mercredi 30 janvier 2019

SKALD "Le Chant des Vikings"


Decca Records / Universal

En préambule, une recommandation s’impose : il faut écouter ce CD au casque !
Je me suis laissé embarquer à bord de ce drakkar musical dès le premier titre. Avec son atmosphère envoûtante, le ton de l’album est donné. Il suffit de fermer les yeux et les images surgissent. On est emporté dans les grands espaces, qu’ils soient terrestres ou maritimes. Après, il n’y a plus qu’à se laisser porter par les voix et l’ambiance générale.

Le Chant des Vikings est un album concept, une superbe réalisation qui nous fait remonter aux sources de la mythologie. Il s’inspire de la poésie scaldique (d’où le nom du projet, Skald) née au 7ème ou au 8ème siècle. La langue en est le vieux norrois. 


Ainsi que je l’ai formulé en introduction, ce qui frappe le plus dans cet album, ce sont les voix et les arrangements. Il y a un travail hyper méticuleux dans la réalisation. Les voix, étonnantes, sont mises très en avant. Elles s’entrecroisent, s’envolent en canon, et se marient. Acoustiquement, c’est impressionnant de beauté. Les percussions, avec l’utilisation de tambours chamaniques, sont omniprésentes. Et des cordes rares et subtiles, comme la lyre et autres instruments traditionnels, viennent apporter une note de sensualité dans cet univers profondément viril.


Et puis, Le Chant des Vikings nous raconte des histoires. Parfois, l’ambiance est carrément celtique, comme dans Valfreyjudrapa qui s’apparente à une chanson de marins, ou dans Fluga. Qui dit « Vikings », dit « pirates ». On entend ici le ressac des vagues (Niu), là les vents (Gleipnir) ; mais surtout, on distingue le cliquetis des armes (Fluga). On sent que l’on a affaire à des guerriers. Les rythmes sont saccadés, le climat est martial, on s’adresse à Odin et à Thor, dieux de la guerre et du tonnerre.
C’est parfois récitatif (Enn atti loki fleiri börn, Ginnunga), voire carrément mélancolique et intériorisé (Krakumal). Une seule chanson se démarque, Ec man iötna, car elle est exclusivement féminine. C’est un chant choral, a cappella, à la beauté ensorcelante.

En résumé, Skald, Le Chant des Vikings, est un concept original, épique, hors normes, qui ne ressemble à aucun autre. Il est le fruit d’un remarquable travail d’équipe tant sur le plan technique qu’artistique. J’en ai apprécié tous les titres. Bref, je me suis régalé.

dimanche 27 janvier 2019

La Moustâche


Le Splendid
48, rue du Faubourg Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 21 93
Métro : Strasbourg Saint-Denis / Château d’eau / Jacques Bonsergent


Une pièce de Sacha Judaszko et Fabrice Donnio
Mise en scène de Jean-Luc Moreau
Décors de Charlie Mangel
Costumes de Juliette Chanaud
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Musique de Sylvain Meyniac

Avec Joy Esther, Daniel-Jean Colloredo, Fabrice Donnio, Arnaud Gidoin, Sacha Judaszko

L’histoire : Quand l’homme le plus discret de la terre se retrouve avec la chose la plus voyante et dérangeante au milieu du visage.
Aujourd’hui est un grand jour pour Sylvain Sabourdin : il doit rencontrer son futur beau-père, passer un entretien d’embauche et prendre de grandes décisions. Mais alors qu’il se prépare, une panne d’électricité l’empêche de se raser complètement et le laisse avec une moustache… la moustache d’Hitler…

Mon avis : La Moustâche est une pièce absolument pas barbante où l’on se poile du début à la fin… Certes, ces jeux de mots sont faciles mais, ici, ils prennent tout leur sens et ils s’imposent. J’en ai vu des comédies, mais je pense que celle-ci détient le record absolu des quiproquos. Les deux auteurs, Sacha Judaszko et Fabrice Donnio ont construit leur pièce sur une succession ininterrompue de malentendus. Il y en a certes quelques uns qui sont tirés par les cheveux or, peut-être en raison de ces partis pris, on s’en amuse encore plus.
L’idée de départ, sur laquelle toute la pièce va s’articuler, est magistrale. Suite à une panne de courant intempestive survenue alors qu’il est en train de se raser, Sylvain se retrouve affublé d’une petite moustache identique à celle qu’arborait Adolf Hitler. Comment va-t-il se sortir de cette image désastreuse aux antipodes de ce qu’il est dans la réalité face au gardien de son immeuble et, surtout, face à son futur beau-père et à un hypothétique employeur ?


Tout de suite, le bras tendu en salut romain et la moustache frémissant (car j’en porte une), je tiens à mettre en exergue la performance scénique accomplie par Arnaud Gidoin. Avec un abattage incroyable, une redoutable efficacité dans le moindre geste et la moindre mimique, il campe une sorte d’insecte qui, uniquement mû par la force de sa bonne foi, se bat avec l’énergie du désespoir pour se sortir d’une infernale toile d’araignée. Et Dieu sait combien il en a la phobie de ces arachnides ! Personnage discret, falot, un tantinet timoré même, Sylvain n’est pas équipé psychologiquement pour aller dans l’affrontement. Et pourtant, il va bien falloir qu’à cause de cette sinistre moustache, il y aille s’il veut à la fois sauver son image et son couple.
 J’ai vu Arnaud Gidoin dans sept ou huit de ses précédentes pièces et je garde entre autres un souvenir enthousiaste de ses compositions dans Shakespeare le défi, Les 39 marches ou, plus récemment, dans Le Fusible. S’il peut se permettre de donner libre cours à sa folle inventivité et à son mode d’expression éminemment cartoonesque, c’est parce qu’il peut s’appuyer sur une mise en scène au cordeau imposant un rythme échevelé, et sur des partenaires épatants.


Ce quintette est en effet particulièrement réjouissant. Sacha Judaszko incarne avec un plaisir non dissimulé Monsieur Michaud, le gardien de l’immeuble, un personnage qui cumule les turpitudes ; il est sans gêne, mesquin, malhonnête, rancunier, veule… Il y a en lui un du Jugnot du Père Noël est une ordure… Daniel-Jean Colloredo, qui joue le beau-père potentiel de Sylvain, interprète lui aussi un personnage haut en couleurs. Il est autoritaire, suspicieux, sanguin, susceptible, mais il est également un peu cachottier…

Fabrice Donnio, co-auteur de la pièce, ne s’est pas donné le plus beau rôle, celui du copain de Sylvain. Il le squatte, abuse sans vergogne de sa gentillesse, et se permet même de le critiquer et de lui donner des leçons. Même s’il n’est pas très reluisant, on voit bien que ce n’est pas le mauvais bougre. C’est juste un profiteur… Enfin, il y a Joy Esther dans le rôle de Lisa… Elle est impeccable de bout en bout. Elle est, de loin, la plus normale, la plus équilibrée de la troupe. Son jeu est toujours très juste, elle n’est jamais en porte-à-faux. Et pourtant sa tâche n’est pas aisée, seule femme face à ces quatre énergumènes plutôt gratinés. Transformée par la force des choses en tour de contrôle, elle s’en sort à merveille, parce qu’elle est franche, honnête, sincère et… amoureuse. Très fine prestation de sa part.


La Moustâche n’est pas qu’une simple comédie. Les auteurs y font subtilement passer quelques jolis messages dont le plus significatif est la tolérance. La fin, elle aussi à tiroirs (Judaszko et Donnio, c’est Monsieur Plus au carré), est vraiment parfaite. Quand la salle se rallume, les spectateurs, surpris et attendris par une ultime pirouette, affichent un large sourire satisfait.

Gilbert « Critikator » Jouin