dimanche 28 mars 2010

Sur la plage abandonnée...


Théâtre le Temple
18, rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
Tel : 08 92 35 00 15
Métro : République

Une comédie écrite et mise en scène par Joseph Gallet et François Navarro
Avec Joseph Gallet (Daniel), Samy Berry (Frédéric), Hélène Azéma N’Diaye (Liliane), Florian Diday (Serge), François Navarro (Mussly)

Ma note : 6/10

L’argument : Quand, à la suite d’un naufrage, une jeune femme un peu nympho, un G.O. raté, un employé des Pompes Funèbres et un cuisinier de seconde zone se trouvent perdus sur une île déserte, la situation tourne rapidement au cauchemar. Il faut dire qu’ils sont échoués au beau milieu du Triangle des Bermudes… Très accueillant en apparence, cet ilot va leur réserver quelques surprises déroutantes.

Mon avis : Honnêtement, cette comédie annoncée comme étant d’« un humour décalé » m’a laissé quelque peu circonspect. D’abord, qu’est-ce que j’y ai trouvé de positif ? On ne peut reprocher aux cinq comédiens leur formidable débauche d’énergie. Ça, ils ne ménagent pas leur peine. Ils sont à fond dans leurs personnages et leur folle générosité est tout-à-fait louable. Ensuite, l’idée, même s’il s’en dégage une impression de déjà vu (avec « Tout le monde aime Juliette », Josiane Balasko en a écrit récemment une sur le même thème), est imparable : regrouper dans un endroit clos une brochette de zigotos de tempéraments différents et les forcer à cohabiter, c’est toujours générateur de situations drolatiques et exacerbées. Enfin, les auteurs possèdent un évident amour de la chanson française en en distillant ça et là quelques extraits ou allusions ; quand ce n’est pas une chanson entière (Sale bonhomme de Claude François, en l’occurrence) ce qui leur permet de se livrer à une chorégraphie volontairement improbable…
Les situations farfelues abondent, les personnages sont tous bien déjantés, il y a de jolis rebondissements, mais le jeu est parfois trop outré et nos naufragés ont tendance à crier un peu trop fort.
Maintenant, il reste l’écriture. Le texte repose essentiellement sur des blagues potaches un peu faciles, un humour assez simpliste pour ne pas dire primaire, rehaussé toutefois de temps à autre par quelques fulgurances de bon aloi. Une chose est sûre cependant, dans la salle les gens rient, certain(e)s hurlent même de rire. Ce qui tend à prouver qu’il y a un public pour ce genre de comédie bon enfant, énergique et débridée.

Bonjour ivresse !


Théâtre Le Méry
7, place Clichy
75017 Paris
Tel : 01 45 22 03 06
Métro : Place Clichy

Une comédie de Franck Le Hen
Mise en scène par Franck Le Hen et Christine Giua
Avec Franck Le Hen (Benoît), Frank Delay (Raphaël), Agnès Miguras (Marie), Caroline Gaget (Wanda)

Ma note : 7/10

L’argument : Benoît retrouve dans son coffre à jouets une liste de choses qu’il s’était promis de réaliser avant ses 30 ans. Problème : il a 30 ans demain ! Entre sa sœur coincée, sa meilleure amie alcoolique mondaine assumée, et un invité surprise, il va passer une soirée d’anniversaire explosive et pleine d’ivresse au milieu de ses secrets et souvenirs d’adolescent. Juste une mise au point pour pouvoir enfin grandir ?

Mon avis : Décor minimaliste, mais suffisant : un bar (important), un canapé (tout aussi important), un petit meuble de rangement et, sur le mur, un immense portrait en noir en blanc de… Jackie Quartz. Nous sommes dans la garçonnière de Benoît. Quand la pièce commence, il est en train de danser sur une chanson de Marc Lavoine en compagnie de sa grande copine Wanda. Benoît fait part à sa copine des affres de l’âge. Il va avoir 30 ans demain et il se sent déjà « périmé ». Benoît est gay, il l’assume sans problème, mais il est fragile et a toujours refusé de grandir. Wanda, elle, c’est tout le contraire. Parfaitement extravertie, délurée, la langue facile, la cuisse légère, le coude agile à se lever, bref elle est aussi haute en couleurs que complètement délurée. Elle est tout le contraire de Marie, la sœur de Benoît, jeune fille sérieuse et naïve, coincée avec les garçons depuis un amour de jeunesse qui s’est bizarrement terminé, elle s’est réfugiée à corps et cœur perdus dans le travail. Evidemment, Marie est la cible préférée de Wanda-la-moqueuse, qui adore balancer à tout-vat et ne fait de cadeau à personne. Pas même à elle-même….
Marie rend visite à son frère pour lui parler de son anniversaire et lui offrir en avance le coffre à jouets de son enfance. Parmi quelques souvenirs puérils, il découvre une liste. La liste des choses qu’il s’était promis de réaliser avant ses 30 ans. Et comme il n’a pratiquement rien accompli de ce qu’il rêvait de faire, il en ressent un gros coup de blues. Or, la résolution la plus importante qu’il n’a pas encore pu mettre à exécution, c’est l’annonce de son homosexualité à sa sœur. Wanda prend alors les choses en main et lui fait jurer de tout révéler à Marie avant la funeste échéance… Mais la liste a réveillé d’autres souvenirs. Particulièrement celui d’un certain Raphaël qui n’était autre que le premier amour de sa sœur et qui, en réalité, courtisait Marie pour mieux approcher Benoît dont il s’était entiché. Pas simple.
Mais ne voilà t-il pas que le cadeau d’anniversaire de Wanda est un gogo dancer. Et devinez qui va débouler dans la soirée, tous muscles et tablettes de chocolat dehors ? Eh oui, vous avez trouvé… Raphaël !!! Alors, comment vont se comporter Benoît et Marie face à leur amour de jeunesse retrouvé. Et lui, Raphaël, dans quel état d’esprit se trouve-t-il vis-à-vis d’eux quelques années plus tard ?
Les atouts de cette pièce sont nombreux. Les dialogues en tête. Vifs, percutants, actuels, ils ont l’art de réjouir la salle. Deux-trois excellentes trouvailles de mise en scène ensuite : un flash-back dont les répliques sont presque exclusivement composées d’extraits de chansons, et la scène où les deux garçons sont couchés de telle manière dans le canapé qu’on dirait qu’ils ne forment qu’un seul corps. C’est vraiment réussi. Seuls petits bémols, quelques passages un peu farce (la scène du gâteau avec Marie) ou un peu maladroits (certaines postures prises par Raphaël).
Enfin, il y a les comédiens. Franck Le Hen campe un Benoît drôle et touchant. Il fait l’homo sans tomber dans la caricature et fait preuve d’un éventail très large en matière de comédie… Agnès Miguras est épatante tant quand elle joue à la nunuche coincée que quand elle se met à faire la fofolle sous l’emprise de l’alcool. Elle est à hurler de rire… Caroline Gaget, elle, est toute entière dans son personnage. Extravagante, délirante et sympathique, elle réussit aussi à faire passer par moment quelques fêlures… Quant à Frank Delay, même s’il n’a pas encore le métier de ses partenaires, il fait très bien ce pourquoi il est là, c’est-à-dire un objet de désir. Il a en tout cas un bel avenir car des jeunes premiers aussi bien foutus et avec une aussi belle gueule, ça ne court pas les plateaux de théâtre.

Un couple parfait... enfin presque


La Grande Comédie
40, rue de Clichy
75009 Paris
Tel : 01 48 74 03 65
Métro : Trinité d’Estienne d’Orves

Une pièce d’Alil Vardar
Avec Alil Vardar (Alec) et Nathalie Marquay-Pernaut (Lisa)
Mise en scène d’Eric Carrière

Ma note : 6,5/10

L’argument : Alec dit « oui » à Lisa et Lisa dit « oui » à Alec. Le bonheur, quoi !
C’est sûr que sur papier, ils ont tout pour être heureux. Mais combien de temps va durer ce bonheur ? Peut-il être éternel ?
Pourquoi faut-il absolument être en couple, est-ce nous qui voulons ça ? Ou est-ce la société, la bonne morale, qui nous conditionnent pour vivre en couple ?
La durée de vie s’allonge. En 1800, l’espérance de vie moyenne était de 37 ans. Aujourd’hui elle est de 76 ans. On vit plus du double que nos ancêtres.
En 1800, les droits des femmes n’existaient pas. Elles faisaient ce qu’on leur disait, et leur avis… Aujourd’hui, elles sont ministres, PDG, présentatrices du journal télé, avocates, notaires, médecins… Le couple peut-il tenir ce choc ? Le monde a changé et on voudrait que le couple échappe à la règle…
Nous allons pendant 80 minutes devenir des voyeurs et regarder ce couple parfait, en 15 scènes de leur vie et, dans le fond, en y regardant bien, leur vie… c’est un peu la nôtre.

Mon avis : L’idée de suivre un couple à travers les étapes essentielles de sa vie, depuis le jour de sa rencontre jusqu’aux feux de leur couchant, est suffisamment originale pour qu’on lui prête de l’intérêt. Comment la relation entre ces deux personnages va-t-elle évoluer ? D’autant qu’elle ne démarre pas sous les meilleurs auspices entre Elle et Lui ;
Lui, c’est une espèce de balourd, plutôt content de lui, qui ne doute pratiquement pas et qui est assuré de son irrésistible pouvoir de séduction… Elle, débordante de féminité, plastique irréprochable, un peu midinette mais qui ne veut pas le montrer et se protège en jouant la fille à qui on ne la fait pas.
Les deux profils psychologiques étant ainsi établis, on n’a plus qu’à suivre nos deux tourtereaux dans les différents moments-clé de leur vie de couple.
Ce qui est bien, c’est que l’histoire n’est pas linéaire. L’auteur – Alil Vardar – a su saupoudrer l’action avec des éléments déclencheurs, comme par exemple le quiproquo du début avec la confusion dans les textos échangés, ou l’inversion des rôles au restaurant. Si, parfois certaines vannes sont faciles, voire éculées (la différence entre un 69 et un chalet suisse), d’autres en revanche ne manquent vraiment pas de sel (Lisa : « Il faut exciter le taureau sans réveiller le cochon »). On n’évite pas non plus les clichés (Alec : « On n’est pas fait comme vous »), mais il y a un tel débit, une telle quantité de saillies (normales de la part d’un taureau) en cascades qu’on ne peut qu’être indulgent. Tous les domaines sont visités : l’humour vache, l’humour noir, la mauvaise foi (pratiquement également répartie), le comique de situation, les grimaces et les clins d’œil avec le public (surtout de la part d’Alil), les lieux communs (la relation belle-mère/bru), les ressorts attendus (l’adultère, la jalousie), les références à l’actualité et même quelques glissements verts le burlesque (les déplacements d’Alil, la scène de la séduction, le strip-tease) et, utilisation subtile de la private joke avec l’intrusion de la télévision dans la pièce (à découvrir)…
Il y a tellement à boire et à manger qu’il est impossible de rester sur notre faim. Parfois on sourit gentiment, parfois on hoche la tête devant une blague trop facile, et la plupart du temps, on rit de bon cœur. Certes, ce n’est pas comédie du siècle, mais on y prend un certain plaisir. D’abord parce qu’on se sent souvent concerné par certaines scènes que l’on peut soi-même avoir vécues, et ensuite parce que les deux comédiens sont tellement dans leur jeu qu’on les prend vite en sympathie.
On peut parler de révélation à propos de Nathalie Marquay-Pernaut. Elle joue sacrément juste. Certes, on ne lui demande pas non plus des choses extravagantes, mais tout ce qu’elle fait et sa façon de s’exprimer, c’est réellement convaincant. En plus, elle est très agréable à regarder, sensuelle sans en rajouter. Elle peut envisager sans crainte de se lancer dans la carrière. Surtout quand on sait que le plus difficile pour un comédien, c’est tout de même de faire rire. Elle y parvient avec beaucoup de finesse. Et elle a l’air tellement heureuse d’être sur scène !
Quant à Alil Vardar, il en fait des tonnes, c’est un clown-né. Il aborde goulûment tous les registres, ne recule jamais devant le ridicule, prenant même parfois un malin plaisir à s’y vautrer, il a le sens de la mimique expressive et du geste drôle et, surtout, il excelle dans l’usage de la mauvaise foi bien masculine. On dirait une seconde nature. Bien sûr, dans ce maelström, il lui arrive de grossir un peu le trait, mais il reste une comédie plutôt réussie où l’on ne s’ennuie pas une seconde. Cette pièce devrait connaître un joli succès public car on a actuellement trop besoin de se distraire tout simplement sans se prendre le chou.

samedi 27 mars 2010

Cédric Chapuis "Une vie sur mesure"


Théâtre de Dix heures
36, boulevard de Clichy
75018 Paris
Tel : 01 46 06 10 17
Métro : Pigalle

One-man show de et avec Cédric Chapuis
Mis en scène par Stéphane Batle

Ma note : 8/10

L’argument : C’est l’histoire d’amour d’Adrien pour sa batterie. Ni idiot, ni attardé, Adrien est juste différent. S’il a confiance en vous, il vous fera une place dans son univers où la musique est aussi importante que l’air qu’il respire. Ira-t-il jusqu’à vous révéler son effrayant secret ?

Mon avis : Comment pourrait-on titrer ce spectacle tellement original, tellement personnel ? « Rythme et blues » peut-être ? Ou bien « Les cases de l’oncle Tom » ? Et pourquoi pas « Mr Tambourine Man » ? En fait, Cédric Chapuis est tout cela à la fois.
Adrien Lepage (Cédric Chapuis) est un étrange poussin élevé en batterie. Mais pas un poussin banal et traditionnel. Il serait plutôt une sorte de Calimero ; un Calimero blanc… C’est vrai qu’il n’est pas né dans la bonne nichée et qu’il va lui en falloir de l’insouciance et de la persévérance pour arriver à ses fins car le rêve qu’il couve – oui c’est un poussin qui couve – c’est de jouer de la batterie. Rien d’autre ne compte pour lui. C’est aussi vital qu’obsessionnel.
L’histoire d’Adrien commence dans le noir. Avant même qu’il ne se mette à parler, on l’entend se livrer à des mouvements de percussions. Il tape dans ses mains et se frappe les cuisses en rythme. Et dès que la lumière se fait, apparaît un Pierrot blanc qui nous explique que, dès son plus jeune âge, il a toujours été fasciné par les sons et n’a eu de cesse que de les interpréter et de les reproduire. Le moindre bruit passant à sa portée était répercuté, analysé et placé dans sa grille rythmique.
Le gros problème, c’est qu’Adrien ne grandit pas dans le climat idéal pour nourrir et assouvir son irréfragable passion. Ni chez lui où il est confronté à la bêtise et à la brutalité de Bernard, l’homme qui partage la vie de sa mère, un individu fruste et alcoolique, pratiquant les percussions à sa manière sur sa femme et son fils. Ni en classe où, se désintéressant totalement de la chose scolaire, il n’étudie que le son et pas ses leçons. Ce qui lui vaut là aussi d’essuyer quelques revers de main qui ne tombaient que rarement en mesure. Or, notre Calimero ne souffre pas de cette incompréhension et de cette hostilité. Etre naïf et pur, il ne voit le mal nulle part.
Qu’il est heureux quand il raconte son histoire d’amour avec sa batterie ! Littéralement habité, des étoiles plein les yeux, un grand sourire candide, il nous l’offre en partage. Quand il est devant ses tambours, il est transfiguré. Il entretient avec son instrument une véritable relation charnelle. Ils font tellement corps qu’on ne sait lequel des deux mène l’autre à la baguette. Et il nous fait la démonstration de toutes les variations rythmiques qu’il peut en tirer.
Puis il revient à son histoire. A ses querelles avec ses condisciples, à ses démêlés avec l’affreux Bernard. Il constate et subit les agressions comme si elles concernaient un autre que lui. Il en est une sorte de témoin détaché. Ce qui est pratique car il est rarement malheureux. Il est tellement différent des autres. A moins que ce ne sois l’inverse ! Sa singularité n’est pas encombrante puisqu’elle trouve toute sa plénitude quand il s’installe devant son instrument. Lorsque Bernard, pitoyable batteur, frappe sa mère, Adrien le réduit à une ellipse pleine d’innocence : « Bernard colère, maman fontaine »…
Sa relation fusionnelle avec sa batterie, sa virtuosité grandissent en même temps que lui. Il connaît, presque à son corps défendant, ses premiers émois amoureux, découvre les sensations des premiers joints… Quelques scènes empreintes de poésie nous enchantent comme le souvenir de son premier slow mimé avec un pied de batterie, de même que quelques trouvailles scéniques nous transportent comme quand il s’offre une « tournante » avec sa batterie.
Cédric Chapuis nous offre un spectacle à nul autre pareil qui n’est pas vraiment un one-man show puisque sa batterie lui donne régulièrement la réplique. La forme d’humour distancié qu’il a face aux événements rend souriantes des situations qui, parfois, sont franchement dramatiques. A travers le prisme déformant de son regard, le mal n’existe pas. Comédien hyper expressif et sensible, il nous émeut souvent presque « à l’insu de son plein gré ». Sa passion quasi mystique pour son instrument le protège de tout, mais en même temps l’éloigne et le rend inaccessible. Sans qu’il s’en rende compte, sa batterie est à la fois son épanouissement et son enfermement. C’est très finement joué. Il se dégage de lui tant d’amour et de fragilité qu’on n’a qu’une envie, le prendre dans nos bras et le guider jusqu’à ses chers fûts, toms et autres caisses claires pour qu’il connaisse aussitôt le bonheur et nous offre du plaisir en retour.
Allez, Adrien, joue, joue pour nous… Et pour toi !
T’as pas cymbales ?

mercredi 17 mars 2010

La plus folle histoire de la Chanson


Théâtre des Bouffes Parisiens
4, rue Monsigny
75002 Paris
Tel : 01 42 96 92 42
Métro : Quatre-Septembre

Ecrit et interprété par Xavier Cherrier, Michel Puyau et Sylvain Richardot
Mis en scène par Marinette Maignan

Ma note : 8/10

L’argument : En musicologues irrésistibles et interprètes délirants, les Chanson Plus Bifluorée revisitent le patrimoine de la chanson. Reprises déjantées et détournements désopilants sont de mise !
De la Préhistoire au slam, en passant par le Moyen-âge, le bas-âge, l’âge bête, la révolution française, les années 1900, les années folles, les guerres de 14, de 39, de mai 68, le choc des années 70, le kitch des années 80, la nouvelle scène…
De sa naissance et ses premiers babils jusqu’à son apogée et son âge d’or, vous saurez tout sur cet Art noble qu’est la chanson.

Mon avis : Avec ce spectacle, Chanson Plus Bifluorée fait parfaitement honneur à son nom. « Chanson », on peut ajouter un « s »car elles sont l’âme de ce concept ; « Plus », parce que plus fort, plus loin (dans le temps), plus marrant, et plus écrit ; et « Bifluorée », sachant que le fluor est un élément chimique fortement réactif, la leur, de réactivité, est à son zénith. Mais attention, nos énergumènes chantants ne se produisent pas au Zénith, ne vous trompez pas. Ce sont les fameux Bouffes Parisiens qui servent d’écrin à leur nouveau spectacle intitulé (à juste(s) titre(s) La plus folle histoire de la Chanson.
S’accompagnant au piano, à la guitare, à l’harmonica et s’appuyant sur les effets d’une bande-son particulièrement originale et efficace, les C+B réussissent la gageure de nous faire voyager en chanson à travers le temps. C’est qu’ils remontent loin les bougres puisqu’ils partent de la Préhistoire. Manière subliminale de rappeler qu’ils ont été auréolés d’un prix de l’Académie Charles-Cros… magnon. J’aurais bien aimé voir le bulletin de déclaration à la Sacem de leurs onomatopées, tombées depuis belle lurette dans le domaine public. Et puis, ils se mettent à remonter le temps. D’abord en respectant la chronologie : 11è siècle, Moyen-âge… Avant de s’amuser à bouleverser allégrement les époques.
Ce spectacle est un enchantement. Purement vocal d’abord car leurs trois voix sont idéalement complémentaires. Quand ils chantent en canon, c’est du miel qui nous coule dans les trompes d’Eustache tant c’est harmonieux. Ensuite, c’est au niveau de l’humour qu’ils nous ravissent : jeux de mots, anachronismes, gags, imitations, costumes, numéro de marionnette (celui-là, je vous le recommande !), parodies... Enfin, ils ponctuent ce florilège de la chanson française de quelques réjouissantes rubriques plus ou moins récurrentes, comme « Le shaker à chansons », dans lequel ils pratiquent sans vergogne l’échangisme, ou « les textes à trous ». De vraies et bonnes trouvailles. Ils touchent même au domaine de la performance en réussissant à interpréter huit titres des années 60 en trois minutes. Trois minutes de bonheur pour paraphraser Sylvie Vartan, histoire de rester dans l’époque.
Voilà, je ne me sens pas le droit d’en raconter plus sur ce spectacle à nul autre pareil, spectacle que l’on peut qualifier de loufoque et de (grande) qualité car derrière l’apparente facilité, il y a un sacré boulot !
Et en plus, ils se produisent à 18 h 30, un horaire qui permet ensuite toutes les libertés pour la soirée, y compris de rentrer à temps pour les programmes télévisés. Avec, en prime, grâce à leur transfusion de chant, le plein bonne humeur pour plusieurs heures.

Le temps de la kermesse est terminé


Un film de Frédéric Chignac
Avec Stéphane Guillon (Alex), Aïssa Maïga (Martina), Ali Monzanza (Mamadou), Malik Sall (Dogni), Eriq Ebouaney (Lieutenant Bado), Amara Conde (Le Banni), Thierno N’Diaye Doss (Le chef du village)…
Sortie le 17 mars

Ma note : 5,5/10

Synopsis : Alex ne devait rester que quelques minutes à Koupala, le temps de prendre de l’essence. Mais en panne de voiture, son séjour va être bien plus long que prévu…
Dans ce petit village perdu au milieu du désert africain où personne ne passe pour le secourir, Alex perd progressivement ses repères et ses certitudes de Blanc d’Afrique. Sans le savoir, il devient un enjeu vital pour le village…

Mon avis : En préambule dans le dossier de presse, Jean-François Lepetit, producteur du film, après avoir expliqué sa démarche, avoue sa lucide appréhension face aux difficultés « à faire exister » ce film « aux yeux du public ». Sachant cela, il n’en a donc eu que plus de courage à accepter de le produire. En effet, Le temps de la kermesse est terminé n’est pas un film facile. C’est le moins qu’on puisse dire.
Dès les premières images, le décor est planté : un paysage désespérément désertique composé uniquement de sable, de cailloux et de poussière. Et au milieu, un village ; un village construit de bric et de broc de part et d’autre de l’unique piste qui le traverse. Bonjour l’isolement, bonjour la solitude, bonjour le moral. Et un Blanc… Un Blanc prisonnier de ce village où il était venu faire le plein. Il n’a jamais pu redémarrer. Pendant qu’un quatuor de jeunes gens s’évertue sur ses ordres à pousser le véhicule en haut d’une pente dans l’espoir de le faire repartir quand il aura pris de la vitesse, Alex (Stéphane Guyon) tue le temps en faisant la navette entre son austère maisonnette et la seule épicerie-buvette.
Le visage buriné, le regard bleu un peu las, le ton juste, Stéphane Guyon est impeccable. Il est comme une mouche prise dans une toile d’araignée. Sa liberté de mouvement est très limitée. Il ne peut non plus espérer d’aide – et donc de salut – de la part du lieutenant qui dirige la petite caserne sise en hauteur à quelques encablures du village. Cette caserne est d’ailleurs un vrai paradoxe. Equipée d’une radio, elle constitue le seul lien vers l’extérieur mais, hélas, les civils n’y ont pas accès. A moins qu’en monnayant le service… Et encore. Et puis c’est aussi le seul endroit où l’on peut voir du vert car notre lieutenant d’apparence si rigide sur le règlement, consacre l’essentiel de son temps à entretenir un potager tout-à-fait inattendu dans ce paysage. Avec ce représentant de l’ordre, Alex est confronté aux complications inhérentes à l’administration et aux mentalités africaines.
En fait, ce sont deux cultures qui s’affrontent. Les Noirs ont le pouvoir, le Blanc a de l’argent. Mais la réalité n’est pas aussi simpliste que ça car il y a des choses que l’on ne peut quand même pas acheter.

La lenteur du temps qui passe est extrêmement bien rendue dans ce film. Elle est encore plus amplifiée par cette parabole du mythe de Sisyphe que représente la remontée de la voiture d’Alex en haut de la côte, sorte de mouvement perpétuel et démoralisant. On n’a aucun mal à se projeter dans la peau et dans la tête d’Alex. On s’y voit. Et on ferait exactement les mêmes choses que lui si l’on était à sa place. Enfin, surtout quand on est un garçon. Car il y a la présence de Martina (Aïssa Maïga). Elle est plutôt belle, involontairement sensuelle, et elle ne peut qu’attirer la convoitise de cet Européen qui s’efforce de meubler comme il peut son oisiveté forcée. Alex est dur, voire humiliant avec elle. Passive et résignée, elle ne voit en lui que l’échappée possible vers la France. Encore faut-il qu’il accepte de l’emmener si la voiture consent à redémarrer un jour…
Alex vit dans ce village une parenthèse immobile totalement kafkaïenne. Comme il n’y a pratiquement pas d’action, tout passe par les gestes, les attitudes et les expressions. Il faut que l’on puisse capter tout ce qui peut lui passer par la tête. Disons-le tout net, Stéphane Guillon réalise dans le rôle d’Alex une formidable performance d’acteur. Pour moi – et cela n’engage que moi – il y a du Jean Yanne chez Guillon. Il possède autant de talent à se faire aimer qu’à se faire détester. C’est l’apanage des plus grands. Guillon est mûr aujourd’hui (il a achevé de mûrir au soleil de l’Afrique). Le cinéma ne peut pas se passer d’un personnage aussi évident.
Le hic, c’est que, toujours à mon avis, trop peu de personnes n’auront l’occasion de le vérifier car ce film est tout sauf grand public. Et il risque de passer inaperçu.
Pourtant ce film contient une quantité de messages et il rend parfaitement les difficultés à intégrer une culture quand on en a reçu une autre. Il n’y a aucune complaisance et aucune concession. On nous raconte une histoire et on nous laisse libre d’en penser ce que l’on veut, d’adhérer ou de se ressentir parfois un certain malaise.
Mais, pour cela, il faut accepter l’aridité du décor, le rythme terriblement lent, l’éprouvante répétition des situations. On ne peut pas rester indifférent à ce film. A condition de vouloir aller le voir…

samedi 13 mars 2010

Allô maman Dolto


Théâtre Mélo d’Amélie
4, rue Marie-Stuart
75002 Paris
Tel : 01 40 26 11 11
Métro : Etienne Marcel / Les Halles

Pièce écrite par Guy Baret
Adaptée par Sophie Duprès
Avec (en alternance) Marie Blanche ou Julie Williamson, Dominique Mérot ou Ludivine de Chastenet

Ma note : 7,5/10

Note de l’auteur : Cette pièce n’est nullement dirigée contre Françoise Dolto, qui a toujours rappelé que « l’enfant est une personne », sans jamais prétendre que c’est une grande personne à laquelle on doit tout dire de sa vie d’adulte. J’ai seulement voulu peindre avec humour ces professionnels de la puériculture ou ces parents « doltomaniaques » qui n’écoutent pas leur enfant mais le décryptent ! Voilà qui devrait dédramatiser l’éducation des enfants et permettre aux parents d’agir avec simplicité et bon sens, sans culpabilité à l’égard de leur progéniture.

Mon avis : Je m’attendais à sourire et j’ai beaucoup ri. Si le texte de Allô maman Dolto est intelligent, les mots et les situations qui l’illustrent sont excessivement drôles. Il faut reconnaître que les deux jeunes femmes qui en interprètent tous les personnages (le soir où j’y suis allé c’étaient Julie Williamson et Ludivine de Chastenet) y apportent autant de conviction que de folie. Le fond du propos est on ne peut plus sérieux, puisqu’il s’agit de la perception et de l’éducation des enfants, mais les différents tableaux et saynètes qui se succèdent sont désopilantes à souhait. Certes, le parti pris de la pièce est de mettre en scène les « Doltomaniaques », c’est-à-dire des sortes de pasionarias intégristes qui interprètent à leur manière hyper rigide les préceptes de la célèbre pédiatre. Pour elles, tout doit pouvoir s’expliquer. Rien dans le comportement de bébé ne peut être anodin. Elles constatent le fait, elles l’étudient, le décortiquent, l’analysent et, neuf fois sur dix, se mettent à culpabiliser… ou à faire culpabiliser leur interlocutrice moins au fait qu’elles sur les ouvrages de Dame Françoise. La base de tout, pour elles, c’est la communication. Il faut communiquer avec le rejeton quel que soit son âge ; y compris quand il n’est encore qu’à l’état de fœtus.
La pièce démarre sur une sorte de pré-générique, histoire de nous mettre illico presto dans le ton. Une maman décrypte pour nous les agissements de son garçonnet qui répond au doux prénom de Pierre-Sosthène. On comprend tout de suite que l’on a affaire à une redoutable extrémiste. Quoi que fasse le bambin, elle nous assène sa science (et où qu'elle est la communication dans tout ça ?). Elle ne l’écoute même pas puisqu’elle SAIT. Tout doit avoir du sens. Si on ne trouve pas l'explication Dolto-rationnelle, et bien on l'invente. Et, finalement, le pauvre gamin est complètement livré à lui-même.

Passé ce préambule, nous allons assister à cette fameuse succession de tableaux évoquée plus haut. Nos deux duettistes abordent les principaux stades de l évolution enfantine, des stades oral, anal (ou psycacanalyse)et phaliique, jusqu’au complexe d'Oedipe et aux troubles du sommeil. Le partage des rôles entre les deux comédiennes, remarquablement complémentaires, est parfait. Si l’une est plus souvent dans le registre du clown blanc, l’autre est carrément dans celui de l’Auguste avec un sens très affiné du burlesque et de la pantomime. Très joueuses l'une et l'autre, elles ne ménagent pas leur peine et leur fantaisie. D'autant qu'elles ne sont vraiment pas inhibées par la crainte du ridicule.
Tour à tour, elles nous emmènent en consultation, nous livrent les discussions récurrentes de deux copines, Coco et Véro, nous entraînent par deux fois à la halte garderie (véritable terrain d’expérimentation pour les « doltomaniaques avec interprétation vaseuse mais très docte des dessins du chérubin), nous font assister à un pittoresque match de tennis plus bavard que sportif… C’est très varié, très rythmé, très imagé et, je me répète, formidablement interprété (personnellement, j’ai vraiment apprécié la séquence de doublage dans le langage des sourds muets).
Le seul problème, c’est que quand on sort du Mélo d’Amélie, en dehors du fait que l’on y a beaucoup, beaucoup ri, on n’est pas plus avancé sur la façon d’appréhender nos chers rejetons. Dolto ou pas Dolto, il n’y a pas de recette miracle.

jeudi 11 mars 2010

Anthony Joubert


Théâtre de Dix Heures
36, boulevard de Clichy
75018 Paris
Tel : 01 46 06 10 17
Métro : Pigalle

Spectacle écrit par Eric Collado et Anthony Joubert

Ma note : 6,5/10

L’argument : A l’âge de 20 ans, Anthony Joubert est jeté hors du foyer familial par son père qui refuse de le voir embrasser la carrière de comique. Livré à lui-même, il se lance dans le récit de ses déboires et de son parcours initiatique…

Mon avis : Voici un garçon nanti d’un potentiel énorme. Il a une bonne bouille, un sympathique accent légèrement chantant, il est bon comédien, il sait raconter des histoires, et surtout une formidable façon de bouger et d’occuper la scène. Physiquement très à l’aise, il fait ce qu’il veut avec son corps. Son entrée en scène, carrément fracassante, en témoigne. Il vient de se faire virer manu militari du foyer familial par son père qui ne peut se faire à l’idée qu’il ambitionne de devenir comique de métier.
On sent que c’est sans doute très proche de la réalité. D’ailleurs, tout son spectacle va être nourri par son propre vécu. Mais, même s’il connaît des galères, il a l’art de les rendre marrantes grâce au prisme déformant de l’humour et de la dérision. Car il se moque beaucoup de lui-même, allant parfois jusqu’à se dénigrer, ce qui le rend encore plus attachant.
Anthony Joubert fait preuve tout au long de son one-man show d’une invraisemblable débauche d’énergie. Il est vif, généreux, charismatique et possède déjà toute une panoplie de gestes et de mimiques particulièrement efficaces. Il possède également cette faculté assez rare de rebondir en fonction des réactions de certaines personnes de la salle qui, se comportant comme si elles étaient à un repas de famille, se permettent des réflexions à voix haute. Au lieu d’en être déstabilisé, il s’appuie dessus, renvoie la balle et mémorise l’intrus(e) pour lui ressortir une vanne ultérieurement. Ce qui dénote d’une jolie maîtrise mentale.
Son spectacle est un véritable patchwork. Comme il fait de nous les confidents de son expérience, il donne l’impression de passer du coq à l’âne et de ratisser large sur le plan des sujets. Il évoque les séries télés, des plus actuelles aux plus ringardes, il nous emmène à la fête foraine, il parodie les publicités, utilise des extraits de chansons pour construire ses dialogues amoureux, il participe à l’Ile de la tentation, il nous narre son échec sentimental, revient sur ses difficultés scolaires, et s’attarde sur sa vocation de comique et le rapport à la célébrité.
Il n’arrête pas de parler, il bouge sans cesse, se marre quand il se prend les pieds dans le tapis, communique avec la salle… Bref, il est d’une incroyable tonicité. Alors, bien sûr, dans ce déferlement de mots, de situations et d’images, il ne peut pas tout le temps être au top. Il se laisse parfois aller à des blagues de potache et à des calembours un peu faciles. Il mérite toutefois beaucoup d’indulgence car, comme dans le lit d’un torrent, les orpailleurs de l’humour parviennent à retenir quelques pépites, quelques traits d’esprit qui ne font que confirmer que le jeune homme est bien prometteur. Il possède effectivement déjà un sacré bagage qui peut le faire voyager loin.
On ne peut évidemment pas parler de ce spectacle sans évoquer sa créature, le sieur William de Fly, artiste approximatif et sans états d’âme. Le cheveu ébouriffé, la guitare qui se voudrait gitane, il nous livre avec un enthousiasme qu’il veut communicatif quelques chansons totalement inclassables. Cette relation plutôt subie avec ce personnage envahissant et sans gêne, lui permet de nous offrir quelques jolies séquences d’une réjouissante schizophrénie.
Et puis il y a la (presque) fin à laquelle, personnellement, j’ai été très sensible. Tout en restant léger dans le ton, il réussit à teinter ses mots d’émotion dans l’évocation céleste de sa maman disparue et à nous proposer une très jolie tirade sur le bonheur. C’est drôle et touchant à la fois et ça accroît encore son capital sympathie.
Je ne m’attarderai pas sur la chanson finale qui est une gentille resucée et qui a un air de déjà vu. Mais elle lui permet un moment de partage complice et joyeux avec un public qui joue spontanément le jeu.
Comme je le disais en préambule ? Anthony Joubert est un garçon qui possède un très, très gros potentiel. Son père a tort, il est fait pour ce métier et je ne serais pas surpris que le théâtre et le cinéma lui fassent bientôt les yeux doux.

mardi 9 mars 2010

Sans laisser de traces


Un film de Grégoire Vigneron
Scénario de Laurent Tirard et Grégoire Vigneron
Avec Benoît Magimal (Etienne Meunier), François-Xavier Demaison (Patrick Chambon), Julie Gayet Clémence Meunier), Léa Seydoux (Fleur), Jean-Marie Winling (Maurice), Dominique Labourier (Micheline), André Wilms (François Michelet), Stéphane de Groodt (Kazinski)
Sortie le 10 mars 2010

Ma note : 6,5/10

L’histoire : A bientôt 40 ans, Etienne est sur le point de prendre la présidence de son groupe. Mais, toujours hanté par une injustice qu’il a commise au début de sa carrière et qui lui a mis le pied à l’étrier, il aimerait soulager sa conscience. Sur les conseils d’un ami de jeunesse qu’il vient à peine de retrouver, il se rend chez l’homme qu’il a lésé à l’époque pour le dédommager. Mais les choses tournent mal et l’homme est tué par son ami. Etienne tente alors de reprendre le cours de sa vie, mais celle-ci vire peu à peu au cauchemar…

Mon avis : Voici un film qui démarre sous les meilleurs auspices avec un Benoît Magimel très convaincant en homme pressé, sorte de working boy fonceur et impitoyable en affaires. Or, très vite, on constate que son insolente réussite a été construite sur un coup tordu. Il a pris à son compte un brevet reçu par la poste, brevet qui allait faire la fortune de son entreprise. Au moment d’en venir seul le grand patron à la place de son beau-père, le remords se fait de plus oppressant. Etienne n’est pas un robot destructeur, il a du cœur et il aimerait bien pouvoir dédommager sa victime. Tout est donc en place pour installer le climat d’un bon thriller. Il ne manque que l’aiguillon qui va l’amener à franchir le pas. Cet aiguillon, il prend la forme de Patrick Chambon (François-Xavier Demaison), un ex-ami de jeunesse rencontré par hasard à un distributeur.
Devant l’air bonhomme de Patrick, Etienne libère sa conscience. Patrick lui propose spontanément de l’accompagner chez le vrai père du brevet. Une fois arrivés sur place, les deux garçons se trouvent confrontés à un individu amer et revanchard qui ne supporte pas d’avoir été spolié. Pour rattraper toutes ces années perdues, il exige une rente colossale. Le ton monte, l’homme se fait menaçant envers Etienne. Voyant son ami en danger, Patrick le frappe à la tête. Hélas, le coup s’avère mortel. Etienne et Patrick s’enfuient…
A ce moment de l’histoire, le thriller est parfaitement lancé. Et on se doute que Patrick, être lâche, veule et vénal, va désormais pourrir la vie d’Etienne… Ce qui ne manque pas bien sûr d’arriver.
Mais c’est aussi à ce moment que les invraisemblances commencent à s’accumuler. A trop vouloirs créer de rebondissements, on part un peu dans tous les sens. N’est pas Hitchcock qui veut… Le grand amateur de polars que je suis a souffert devant les grosses ficelles du scénario. A commencer par l’intrusion inopinée de Fleur, la fille de la victime qui est un peu tirée par les cheveux, même si elle contribue à refermer le piège autour d’Etienne. Lequel Etienne, foncièrement honnête et persuadé qu’on peut tout arranger avec l’argent – un réflexe qui se produira plusieurs fois au cours du film – fait tout ce qu’il peut pour acheter les silences (Patrick) ou aider financièrement une pauvre orpheline (Fleur). Rien ne se déroule comme prévu et l’étau se resserre encore plus.
Les incohérences continuent à gâcher le plaisir de l’esprit trop cartésien. Certaines scènes, celle de l’appartement où Fleur donne une fête ou celle où le flic confie anormalement ses indices par exemple, manquent totalement de logique. On comprend bien qu’elles sont là pour continuer à charger la mule, mais ça manque de crédibilité. Résultat on a tendance à décrocher et même, parfois, à se laisser aller à sourire…

Et bien, malgré tout, il y a suffisamment d’éléments largement positifs pour que les personnes pas trop difficiles se laissent porter par cette histoire.
D’abord, il faut bien reconnaître que la fin est magistrale. Là, il y a un vrai suspense, super stressant, super bien joué par Benoît Magimel. De toute façon, tous les acteurs son remarquables et ils se donnent à fond malgré les ressorts détendus. Ils sont vraiment tous bons.
Benoît Magimel campe magistralement un homme dont le fond est bon. Sa légitime ambition est plombée par son méfait de jeunesse. Tout ce qu’il veut, c’est réparer son geste malveillant. Bien sûr, il le fait maladroitement. Pareil avec son épouse. Il est évident qu’il l’aime et qu’il la respecte, mais son lourd secret pèse de plus en plus entre eux. Comme quoi, il faut toujours dire les choses. Ensuite, le jeu de Magimel ne fait que monter en puissance. Il devient parano et irascible. Il faut dire qu’il y a de quoi.Il porte le film sur ses épaules et il en a largment l'envergure.
François-Xavier Demaison fait la preuve qu’il est extrêmement à l’aise dans ce genre de registre dans lequel il nous fait oublier l’humoriste. Sous ses airs bonasses, on sent perler la mentalité d’une petite crapule étriquée aux entournures. C’est un vrai boulet, le champion du coup tordu. Un médiocre quoi. Il n’y a que des louanges à émettre sur sa prestation.
Idem pour Julie Gayet, tiraillée entre son amour pour Etienne et son affection pour ses parents qui le traitent avec la condescendance de ceux qui ne sont pas du même milieu ; et de plus en plus soupçonneuse devant les comportements douteux et les mensonges évidents de son mari. La femme prévenante et aimante du début, se tend de plus en plus comme un arc. Elle est toujours juste.
Et puis il y a Fleur (Léa Seydoux), la trouvaille du film. Elle y apporte sa candeur, sa fraîcheur, sa légèreté. Elle campe une brave fille un peu dépassée par les événements et qui ne sait pas trop comment gérer les largesses d’Etienne.
Les parents de Clémence (Julie Gayet) apportent eux aussi une pierre de qualité à l’édifice. Dominique Labourier est excellente en belle-mère cynique, joyeusement acerbe et sarcastique. Et Jean-Marie Wilkening donne à Maurice une vraie épaisseur. Il est tout aussi bon en grand patron responsable et inquiet pour sa succession, qu’en père protecteur.
Enfin, il y a le flic (Stéphane de Groodt), énigmatique à souhait, mais mal servi par un rôle décousu et manquant d’authenticité. Il eût mérité mieux.
En conclusion, il n’est pas impossible que ce film rencontre son public. Le début est vraiment bien et la fin encore plus et il vaut aussi pour la performance des acteurs auxquels on ne peut absolument rien reprocher. Finalement, il n’y a que les pinailleurs dans mon genre, amateurs d’histoires bien tordues mais crédibles qui y trouveront à redire…

jeudi 4 mars 2010

Gaspard Proust "Enfin sur scène ?"


Studio des Champs Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau

Ecrit par Gaspard Proust
Mis en scène par Aslem Smida

Ma note : 8,5/10

L’argument : « Arthur Rubinstein disait : « Je monte sur scène pour faire l’amour à la salle ». Ce n’est pas du tout mon cas. Au contraire, je pense que ma présence sur scène n’a pas d’autre ambition que celle de transmettre aux hommes l’amour de la chasteté. Vous l’aurez compris, je suis porté par un rêve profondément altruiste : laisser aux générations futures un monde moins densément peuplé. Tendrement.
Gaspard Proust
PS : Si ce pitch vous semble un peu léger, c’est également par pur altruisme. Je ne serai jamais celui qui privera un journaliste à cours d’adjectifs comme « déroutant », « caustique » ou « long en bouche avec des arômes de latex et de fessée fraîche », de la partie créative de son travail ».

Mon avis : Ah, et bien voilà qui fait du bien. J’évoquais dans mon précédent Blog à propos de Dieudonné, combien il était délicieux de se faire sodomiser les trompes d’Eustache par du politiquement incorrect. Et c’est d’autant plus agréable quand c’est fait tout en douceur, pas à la hussarde, par un garçon qui n’élève jamais le ton.
Ainsi, Gaspard Proust est « déroutant » et « caustique »… Et dans son spectacle il ajoute même en parlant de sa forme d’humour, « décalé »… Maintenant que j’en ai fini avec les figures imposées, passons derechef aux figures libres. D’abord, la sienne de figure… C’est une sorte de masque le plus souvent impavide qui ne se fait mobile qu’à bon escient. Un sourcil qui se lève (un seul, les deux serait trop fatiguant), un sourire goguenard qui éclaire fugitivement son visage, un œil interrogateur (celui qui se trouve sous le sourcil immobile). Pour la gestuelle, ce n’est guère plus trépidant. Il marche à l’économie, parcourant le plus petit périmètre possible d’un train de sénateur et s’inspirant de Tino Rossi pour les mouvements de bras. Paradoxalement, c’est cette grande retenue qui fait que l’on est encore plus attentif à ce qu’il dit.
« Déroutant », c’est vrai ; « caustique », encore plus vrai ; et « décalé », totalement. Un crochet par le dictionnaire des synonymes me permet d’ajouter « acéré », « acide », « corrosif », « incisif »… Car si le geste est lent et mesuré et le pas compté (le côté Suisse sans doute), la langue, elle, est vive, très vive même. Et l’esprit itou.

S’il s’exprime ainsi, en caustique, c’est parce que, paradoxalement, il n’en a rien à cirer (suivez mon regard du côté de la production). Et puis ce patronyme… Proust ! Pas facile à assumer. Lui, il faut l’avouer, c’est plutôt « A la recherche du déroutant perdu », « Du côté de chez ça vanne », et ses madeleines, elles sont au poivre, façon dragées.
En fait, Gaspard Proust vient occuper la scène un peu comme un touriste. Il arrive nonchalamment du fond de la salle, monte sur les planches, échange posément son blouson pour son blazer de scène (blasé de scène ?). Ne faisant pas cas de notre présence, il semble entièrement plongé dans ses pensées. Et puis, toujours aussi calmement, il s’empare de son portable pour passer un texto. Certes, il s’en excuse auprès de nous, mais son manque flagrant de courtoisie n’a d’égale que la goujaterie de son message qu’il a l’indélicatesse de nous lire à voix haute. Oh, le mufle ! Mais, au moins, le ton est donné.
Gaspard Proust ne ressemble à personne. Même pas à Desproges chez qui d’aucuns lui trouvent une filiation. C’est vrai qu’il a une propension roborative à l’humour noir, qu’il pose des mines sur tous les terrains et envoie des exocets tous azimuts. On ne peut pas le taxer de parti pris puisqu’il tape sur tout ce qui bouge, ou qui ne bouge plus. Sa misogynie est culturelle, son anticléricalisme systématique, et sa mauvaise foi chronique. Mais il ne cesse de se disculper en se retranchant derrière un « je suis lucide » plein de condescendance… Son spectacle n’a pas l’air écrit. Il donne l’impression de quelqu’un en train de réfléchir tout haut et qui a envie de nous faire partager le fruit de ses observations. Le problème, c’est qu’il ne voit pas les choses comme le clampin lambda. Et sa façon de les dire est elle aussi très spéciale. Son écriture est dense et variée car, non seulement il possède un vocabulaire précis et riche (c’est qu’il a fait des études, le bougre). Avec lui une phrase n’est jamais finie. Un grain peut en cacher un autre. Ou alors, il inverse sardoniquement le sens premier des choses. « Déroutant », on vous dit ! S’il s’autorise une petite glissade du côté d’une blague assez lamentable, c’est pour rebondir aussitôt avec un aphorisme saignant. Il adore également utiliser des images saugrenues et des associations contre nature. Et il n’hésite pas à interpeller le public avec des interventions vraiment déstabilisantes.

Gaspard Proust, c’est le champion de l’humour désabusé. Rien ne trouve grâce à ses yeux, même son érotisme est « low coast », c’est dire l’état désastreux de sa libido.
Trêve de plaisanterie, voici enfin un énergumène avec un vrai univers, un loustic prêt à assurer la relève de l’humour vachard et très politiquement incorrect. Il serait temps que sonne le renouveau dans ce domaine alors que l’on craignait qu’un couvercle fût mis sur cette forme d’expression. Enfin quelqu’un avec qui on peut rire de tout sans crainte d’être censuré ou flagellé. Je vous jure, ça fait du bien, c’est salutaire. Gaspard Proust a créé un personnage qui va faire son trou uniquement en versant de l’acide. Il n’y a rien de plus efficace. Et il a beau tout faire pour se faire détester, on le trouve vachement sympathique.

Dieudonné "Sandrine"


Théâtre de la Main d’Or
15, passage de la Main d’Or
75011 Paris
Tel : 01 43 38 06 99
Métro : Ledru-Rollin

Spectacle écrit, mis en scène et interprété par Dieudonné

Ma note : 7,5/10

L’argument : Un des précédents spectacles de Dieudonné s’intitulait Le divorce de Patrick. Aujourd’hui, six ans plus tard, le divorce est consommé. Mais Patrick n’a pas pu oublier Sandrine, son ex. Et il continue à la harceler et à lui pourrir la vie. Seulement, il est allé un trop loin. Il a frappé madame et elle a porté plainte. Il s’en suit donc un procès pour coups et blessures que nous sommes invités à suivre dans ses moindres détails…

Mon avis : On peut dire tout ce que l’on veut de Dieudonné, mais il reste un de nos plus grands talents en matière de one-man show. Que ce soit dans son écriture, nerveuse et acérée, et dans son jeu, d’une formidable étendue, il fait preuve d’une originalité totale. Il possède une science du comique qui n’appartient qu’à lui.
Son nouveau spectacle, Sandrine, est de la même veine que tous ceux qu’il présente depuis qu’il se produit en solo sur scène. C’est-à-dire qu’il fait une nouvelle fois appel à toute une galerie de personnages hauts en couleur qui apportent chacun son éclairage et son témoignage sur une affaire donnée. Ici il s’agit d’un procès pour coups et blessures qu’intente madame Sandrine à son ex-mari, Patrick.

Personnellement, je me rends au théâtre de la Main d’Or à chaque nouveau spectacle de Dieudonné uniquement dans le but d’y passer un grand moment d’humour fin et caustique. Je n’y vais pas pour assister à une tribune politique – d’ailleurs il n’y en a pas – ou à une quelconque diatribe raciale ou sociale. J’aime l’humoriste Dieudonné et ça fait vingt ans que ça dure. Point !

Bien sûr, son sens exacerbé de la provoc’ n’est pas toujours du meilleur goût, mais tous les humoristes vous le diront, ils sont prêts à se damner pour sortir un bon mot ou pour dénicher la plus cinglante des métaphores. Le préambule du spectacle de Dieudonné, entièrement en voix off, ne déroge pas à cette règle. Il faut bien avouer que l’idée, même choquante, est imparable. Etre choqué, ça fait partie aussi de ces petits plaisirs intimes que l’on garde de l’enfance. Au fond de nous, on aime bien ça. Agissant comme une soupape face à des réalités parfois dures à accepter, l’humour noir fait partie de la culture française. Et il est souvent réconfortant de sourire de certains sujets qui ont trop fait pleurer. Ce n’est parce qu’on rit d’une formule acide ou d’une situation horrible qu’on est insensible et indifférent. Au contraire, même. C’est une manière de l’accepter, de ne pas faire l’autruche. Lorsqu’on possède un certain recul, on peut rire de tout. Il est arrivé que ce soit une question de survie, une manière de se protéger de l’inacceptable. Et tant que ça fait partie de sketches et que ce sont des mots prononcés par des personnages, il faut savoir s’en amuser.
Pour en revenir à Dieudonné, lorsqu’il apparaît sur scène, il ne nous livre pas tout de suite le procès de Patrick. Il s’attarde d’abord un temps sur sa situation de comique interdit, d’artisan de l’humour qui ne peut plus exercer son métier librement. Sur son permis de faire rire, on lui a ôté tous les points. Ne circulez plus, il n’y a rien à voir ! Sans misérabilisme aucun, il raconte ses difficultés à partir en tournée et sa parade mobile (un bus) pour continuer à donner ses spectacles en province.

En ayant terminé avec ces petites digressions liminaires, Dieudonné entre dans le vif du sujet. Il nous emmène au tribunal pour nous y faire vivre l’affaire « Boulard contre Boulard », Sandrine contre Patrick. Et il commence son festival en endossant les voix, les accents, les caractères, les mentalités, les tics de langage des protagonistes de ce procès somme toute banal. Le premier individu qu’il campe est le juge. Un juge fantasque et affreusement subjectif qui dresse le rappel des faits… Patrick Boulard tente alors d’assurer sa défense. C’est un homme fruste, qui fait énormément de fautes de langage et qui, comme beaucoup de personnes limitées, appuie ses dires avec force gestes très explicites. C’est un primaire qui estime que frapper sa femme, ce n’est pas si méchant que ça… L’avocat représentant la plaignante, Sandrine, intervient alors. S’appuyant sur des péripéties réelles, il dépeint Boulard comme un être odieux, infect, dénué de tout scrupule. Il remémore ainsi un accident de la circulation dont Sandrine a été le témoin muet et soumis et dans lequel Patrick a eu une attitude particulièrement sordide… Lequel Patrick n’a pas grand-chose à espérer de la part de son avocat commis d’office, maïtre Akébé, qu’il traite d’ailleurs de « pygmée », et pour lequel Dieudonné adopte évidemment un savoureux accent africain… Un accent qu’il troque avec virtuosité pour prendre celui du Midi afin de faire intervenir un personnage pittoresque qui intervient en tant que représentant du MIF (Mouvement contre l’Impérialisme Féminin)… Ensuite, toujours aussi bon dans l’exercice, Dieudonné prend successivement les accents asiatique, arabe et antillais avant de nous faire assister à l’interview de Sandrine par un journaliste télé et de terminer par un sketch aussi subtil que truculent sur le séjour de Patrick en prison dont je vous laisse découvrir tout le sel.
Enfin, il termine son spectacle par un superbe hommage à Claude Nougaro, suivi d’un sketch qui, tout remarquablement écrit qu’il soit (ou peut-être à cause de ça) crée un certain malaise. J’aurais préféré terminer sur une note un peu plus joviale.
Vous l’aurez compris, tout au long de ce spectacle, Dieudonné se livre à un exercice ébouriffant de comédie pure. Il fait vivre chaque personnage devant nous avec son accent, ses mimiques, ses gestes propres. Et comme d’habitude, cette galerie est particulièrement croquignolette, c’est toujours aussi bien écrit et aussi formidablement interprété. Et puis il a toujours cette façon si personnelle de jouer avec le public, attentif à la moindre réaction intempestive ou décalée pour l’interrompre d’une de ces boutades ou réflexions dont il a le secret. C’est vraiment du grand art.
Et bien il ne me reste plus qu’à attendre son prochain one-man show. Ce qui ne saurait beaucoup tarder vu le rythme auquel il écrit et sort ses spectacles.

mardi 2 mars 2010

Paperblog

Je valide l'inscription de ce blog au service Paperblog sous le pseudo gjouin

Le (presque) grand amour


Théâtre des Variétés
7, boulevard Montmartre
75002 Paris
Tel : 01 42 33 09 92
Métro : Grands Boulevards

Une comédie de Patrick Hernandez
Avec Sandra Gabriel et Foudik Kaïbou

Ma note : 7/10

L’histoire : Rémy et Nathalie sont tous deux à la recherche du partenaire idéal. Malgré leurs échecs sentimentaux respectifs, ces deux trentenaires continuent de rêver au Grand Amour. Rémy ne se remet pas de sa dernière rupture et cherche désespérément une femme « pas compliquée, qui ne connaîtrait pas la migraine »… Nathalie, quant à elle, rêve du Prince Charmant au cœur tendre qui l’acceptera telle qu’elle est, « heureuse, libre et épanouie ».
C’est ainsi qu’entrent dans la vie de Rémy et Nathalie deux bons génies de l’Amour prêts à exaucer leurs vœux. Cette perfection tant attendue suffira-t-elle à combler nos deux célibataires ?

Mon avis : Ayant pour principe de ne jamais lire un dossier de presse (même pas le résumé de la pièce ou du film) avant de me rendre à un spectacle afin d’avoir l’esprit totalement libéré de tout a priori, j’aime bien découvrir une histoire au fur et à mesure qu’elle se déroule devant mes yeux. Mes réactions étant dès lors spontanées, il m’arrive de passer dans différents états d’esprit en fonction de ce que je ressens. C’est précisément ce qui s’est passé en allant voir Le (presque) grand amour.
La première image que l’on reçoit est celle de Rémy, supporter de foot du PSG en train de voir son équipe gagner ( ?) à la télévision (je sais, c’est une fiction). Echarpe du club, fanion, bière… Tout le folklore est là, dans cette piaule typique de célibataire trentenaire.
Soudain, alors qu’il est en plein orgasme sportif, sa liesse est interrompue par une voix qui vient de l’au-delà. Il s’agit d’une certaine Valentine Cupidon, génie de l’Amour de son état. Rémy ne la voit bien sûr pas, mais nous, spectateurs, si. Nous découvrons une sorte d’ange habillée façon vestale, se balançant mollement sur une balançoire sans doute accrochée à un nuage… VC, qui ne porte pas de lunette, le sonde pour savoir quel est son type de femme idéal, s’engageant même à la lui dénicher et à la faire livrer à domicile. Les premières volontés de notre pauvre célibataire ne sont pas situées dans le domaine intellectuel. Elles vont évidemment se nicher en dessous de la ceinture. Et VC d’énumérer à sa place la liste des fantasmes que tout garçon normalement constitué possède dans son imaginaire. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle appelle un chat… un chat.
C’est là que je me suis dit « Ouh la la, où est-ce que l’on est en train de nous emmener ? » Même si je suis loin d’être prude, je ne prise guère ce qui est trivial.
Et bien, j’ai été très vite rassuré… Si la pièce et ses multiples rebondissements tournent en abondance autour du sexe (voire dedans), il faut reconnaître que ce n’est jamais scabreux, ni même vulgaire. C’est rabelaisien, gaulois, coquin. C’est gentiment adulte, quoi !

Autre élément qui plaide en faveur de cette comédie, elle est bien écrite et elle repose sur une histoire vraiment originale. Mettre en parallèle les deux couples formés par un célibataire en manque et un(e) partenaire parfait(e) en tout point et avoir ainsi les deux versions, masculine et féminine, de ce transport amoureux idyllique, c’est particulièrement savoureux. Comme on s’attache à nos deux personnages, on est bien content de suivre l’évolution de leur toute nouvelle vie de couple. Et puis il y a les interventions le plus souvent désopilantes de nos deux bons génies. Le tout, franchement bien secoué, donne un cocktail plutôt savoureux et très riche en ingrédients divers : utilisation judicieuse du « name dropping » dans des allusions inspirées par l’actualité (Bachelot, Sarko, Hortefeux…), jeux de mots inégaux (mais même les plus éculés passent parce qu’ils tombent pile au bon endroit), citations déformés (« Passer du coca light », « va dans l’ métro Satanas »…), clins d’œil au cinéma (le fameux « Are you talking to me ? » de Robert de Niro…), inversion de rôles (grand moment de drôlerie quand Dulcinée se met dans la peau de Rémy, qui nous fait un peu rire jaune, nous les garçons), sentences qui donnent à réfléchir (« Un homme séducteur et fidèle, même dans la magie ça n’existe pas », « T’est trop parfaite… Finalement, on adore ça les chieuses », « Les femmes mettent la pressions aux hommes »…), parodies (un joli morceau de bravoure inspiré de la tirade des nez), un bel hommage rendu eu théâtre (très applaudi par le public), quelques improvisations fort bien venues, trous de mémoires gérés malicieusement, et même quelques pas de danse … Et la fin nous offre un double rebondissement très malin… Bref, on n’a aucun problème pour se laisser emporter par ce gentil délire totalement assumé par deux comédiens en tout point habités par leurs différents personnages.

Et c’est là le dernier – et non le moindre – élément positif de ce spectacle : le jeu des comédiens. Sandra Gabriel et Foudik Kaïbou, s’en donnent à cœur joie, ne reculant devant aucune audace, qu’elle soit physique ou verbale. Ils possèdent tous deux une excellente maîtrise du burlesque et gèrent avec une réelle gourmandise les situations les plus ridicules. Ils savent habilement distiller les propos les plus lourds avec la plus grande finesse (un grand écart que peu de comédiens sont capables de réaliser en direct). On les sent très joueurs et cet état d’esprit aussi généreux que facétieux, les rendant éminemment sympathique, passe aisément la rampe pour offrir un exquis moment de partage avec le public.
Le (presque) grand amour est le type de pièce que le bouche-à-oreille va inévitablement booster car on s’y amuse beaucoup. Elle mérite amplement d’obtenir un (presque) grand succès.