jeudi 15 décembre 2016

Bruno Salomone "Euphorique..."

Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Seul en scène écrit par Bruno Salomone avec la participation de Gabor Rassov
Mis en scène par Gabor Rassov avec la participation de Bruno Salomone
Lumières d’Orazio Trotta
Musiques de Guillaume et Benjamin Farley

Présentation : Imaginez-vous rire de tout, tout le temps, en permanence, même en cas de coup dur. A priori cela ressemble à une vie idéale… a priori. Vu à la fois comme un monstre, un messie, une star, un cobaye de laboratoire, un cadeau, une plaie, un punching-ball, un demeuré, un homme idéal…
Voici l’histoire de Golri, l’enfant né en riant !...

Mon avis : Quelle magistrale idée que d’avoir créé de toute pièce un personnage et de narrer les péripéties qui ont émaillé son existence depuis sa naissance (et même un peu avant), jusqu’à l’âge adulte !

La salle du Petit Montparnasse est archi comble lorsque Bruno Salomone, vêtu façon grand siècle, toute lavallière dehors, vient, avec une grande solennité, nous présenter le thème de son spectacle. Une fois ces propos liminaires tenus, il se sépare de sa tenue cérémoniale et de son rôle de Monsieur Loyal pour nous apparaître plus simplement en pantalon et chemise noirs. Dès lors, il ne s’appartient plus car il va se lancer dans l’histoire aussi étourdissante qu’extravagante de Golri.
Qui est Golri ?
Golri est un enfant qui a la particularité unique d’être né en riant… Tout se suite, on le visualise le bambin. Déjà rien qu’en imaginant sa bouille hilare en permanence, on en rit nous même… Alors, imaginez notre attitude quand Bruno Salomone se met à incarner tous les protagonistes de cette épopée « golriesque ».


Euphorique est un conte picaresque sorti d’un cerveau délirant. Devant nous, l’artiste va faire défiler les principaux personnages qui vont croiser la route de l’enfant-qui-rit. Il nous raconte un feuilleton cartoonesque qui fait appel à toute la palette de l’humour : gestuelle, grimaces, timbres de voix différents, accents, mime, bruitages, apartés, ruptures de rythme… et je dois en oublier.
Bruno Salomone se livre à une incroyable prestation, à une sidérante performance d’acteur. Chacun de ses personnages a une personnalité propre. Dès les premiers mots, dès la première posture, on sait à qui on a à faire. Un quarantaine d’individus de toute condition, de tous les âges, de tous les sexes, défilent ainsi devant nous sans aucun temps mort. Leur point commun, c’est d’être tous particulièrement hauts en couleurs. Ce sont tous des caractères.


Véritable chanson de geste(s), l’itinéraire de cet enfant pas gâté qu’est Golri est remarquablement construit. C’est une histoire qui se tient ; avec un début et une fin, des rebondissements, des flashbacks.
Si bien que, au-delà de la performance, Euphorique peut se recevoir de multiples façons car il contient plusieurs niveaux de lecture. A travers les nombreux personnages, c’est toute une société qui se dessine, avec ses codes, ses mentalités, ses castes, ses tares et ses qualités. Personnellement, j’y ai vu aussi une espèce de parabole sur la différence et sur le handicap. Golri n’est pas comme nous. Il est comme personne. Un gamin qui rit tout le temps, même quand il se brûle, ça nous amuse d’abord puis, petit à petit, il commence à nous agacer, à nous inquiéter pour, enfin, carrément nous déranger jusqu’à en devenir golriphobe. Un paradoxe ! C’est en effet ainsi que l’on traite pratiquement ceux qui ne sont pas comme nous. Franchement, ce phénomène de rejet, traité subtilement en filigrane, apporte une valeur ajoutée à ce spectacle. On pense à L’Homme qui rit de Victor Hugo, ou à Au nom de la rose d’Umberto Eco et sa métaphore autour ru rire.

Un spectacle qui reste d’abord et avant tout un fantastique moment d’humour. Bruno Salomone est protéiforme, c’est un multi-instrumentiste de l’humour. Il sait absolument tout faire… et même plus ! Une fois embarqué sur le scenic railway de son récit, on ne pense plus à rien d’autre pendant une heure et demie. La richesse de jeu du comédien n’a d’égale que la qualité d’écriture du spectacle. Quelle inventivité !
A la fin du show, au vu de la large banane qu’ils affichaient, tous les spectateurs s’étaient métamorphosés en Golri…

Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 9 décembre 2016

Le crime était parfait... ou presque

Théâtre La Boussole
29, rue de Dunkerque
75010 Paris
Tel : 01 85 08 09 50
Métro : Gare du Nord

Une comédie de Jean-Paul Bathany
Mise en scène par Bernard Malaka
Décor de Sophie Jacob
Lumières de Marie-Hélène Pinon
Musique originale de Michel Winogradoff

Avec Marie Arnaudy (Véronique) et Marie Perrin (Térébenthine)

L’histoire : Une femme que vous ne connaissez pas sonne chez vous un soir pour vous annoncer que vous allez la supprimer… Oui, vous avez bien lu. Cette inconnue ne dit pas qu’elle VA vous supprimer, mais que VOUS allez la supprimer. Les statistiques sont formelles : cent pour cent des sondés mettraient cette inconnue à la porte parce qu’on ne discute pas avec une folle. Oui, mais voilà… La folle n’est peut-être pas si dingue que ça…

Mon avis : Lorsqu’on repère le nom de l’auteur, Jean-Paul Bathany, sur l’affiche, cela ne peut laisser indifférent si l’on a aimé la grande époque des Guignols et la série H sur Canal+ ou Caméra Café sur M6 pour lesquels il a prêté sa plume incisive. Si l’on sait en outre qu’il a participé à l’écriture de scénarii de films destinés entre autres à Kad Merad, Pierre Richard, Florence Foresti, Omar Sy, Pef, Franck Dubosc, Ary Abittan… on ne peut qu’avoir envie de découvrir une de ses pièces.

De fait, lorsque le rideau se baisse sur la représentation au théâtre de La Boussole de Le crime était parfait… ou presque, les deux éléments forts qui s’imposent immédiatement sont la qualité de l’écriture et le jeu des deux comédiennes. Les dialogues sont remarquablement ciselés. Ils sont vifs, mordants, drôles, intelligents. Jean-Paul Bathany a placé dans la bouche des deux actrices des réparties acides et des formules savoureuses d’un niveau particulièrement élevé.Justement, parlons-en de Térébenthine et Véronique, les deux héroïnes de ce thriller comico-psychologique. Le choix de Marie Perrin pour la première et de Marie Arnaudy pour la seconde est fort judicieux. En effet, c’est sur leur antagonisme et leurs différences de personnalité que tout repose… Térébenthine est une femme au caractère fort. Elle est cultivée, automatiquement cynique, autoritaire, rouée ; elle a la dent dure. Pourtant, au fur et à mesure que la pièce avance, on s’aperçoit qu’elle cache une faille, une blessure qui vont finir par éroder sa belle assurance… Véronique, c’est tout le contraire. Elle est naïve, crédule, spontanée, un peu primaire et foncièrement bonne…


Tous les tandems qui fonctionnent dans les comédies théâtrales ou cinématographiques sont construits autour de cette opposition dans les personnalités et les tempéraments. Plus leurs différences sont affirmées, plus leur complémentarité est efficace. Et plus, nous, spectateurs, nous en profitons… Grâce donc aux deux prestations, fines, justes, généreuses et jubilatoires des deux Marie, servies ainsi que je l’ai dit auparavant par des dialogues réellement percutants, on ne s’ennuie pas une seconde. La construction de la pièce est telle qu’on ne sait jamais comment le scénario va évoluer. On navigue et à vue et au son. De curieux on devient captivé. Eu égard à l’appétence pour l’amoralité qui anime l’auteur, on se demande comment tout cela va-t-il se terminer…


Reste l’histoire. Là aussi ce sont deux attitudes qui s’opposent. Le cartésianisme versus le spiritisme. Autant Térébenthine est pragmatique, autant Véronique est sensible aux forces ésotériques. En résumé, faut-il croire aux rêves, à la voyance et aux mondes parallèles ? Tout dépend finalement comment vous êtes vous-même. Personnellement, je penchais du côté de Térébenthine. Si bien que, parfois, je trouvais certaines situations invoquées par Véronique peu crédibles, un peu fumeuses. Mais c’est un postulat que, progressivement, on en vient à accepter. C’est le jeu, complètement sincère, de Véronique qui nous y amène. Ainsi, dès qu’on a basculé dans cet état d’esprit, la pièce n’est plus que plaisir.
Le crime était presque « parfait », la pièce l’est quasiment aussi…

Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 7 décembre 2016

Vianney "Vianney"

tôt Ou tard


Deux ans après Idées blanches, Vianney sort son deuxième album sobrement intitulé Vianney. Avec le succès, son patronyme se suffit désormais à lui-même ; il est devenu une image de marque, un modèle déposé. Ses chansons sont si identifiables qu’on peut dire immédiatement ; « C’est du Vianney » !

Son premier opus ayant été largement consacré Disque de platine, j’étais forcément très excité à l’idée de découvrir la suite. Je n’ai pas été déçu. En très peu de temps, Vianney s’est imposé comme une valeur sûre de notre (bonne) variété française. Il a sa patte, son style et son timbre de voix si particulier. Il a aussi – et c’est sans doute ce qui a fait sa différence – une qualité d’écriture très personnelle.
« Très personnel »… C’est ce qui vient tout de suite lorsqu’on écoute ce second album. Vianney n’y parle que de lui. Il ne parle que de ce qu’il vit et de ce qu’il ressent… Il n’a pas peur de mettre son cœur et son âme à nu. Il y a un petit côté Souchon dans cette façon d’assumer sa fragilité, de faire part de ses doutes. Et pourtant, il n’y a aucun égocentrisme là-dedans. Au contraire, ses sensations personnelles deviennent généralité car chacun de nous a plus ou moins vécu les mêmes situations, émis les mêmes réflexions.


La plupart du temps, il affiche une forme d’indolence, de fatalisme. Il constate mais, en apparence, ne se révolte pas. Erreur, tout se passe dans sa tête. Vianney est un « contemplactif ». Finalement, comme la plupart d’entre nous, il est double. Il y a d’une part l’impression qu’il dégage – et qu’il se plaît à entretenir -, c'est-à-dire une certaine douceur, un brin de mélancolie, sourire aimable, grande courtoisie… mais, en grattant un peu ses textes, en lisant entre les lignes, on devine une réelle force de caractère. On ne s’assied pas sur les bancs du lycée militaire de Saint-Cyr sans en retirer une réelle solidité. C’est ce qui le rend encore plus intéressant.

Ainsi, lorsqu’il s’empare d’un thème, il ne réagit pas à chaud. Il prend un peu de recul et l’analyse quasi scientifiquement. La rupture, par exemple, qui tient une place importante dans cet album. Il l’évoque dans Sans le dire puis le développe dans la chanson qui suit, Je m’en vais. Tout en se montrant très pudique, il décrit se sensations, estime que la profondeur des sentiments est supérieure aux mots. Puis, après avoir digéré sa douleur, après s’être un tantinet auto-flagellé, il réagit et décide de prendre « ses cliques et ses claques ». Mais avant cela, c’est plus fort que lui, il faut qu’il dresse le bilan de cet échec. C’est ce qu’il fait dans Oublie-moi. Lorsque le doute s’immisce dans une relation, l’éloignement devient logique et nécessaire. Mieux vaut donc partir en laissant derrière soi de la rouille et des cendres.

Mais avant de prendre cette décision, il a continué d’autopsier son cœur afin de déterminer ce qui a et n’a pas fonctionné dans cette relation amoureuse. Dans Tombe la neige, il relativise. Il a raté cet amour comme on manque un train. Après tout, il en passera d’autres… Dans Moi aimer toi et J’m’en fous, il positive. Visiblement, il n’aime guère les conflits, ne supporte pas les petits affrontements ; il a conscience que ces blessures sont passagères, que les larmes sèchent, et puis on oublie en ne gardant en mémoire que les souvenirs des bons moments partagés. Or, malgré tout, les amours passées laissent toujours une empreinte. Pour ne pas sombrer dans la mélancolie, la meilleure des échappatoires, c’est le rêve… En conclusion, il faut savoir assumer ses propres défauts, gérer ses erreurs bref, prendre de la hauteur comme Dumbo. Si on ne s’aime pas soi-même, comment bien savoir aimer les autres ?


Sept chansons sur onze sont consacrées à la relation amoureuse. Ça va parler au plus grand nombre… Vianney est un cérébral. Il semble en introspection permanente, il décortique tout. Il se pose des questions et les transpose en chansons. Y compris ses troubles ou ses interrogations les plus intimes. C’est le cas de la chanson Le fils à papa dans laquelle il fait état de son mal-être par rapport à la façon dont certains peuvent critiquer le fait qu’il ait grandi dans un milieu aisé. En réalité, la majorité des adolescents est égocentrique, on n’est jamais content de ce que l’on a. Ce n’est qu’en devenant adulte qu’on réalise que l’on n’est valorisé et sauvé par les autres et, surtout, par leur amour. Ça va loin !

Deux titres possèdent un angle particulier. L’un est fictionnel. Quand je serai père est vraisemblablement une extension du Fils à papa. Il inverse les rôles en anticipant sur ses responsabilités de père. Conscient de ses manques, il craint que ses enfants les lui reprochent un jour. Pour définir ses inquiétudes, il utilise une jolie métaphore arboricole et horticole. Puis, utilisant la litanie « j’aurais pu », il formule déjà des regrets en avouant son impuissance et sa négligence futures. Ce n’est pas simple dans sa tête. Ou alors est-ce déjà pour se dédouaner ?
L’homme et l’âme est une chanson à part car elle évoque les tragédies du 13 novembre. C’est un exercice délicat, quasiment métaphysique. Il y dénonce cette violence qui abaisse l’homme et, sans aller jusqu’à stigmatiser les religions, il voit dans ces drames une forme d’abandon de Dieu.

Vianney termine intelligemment son album avec Le galopin, une chanson subtilement positive. Cette fois, il est contre l’immobilisme. Il se dit pour l’échange, pour le dialogue. Il faut savoir remarquer ce que l’on possède en soi de bien, aimer ce que l’on a, le dire et le partager. C’est une fin pleine d’espoir et d’envie. Elle est provoquée par un parfum de femme. Quelle image ! N’y aurait-il pas là-dedans un clin d’œil subliminal du côté d’Aragon et de Jean Ferrat avec leur maxime : « La femme est l’avenir de l’homme » ?
Pour le savoir, rendez-vous au troisième album…


Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 5 décembre 2016

Michel Drucker "Seul... avec vous"

Théâtre des Bouffes Parisiens
4, rue Monsigny
75002 Paris
Tel : 01 42 96 92 42
Métro : Pyramides / Quatre septembre / Opéra

Seul en scène écrit et interprété par Michel Drucker

Note d’intention : « J’avais cette envie depuis longtemps : d’être seul avec vous l’espace d’une soirée, pour évoquer mes souvenirs accumulés au cours d’une carrière dont la longévité n’en finit pas de m’étonner. Rendez-vous compte, cinquante ans ! Cinquante ans de complicité avec trois générations de stars, chanteurs, acteurs, sportifs, hommes politiques, vedettes de télévision… Mais surtout cinquante ans de complicité… avec vous !
Ce soir, je vais vous raconter les coulisses, l’envers du décor. J’espère vous étonner, vous émouvoir, mais aussi vous faire rire. Je suis très impatient d’être devant vous » (Michel Drucker)

Mon avis : J’avais découvert le seul en scène de Michel Drucker le 27 février à Lyon. Neuf mois plus tard, je suis retourné le voir aux Bouffes Parisiens où il a pris ses quartiers d’hiver. Force m’est de reconnaître que j’y ai pris encore plus de plaisir. Je savais certes à quoi m’attendre mais, une fois de plus j’ai été bluffé, emballé et séduit par sa prestation.
Déjà, son spectacle dure une demi-heure de plus. Il atteint désormais les deux heures. Et on ne s’ennuie pas une seconde. Au contraire, on ne voudrait pas que ça s’arrête tant on imagine le nombre de confidences et d’anecdotes qu’il a dû garder en réserve. Comme on dit en cyclisme, il en a encore sous le pied. Nous ne sommes qu’à la première étape de ce qui devrait être un tour au long cours. Fort de sa tournée de 26 dates en province, Michel Drucker a gagné en aisance et en assurance. Il a pris du métier. Pas dans le sens mécanique, mais dans ce sens où, s’étant aguerri au fur et à mesure des représentations, il peut désormais être totalement lui-même.

Dans sa note de présentation, Michel Drucker cite trois verbes qui sont autant de leitmotive pour lui : « étonner, émouvoir, faire rire »… Mission largement accomplie. Même si c’est le rire qui prédomine largement. Son atout majeur, c’est l’autodérision. Il a pris tellement de recul ! Il n’a visiblement que faire des paillettes. Il est aux antipodes de la mégalomanie.
S’il a acquis la célébrité, c’est à force de travail, d’abnégation et de doutes. A la télévision, il est devenu le bon élève qu’il n’avait pas été dans sa jeunesse. Il a énormément bossé et, petit à petit, il est devenu l’égal de ses maîtres, puis il les a dépassés, devenant, un peu contre son gré, une institution. Michel Drucker, c’est l’histoire vivante de la télévision française. Sa carrière est unique, incomparable.


C’est tout cela qu’il nous narre durant deux heures. Il est un conteur-né. Ça ne s’apprend pas, c’est en lui, c’est inné. Après plus de cinquante ans de bons et loyaux services, il a décidé de lâcher enfin la bride, d’ouvrir en grand l’album de ses/nos souvenirs et de nous révéler ce qu’il a vécu en coulisses. Projections à l’appui dans un décor mitonné par sa fille Stéphanie Jarre, il balaie un demi-siècle de divertissements sur le petit écran. Il a rencontré tout le monde. La différence avec nous, c’est qu’il a connu les vedettes de la télévision, du showbiz, du sport et de la politique, dans leur intimité. Avec son regard amusé, tendre et lucide, il nous les fait découvrir autrement. Son chapitre sur Léon Zitrone est à mourir de rire. Jamais méchant, toujours respectueux, foncièrement bienveillant, il évoque les travers ou les manies de certains avec une tendre malice.
Pour avoir souvent fréquenté ses plateaux pendant plus de trente ans, j’ai remarqué que Michel Drucker apportait autant d’intérêt aux anonymes, aux modestes, qu’aux grands de ce monde. Il ne compose pas un personnage, il est en permanence à l’écoute des autres. Le public ne s’y trompe pas qui a établi avec lui une forme de compagnonnage, de camaraderie toute simple.


Son spectacle est à son image : chaleureux et drôle. Il ne craint pas non plus de montrer ses émotions. Il a perdu tant de gens qui lui étaient chers et nécessaires. Il leur rend hommage, sans pathos aucun, tout simplement parce qu’ils méritent que, de temps en temps, on se souvienne d’eux. Et puis, dans son spectacle actuel, il n’hésite pas de s’offrir quelques commentaires sur l’actualité (en mimétisme sans doute avec Guy Bedos). Il ne faudrait pas le pousser beaucoup pour qu’il nous fasse sa revue de presse. Alors, par ci par là, il évoque les élections américaines, les Primaires de la droite… Il a de la matière, il en connaît tous les protagonistes !
Ce spectacle aurait pu s’appeler aussi « Drucker en liberté ». Il ne s’interdit rien. Même si l’on se doute qu’il garde pour lui tant de choses que déontologiquement et surtout, humainement, il n’a pas le droit de confier. Mais, quand même, il se lâche beaucoup, il balance un peu, n’hésitant pas à livrer quelques confidences savoureuses ou croustillantes. Il nous offre vraiment un spectacle total, un concentré sur cinquante ans de sa vie et de la notre intimement entremêlées. S’il y a parfois de la nostalgie, elle est carrément souriante. Si bien qu’on sort des Bouffes Parisiens le cœur heureux car plein de tant de beaux souvenirs. Il suffit d’écouter les commentaires enthousiasmés et ravis de ceux qui, pendant deux heures, ont quitté leur statut de téléspectateurs pour celui, plus proche et plus gratifiant, de spectateurs.

Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 30 novembre 2016

L'Amour d'écrire en direct

Ciné 13 Théâtre
1, avenue Junot
750018 Paris
Réservations : lamourdecrirendirect@gmail.com / 06 82 38 63 51
Métro : Lamarck-Caulaincourt

Mardi 6 décembre à 20 h 30
Tarifs : 13 € et 10 €
(Prendre soin de vous munir d’un petit objet ni lourd, ni cher, ni encombrant)

Spectacle interactif conçu et animé par Marc-Michel Georges


Le 11 octobre dernier, un ami m’a invité à découvrir au Ciné 13 Théâtre un concept original intitulé L’Amour d’écrire en direct. Sans en savoir plus, mais intrigué par ce titre pour le moins énigmatique, je me suis rendu sur les hauteurs de Montmartre… Bien m’en a pris car, pendant deux heures, j’ai vécu une expérience unique, originale, conviviale, ludique et enrichissante. Tous les spectateurs réunis dans cette confortable bonbonnière qu’est le Ciné 13 Théâtre sont des passionnés, des amoureux des mots.
Sous-titré « Quand l’écriture devient un spectacle », ce divertissement aussi amusant qu’intelligent, nous plonge au sein même de la création… et de la créativité. Etant participatif, le spectacle est presque autant dans la salle que sur la scène.

Marc-Michel Georges
A partir d’un tirage au sort parmi les objets que les spectateurs ont apporté, des auteurs-comédiens doivent imaginer une histoire et venir l’interpréter. C’est un petit bonheur de diversité car chacun des impétrants possède un univers et un jeu qui lui sont propres. En plus de ces saynètes improvisées, des artistes se succèdent, chanteurs, conteurs, auteurs de théâtre… J’ai été particulièrement bluffé par la prestation d’un Hervé Vilard inattendu dans un rôle de comédien-récitant. Même si je le savais épris de littérature et de théâtre, sa performance m’a emballé.
Bref, on ne s’ennuie pas une seconde pendant ces deux heures durant lesquelles le verbe est roi.



Je ne peux donc que vous inciter à aller à votre tour découvrir ce spectacle enthousiasmant animé de main de maître par Marc-Michel Georges. Sa prochaine édition aura lieu le mardi 6 décembre. Parmi les artistes invités, je vous recommande tout particulièrement ce remarquable chanteur vibrant et habité qu’est Fraissinet. J’ai assisté à plusieurs de ses tours de chant et je puis vous dire que c’est du très, très haut niveau. A noter également la présence de la facétieuse et impertinente Lauréline Kuntz. Je ne connais pas ces autres participants que sont Dom Paulin et Virginie de Caussade, mais s’ils ont été retenus c’est qu’ils ont de la personnalité… Et puis je crois savoir qu’Hervé Vilard sera encore de la partie…

mardi 29 novembre 2016

Le Nez Rouge (bateau-théâtre)


Le Nez Rouge
Bateau-théâtre amarré face au 13 quai de l’Oise
Bassin de la Villette
75019 Paris
Réservations : lenezrouge.com
Métro : Crimée / Ourcq




Gérald Dahan vient de réaliser un de ses plus vieux rêves en acquérant sa propre salle de spectacle. Mais, comme il ne fait rien comme tout le monde, il a choisi un endroit moins convenu, moins classique, puisqu’il s’agit en effet d’un… bateau-théâtre baptisé Le Nez Rouge ! Avec les projets qu’il ne cesse de construire, avec les idées foisonnantes qui bouillonnent dans sa tête, il fallait bien qu’un jour son cirque amarre. Quoi de mieux qu’une péniche totalement consacrée au spectacle pour attirer le chaland, voguer vers le succès, et faire de ce cours d’eau un canal « plus » ? Plus de rire(s), plus de chansons, plus de comédie, plus de fête...


Improvisé capitaine, Gérald Dahan a tenu à faire les choses en grand. Pour effectuer le lancement de son embarcation immobile, il a créé rien moins qu’un festival. Un festival qui va s’étaler du 1er au 31 décembre avec deux représentations par jour. 105 artistes en tout vont fouler cette nouvelle scène. Du jamais vu !
Le programme est aussi varié qu’éclectique. Humour, chansons, théâtre, vont s’y succéder. Les artistes en herbe (les moussaillons) vont y croiser des navigateurs au long cours. Impossible de citer tous ces gens qui vont nous embarquer dans leur univers pour nous amuser, nous enchanter et nous faire rêver.


Après ce festival d’un mois, de nombreux artistes viendront en résidence sur Le Nez Rouge pour y présenter leur spectacle, leur one man show, leur tour de chant, leurs tours de magie, bref, tout ce que la narine marchande ! Toujours entouré de ses camarades si mutins, jamais seul maître à bord, Gérald Dahan profitera néanmoins de ce nouvel espace pour nous présenter dès le 12 janvier 2017 son tout nouveau spectacle, « Dahan présidents ». C’est tellement bon parfois de se laisser mener en bateau…

Tournée Age tendre

Tournée des Zénith

Spectacle produit par Christophe Dechavanne et Coyote Live
Direction musicale et arrangements de Guy Matteoni
Mise en scène de Stéphane Jarny
Présenté par Cyril Féraud
Parrain d’honneur : Jacques Revaux


Avec Gérard Lenorman, Sheila, Hugues Aufray, Les Rubettes, Linda de Suza, Marcel Amont, Isabelle Aubret, Pascal Danel, Au Bonheur des Dames, Christian Delagrange

Mon avis : Comme l’avait annoncé Christophe Dechavanne, le spectacle offert par la tournée « Age tendre » est une grande fête. Grâce à des artistes qui jouent le jeu à fond, nous assistons à un beau moment de music-hall. Tout est d’ailleurs mis à leur disposition pour qu’ils se sentent bien : joli décor concocté par la talentueuse Stéphanie Jarre, lumières à la fois chaudes et punchy, excellent orchestre, arrangements somptueux, choristes parfaites, présentation chaleureuse et complice de Cyril Féraud… Le public, venu en grand nombre retrouver quelques unes de ses idoles, prompt à s’enthousiasmer, vit assurément une parenthèse enchantée pleine de bonheur, de joie de vivre et de partage.

Photo : Raphaël Bloch
La générosité des artistes se met au diapason de la ferveur qui les accueille. La plupart d’entre eux ont systématiquement droit à une standing ovation à la fin de leur prestation. Il leur est même parfois inutile de chanter puisque leurs ouailles (car il s’agit d’une grand messe) entonnent les plus célèbres de leurs tubes à leur place. Le spectacle est d’ailleurs autant sur la scène que dans la salle.

Hugues Aufray. Photo : Raphaël Bloch
 Les univers des artistes en présence sont si personnels, si différents, si marqués, que cela nous offre un show aux ambiances et aux couleurs très variées. C’est vraiment un grand spectacle de Variétés. Les séquences romantiques, tendres, nostalgiques (Hugues Aufray, Isabelle Aubret, Christian Delagrange, Pascal Danel) se mêlent aux chansons joyeuses et entraînantes (Marcel Amont, Linda de Suza). Sheila avec son disco et ses danseurs, Au Bonheur des Dames, les Rubettes mettent littéralement le feu. Et Gérard Lenorman vient clôturer le show de quelques uns de ses plus grands succès avec, en point d’orgue, sa fameuse Ballade qui rend les gens si heureux.

mercredi 23 novembre 2016

Le Comte de Bouderbala 2

Gymnase Marie-Bell
38, boulevard de Bonne Nouvelle
75010 Paris
Tel : 01 42 46 79 79
Métro : Bonne Nouvelle

Seul en scène écrit et interprété par Sami Ameziane

Présentation : Après avoir présenté pendant huit ans son premier spectacle à Paris et dans toute la France, Le Comte de Bouderbala revient avec son second spectacle.

Mon avis : Sami Ameziane ouvre (enfin) le très attendu tome 2 de son picaresque Livre de Comte (définition de « picaresque » : œuvre dont le héros traverse toute une série d’aventures qui sont pour lui l’occasion de contester l’ordre social)…
Ce deuxième opus est, dans la lignée du précédent, un volet de bois vert. Fidèle à lui-même, notre Comte se complaît à poser son regard malicieux sur toutes ces petites choses qui dysfonctionnent dans notre monde. Il faut dire qu’il ne manque pas de matière. Depuis son premier spectacle, il s’est en effet écoulé presque neuf ans. Même s’il a conservé quelques thèmes qui lui sont constants (étude de textes de rappeurs, les Etats-Unis, les Roms…), ces dernières années ont été tellement riches en événements en tous genres, qu’il a eu de la matière où puiser ses indignations, ses taquineries, ses brocards.


Arpentant la scène du Gymnase de long en large, ne s’arrêtant que pour nous prendre à témoin ou pour jeter son dévolu sur un spectateur, il se livre à un exercice où il excelle, le stand-up à l’américaine. C'est-à-dire qu’il ne nous laisse aucun répit, qu’il enchaîne les sujets sans aucun temps mort (on n’est pas dans un match de basket !). Sami Ameziane est un fin observateur de notre société. Il en possède une vision très personnelle qu’il traduit sur scène avec un mélange détonnant de sarcasme et de sagacité.
Né à Saint-Denis de parents algériens, il sait évidemment qu’on attend de lui sa position sur le djihadisme et les attentats. Du coup, il est pratiquement obligé de commencer son spectacle avec ça. S’appuyant énormément sur l’autodérision il explique, à grand renfort d’images savoureuses, ce que c’est que d’être Musulman en France aujourd’hui. Sa façon très décalée d’aborder la tragédie des terrasses et, surtout, leur épilogue avec l’opération policière à Saint-Denis du 18 novembre, est très habile. Et très drôle. Son évocation du comportement du « héros » de cette fameuse nuit, l’affligeant Jawad Bendaoud, est à hurler de rire.


Cette page tournée, il revient à des choses plus légères… S’appuyant sur des extraits audio, il fustige les lacunes grammaticales des rappeurs ; là où le Booba blesse ! Puis il élargit le débat avec la chanson française en général… Ensuite, il parle pêle-mêle des élections américaines, de la famille, du célibat, des sites de rencontre, de l’homosexualité avec son corollaire le mariage gay, les cyclistes, la crise, les braquages, les réfugiés, la police… Sami ratisse large. Visiblement, tout l’intéresse. S’il a souvent la dent dure, jamais il ne se montre gratuitement méchant ni agressif. Il a plus l’humour sale gosse que bon enfant. En même temps, il se dégage de ses propos beaucoup de vérités, d’évidences. Il ne parle pas pour ne rien dire. Il critique, il dénonce, mais toujours sur le ton de la vanne, ce qui le rend foncièrement sympathique.

Ses spectacles s’apparentent aux formidables « Rubriques à brac » du divin Gotlib car il sait être dans la caricature joviale tout en dénonçant travers, défauts et turpitudes. Il provoque ainsi un rire à la fois complice et libérateur. Comme quoi, les bons comtes font les bons Sami. Et réciproquement…


Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 16 novembre 2016

Guillaume Bats "Hors cadre !"

Théâtre Trévise
14, rue de Trévise
75009 Paris
Tel : 01 45 25 35 45
Métro : Cadet / Bonne Nouvelle / Grands Boulevards

Le mardi à 21 h 30 jusqu’au 27 décembre

Ecrit et mis en scène par Guillaume Bats et Jérémy Ferrari

Présentation : Venez voir Guillaume Bats pour :
-          Ne plus avoir peur de lui
-          Perdre vos idées reçues sur le handicap
-          Découvrir quelques techniques pour choper des nanas en leur faisant pitié
-          Avoir honte de rire avec lui
Guillaume Bats est touchant, irrévérencieux, explosif et repousse vos limites et celles de l’humour…

Mon avis : Au bout d’un quart d’heure de spectacle, je ne voyais plus sur scène un handicapé mais un humoriste accompli !
Ne tombant jamais dans le pathos, au contraire, Guillaume Bats porte l’autodérision à son plus haut niveau. Son seul en scène est un véritable hymne à la vie, une formidable leçon de courage. Mais c’est aussi un grand moment de rires partagés car le jeune homme est une machine à vannes à haut rendement. Ça n’arrête pas une seconde ! Dans cela, dans ce rythme soutenu, dans ce ton à la fois désinvolte et terriblement acide, on reconnaît la patte de Jérémy Ferrari. Leur association est d’une redoutable efficacité.


Dès son entrée en scène, Guillaume ne se cache pas derrière son petit doigt. Il nous dit, ne nous épargne rien. Avec le cynisme d’un bouilleur de cru se réjouissant à l’avance des cirrhoses qu’il va provoquer, il nous distille un humour noir particulièrement corsé. L’œil rigolard, le sourire (forcément) en coin, il nous raconte sa vie de handicapé en l’émaillant d’anecdotes et de digressions savoureuses. Il n’élude rien : son enfance, l’abandon, les familles d’accueil, ses études, la recherche d’emploi, les cours de théâtre, la drague, la sexualité, la religion, l’homophobie, le mariage pour tous, les dommages collatéraux des attentats… La seule fois où il semble se laisser aller à un peu d’émotion, il ponctue ce moment d’une pirouette dévastatrice. C’est plus fort que lui, il ne veut pas que l’on s’apitoie sur son sort.


Sa façon de nous décrire les situations, le plus souvent navrantes, cruelles ou révoltantes, que son handicap a engendrées, déclenche paradoxalement chez nous un rire libérateur qui nous désinhibe et efface le sentiment de gêne que l’on pourrait éprouver. Plus il nous secoue, plus il nous nargue, plus il nous provoque, et plus on rit. Excellent comédien, il installe entre son public et lui une aimable connivence ; une passerelle sur laquelle l’amour circule dans les deux sens. Il se nourrit visiblement de cette affection, de nos rires et de nos bravos pour consolider son fragile squelette de verre. C’est son réconfort, sa récompense, son collagène…

Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 14 novembre 2016

Iris

Un film de Jalil Lespert
Scénario et adaptation de Jalil Lespert et Jérémie Guez

Avec Romain Duris (Max Lopez), Charlotte Le Bon (Claudia), Jalil Lespert (Antoine Doriot), Camille Cottin (Nathalie Vasseur), Adel Bencherif (Malek Ziani), Sophie Verbeeck (Nina Lopez)...

Sortie le 16 novembre 2016

L’histoire : Iris, la femme d’Antoine Doriot, un riche banquier, disparaît en plein Paris. Max, un jeune mécanicien endetté, pourrait bien être lié à son enlèvement. Mais les enquêteurs sont encore loin d’imaginer la vérité sur l’affaire qui se déroule sous leurs yeux…

Mon avis : Après Yves Saint Laurent, Jalil Lespert reste dans le domaine de la haute couture mais, cette fois, dans le registre du thriller. Non seulement le scénario d’Iris, c’est du cousu main, mais il nous livre une marchandise de luxe au niveau de la photo, de la lumière et des décors, tous incroyablement léchés.


Iris, c’est surtout et avant tout une histoire. Une histoire qui nous prend aux tripes dès le début et qui ne nous lâche plus pendant 1 h 40. Climat angoissant, musique oppressante (elle contribue vraiment à rendre les sensations encore plus stressantes) et distribution impeccable… Le scénario, machiavélique à souhait, joue délicieusement avec nos nerfs. Lespert utilise très habilement le procédé du flashback pour nous permettre de revenir dans le bon chemin… avant de nous embarquer sur une nouvelle (fausse ?) piste. En clair, il nous balade tout le temps. Et c’est franchement très éprouvant.
C’est Hitchcock qui aurait réalisé un film sur un scénario bien tordu de Harlan Coben.


Ce film est d’une esthétique remarquable. La beauté des images va jusqu’à rendre le glauque sublime, à le magnifier. Il est vrai que l’on évolue dans un univers friqué dans lequel Antoine Doriot (Jalil Lespert), grand patron, est comme un poison dans l’eau. A travers lui, nous avons l’expression du pouvoir sulfureux de l’argent et du sexe, de l’argent sur le sexe…

Les acteurs sont véritablement épatants. Jalil Lespert campe un homme riche et puissant, habitué à ce qu’on lui obéisse. Apparemment, rien ni personne ne peut lui résister. C’est un animal à sang froid, un prédateur pragmatique et méprisant, un joueur d’échecs qui a toujours un coup d’avance sur ses éventuels adversaires. Malheur à qui veut l’affronter… Max Lopez (Romain Duris), est tout son contraire. C’est un besogneux, un revanchard à qui la vie n’a pas fait de cadeaux. Jouet d’une aventure qui le dépasse, il est d’abord comme un insecte pris dans une toile dont il ne soupçonne pas la dangerosité. Mais quand un homme comme lui, qui n’a pas grand-chose à perdre, se retrouve le dos au mur, il peut trouver des ressources inattendues… 


Quant à Charlotte Le Bon, avec le personnage de Claudia, elle a hérité d’un rôle aussi complexe que magnifique. Elle a, bien involontairement, l’art de semer le doute. Qui est-elle vraiment ? Manipulatrice ou victime ? Elle nous offre là une superbe composition. Fragile et forte, intense, la densité de son jeu lui fait franchir un palier. Elle n’est plus seulement une belle fille, elle devient sous la direction de Jalil Lespert un comédienne avec laquelle il va désormais falloir compter.
Il faut également mettre en exergue la prestation subtile de Camille Cottin en policière accrocheuse, un peu désabusée et fataliste, mais terriblement pugnace.


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 10 novembre 2016

Les Epis Noirs "Flon Flon ou la véritable histoire de l'humanité"

Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Ecrit et composé par Pierre Lericq
Mis en scène par Manon Andersen et Pierre Lericq
Lumières de Véronique Claudel
Son de Philippe Moja

Avec Manon Andersen (pipeau, malle, voix), Svante Jaccobson (contrebasse), Marwen Kammarti (violon), Pierre Lericq (guitare, voix), Fabien Magni (guitare, accordéon), Lionel Sautet (accordéon, malle, voix)

Présentation : Dieu crée Boucieu-le-Roi. Il s’emmerde, alors il crée Manon, une Eve un peu cloche et en cloque d’Alexandre, pantin dégingandé, amoureux. Puis, Dieu crée le Mal (le mâle ?) et l’interprète lui-même.
Pierre, proxénète à Paris, vient visiter son frère Alexandre dans son village d’Ardèche. Il séduit sa femme, Manon, enceinte. Il l’enlève. Il la met sur le trottoir. Elle l’aime. Elle aime aussi son mari…

Mon avis : Groupe inclassable, Les Epis Noirs sont de retour sur leur scène fétiche, la Gaîté Montparnasse avec un spectacle parfaitement rôdé et particulièrement ambitieux puisqu’il a la prétention de nous raconter en une heure et demie l’histoire de l’Humanité… Heureusement pour nous, Pierre Lericq, auteur complètement mégalo (il se prend pour Dieu !) a le sens de l’ellipse. En effet, il nous fait passer en un éclair de la Genèse au 21ème siècle. En clair, mélangeant sans vergogne les mythologies, il nous transfère de l’Eden aux Champs Elysées ! Or, en dépit de ce saisissant raccourci, il parvient à nous brosser un portrait plutôt fidèle de notre humanité. Dans ce qu’elle a de pire d’abord, puis dans ce qu’elle peut générer de positif. De toute façon, comme Il est Dieu, Il peut tout se permettre !


Il est gratiné son Dieu. Pour ne pas dire diabolique. Comme il s’embête depuis l’ennui des temps, il décide de se métamorphoser en homme. Ou plutôt en mâle. Et comme ce n’est pas un bon Dieu, son mâle, possessif pervers et jaloux, se complaît à faire le mal tout autour de lui. Mais ce n’est pas très glorieux car ses deux créatures, Manon et Alexandre, sont de faibles proies. Manon est ce qu’on peut appeler avec un petit sourire entendu « une brave fille ». C’est une gourdasse, quoi ! Mais elle est vachement gentille. Elle a beau se faire exploiter, maltraiter, mépriser, elle ne sait rendre que de l’amour… Quant à Alexandre, il est lui aussi un naïf, un doux rêveur, un être inoffensif ; un bon gars, quoi !
Leur force d’inertie, toute involontaire qu’elle soit face au Mal, va finir par épuiser toutes les velléités de leur bourreau. C’est là la morale de l’histoire. L’amour reste plus fort que la haine.


Ça, c’est le synopsis. Après, il y a la narration. Et la forme présentée par Les Epis Noirs, le spectacle en lui-même, ne se raconte pas, il faut le voir et l’écouter. Ce sont des Epis phénomènes. Ils chantent, ils dansent, ils jouent de la musique. Paroles farfelues, gestuelle improbable, chorégraphies extravagantes, postures théâtrales, attitudes grotesques… Ils n’ont peur de rien, et surtout pas du ridicule.
Manon, une fois de plus est impayable. Faisant fi de toute féminité, elle assume son personnage avec une incroyable débauche d’énergie. Il faut la voir jouer de la malle. TrEPIdante, complètement habitée, son corps et ses yeux ne lui appartiennent plus, elle est comme en transes… Dans ce registre de la folie burlesque, elle est parfaitement épaulée par Lionel Sautet, qui incarne Alexandre. Véritable athlète, on a l’impression que ses membres sont indépendants. C’est un mélange de Buster Keaton et de Pierre Etaix avec la tête de Benoît Hamon. Il a une présence comique sidérante. Quelle vitalité !


Et puis il y a le deus ex machina, le démiurge, Pierre Lericq. Il tient avec un sérieux inébranlable son rôle de Dieu sans foi (eh oui, c’est un paradoxe qui donne à réfléchir) ni loi. C’est le méchant de l’histoire. Il n’a de bon que sa science divine du jeu de mot et la qualité de ses calembours. Et quelle voix ! J’ai été particulièrement touché par ses accents bréliens lorsque Dieu se lamente sur sa solitude. Un grand moment de chanson.
Mais des morceaux de bravoure, il y en a à la pelle dans ce spectacle où l’on passe du tableau le plus déjanté à une plage chargée de tendresse et d’émotion ; où l’on passe d’une ambiance slave ou celtique à une ballade empreinte de douceur. Ces arythmies sont la force de ce spectacle. On n’est pas tout le temps dans le délire. C’est comme dans la vie. Et puis, tout est conçu pour en arriver à un dénouement heureux qui ouvre grand son cœur à une humanité triomphante.

A ces trois hurluberlus précités, il faut ajouter les trois musiciens qui les accompagnent à la fois avec talent, complicité, humour et une pêche communicative.
Raison pour laquelle, venant une salle debout, conquise par tant de générosité, les applaudissements que les Epis quêtent n’explosent pas en vain…


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 22 octobre 2016

Ivo Livi, ou le destin d'Yves Montand

Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Du jeudi au samedi à 19 h / le dimanche à 17 h

Ecrit par Ali Bougheraba et Cristos Mitropoulos
Mis en scène par Marc Pistolesi
Décors d’Annie Giral et Olivier Hébert
Costumes de Virginie Bréget
Chorégraphies de Camille Favre-Bulle
Lumières de David Darricarrère
Son de Matthieu Cacheur
Arrangements d’Olivier Selac

Avec Ali Bougheraba, Cristos Mitropoulos, Camille Favre-Bulle, Benjamin Falletto, Olivier Selac

L’histoire : Le 13 octobre 1921, un an avant l’arrivée de Benito Mussolini et les fascistes au pouvoir naît, à Monsummano Alto en Toscane, Ivo Livi. Des quartiers mal famés de Marseille aux studios hollywoodiens, des chantiers de la jeunesse aux théâtres de Broadway, ou bien encore de Kroutchev à Kennedy, comment un fils d’immigrés communistes italiens va devenir un artiste majeur et le témoin des grands moments de l’histoire du XXème siècle ? Alors que tout s’y oppose, comment le petit Ivo Livi, porté par le destin, deviendra-t-il le grand Yves Montand ?

Mon avis : J’avais découvert Ali Bougheraba il y a six ans dans son « Seul en scène », Ali au Pays des Merveilles, un petit bijou d’humour et de tendresse. Raison pour laquelle, alors qu’a priori je ne me sentais pas particulièrement attiré par un spectacle sur la vie d’Yves Montand que je connaissais plutôt bien, je me suis quand même rendu au théâtre de la Gaîté. Bien m’en a pris. Ali et ses quatre complices ont réalisé avec Ivo Livi une création emballante en tous points et je suis sorti de la salle complètement enthousiasmé.


J’ai assisté à un spectacle total. Toutes les formes théâtrales y sont réunies. Nous sommes en pleine commedia dell’arte. Chanson, danse, mime, pantomime, allégories, burlesque frisant le cartoon, tableaux figuratifs, réalisme, poésie, accents colorés, bruitages faits maison… et j’en passe. Ce spectacle est un ravissement. La mise en scène est inventive, hyper dynamique. Par moments on ne sait plus où donner de la tête tant il se passe de choses sur la scène et tant les comédiens sont impliqués et créatifs. Tous les cinq revêtus de la fameuse tenue de scène d’Yves Montand, pantalon et chemise noirs, ils endossent chacun, sans aucun temps mort, une multitude de personnages. C’est dense, c’est riche, c’est très, très drôle et, parfois, émouvant.
Très sincèrement, j’ai trouvé que la performance des comédiens était intrinsèquement plus forte que l’histoire elle-même. C’est leur jeu qui nous transporte, ainsi que leur façon d’incarner tour à tour Montand et toutes les personnes, célèbres ou pas, qui ont jalonné son existence : parents, frère et sœur, amis, managers, producteurs, auteurs-compositeurs, musiciens, et les femmes de sa vie bien sûr, Edith Piaf, Simone Signoret, Marilyn Monroe, Carole Amiel…


Le fonds historique tient une place tout aussi prépondérante que le relationnel. Le récit est truffé d’anecdotes illustrées à chaque fois par un tableau plus ou moins bref. Difficile de dégager ce qui m’a plu le plus dans ce spectacle entre la performance des acteurs, l’ingéniosité de la mise en scène et le formidable parcours d’un modeste migrant devenu star internationale. Le défi de raconter en près de deux heures la trajectoire d’Yves Montand est parfaitement relevé. Les auteurs ne sont allés qu’à l’essentiel. Ils n’ont conservé que ce qui avait été fondateur pour le petit Ivo Livi : le fascisme en Italie, la seconde guerre mondiale et l’occupation, Marseille, le communisme, la guerre froide et, évidemment, toutes ces rencontres qui ont permis à ce gamin issu du prolétariat de gravir une à une les marches de la célébrité et de la gloire.

Impossible de dissocier les quatre comédiens et leur accompagnateur accordéoniste. Quatre physiques et quatre talents différents mais tellement complémentaires. Habitués qu’ils sont à travailler ensemble, leur complicité, évidente, passe aisément la rampe. Ils sont naturellement joyeux et généreux. Quand l’un(e) d’entre eux est mis en avant en fonction du personnage qu’ils interprètent, les trois autres se mettent à son service, le soutiennent, amplifiant ainsi la compréhension de la situation. Leur éventail de jeu est si large qu’un simple accessoire leur permet de matérialiser un personnage, un lieu, une époque. Un banc et une table, déplacés et utilisés à d’autres fonctions, suffisent à planter un décor.


Benjamin Falletto, Cristos Mitropoulos et Ali Bougheraba, qui incarnent successivement Yves Montand en fonction de son âge, ont su éviter l’écueil de l’imitation vocale. Ils s’appliquent juste à restituer parfois quelques éléments de sa gestuelle si particulière… Quant à Camille Favre-Bulle, qui campe tous les personnages féminins (excusez du peu), elle est tout simplement époustouflante de présence, de joie de vivre et de sensibilité.
Bref, au risque de me répéter, Ivo Livi, ou le destin d’Yves Montand, est un spectacle vraiment complet, particulièrement créatif et jubilatoire. Il dame le pion à moult comédies musicales a priori plus huppées, plus ambitieuses. Non seulement en raison de la prestation de ses interprètes, mais aussi pour les valeurs humaines qu’elle dégage.
Lorsque ce qu’il y a de meilleur dans le théâtre et le music-hall est ainsi réuni en une seule œuvre, on touche à l’absolu. Ce spectacle m’a permis de vivre à la Gaîté Montparnasse un réel grand moment de grâce. Un moment rare qui fait chaud au cœur, qui exalte l’âme et vous emplit de bonheur.


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 13 octobre 2016

Saturday Night Fever, La Fièvre du Samedi Soir

Show Case

Metteur en scène et directeur artistique : Stéphane Jarny
Scénographe : Stéphane Roy
Chorégraphe : Malik Le Nost

Au Palais des Sports à partir du 9 février 2017
En tournée à partir du 13 mai 2917

Saturday Night Fever, le spectacle musical, raconte l’histoire de Tony Manero qui, écrasé par l’ombre d’un frère aîné promis à la prêtrise, habite dans la quartier de Brooklyn et travaille dans un magasin de peinture. Mais le samedi soir, tout change. Accompagné de ses amis, il brille sur la piste de danse de l’Odyssée 2001, une boîte disco. Un soir, il tombe sous le charme de Stéphanie, à qui il propose de faire équipe pour le concours de danse organisé par leur boîte de nuit favorite. Est-ce le début d’une histoire d’amour ?


Sorti aux Etats-Unis le 15 décembre 1977 et en France le 5 avril 1978, ce film culte immortalisé par John Travolta, est adapté, près de quarante ans plus tard, en comédie musicale.
Une présentation de ce spectacle a été proposée à la presse le lundi 10 octobre dans une salle du Palais de Tokyo métamorphosée en night club.
Si l’on savait depuis quelque temps que Fauve Hautot (Danse avec les Stars) incarnerait Stéphanie, le secret avait été en revanche bien gardé pour celui qui endosserait la responsabilité du rôle de Tony Manero, si fortement marqué par la formidable performance chorégraphique de John Travolta.


C’est la troupe des danseurs et danseuses qui a ouvert le bal sur un des tubes des Bee Gees interprété en direct par un trio. Tout de suite, le ton était donné : harmonie des voix, arrangements efficaces, beauté des costumes, qualité époustouflante de danseurs et danseuses toniques et sensuels… On était dans l’ambiance, au cœur de Brooklyn, autour de la piste de danse de l’Odyssée 2001…
Puis a surgi Fauve Hautot. On ne la présente plus. Sa joie de danser et sa grande expérience lui permettent les plus parfaites évolutions. Il ne manquait plus que son partenaire pour que le couple mythique du film soit reformé.
On n’a pas été déçu ! Dès son apparition, Nicolas Archambault, viril à souhait, a fait l’unanimité. D’abord parmi la gent féminine bien sûr. Mais toutes les personnes des trois sexes sont tombées sous le charme.



Les extraits qui nous ont été donnés à voir et à entendre sont déjà plus qu’une promesse. Ils préfigurent un show d’une esthétique et d’une qualité rares. A l’issue de la représentation, il suffisait de voir les sourires de plaisir pour traduire la satisfaction. Ce spectacle est tellement généreux et stimulant qu’il va nous faire grand bien dans une époque où, plus que jamais, l’esprit de fête, doit être préservé. Cette comédie musicale va nous offrir, j’en suis convaincu, deux heures d’évasion, d’émerveillement, de partage et de bonheur.