jeudi 10 novembre 2022

Starmania

 


La Seine Musicale

Ile Seguin

92100 Boulogne-Billancourt

Tel : 01 74 34 53 53

Métro : Pont de Sèvres

T2 : Brimborion

 

Jusqu’au 29 janvier 2023

 

L’opéra rock de Michel Berger et Luc Plamondon

 

Mise en scène : Thomas Jolly assisté de Samy Zerrouki

Direction musicale : Victor Le Masne

Chorégraphie : Sidi Larbi Cherkaoui assisté de Kevin Vivès

Scénographie : Emmanuelle Favre

Lumières : Thomas Dechandon

Vidéos : Guillaume Cottet

Costumes : Nicolas Ghesquière

 

Avec : Côme (Johnny Rockfort), Miriam Baghdassarian (Sadia), David Latulippe (Zéro Janvier), Lilya Adad (Cristal), Alex Montembault (Marie-Jeanne), Adrien Fruit (Ziggy), Magali Goblet (Stella Spotlight), Simon Geoffroy (Le Grand Gourou Marabout)

 

L’histoire : A l’approche de l’élection présidentielle, Monopolis, la capitale de l’occident, est terrorisée par la bande des Etoiles Noires dirigée par Johnny Rockfort et sa compagne Sadia, une étudiante agitatrice… Dans les souterrains de la ville, Marie-Jeanne, serveuse à l’Underground Café assiste à leurs préparations d’attentats.

Du haut de sa tour dorée, le milliardaire Zéro Janvier, annonce sa candidature. Il défend un modèle de société libérale, sécuritaire et raciste. Son principal adversaire, le Grand Gourou Marabout, prône quant à lui un retour à la nature.

Sur télé-Capitale, l’animatrice vedette Cristal présente l’émission Starmania, qui promet à ses candidats de devenir « la star d’un soir »… Ziggy, un jeune disquaire homosexuel dont Marie-Jeanne est éprise, rêve d’y passer pour devenir le premier danseur rock du monde…

 

Mon avis : Quelle claque ! Il en faudrait en user des superlatifs pour qualifier les nombreuses sensations et impressions que procure ce spectacle.

Le problème, c’est que l’on a envie d’en révéler le maximum de détails et, en même temps, on ne veut trop en déflorer d’éléments pour préserver les effets de surprise. Bref, je vais m’efforcer d’être ni trop dithyrambique, ni trop laconique.

 J’ai eu la chance d’assister à la création de cet opéra-rock en 1979. J’avais été immédiatement subjugué par ce tout nouveau genre de spectacle. Si, à l’époque, je n’avais pas compris grand-chose à l’histoire, j’avais été en revanche emballé par la beauté des chansons et par les prestations vocales de Daniel Balavoine, France Gall, Diane Dufresne, Nanette Workman, Fabienne Thibault… Puis j’ai vu les versions de 1988 et 1993. Là encore, j’avoue m’être contenté de me laisser bercer par les chansons sans plus faire cas de l’histoire.

Cette fois, dans ce spectacle estampillé 2022, mon plaisir a été total. J’ai été immédiatement happé et je me suis laissé emporter par le récit…


Flashback de 43 ans : Michel Berger et Luc Plamondon étaient de sacrés visionnaires. Tous les thèmes abordés dans leur
Starmania sont exactement ceux qui préoccupent notre société d’aujourd’hui : l’écologie, le terrorisme, le pouvoir, la télé-réalité, le genre…

Respectant fidèlement le livret de 1979 et les messages qu’il colportait, Thomas Jolly, a fait de ce spectacle musical une véritable tragédie grecque ; sans concession aucune. Noir, c’est noir ! D’ailleurs, mon impression générale est d’avoir vu un film en noir et blanc. Le soleil n’entre pas à Monopolis. Les premières couleurs apparaissent assez tard, dans le générique de l’émission de Cristal. Et encore, ce sont des projections façon Crazy Horse qui nuancent les robes.

 L’espoir, le romantisme n’ont pas leur place dans cette histoire. L’issue, inéluctable, ne peut qu’être fatale. Hormis Marie-Jeanne, tous les personnages sont des « monstres ». Même Ziggy, qui privilégie égoïstement son rêve utopique de gloire au détriment d’une amitié amoureuse inconditionnelle. Ce n’est pas par hasard s’ils périront tous. Tous… sauf Marie-Jeanne, la seule personne à visage et à cœur humains.

Starmania, c’est la fin d’un monde. On y atteint un paroxysme ; un paroxysme d’argent, de puissance, de violence, de débauche…



La mise en scène est implacable. Le tout premier tableau, c’est Playtime de Jacques Tati avec une ville aux formes géométriques rectilignes (des cubes, des rectangles, des flèches). La douceur des rondeurs y est bannie. L’architecture du cœur de ville est une immense étoile. Les silhouettes sont découpées par les lasers-scalpels. Les lumières sont prépondérantes dans ce spectacle, dérangeantes, envahissantes, agressives. Dans la formidable scène dans laquelle il interprète Le Blues du businessman, Zéro Janvier est littéralement emprisonné tel un insecte dans une multitude de faisceaux formant autour de lui une gigantesque toile d’araignée.

Ça déborde de trouvailles scéniques, d’effets spéciaux… Quelle idée efficace que ces projections en gros plan pour rendre l’action encore plus réaliste et tumultueuse ! Certaines scènes sont crues, parfois insoutenables. Les principaux tableaux illustrant les chansons les plus connues rivalisent d’ingéniosité, de créativité, d’esthétisme.

Avec un orchestre jouant en live, la musique prend une amplitude résolument rock’n’roll. Les arrangements, littéralement bodybuildés, sont en adéquation parfaite avec la violence du propos. On n’est pas dans la bluette. La seule petite plage de douceur et de calme nous est apportée par la complainte de Ziggy, sobrement interprétée guitare-voix par Marie-Jeanne.

 Il est temps, justement, de parler des artistes et de leurs voix. Le casting est parfait. En dépit de la lourde responsabilité qui leur pèse sur les épaules à l’idée de s’approprier des chansons devenues iconiques, ils sont tous impeccables. Ils ne souffrent en aucun cas la comparaison.


Côme
(Johnny Rockfort) possède une palette vocale impressionnante. Il n’a pas de limites. Bien sûr, on l’attendait au tournant sur SOS d’un terrien en détresse. Et bien, le défi est plus que largement relevé… Miriam Baghdassarian apporte à Sadia une sauvagerie effrayante. C’est une tigresse ; elle feule, rugit, gronde. Elle est encore plus dangereuse et sanguinaire que Johnny, c’est dire… David Latulippe a la voix de son personnage, Zéro Janvier. C’est un puissant, un performer. Il ne doute de rien, il est d’une facilité déconcertante. Son interprétation du majestueux Blues du businessman est absolument magistrale… Alex Montembault est une Marie-Jeanne qui va marquer la story de Starmania tant elle est incarnée. Une voix pleine de sensibilité, une émotion palpable, chacune de ses interventions enchante la salle… Adrien Fruit EST Ziggy. Sa voix à la fois puissante et soyeuse lui permet toutes les audaces. Il est aérien, déterminé et fragile à la fois ce qui le rend très attachant… Lilya Adad campe une Cristal très rock’n’roll. A l’aise dans tous les registres, elle a une formidable présence. Si Sadia est une tigresse, Cristal est une chatte sûre de son charme, de son pouvoir de séduction. C’est une star dans tous les domaines y compris la rébellion. Par moment, en fermant les yeux, je retrouvais dans sa voix des intonations à la France Gall. Elle est tout simplement magnifique… Magali Goblet s’empare du personnage de Stella Spotlight avec une présence bluffante. Elle est au même niveau de démesure, de folie et de vulnérabilité que Diane Dufresne. De toutes les voix, pourtant haut de gamme, de cette distribution elle est celle qui m’a le plus impressionné… Avec sa voix posée, virile, Simon Geoffroy offre au Grand Gourou Marabout sa force de conviction et de persuasion.

Inutile de préciser qu’avec de tels interprètes, tous les duos sont magnifiés et nous font vivre de grands moments de plaisir et d’émotion.



Voilà ! J’ai quitté la Seine Musicale littéralement transporté, avec l’assurance d’avoir passé un moment exceptionnel dans tous les domaines, techniques et artistiques. J’en ai pris plein les yeux et les oreilles et, surtout, plein le cœur. Starmania est un spectacle de toute beauté, vénéneux à souhait certes, mais tellement exaltant. Et puis, on ne peut pas se lasser d’un tel hit-parade de chansons.

Dans le métro, une phrase affichée de Guillaume Appolinaire a attiré mon regard. J’ai été troublé par la coïncidence avec ce que je venais de vivre. Elle disait : « Il est grand temps de rallumer les étoiles »… Pour sûr, après ce chaos, après ce cataclysme, après cette obscurité provoquée par la folie des hommes, il serait urgent et salvateur de les rallumer les Etoiles... à condition bien sûr qu’elles ne fussent pas Noires…

 

Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 1 juin 2022

Les Apaches de Paris

 


Café Grévin

8, boulevard de Montmartre

75009 Paris

Métro : Grands Boulevards

Contact : rejoinsles@apachesdeparis.com

 

Présentation : Paris, 1907. La vie de la capitale est rythmée par le règne de bandes de voyous au nom évocateur : les Apaches de Paris.

Expulsés des beaux quartiers, maltraités par l’école et par l’usine, victimes de la grande dépression, les Apaches sont des bandes de jeunes radicalisés, ayant développé une haine à l’encontre des bourgeois, des flics et du travail…

 Les Loups de la Butte et les Tombeurs de la Goutte d’Or, deux bandes Apaches de Paris se sont alliées pour conquérir un nouveau bar, et pas des moindres, le Grévin, café bourgeois qu’ils ont choisi comme nouveau repère.

Les Grands Boulevards sont désormais infréquentables par la bonne société qui risque a minima de se faire détrousser et, au pire, d’y recevoir un coup de surin. Ici tout anarchiste, rêveur ou bon à rien est bienvenu tant qu’il partage l’ambition des jeunes Apaches : vivre la grande vie sans toutefois s’adonner à la vulgarité d’asservissement d’une bourgeoisie bureaucrate et ennuyeuse.

Ici l’on s’intéresse au bal, à l’amour passionné et au style affirmé. On boit, on s’amuse, et cela aux frais de ceux qu’on méprise et fascine réciproquement.

 

Mon avis : Si vous vous engagez à suivre cette aventure, il faut vous préparer à accepter de jouer le jeu. D’abord, vous perdez votre identité. Vous la déposez sur le trottoir face au numéro 8 du boulevard Montmartre. Vous ne la récupérerez au mieux que deux heures plus tard… Ensuite, un condé de la belle époque à la moustache gaillarde vous partage par groupes de sept à huit personnes. Vous ne vous appartenez plus, vous faites désormais partie d’une bande. Vous êtes liés et complices durant toute la soirée. Enfin, il faut vous plier à tous les desiderata de la huitaine d’Apaches qui vous permettent le privilège de pénétrer dans leur antre. Et il n’y a pas intérêt à leur désobéir !


 J’en ai déjà beaucoup dit. Trop peut-être. Apaches de Paris est une expérience interactive, une aventure hybride entre le jeu de rôle et le théâtre immersif dont il faut garder le mystère afin que vous puissiez la vivre pleinement avec ses personnages hauts en couleurs, son lot de surprises, ses moments réjouissants et ses épisodes inquiétants. En faisant partie d’une même bande, on est obligé d’être solidaires, soudés. Il faut rester sans cesse en éveil, attentif et à l’écoute de tout ce qui se passe. Le danger peut venir de partout, même d’où on l’attend le moins.

En vous garantissant un dépaysement total à travers cette immersion en 1907, Apaches de Paris vous permet de passée une soirée amusante, distrayante, instructive aussi et, surtout, totalement conviviale. On trinque, on chante, on danse, on boxe, on se lie d’amitié, on enquête, on espionne la table voisine… C’est bon enfant. Bref, c’est un joli moment de partage.

 Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 20 mai 2022

Aznavour vu de dos


Le Cherche Midi

143 pages

17 photos

16,80 €

 Parution le 19 mai 2022

 

De Gérard Davoust et Erik Berchot

Préface de Michel Drucker

Postface de Lynda Lemay

 

Mon avis : Raconté par deux de ses plus proches amis et collaborateurs, on découvre au fil des pages un Aznavour inconnu.

Gérard Davoust, pendant 42 ans, et Erik Berchot, dès son enfance, ont partagé l’intimité de l’artiste. Ils l’ont accompagné – dans tous les sens du terme -, ils ont voyagé avec lui, ils ont vécu ses spectacles, des coulisses à la scène… Bref, ils ont tout connu de lui.

Ce livre fourmille ainsi d’anecdotes, de confidences, de témoignages qui n’appartiennent qu’à eux.

 Gérard Davoust, Président d’honneur de la Sacem, est devenu l’éditeur de Charles en 1972. Il a tout partagé avec lui. Tous deux grands épicuriens, liés par le même goût de l’humour, ils étaient complices dans de nombreux domaines. Bien que freiné par sa pudeur et quelques droits de réserve, Gérard nous rapporte nombre de faits dont il a seul la connaissance. Il évoque les relations de Charles avec Trenet, ses engagements associatifs, sa façon de travailler, ses hobbies, ses centres d’intérêt…

 Erik Berchot, lui, a côtoyé Charles au début des années… 60 ! Ses parents étaient des intimes de l’artiste. C’est peut-être la vision du piano de Charles, sur lequel il a eu le droit de s’exercer vers ses 8-9 ans, qui lui a donné la vocation… Toujours est-il qu’il peut s’enorgueillir d’une remarquable carrière de concertiste classique, auréolée d’un prix au prestigieux concours Frédéric-Chopin… Charles Aznavour ne l’a jamais perdu de vue. Il a fait appel à lui en 1980 pour son Grand Echiquier et à l’occasion d’autres événements… Et puis, enfin, en 2007, la boucle se bouclait puisqu’Erik intégrait l’orchestre de Charles. Il l’accompagnera jusqu’à la fin. Erik nous raconte avec force détails Aznavour côté scène. Un privilège rare.

Dans la préface, Michel Drucker se souvient de « son » Charles, de l’artiste qu’il a souvent invité, mais aussi de son voisin dans leurs « chères Alpilles » à qui il rendait de fréquentes visites… Et, dans la postface, Lynda Lemay nous offre le texte d’une chanson qu’elle a dédiée à celui qui fut son premier supporter et son parrain dans le métier.

 

mercredi 4 mai 2022

Les Mangeurs de Lapin

 


Palais des Glaces

37, rue du Faubourg du Temple

75010 Paris

Tel : 01 42 02 27 17

Métro : République / Goncourt

 

Jusqu’au 31 mai

Tous les mardis à 19h30

 

Spectacle visuel burlesque de et avec Dominic Baird-Smith, Jean-Philippe Buzaud, Sigrid La Chapelle

Musique de Jorge Migoya

 

Présentation : Globe-trotters à succès, Les Mangeurs de Lapin nous offrent un carnet de voyage aussi loufoque et déjanté que leur précédent spectacle.

Irrésistible pince-sans-rire, ces clowns des temps modernes vous invitent à les accompagner dans cette nouvelle et folle aventure avec, dans leurs valises, d’incroyables numéros de music-hall.

Hommage surréaliste aux grands du burlesque, ce spectacle totalement visuel est mené tambour battant par nos quatre compères au sommet de leur art.

 

Mon avis : Tous les mots-clés du spectacle que nous offrent Les Mangeurs de Lapin figurent dans sa présentation : « loufoque », « déjanté », « burlesque » et « visuel »… Avec ces quatre termes, on a donc un résumé parfait de ce qui nous est donné à voir.

 Hier soir, au Palais des Glaces, les enfants étaient en grand nombre dans la salle. Il était bon d’entendre la spontanéité et la fraîcheur de leurs éclats de rire. Avec eux, on ne peut pas tricher…

Dans leur improbable accoutrement habituel, Les Mangeurs de Lapin nous proposent cette fois une sorte de tour du monde en 80 gags. Ils nous entraînent successivement au Mexique, en Suisse, en Russie, en Ecosse, à Paris, en Amazonie, en Argentine. Comme ils sont tous à la fois clowns, mimes, jongleurs, musiciens, chanteurs, danseurs, ils nous offrent un spectacle total.

Dans cette dizaine de tableaux figurent de grands moments. Ah, cette arrivée à l’aéroport de Mexico City où ils sont perdus dans un dédale d’escalators (et à déraison). Ils peuvent passer d’une séquence pleine de poésie et de féérie (magnifiques images sous-marines au Japon, chorégraphie onirique d’un bonhomme de neige) à des numéros dignes de cartoons (un Guillaume Tell digne de Benny Hill, une trépidante parodie d’Indiana Jones avec combats à mains nues contre des monstres de la forêt amazonienne et, en point d’orgue, le fameux baiser de l’araignée).

Ils empruntent également à la gymnastique rythmique en maniant avec plus ou moins de réussite des rubans, des cordes, des cerceaux, des ballons, et ils terminent leur périple en Argentine en se livrant à un numéro échevelé de bolas qui se termine en échange de projectiles avec le public.

Ajoutez à tout cela, des musiques en live, une bande son judicieuse (particulièrement celle qui illustre l’étape parisienne), des bruitages caractéristiques, des jeux de lumières vraiment originaux, un zeste d’émotion et de l’humour, de l’humour, toujours de l’humour, vous comprendrez que le spectacle des Mangeurs de Lapin nous fait passer un joyeux moment de détente et de fantaisie pure. Si bien qu’à la fin on redemanderait bien un peu de rab(le)… de lapin, bien sûr.

 Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 24 mars 2022

Stromae "Multitude"

 


Mosaert / Universal / Polydor

 

Autopsychologie d’un album

 Stromae est « Invaincu » peut-être, mais pas indestructible. Loin de là, même ! Naufragé des sentiments, cœur en détresse, il lance inlassablement des bouteilles à l’amer. Dans son île déserte, dans son désert effectif, il est tour à tour Robinson et Vendredi, le dominant et le dominé, le maître et le serviteur… Mais son ambivalence est encore plus protéiforme : s’il est seul dans son mal-être, dans sa tête il est une Multitude. D’où le titre de son album.

 Stromae joue à la marelle. Il saute à cloche-pied d’une case à l’autre, d’un monde à l’autre, d’un sentiment à l’autre. Mais il y a toujours quelque chose qui cloche et il ne prend pas souvent son pied ; à moins que, exceptionnellement, il vive une Bonne journée. Il pressent que, lorsqu’il aura quitté son point de départ, la Terre, il y a plus de risques qu’il gagne L’Enfer plutôt que le Ciel. Il lui faudrait une sacrée Santé mentale pour se débarrasser de tous ses tourments ; pour qu’il puisse affirmer enfin en parlant de sa/la vie ; « C’est que du bonheur ».

 Stromae pourrait avoir la candeur de Pinocchio s’il ne devait pas se farcir la présence à son oreille d’un Jiminy Crickett destructeur. A peine se sent-il Fils de joie que l’autre cafard lui insuffle le mauvais côté des choses. Du coup, il s’annonce une Mauvaise journée, une journée de merde. Stromae est en permanence en porte-à-faux. Il s’ennuie lorsqu’il est tout seul et il ne supporte pas la routine dans le couple. Alors on se sépare, et c’est le manque de l’autre qui s’installe. Place alors à La solassitude, espèce de sentiment glauque qui introduit une sorte de mouvement perpétuel ; genre le chien qui tourne en rond en essayant d’attraper sa queue. Mais là, c’est un mec qui tourne ne rond en essayant d’attraper le bonheur.

 C’est pathétique ! Riez si vous le pouvez, mais il est plus à plaindre qu’à envier. Il en fait d’ailleurs lui-même La déclaration : il fait partie de la famille des « rageux », de ceux qui se réjouissent du malheur des autres et qui ne supportent pas le bonheur des autres. Les mots s’envolent, mais les aigris restent… Pire encore, il est incapable de cohabiter avec lui-même. Alors, la vie à deux… Ce n’est Pas vraiment confortable d’avoir tout le temps le cœur entre deux chaises.


Il commence une chanson avec des mots et des images positives, enthousiastes même et, c’est plus fort que lui, il faut qu’il la termine avec de l’agressivité, des mots crus, des insultes.

La chanson la plus impitoyable - parce qu’elle est hyper réaliste - est celle où il traite de la paternité (C’est que du bonheur). Les mots doux font place à des mots durs. C’est, pour moi, le texte le plus réussi. Mais aussi le plus violent. Et pourtant il n’y décrit que des choses vraies, des évidences. J’ai aimé sa construction en forme d’éternel recommencement. C’est le cercle vicieux de la vie où les couches se transmettent de cul en cul. Lorsqu’on voit son enfant à travers ce prisme, avec ces arrière-pensées-là, c’est délicat de lui roucouler « Mon amour »…


On retrouve cette même lucidité acide dans Déclaration. Et j’ai particulièrement apprécié la pirouette inattendue qui clôt Fils de joie en passant de la caresse au coup de poing, lui apporte un autre regard, un autre niveau de lecture. Et puis, il faut saluer ce superbe exercice de style un tantinet schizophrénique, mais tellement édifiant, qu’est la juxtaposition des deux titres Mauvaise journée et Bonne journée. Sacrée prouesse ! Comme quoi on peut tout dire et son contraire avec la même totale sincérité. C’est la théorie du verre à moitié vide ou à moitié plein…

Multitude est un album multitubes. Certes, on ne peut pas dire qu’il soit très jovial. Il est en effet l’album photos d’un état d’esprit à un instant T. Des photos en noir et blanc, où le noir est largement majoritaire. Le paradoxe, c’est que Stromae fait rimer « Multitude » avec « Solitude ». Deux termes qui, a priori, sont antagonistes. Mais il nous fait très bien comprendre que la solitude peut prendre des visages et des sensations multiples. Enfin, tant qu’il gardera suffisamment de recul pour saupoudrer ses chansons d’humour et qu’il pratiquera un cynisme réjouissant, il y aura toujours matière à pondre encore une multitude d’albums.

 Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 8 mars 2022

Fabrice Eboué "Adieu Hier"

 


Théâtre Déjazet

41, boulevard du Temple

75003 Paris

Tel : 01 48 87 52 55

Métro : République

 

Mis en scène par Fabrice Eboué et Thomas Gaudin

 

Présentation : Réseaux sociaux, militantisme exacerbé, Cancel Culture, la crise du Covid n’aura fait qu’accélérer l’émergence du nouveau monde… Fabrice Eboué se sent déjà dépassé…

 Mon avis : Pour qualifier le nouveau spectacle de Fabrice Eboué, il faudrait créer un néologisme qui englobe à la fois sa virtuosité verbale, sons sens de la formule et également sa spécificité capillaire : ébouériffant !

 Il est tout naturel que ce serial sniper installe sa fenêtre de tir(s) au théâtre Déjazet, haut lieu du fameux « boulevard du Crime » !

Se refusant à être un témoin passif des dysfonctionnements de notre société, dans un grandiloquent « Adieu Hier », il rejette délibérément tout ce qui appartient au passé pour n’aborder que l’actualité, la sienne et celle du monde qui l’entoure.

 Il entre sur scène avec sa nonchalance coutumière, son sourire tour à tour goguenard ou désarmant et son œil malicieux. Il est fidèle à lui-même ; fidèle surtout au personnage que l’on est venu retrouver. Ce que l’on attend de lui, c’est qu’il se montre provocateur, transgressif, cynique, de mauvaise foi… Et on ne va pas être déçu. Sauf peut-être les quelques cibles humaines qui ont eu l’inconscience ou le masochisme de vouloir se placer dans sa ligne de tir, c’est-à-dire dans les tout premiers rangs.

 Contrairement à sa génétique, l’humour de Fabrice Eboué, lui, n’est pas métissé. Il est carrément noir. Il y a belle lurette que son curseur a glissé hors de la réglette du politiquement correct pour se balader dans une espèce de no man’s land sans limites et sans tabous (définition de politiquement correct : « destiné à ne froisser aucune susceptibilité », en clair il ne faut pas utiliser de « mots grossiers, familiers, de termes injurieux, péjoratifs »). Lui, il ne craint pas de froisser, au contraire, plus c’est chiffonné, plus il se régale.

Photo : JohnWaxx

Physique particulièrement affûté, Fabrice n’observe pas de round d’observation. Il est chaud tout de suite. Il canarde à tout va et à jet continu. Il nous soûle coups ; de coups bas même, car il frappe parfois sournoisement sous la ceinture. Ennemi « public » numéro 1, il s’en prend à une poignée de spectateurs qu’il ne lâchera pas tout au long de la soirée.

Sans aucun temps mort, il aborde de nombreux thèmes : sa scolarité dans le même établissement que son conscrit Emmanuel Macron ; la diversité ; les méfaits du rap ; les miss France ; les abus du féminisme ; les joggeuses ; la pédophilie dans l’Eglise ; les tueurs en série ; les réseaux sociaux… Et j’en passe. Bref, il n’épargne pas grand monde. Ce n’est pas de sa faute. Il le reconnaît d’ailleurs lui-même : son cerveau ne produit systématiquement que « des idées sordides ». Maintenant que l’on sait qu’il est atteint d’une maladie chronique, il lui sera beaucoup pardonné.

Un homme qui nous fait autant rire ne pouvaitt pas être volontairement aussi pervers et malintentionné…

 Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 4 janvier 2022

Sylvain Binet & Gilbert Jouin "Les Chats"


PapaPaper

Format : 21 x 15

21 pages

14,90 €

 

Par Internet : https://www.papa-paper.com/fr/artiste/sylvain_binet-84

Par téléphone : 01 76 54 03 78

 

Après une dizaine d’aventures communes dans le show business (livres officiels de comédies musicales, programmes de spectacles, etc…), Sylvain Binet et moi, nous nous lançons dans le « chat business » avec un ouvrage sobrement intitulé « Les Chats ». Cet opuscule est appelé à servir de carte de visite à un Complexe Hôtelier pour Chats baptisé « Ulusaba » du nom d’un luxueux Safari Lodge Hotel situé dans la réserve sud-africaine de Sabi Sands…

 

A partir des créations tellement inspirantes de Sylvain, il m’a été facile de laisser partir mon imagination pour me mettre à son (haut) niveau de délire et, en m’imprégnant de sa fantasmagorie élégamment déjantée, de commettre quelques amusants « chacrilèges ». A lui l’esthétique graphique, à moi les mots ! Notre complémentarité, si ludique, ne cesse de s’affiner.

De l’Aristo Chat à Super Cat en passant par La Reine de Chaba, le Chappendale, Le Chacripant, Le Chat-Thon ou le Chat Pitre, ce sont vingt félins mis en scène qui vous attendent au détour de ces pages. Effet minet garanti !

Bref, cet ouvrage est une véritable déclaration d’humour à nos fidèles compagnons à quatre pattes.