les premiers échanges. Il est 5 heures du matin, Daniel vient tout juste de
rentrer. A ce moment, Catherine, qui l’attendait dans une semi-pénombre, allume
brusquement les lumières. Elle découvre son mari, tout sourire, avec un superbe
bouquet à la main. Et le dialogue s’instaure. Daniel part dans ses explications
habituelles : il était en compagnie de son ami Charlie. Quand Catherine le
pousse un peu dans ses retranchements, Daniel se livre à un festival de mauvaise
foi ; il enfile les mensonges avec une virtuosité acquise à grand force de
répétitions. Nous, en témoins avertis de ses turpitudes, on se régale à le voir
s’agiter et s’emberlificoter dans des réponses pour le moins oiseuses. Aussi,
lorsque Catherine, feignant d’accepter ces justifications, décrète soudain qu’il
est grand temps qu’elle fasse enfin connaissance avec ce providentiel et
précieux Charlie. Et elle intime à Daniel de le convier à dîner pour le soir
même. Déjà, on se demande comment il va pouvoir honorer cette « invitation ».
Et lui aussi, bien sûr…
Daniel
a de la ressource et de l’imagination à revendre. Il a tôt fait de dénicher
dans un bar en bas de chez lui un individu désoeuvré, de le ramener à la
maison, et d’entreprendre de lui expliquer ce qu’il attend de lui, à savoir endosser
l’identité de l’hypothétique Charlie.
Ce
sont deux personnalités et deux milieux sociaux qui s’affrontent. Autant
Daniel, avocat tiré à quatre épingles, se montre fébrile et survolté, autant
Fred, un peu balourd, est calme, débonnaire et pragmatique. Cette opposition de
styles est un grand classique du théâtre ou du cinéma. On pense inévitablement à
ces fameux binômes formés de Bourvil et de Funès, Pierre Richard et Gérard Depardieu
et, surtout, par Jacques Villeret et Thierry Lhermitte car on ne peut s’empêcher
de faire une relation entre cette comédie et Le dîner de cons. En tout cas, le tandem formé de Philippe Lellouche
(Fred/ Charlie) et Gad Elmaleh (Daniel) fonctionne à ravir.
En
démiurge exalté, Daniel prend un plaisir quasi jouissif à créer le personnage
de Charlie. C’est sa bouée de sauvetage, il s’investit donc à fond allant même
jusqu’à se lancer devant un Fred peu convaincu, voire hostile, dans une diatribe
qui pourrait s’intituler « Adultère, mode d’emploi ». C’est là qu’il
sort sur un ton doctoral une des phrases-clé de la pièce : « Les hommes
tournent la page, les femmes jettent le livre »… Le problème c’est que
nous, depuis notre siège, on voit bien qu’il construit son stratagème sur le
sable et on sait qu’il va s’enliser. On s’en réjouit d’ailleurs d’avance tant l’élaboration
de « Charlie » nous apparaît bâclée. Daniel a créé un avatar ;
comment cet avatar va-t-il se comporter tout au long de cette soirée ?
J’en
ai déjà beaucoup (trop ?) dit. L’arrivée de Catherine, sa confrontation
avec Charlie devant un Daniel sur le qui-vive, sont évidemment très attendues.
Ce dîner nous réserve de grands moments. Comme par exemple, ce monologue féministe
impétueux de Catherine en forme d’anaphore sur le mode « On veut… mais pas
que… », une explosion dont on ne comprendra qu’à la fin pourquoi elle est si
véhémente. Car il va, bien sûr, y avoir un rebondissement… imprévisible (ce qui
est le propre des rebondissements).
Même
si cette comédie contient ça et là de jolies répliques et engendre des
situations cocasses, j’estime qu’au niveau de l’écriture elle aurait pu être un
peu plus incisive, un peu plus fouillée. Mais si L’Invitation sera un indéniable succès – car je suis persuadé qu’elle
va cartonner – elle le devra à l’interprétation de ses trois protagonistes, véritablement
épatants de bout en bout. Voyons-les par ordre d’entrée en scène...
Lucie
Jeanne fait de Catherine une femme élégante, fine et d’humeur égale. Elle
observe les agitations de son mari avec un regard entendu qui montre qu’elle n’est
pas dupe. Elle le scrute un peu comme une entomologiste étudiant les
soubresauts d’une mouche prise dans une toile d’araignée. Elle semble en permanence
maîtresse d’elle-même sauf à ce moment, que j’ai évoqué plus haut, où elle s’emporte
pour expliquer à ces deux mâles ce que la gent féminine attend d’eux. C’est un
joli rôle de femme qu’elle assume avec beaucoup de justesse et de sensibilité.
Gad
Elmaleh… Ah, Gad ! Il prend un plaisir évident à retrouver la scène avec
un exercice choral. Il endosse avec aisance le personnage de Daniel. Et, ce qui
est très bien de sa part, c’est qu’à aucun moment il cède à la facilité de
reproduir des gestes ou des attitudes qui sont sa marque de fabrique dans ses
one man shows. Au contraire, il s’investit tout entier dans ce rôle d’avocat-qui-a-réussi,
pour qui le mensonge, tant dans sa vie professionnelle que dans sa vie privée, est
une seconde nature. Bien sûr, jouer un beau parleur et un séducteur est pour
lui un rôle de composition ; il n’est pas du tout comme ça dans la vie… Il
s’approprie à merveille son personnage. Sa science du geste, ses mimiques, ses
expressions corporelles, acquises dans la pratique du mime, nous traduisent
parfaitement ce qui se passe dans la tête de Daniel. Hâbleur, arrogant,
insincère, il laisse parfois filtrer, lorsqu’il est ébranlé dans ses
certitudes, une certaine vulnérabilité, ce qui nous le rend plus humain… Bref, avec
le formidable éventail de ses talents et la finesse de son jeu, Gad nous offre
une prestation très aboutie qui confère à son personnage une vraie crédibilité.
J’ai
vu Philippe Lellouche tant en one man show que dans la plupart de ses pièces.
Je pensais bien connaître son registre de comédien, mais là il m’a vraiment
bluffé. J’ignorais qu’il puisse se montrer aussi touchant, aussi émouvant… Face
au virevoltant Gad Elmaleh, il campe un Fred tout en retenue, tout en sobriété.
Ce contraste constitue évidemment un très efficace ressort comique. Fred semble
placide, il s’amuse même à l’idée d’incarner cet ami virtuel mais, en même
temps, bien que passablement déprimé par une rupture, il a son caractère, et il
ne se laisse pas si facilement manipuler. Sa condition plus modeste que celle
de Daniel ne l’empêche pas d’avoir son orgueil. A un moment même, c’est lui qui
devient l’avocat de l’avocat !… Philippe Lellouche donne au personnage de
Fred d’une réelle épaisseur.
En
conclusion, grâce au talent de Lucie Jeanne, Gad Elmaleh et Philippe Lellouche,
cette pièce, qui n’est pas la mieux écrite que j’aie vue mais qui a le mérite
de proposer une confrontation éminemment drolatique, se laisse voir avec
énormément de plaisir. Après tout, on vient au théâtre pour se laisser emporter
par la qualité de jeu des acteurs, par leur présence. Là, on est vraiment gâté…
Avec le recul, maintenant que je connais tous les éléments de L’Invitation, je me demande s’il ne
faudrait pas la voir une deuxième fois avec un autre niveau de lecture. Je suis
convaincu que j’y prendrais encore plus de plaisir…
Gilbert
« Critikator » Jouin
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