Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, boulevard Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 00 32
Métro : Strasbourg Saint-Denis
Une pièce de Jean Robert-Charrier
Mise en scène par Jean-Pierre Dravel et Olivier Macé
Décor de Stéphanie Jarre
Costumes de Michel Dussarat
Lumières de Laurent Béal
Musiques de Georges Bizet
Avec Chantal Ladesou (Jacqueline), Armelle (Marie), Eric
Laugérias (Paul), Thierry Samitier (Gérard), Clémence Ansault (Christine),
Simon Jeannin (Pierre-Alexandre), Simon Larvaron (Romain)
L’histoire :
Comment peut-on lorsqu’on est une puissante avocate passionnée par l’argent, la
gloire personnelle, la grande cuisine et la fourrure, se faire passer le temps
d’un dîner pour la plus aimable des humanistes végétarienne, grande protectrice
des petits animaux ? Cela paraît bien complexe, mais c’est pourtant ce que
Christine, jeune étudiante en socio, va demander à sa mère Jacqueline, pour
tenter de partir en mission humanitaire. L’amour soudain de Jacqueline pour le
petit Nelson, lapin nain de son état, suffira-t-il pour faire oublier les
activités troubles de notre héroïne ? Comment la famille écolo
réagira-t-elle lors de sa confrontation ?
Mon avis :
Fan inconditionnel de Chantal Ladesou, Jean Robert-Charrier a écrit cette
comédie loufoque sur mesure pour sa muse. Et sa muse s’amuse et nous amuse, et
pas qu’un peu, Chantal ne faisant jamais dans la demi-mesure…
Vous l’aurez compris, si vous êtes Ladesouphile, courez au
Théâtre de la Porte Saint-Martin. Si vous êtes Ladesouphobe, ne vous égarez pas
du côté de Strasbourg Saint-Denis.
Personnellement, j’ai toujours trouvé que les prestations de
Chantal Ladesou constituaient un spectacle à elles toutes seules. Elle est
devenue une marque, un modèle déposé. On va voir LA Ladesou. C’est une diva
divagante qui s’empare de ses personnages avec une énergie invraisemblable. On
vient la voir pour retrouver ses mimiques, sa gestuelle si extravagante, ses
poses théâtrales et un tantinet outrées et, beaucoup aussi, pour son timbre de
voix et ses intonations si caractéristiques. Mais, pour que Chantal puisse
faire son numéro, il faut savoir l’entourer de gens qui sachent s’adapter à sa
folie douce et capables de l’y suivre en apportant de leur propre personnalité.
Sinon, on tomberait dans le one woman show, et ce n’est pas ici le but
recherché… Ce qui est réussi dans cette pièce, c’est le casting autour de
Chantal. Personne ne bouffe personne, personne ne tire la couverture à soi car
chaque personnage est une entité parfaitement dessinée.
Après, il y a l’histoire. On se dit pourquoi pas ?
Confronter deux familles aussi opposées l’une à l’autre dans tous les domaines
est un ressort basique du rire. C’est donc sans surprise dur le fond, à part qu’ici
le curseur est poussé très, très loin dans le loufoque et dabs la psychologie
des personnages. Comme tout est construit autour de la dissimulation, chacun va
vite se retrouver en porte-à-faux et essayer de se dépatouiller de cette
situation très inconfortable à vivre.
En fait, il n’y a que deux personnages qui soient normaux :
Christine, la fille de Jacqueline et Gérard, et Romain, le fils de Marie et
Paul. Les cinq autres sont pas mal barrés et encore, pour certains, c’est un
euphémisme…
Jacqueline (Chantal Ladesou) est une avocate de renom, un
maître du barreau doublé d’une maîtresse femme. Très autoritaire, elle martyrise
tous les membres de sa famille, plus particulièrement son fils, Pierre-Alexandre,
qui lui sert d’assistant et qui est son souffre-douleur… Gérard (Thierry
Samitier), c’est une bonne nature. Il se comporte en mari dévoué, il fait la
cuisine et préfère l’esquive à l’affrontement avec sa tornade d’épouse si
souvent mal embouchée… Pierre-Alexandre (Simon Jeannin), le fils-assistant, n’arrête
pas de se faire vilipender, mais il a suffisamment d’humour et de carapace pour
que les piques de sa mère ne l’émoussent pas. Il est également capable de
rébellion… Christine (Clémence Ansault) est tout d’une pièce. Elle essaie d’exister
au sein de cette famille bizarre archi-dominée par la stature maternelle. Parce
qu’elle a besoin de l’aide des parents de Romain pour réaliser un rêve
professionnel, elle va devoir composer tout en faisant preuve de ténacité. Pas évident
à gérer.
Face à cette famille-là, va se dresser un couple pour le
moins radical, des gens qui cumulent le fait d’être à la fois écolo et
végétaliens. La double peine, quoi ! Marie (Armelle), c’est l’intégriste.
Elle est à fond dans son truc, psychorigide, incapable de la moindre compromission
et hostile à toute forme de tolérance. Si elle est contrariée, elle peut tomber
dans l’hystérie la plus dévastatrice… Paul (Eric Laugérias) est plus ambigu. Il
semble être totalement en phase avec la discipline rigoureuse de son épouse. En
réalité, il craint ses débordements et a trouvé plus habile d’abonder dans son
sens, quitte même à en rajouter… Quant au pauvre Romain (Simon Larvaron), pris
en otage par ses parents, il est tenaillé entre le respect filial qu’il leur
porte et son propre désir d’exister par lui-même…
Tous ces traits de caractère, lorsqu’ils sont amenés à se
retrouver réunis, forment un cocktail aussi explosif qu’incontrôlable.
Dans Nelson, il y
a du bon, du très bon et du moins bon.
Le bon, c’est le jeu très maîtrisé de tous les comédiens.
Ils existent vraiment.
Le très bon, c’est par exemple la scène que je baptiserais
de « Popaullution nocturne » où Chantal Ladesou et Eric Laugérias se
livre à un numéro de duettistes digne des plus grands comédies américaines. Je
ne la raconterai pas, mais c’est du grand art.
Très bons également certains apartés de Chantal Ladesou
truffés de clins d’œil à l’actualité. C’est un vrai plus. Par exemple lorsqu’elle
dit dans une forme de plaidoirie : « Les pauvres, c’est ma raison d’être »…
J’ai eu l’impression d’avoir déjà entendu ça quelque part !
Le moins bon, pour moi, c’est surtout la scène où
Pierre-Alexandre se lance dans une séquence africaine avec accent et boubou qui
est bien trop parodique et n’apporte rien à l’histoire.
Le très bon aussi, ce sont les décors et les costumes.
Stéphanie Jarre nous a concocté un luxueux intérieur, éclairé par d’immenses
portes-fenêtres qui, de complètement bourgeois lors de la première partie,
devient un temple du bucolique absolu, une véritable ode à la nature dans le
second. Esthétiquement, c’est une réussite… Quant aux costumes, il sont à la
fois très classe pour la famille de Jacqueline, et complètement farfelus pour
la famille écolo (mais je vous en laisse la surprise car c’est une jolie
trouvaille)…
Voilà. Il ne faut pas être exigeant pour aller voir Nelson (au fait, il est absolument
craquant le lapin). Il suffit de se laisser porter par la folie ambiante qui
règne sur la scène et se répercute dans une salle toute entière gagnée à la
cause de Chantal Ladesou. Dès qu’elle surgit, dans une très élégante robe d’avocate,
elle n’a même pas besoin de dire un mot, la salle est déjà pliée de rire… C’est
un phénomène, c’est comme ça, c’est l’effet Laadesou…
Gilbert « Critikator » Jouin