lundi 29 septembre 2014

Jean Guidoni "Paris - Milan"

Tacet



Depuis l’enregistrement des textes de Prévert, cela fait six ans que Jean Guidoni n’avait pas sorti d’album. Il revient aujourd’hui avec Paris – Milan, un CD sur lequel Romain Didier a mis en musique des textes inédits d’Allain Leprest, auteur disparu à l’été 2011.
Ces trois noms associés sont un gage d’extrême qualité pour tout amateur de (très) bonne chanson française.

Ami pendant vingt-cinq ans d’Allain Leprest, Romain Didier, pianiste et orchestrateur aussi prolifique que talentueux, était incontestablement le plus à même de traduire en musique l’hypersensibilité du parolier. Et lorsque s’y ajoute la propre sensibilité et la voix chaude de Jean Guidoni, cela donne un album qui ne peut laisser indifférent. Mais, malgré tout, ce qui y prédomine, c’est la beauté formelle des textes. Chacun des douze titres est un petit bijou d’écriture. C’est riche, dense, réaliste, imagé et, surtout, empreint d’une grande poésie.

Jean Guidoni étant avant tout un interprète, il donne à ces chansons tout leur sens, y compris ce qui est entre les lignes, y compris les doubles sens, les intentions intimes. Ainsi ai-je trouvé particulièrement réjouissant dans Paris – Milan, quand il est écrit « j’ mang’ des cacahuètes et des amandes », j’ai compris dans la bouche de Guidoni : « j’ mang’ des cacahuètes et des amants » ! Ce qui donne un contre-sens assez croquignolet. Mais tout à fait plausible…

Quant aux arrangements de Thierry Garcia, magnifiés par les cordes bichonnées par Romain Didier, ils offrent à chaque titre son habillage et son climat propres.


Paris – Milan est un album qui s’écoute avec un livret qui se lit pour ne pas passer à côté de certaines perles. Il y a des phrases que l’on prend en pleine tête du genre « Les remords ça n’a pas de prix » ou « Tout est bien qui finit mal » ; il y a des textes qui sont d’étourdissants exercices de style (Reviendre – ah, le banjo sur ce titre ! -, les rimes en « ute » et en « oi » de Chut, le calendrier égrené dans Partition de septembre, le name dropping nostalgique de Dans le jardin de Gagarine, l’accumulation de rimes en « ré » dans Homosapiens…). C’est simple, plus on l’écoute, plus on découvre de pépites. Et plus on regrette que la plume d’Allain Leprest se soit aussi funestement envolée…

Et puis il y a Trafiquants, ce tango minimaliste aux sons bizarres et brinquebalants (et le banjo qui revient s’amuser) interprété avec Juliette. C’est un petit film que l’on imagine en noir et blanc avec un couple improbable et décadent. Les voix, très devant, nous permettent de goûter à toutes les finesses de leur composition intelligente.



samedi 27 septembre 2014

Les Stentors "Rendez-vous au Cinéma"

TF1 Musique
Sortie le 29 septembre 2014

Voix de stentor : extrêmement puissante et sonore (Petit Larousse) Substantif emprunté à Stentor, héros de la guerre de Troie, célèbre pour l force de sa voix.

On comprend pourquoi, en 2010, Sébastien Lemoine, le fondateur du groupe,  et ses camarades ont choisi ce nom pour leur quatuor. En effet, les Stentors sont composés de deux barytons (Sébastien Lemoine et Vianney Guyonnet) et de deux ténors (Mowgli Laps et Mathieu Sempéré).
Dès leur premier album, Une histoire en France, dans lequel ils reprenaient de grands standards du patrimoine de la chanson française (Les Corons, Chanson pour l’Auvergnat, Toulouse…), ils ont rencontré un formidable succès populaire. C’est d’ailleurs une tradition en France, on aime les (très) belles voix, on aime les groupes.
Bis repetita en 2013 avec la sortie de Voyage en France, un album hommage aux chansons d’autrefois marquées par l’Histoire (Le Déserteur, Le Temps des Cerises, Le Chant des Partisans…)


Le 29 septembre sort leur troisième opus intitulé Rendez-vous au Cinéma. Mathieu, Mowgli, Sébastien et Vianney sont tous quatre de vrais passionnés des salles obscures. Or, il s’avère que le cinéma français est riche de compositeurs de très haut niveau : Michel Legrand, Maurice Jarre, Bruno Coulais, Francis Lai, Charles Aznavour, Georges van Parys, Paul Misraki… Certains comme Michel Legrand et Maurice Jarre sont même plus célèbres et adulés aux Etats-Unis que dans leur propre pays.
En voulant donc rendre hommage au septième art, nos Stentors n’avaient que l’embarras du choix tant les bandes son fourmillent de purs chefs d’œuvre. Ils en ont retenu douze. Douze titres très différents auxquels ils ont affecté un arrangement personnalisé avec néanmoins un seul leitmotiv : que ce soit mélodieux.


Le résultat est tout bonnement superbe. Le ton est donné par une magnifique reprise de Vois sur ton chemin, le « tube » des Choristes. Avec leurs voix mâles, ils nous font oublier les voix cristallines de Jean-Baptiste Maunier et de ses camarades, pour nous offrir un petit bijou vocal qu’ils ont traité un peu à la manière d’un cantique avec orgue judicieux à l’appui.
Ensuite tout est dans ce registre qualitatif.
Personnellement, outre leur version de Vois sur ton chemin, j’ai particulièrement apprécié, par ordre d’entrée sur la platine, Les moulins de mon cœur (avec de très jolis chœurs antiques pour ponctuer les couplets), Tous les visages de l’amour (tout en douceur, voix retenues s’entremêlant délicieusement et magnifiques chœurs auto-assurés), La ballade des Jeux interdits (voix agréablement doublées dans le souffle, maîtrise totale, sensibilité, implication totale)et Nous voyageons de ville en ville (des Demoiselles de Rochefort) pour sa tonicité et sa belle énergie virile.



Rendez-vous au Cinéma est un bel album. On ne peut qu’être séduit par ces interprétations altières et harmonieuses. On sent que les Stentors, sans pour autant délaisser l’opéra, sont des amoureux de la belle chanson française. Ils sont la subtilité de donner à chacun de leurs albums une thématique. On a nos repères, chacune de ces bande-son nous rappelle des images, des émotions. Les plus âgés reverront immanquablement le minois de Brigitte Fossey dans Jeux interdits, les séniors seront de nouveau émus par le couple Ali McGraw-Ryan O’Neal de Love Story, d’autres le seront plus joyeusement par celui formé de Julia Roberts et Hugh Grant dans Coup de foudre à Notting Hill, et les plus jeunes re-frémiront à l’évocation du visage angélique de Jean-Baptiste Maunier dans Les Choristes. Il y en a pour toutes les générations, pour tous les goûts. Il ne manque plus que les chocolats glacés et le confort d'un fauteuil de cinéma pour apprécier à deux-cents pour cent la musicalité et la perfection vocale de cet album très réussi.

Deux hommes tout nus

Théâtre de la Madeleine
19, rue de Surène
75008 Paris
Tel : 01 42 65 07 09
Métro : Madeleine

Une pièce de Sébastien Thiéry
Mise en scène par Ladislas Chollat
Décors d’Edouard Laug
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Lumières d’Alban Sauvé
Vidéo de Nathalie Cabrol
Musique de Frédéric Nobel
Avec François Berléand (Alain Kramer), Isabelle Gélinas (Catherine Kramer), Sébastien Thiéry (Nicolas Priou), Marie Parouty (Dominique Franck ?)

L’histoire : Alain Kramer, avocat sérieux et mari fidèle, se réveille nu chez lui avec un de ses collègues de bureau. L’incompréhension est totale et aucun des deux hommes n’arrive à expliquer comment ils ont pu se retrouver dans cette situation. Quand la femme de l’avocat découvre les deux hommes dénudés dans son salon, Kramer invente n’importe quoi pour sauver son couple. Il est prêt à tout pour rétablir une vérité qui lui échappe. Où se trouve la vérité ? Dans le salon de Kramer ou dans son inconscient ?
Quand on fouille au fond de soi, sait-on jamais ce qu’on va trouver ?

Mon avis : Deux hommes tout nus est la cinquième pièce de Sébastien Thiéry que je vois (après Dieu habite Düsseldorf, Cochons d’Inde, Qui est Monsieur Schmitt ?, Tilt !). Et, une fois de plus, j’ai été complètement désorienté et emballé.
Sébastien Thiéry est un auteur unique. Il nous emmène dans un univers qui n’appartient qu’à lui, une sorte de no man’s land dans lequel nous n’avons plus aucun repère, où il n’y a aucun garde-fou, où notre cerveau, privé soudain de toute logique, se met à mouliner dans le vide. C’est une sensation particulière où le lâcher-prise est la seule façon de surnager. Car, avec son esprit tordu, il nous entraîne en totale immersion en Absurdie. Pendant plus d’une heure et demie, nous sommes en apnée. Et les seules bulles que nous émettons, sont des bulles de rire. On rit sans discontinuer du début à la fin. Et en plus, on rit de choses que l’on ne comprend pas. Amis cartésiens, laissez votre rationalité au vestiaire, elle ne vous servira strictement à rien au Théâtre de la Madeleine.

Sébastien Thiéry a ce don si personnel de construire toutes ses pièces sur les sables mouvants du non-sens. Et le pire, c’est que l’édifice qu’il érige est d’une solidité à toute épreuve. Sébastien Thiéry, C’est Dédale qui nous entraîne dans son labyrinthe pour nous y perdre. De quelle matière étrangère sont constituées ses neurones tant il a l’art de créer des situations totalement saugrenues qui nous captivent sans coup férir ?

La phrase qui pourrait synthétiser le mieux Deux hommes tout nus est prononcée par Alain Kramer vers la fin de la pièce. S’adressant à Catherine, son épouse, il lui lance un improbable : « Je mens pour que tu comprennes la vérité » !!! Et pourtant, prise dans le contexte, cette affirmation est irréfutable… Dès le début, à l’instar des deux hommes qui se retrouvent tout nus dans le même canapé d’un salon cossu des beaux quartiers, nous sommes dans le brouillard complet. Et nous allons y rester tout au long de ma pièce. Tout comme Alain et Nicolas. L’un comme l’autre vont désespérément chercher à expliquer l’inexplicable. Déjà qu’eux n’y comprennent rien, comment Catherine Kramer, en rentrant chez elle, va-t-elle pouvoir croire aux justifications qu’ils vont tenter de lui fournir ? Et, hélas pour eux trois, tout va aller de Charybde en Scylla.

Sébastien Thiéry a l’art d’imaginer des pièces qui permettent à ceux qui les jouent de se livrer à d’extraordinaires numéros d’acteurs. Ce fut le cas entre autres pour Patrick Chesnais, Richard Berry ou Bruno Solo ; et ça l’est encore pour François Berléand et Isabelle Gélinas. François Berléand nous offre un véritable festival. Il patauge et s’englue, dépassé et impuissant, dans une incompréhension absolue. Ses gestes, ses mimiques, ses silences, ses indignations, ses révoltes, sont d’une justesse incomparable. Je pense qu’à travers ce personnage d’avocat complètement paumé, il va achever de convaincre les quelques derniers détracteurs qu’il aurait pu avoir. Dans ce registre de l’absurde, il est comme un poisson dans l’eau, fût-elle passablement troublée. Plus ce qu’il vit lui échappe, plus il tente d’y trouver une solution. Il est un brillant avocat, que diable, il doit être capable de trouver les mots justes pour sa défense. Et bien, non… François est particulièrement excellent dans la scène où il téléphone à plusieurs personnes. Il se livre à un véritable sketch digne d’un one man show. C’est à pleurer de rire. Quel subtilité dans les variations !

Isabelle Gélinas est parfaite dans le rôle de l’épouse face à une énigme. Vingt-cinq ans d’une vie commune limpide et fluide qui reçoivent brutalement l’injection du liquide boueux de la turpitude. Pour la première fois, elle se retrouve confrontée au doute et au mensonge. Mais comment pourrait-il en être autrement quand on est en face d’une situation on ne peut plus concrète ? Isabelle Gélinas joue passe du  désarroi à la colère, de la compréhension à la condamnation, de la tendresse au dégoût. Elle surfe sur routes la palette des sentiments avec une précision achevée. Du grand art. Elle donne une réplique parfaite à ses deux partenaires masculins.

Photo : Laurencine Lot
Et puis il y a Sébastien Thiéry dans le rôle du second homme tout nu. D’abord, il a dû surprendre bien des spectateurs(trices) par son corps finement sculpté et harmonieusement musclé. Ce qui est plus agréable pour tout le monde lorsqu’on doit apparaître dans le plus simple appareil… Personnellement, j’ai toujours été enchanté par le jeu tout en finesse de l’auteur de la pièce. Et puis j’aime son timbre de voix très reconnaissable. Il n’a pas son pareil pour jouer les personnages étonnés, les insectes pris dans une toile d’araignée qu’il a poussé le vice à tisser lui-même autour de lui. Il forme avec François Berléand un tandem comme on les aime au cinéma et au théâtre. Ils sont parfaits.

Enfin, il faut également saluer la prestation incroyable de Marie Parouty dans un rôle relativement court, mais qui vaut son pesant de cocasserie. Complice de Sébastien Thiéry depuis une dizaine d’années – ils ont joué en semble Chez maman sur Canal+ et Dieu habite Düsseldorf -, elle sait parfaitement se fondre dans son univers loufoque. Je me demanderai toujours comment font les acteurs pour ne pas éclater de rire lorsqu’ils ont à interpréter des scènes aussi insensées. La séquence affectée à Marie Parouty dans la pièce en est un des moments les plus forts, et Dieu sait s’il y en a.

Vous l’aurez compris, Deux hommes tout nus est une pièce très, très réussie. On y rit tout le temps. C’est un exercice de style brillantissime avec une écriture au scalpel au service de situations totalement extravagantes. En plus, c’est une pièce très physique. La dépense d’énergie de chacun des trois principaux protagonistes est à l’aune de l’épaisseur du mystère qu’ils vivent.
On ne peut non plus encenser cette pièce sans évoquer la beauté du décor avec cette grande baie vitrée ouvrant sur des immeubles haussmanniens et sur la qualité de projections vidéo aussi distrayantes qu’esthétiques. Ah, ce travelling avant pour nous faire pénétrer dans le salon des Kramer !


Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 24 septembre 2014

Nelson

Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, boulevard Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 00 32
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Une pièce de Jean Robert-Charrier
Mise en scène par Jean-Pierre Dravel et Olivier Macé
Décor de Stéphanie Jarre
Costumes de Michel Dussarat
Lumières de Laurent Béal
Musiques de Georges Bizet
Avec Chantal Ladesou (Jacqueline), Armelle (Marie), Eric Laugérias (Paul), Thierry Samitier (Gérard), Clémence Ansault (Christine), Simon Jeannin (Pierre-Alexandre), Simon Larvaron (Romain)

L’histoire : Comment peut-on lorsqu’on est une puissante avocate passionnée par l’argent, la gloire personnelle, la grande cuisine et la fourrure, se faire passer le temps d’un dîner pour la plus aimable des humanistes végétarienne, grande protectrice des petits animaux ? Cela paraît bien complexe, mais c’est pourtant ce que Christine, jeune étudiante en socio, va demander à sa mère Jacqueline, pour tenter de partir en mission humanitaire. L’amour soudain de Jacqueline pour le petit Nelson, lapin nain de son état, suffira-t-il pour faire oublier les activités troubles de notre héroïne ? Comment la famille écolo réagira-t-elle lors de sa confrontation ?

Mon avis : Fan inconditionnel de Chantal Ladesou, Jean Robert-Charrier a écrit cette comédie loufoque sur mesure pour sa muse. Et sa muse s’amuse et nous amuse, et pas qu’un peu, Chantal ne faisant jamais dans la demi-mesure…
Vous l’aurez compris, si vous êtes Ladesouphile, courez au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Si vous êtes Ladesouphobe, ne vous égarez pas du côté de Strasbourg Saint-Denis.

Personnellement, j’ai toujours trouvé que les prestations de Chantal Ladesou constituaient un spectacle à elles toutes seules. Elle est devenue une marque, un modèle déposé. On va voir LA Ladesou. C’est une diva divagante qui s’empare de ses personnages avec une énergie invraisemblable. On vient la voir pour retrouver ses mimiques, sa gestuelle si extravagante, ses poses théâtrales et un tantinet outrées et, beaucoup aussi, pour son timbre de voix et ses intonations si caractéristiques. Mais, pour que Chantal puisse faire son numéro, il faut savoir l’entourer de gens qui sachent s’adapter à sa folie douce et capables de l’y suivre en apportant de leur propre personnalité. Sinon, on tomberait dans le one woman show, et ce n’est pas ici le but recherché… Ce qui est réussi dans cette pièce, c’est le casting autour de Chantal. Personne ne bouffe personne, personne ne tire la couverture à soi car chaque personnage est une entité parfaitement dessinée.


Après, il y a l’histoire. On se dit pourquoi pas ? Confronter deux familles aussi opposées l’une à l’autre dans tous les domaines est un ressort basique du rire. C’est donc sans surprise dur le fond, à part qu’ici le curseur est poussé très, très loin dans le loufoque et dabs la psychologie des personnages. Comme tout est construit autour de la dissimulation, chacun va vite se retrouver en porte-à-faux et essayer de se dépatouiller de cette situation très inconfortable à vivre.

En fait, il n’y a que deux personnages qui soient normaux : Christine, la fille de Jacqueline et Gérard, et Romain, le fils de Marie et Paul. Les cinq autres sont pas mal barrés et encore, pour certains, c’est un euphémisme…
Jacqueline (Chantal Ladesou) est une avocate de renom, un maître du barreau doublé d’une maîtresse femme. Très autoritaire, elle martyrise tous les membres de sa famille, plus particulièrement son fils, Pierre-Alexandre, qui lui sert d’assistant et qui est son souffre-douleur… Gérard (Thierry Samitier), c’est une bonne nature. Il se comporte en mari dévoué, il fait la cuisine et préfère l’esquive à l’affrontement avec sa tornade d’épouse si souvent mal embouchée… Pierre-Alexandre (Simon Jeannin), le fils-assistant, n’arrête pas de se faire vilipender, mais il a suffisamment d’humour et de carapace pour que les piques de sa mère ne l’émoussent pas. Il est également capable de rébellion… Christine (Clémence Ansault) est tout d’une pièce. Elle essaie d’exister au sein de cette famille bizarre archi-dominée par la stature maternelle. Parce qu’elle a besoin de l’aide des parents de Romain pour réaliser un rêve professionnel, elle va devoir composer tout en faisant preuve de ténacité. Pas évident à gérer.


Face à cette famille-là, va se dresser un couple pour le moins radical, des gens qui cumulent le fait d’être à la fois écolo et végétaliens. La double peine, quoi ! Marie (Armelle), c’est l’intégriste. Elle est à fond dans son truc, psychorigide, incapable de la moindre compromission et hostile à toute forme de tolérance. Si elle est contrariée, elle peut tomber dans l’hystérie la plus dévastatrice… Paul (Eric Laugérias) est plus ambigu. Il semble être totalement en phase avec la discipline rigoureuse de son épouse. En réalité, il craint ses débordements et a trouvé plus habile d’abonder dans son sens, quitte même à en rajouter… Quant au pauvre Romain (Simon Larvaron), pris en otage par ses parents, il est tenaillé entre le respect filial qu’il leur porte et son propre désir d’exister par lui-même…


Tous ces traits de caractère, lorsqu’ils sont amenés à se retrouver réunis, forment un cocktail aussi explosif qu’incontrôlable.
Dans Nelson, il y a du bon, du très bon et du moins bon.
Le bon, c’est le jeu très maîtrisé de tous les comédiens. Ils existent vraiment.
Le très bon, c’est par exemple la scène que je baptiserais de « Popaullution nocturne » où Chantal Ladesou et Eric Laugérias se livre à un numéro de duettistes digne des plus grands comédies américaines. Je ne la raconterai pas, mais c’est du grand art.
Très bons également certains apartés de Chantal Ladesou truffés de clins d’œil à l’actualité. C’est un vrai plus. Par exemple lorsqu’elle dit dans une forme de plaidoirie : « Les pauvres, c’est ma raison d’être »… J’ai eu l’impression d’avoir déjà entendu ça quelque part !
Le moins bon, pour moi, c’est surtout la scène où Pierre-Alexandre se lance dans une séquence africaine avec accent et boubou qui est bien trop parodique et n’apporte rien à l’histoire.
Le très bon aussi, ce sont les décors et les costumes. Stéphanie Jarre nous a concocté un luxueux intérieur, éclairé par d’immenses portes-fenêtres qui, de complètement bourgeois lors de la première partie, devient un temple du bucolique absolu, une véritable ode à la nature dans le second. Esthétiquement, c’est une réussite… Quant aux costumes, il sont à la fois très classe pour la famille de Jacqueline, et complètement farfelus pour la famille écolo (mais je vous en laisse la surprise car c’est une jolie trouvaille)…

Voilà. Il ne faut pas être exigeant pour aller voir Nelson (au fait, il est absolument craquant le lapin). Il suffit de se laisser porter par la folie ambiante qui règne sur la scène et se répercute dans une salle toute entière gagnée à la cause de Chantal Ladesou. Dès qu’elle surgit, dans une très élégante robe d’avocate, elle n’a même pas besoin de dire un mot, la salle est déjà pliée de rire… C’est un phénomène, c’est comme ça, c’est l’effet Laadesou…


Gilbert « Critikator » Jouin

dimanche 14 septembre 2014

Olivier Sauton "Fabrice Luchini et moi"


L’Archipel
17, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 48 00 04 05
Métro : Strasbourg Saint-Denis


One man show écrit, mis en scène et interprété par Olivier Sauton

Présentation : Olivier Sauton, jeune homme rêvant de devenir comédien vedette, inculte mais non sans esprit, rencontre par hasard Fabrice Luchini, son idole.
Il lui demande d’être son professeur. Celui-ci accepte et, à travers trois cours de théâtre, il va surtout lui délivrer des leçons de vie, et faire découvrir au jeune homme qu’au-delà de la gloire et des femmes, il y a l’Art.

Mon avis : D’abord, il faut saluer la performance d’acteur d’Olivier Sauton. Ce qu’il accomplit sous nos yeux appartient au domaine de la haute voltige. Ce type est complètement schizophrène ! Pour passer d’un personnage à l’autre avec autant de rapidité, de virtuosité et de crédibilité est tout simplement ahurissant. On en oublierait presque qu’il est seul en scène…
On l’aura compris dans le préambule, Olivier Sauton tient à la fois son propre rôle et s’accapare celui de Fabrice Lucchini. Lorsqu’il devient l’acteur, le mimétisme est saisissant. La voix, la gestuelle, les mimiques, tout y est.



Mais au-delà d’un jeu aussi réjouissant que convaincant, il faut aussi mettre en exergue la qualité de l’écriture. Toute la partie du dialogue qui revient à Fabrice Luchini est en tout point remarquable. Il faut entendre les analyses de texte qu’il propose sur les fables de La Fontaine La tortue et les deux canards, puis de La cigale et la fourmi. C’est du nanan ! C’est brillantissime. Et il n’y a pas que ça… Il y a aussi ses longues envolées lyriques avec ce timbre si particulier, ces aphorismes dévastateurs, ses répliques assassines et mordantes. Ah ce chapitre sur la connerie ! Et ces salves misogynes ! Car dans ce spectacle, on parle certes beaucoup de littérature et de théâtre, mais aussi énormément des femmes. Chacun à sa manière, Olivier Sauton et Fabrice Luchini sont de grands amoureux. Ce dernier se complaît d’ailleurs à énumérer ses conquêtes.

En résumé, ce spectacle, très complet à tout point de vue, est une sorte de conte initiatique en hommage aux livres, aux auteurs et au théâtre. C’est de l’amour-passion pour les mots mêlé à une profonde humilité face aux chefs d’œuvre. Tout ceci est synthétisé dans un final en forme d’apothéose, l’affrontement à un « Himalaya » du comédien : la dialogue entre Alceste et Philinte dans Le Misanthrope. On ne peut rêver de plus belle conclusion.





Olivier Sauton ne se donne pas le beau rôle en apparaissant quasiment tout au long de la pièce comme un individu un peu primaire, totalement aculturé, mais content de lui et plutôt enclin à la grivoiserie. Luchini s’échine apparemment en vain pour le tirer vers le haut et faire de lui un acteur qui comprend ce qu’il récite. Ce n’est que tout à la fin qu’il assiste médusé (et presque jaloux) à la métamorphose soudaine de son élève…

Gilbert "Critikator" Jouin

Bénabar "Inspiré de faits réels"

Sony Music



Tout est annoncé dans le titre de l’album… Chacun des douze titres est « inspiré de faits réels ». Ce qui ne veut bien sûr pas dire qu’il a vécu tout ce qu’il raconte

C’est à la fois un conteur, un chroniqueur et un croqueur. Bruno Bénabar est un observateur et un acteur d’un quotidien qu’il trouve « vertigineux », un témoin de son temps. Dans cent ans, les ethnologues n’auront qu’à écouter ses albums pour savoir comment on vivait dans la France du début du 21è siècle.
L’écriture de Bénabar est simple et directe, accessible à tous. A ce niveau, je trouve qu’il ressemble, l’argot en moins, de plus en plus à Renaud. Par exemple Remember Paris m’a furieusement fait penser à It Is Not Because You Are et, à travers la relation entre le père et son enfant, j’ai trouvé dans Titouan un petit côté Mistral gagnant.


De toute évidence, Bénabar n’aime pas la gravité. Il préfère les thèmes légers, les contre-pieds (Belle journée et Coming In), les happy end (La grande vie, Les deux chiens). Où il est semble-t-il le plus à l’aise, c’est lorsqu’il peut teinter ses textes d’humour (Gilles César), d’ironie et d’autodérision (Paris By Night). Plus inattendus sont son utilisation de la métaphore (La forêt) et de l’exercice de style (Les couleurs). Au moins, il ne reste pas confiné dans un seul mode d’expression. Pour tout un album, c’est préférable.

On ne peut pas dire en revanche que Bénabar soit un grand compositeur. On écoute plus ses textes que ses mélodies. Mais il a ce talent de savoir les mettre en valeur avec les arrangements. Personnellement, je trouve que le swing lui va parfaitement. C’est pourquoi, parmi mes chansons préférées figurent Paris By Night, Remenber Paris et Sur son passage. Cette dernière étant à tout point de vue une belle réussite. Elle est tellement vraie !
Gilles César, chanson sans prétention mais maline, m’a beaucoup amusé.
On sent que Bénabar est sensible aux femmes. Il les aime, les respecte, les comprend (Sur son passage) et les craint parfois (Le regard, une des plus abouties sur le plan de l’écriture)
Il s’en sort également avec brio dans Titouan, une chanson dont l’intention n’était pas évidente à transcrire. Il y a en effet en parallèle deux actions qui se déroulent simultanément : ce qui se passe dans sa tête (sa rupture) et ce qu’il vit en temps réel et qui doit requérir toute son attention, la garde de son petit garçon. En plus l’idée de la traiter uniquement en piano-voix ajoute une authentique intensité. Beau boulot !



Voilà. Dans Inspiré de faits réel, Bénabar a fait du… Bénabar. N’est-ce pas finalement ce qu’on attend de lui. Ceux qui l’apprécient, vont continuer à l’apprécier. Et ceux qu’il n’inspire guère vont continuer à l’ignorer. Mais, au moins, il ne se déjuge pas. Il continue son petit bonhomme de chanson. Ce garçon est « inspiré », et ça, c’est un « fait réel »…

samedi 13 septembre 2014

Chambre froide

La Pépinière Théâtre
7, rue Louis le Grand
75002 Paris
Tel : 01 42 61 44 16
Métro : Opéra

Une pièce de Michèle Lowe
Mise en scène par Sally Micaleff
Scénographie de Laura Léonard
Lumières de Jean-Philippe Viguié
Costumes d’Ariane Viallet
Avec Pascale Arbillot (Debra), Anne Charrier (Molly), Valérie Karsenti (Nicky), Philippe Carion, Pierre-Alain Leleu, Philippe Peyran Lacroix (les maris)

L’histoire : Le mari de Nicky est accusé de détournement d’argent, le mari de Molly la flique continuellement, le mari de Debra la quitte pour une autre femme plus riche… Quand les trois hommes, par inadvertance, se retrouvent enfermés dans la chambre froide au sous-sol, les trois femmes ont une décision à prendre…
Si vous aviez la possibilité de tuer votre mari, le feriez-vous ?

Mon avis : Voici une pièce jubilatoire à souhait. Acide, amusante, inquiétante, amorale, instructive… C’est une pièce écrite par une femme, mise en scène par une femme avec, en permanence sur la scène, trois femmes qui parlent de leurs problèmes de femmes.
 L’action – et il y en a ! – se déroule en toute logique dans l’endroit dédié aux femmes : la cuisine (je me venge comme je peux). Nicky, vient de servir le repas aux trois maris, installés dans le salon attenant. On n’entend que leurs voix. Ils ont l’air de bien s’amuser ; la plupart du temps au détriment de leurs épouses.
L’avantage, c’est que les trois jeunes femmes peuvent se parler en toute tranquillité. Depuis dix-huit ans, maris et femmes ont formé une bande qui se réunit une fois par semaine. Nicky, Debra et Molly sont donc de très bonnes amies. N’ayant quasiment aucun secret l’une pour l’autre, elles peuvent se dire les choses librement.

Dès le début de la pièce, on sent que la crise couve. Chacune d’elles a un grief à l’encontre de son conjoint. Mais la profondeur de leur ressentiment n’en est pas au même niveau. Nicky, très remontée contre son escroc de mari, souhaite ouvertement le voir disparaître de son univers. Sa détermination et ses arguments imparables tendent à fédérer ses deux copines. Si Molly adhère assez rapidement, Debra fait de la résistance. Pour le spectateur, c’est un régal que de suivre l’évolution mentale de nos trois héroïnes.
Chambre froide est un vrai suspense. Il est divisé assez nettement en deux parties. Dans la première, tant que les maris se trouvent dans le salon, Nicky joue au procureur, Debra à l’avocate de la défense, et Molly à la partie civile… Mais lorsque les trois hommes se retrouvent bêtement prisonniers de la fameuse chambre froide, le rythme s’accélère brutalement, les cris s’intensifient, la tension approche de son point culminant.
Et nous, dans la salle, on se demande bien comment tout cela va se terminer… Happy end, ou pas happy end ?... Vous le saurez en vous rendant à la Pépinière Théâtre.


Chambre froide, c’est trois superbes portraits de femmes. Machos indécrottables, s’abstenir… L’auteure s’est attachée à brosser trois caractères très différents, très affirmés. Pour des comédiennes, ce doit être un grand bonheur que de s’approprier des personnages aussi forts.
Nicky (Valérie Karsenti), c’est la femme forte, la femme de tête au caractère bien trempé. Dotée d’un cynisme que l’on pourrait qualifier de « masculin », son dégoût de son mari l’a totalement radicalisée… Molly (Anne Charrier), est à la fois candide et maligne. Elle a gardé une espèce d’insouciance juvénile qui l’amène à positiver et la pousse à la tolérance. C’est une bonne vivante qui mène tranquillement son petit « bonne-femme » de chemin… Debra (Pascale Arbillot), c’est l’opposé de Nicky. Psychorigide, elle veut se convaincre d’être encore amoureuse, elle ne supporte aucune compromission.

Leur opposition, à une contre une, à deux contre une, est absolument passionnante. Elles vont nous tenir ainsi en haleine jusqu’à la fin.
Pascale Arbillot, Anne Charrier et Valérie Karsenti s’en donnent à corps et à cœur joie. Elles ne s’économisent pas une seconde. Elles sont à fond dans leur personnage. Elles nous offrent un grand moment de comédie.
Au-delà de la simple comédie, quelques messages sont savamment disséminés tout au long de la pièce et peuvent donner à réfléchir sur la condition de la femme. Les thèmes essentiels de la vie de couple y sont abordés. Et on ne peut pas dire que les hommes y ont le beau rôle. Ceratis, mauvais joueurs, vont sans doute trouver les propos de Michèle Lowe, l’auteure, trop manichéens. C’est vrai, ici, les femmes sont les gentilles et les hommes sont les méchants.
Mais est-ce éloigné tant que ça de la vie réelle ? C’est à chacun d’apprécier, voire de se remettre en cause…

Gilbert "Critikator" Jouin


jeudi 11 septembre 2014

Georges et Georges

Théâtre Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 35 32 31
Métro : Edgar Quinet / Gaîté

Une comédie « conjugale » d’Eric-Emmanuel Schmitt
Mise en scène par Steve Suissa
Décor de Stéphanie Jarre
Costumes de Pascale Bordet
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Création sonore de Maxime Richelme
Avec Davy Sardou (Georges et Georges), Alexandre Brasseur (Le docteur Galopin), Christelle Reboul (Marianne), Véronique Boulanger (La reine de Batavia), Thierry Lopez (Hercule Chochotte), Zoé Nonn (La Môme Crevette)

L’histoire : Après quelques années de vie commune, Marianne et Georges ne se supportent plus : elle regrette le Georges amoureux et naïf qu’elle rencontra, lui désire une femme plus pimentée. Grâce aux expériences du docteur Galopin, magnéto-thérapeute, ils vont chacun être mis en face de leur fantasme… Et devront le cacher à l’autre !
Le cauchemar commence…
Une comédie survoltée et hilarante, sous le signe de Georges Feydeau, où les quiproquos déclenchent surprises et fous rires. D’un appartement parisien jusqu’à l’ambassade du royaume de Batavia, les portes claquent sous la frénésie des six personnages qui s’évitent et se poursuivent.

Mon avis : Et bien, voici ma première déception de cette rentrée théâtrale 2014-2015. Et elle vient d’où je ne l’attendais pas.
J’avais effectivement hâte de découvrir cette pièce qui a débuté le 22 août. Hâte surtout de retrouver Davy Sardou dans un autre registre, celui de la comédie loufoque. Ses prestations dans L’Alouette et encore plus dans L’Affrontement m’avaient réellement emballé. L’affiche elle-même était alléchante : Eric-Emmanuel Schmitt à la plume, Steve Suissa à la mise en scène et des comédiens comme Christelle Reboul, Véronique Boulanger et Alexandre Brasseur… ça fleurait bon le succès annoncé.
Enfin, ce pitch qui nous présentait cette « comédie conjugale » comme « survoltée », « hilarante » et « frénétique », c’était une promesse de bonne soirée…


En plagiant Georges Feydeau, Eric-Emmanuel Schmitt a voulu s’exercer à la comédie de boulevard. Je crains qu’il ne se retrouve aujourd’hui plutôt dans une impasse. Il en a pris tous les ingrédients ; le rythme, des portes qui s’ouvrent et se ferment sans cesse (il y en a sept !), une abondance de quiproquos, des courses, des cris, de la confusion, de très beaux costumes… Il a tout secoué dans son shaker… Mais le cocktail qu’il nous fait déguster n’a pas le goût escompté. C’est du Canada Dry. Ça ressemble à du boulevard, c’est loufoque comme du boulevard, mais ce n’est pas du boulevard. C’est une grosse farce excessive en tout... A aucun moment, je ne me suis laissé happer par la pièce, je ne suis pas entré dedans.


Une seule chose m’a peiné et réconforté à la fois : les six comédiens n’ont absolument rien à se reprocher. Ils sont tous excellents dans les personnages qu’on leur a offerts de jouer. J’ai eu la confirmation du talent des quatre acteurs précités et j’ai découvert avec amusement la qualité de jeu de Zoé Nonn et de Thierry Lopez. Ils font tous le job avec une générosité débordante et un plaisir qui aurait dû être communicatif. Je me suis donc juste complu à apprécier leurs prestations. 
Mais ce n’est pas facile d’être un minimum crédible quand ce que l’on vous donne à interpréter est aussi outré, aussi décalé. Bien sûr, la chute de la pièce nous apporte les éléments manquants au puzzle de notre rationalité, mais c’est trop tard. Le mal est fait, et le mal court vite au théâtre (n’est-ce pas Audiberti ?). Très tôt il s’installe une sorte de déphasage entre la salle et ce qui se passe sur scène. En dépit de toute l’énergie déployée par les comédiens, les rires sont sporadiques, peu nombreux.

C’est bien une des premières fois que je sors déçu du Rive Gauche.
Maintenant, il existe sans doute un public à l’esprit moins cartésien que le mien…

lundi 8 septembre 2014

Calogero "Les Feux d'artifice"


Polydor / Universal Music

La seule chose qui m’ait intriguée dans le nouvel album de Calogero, c’est son titre, Les Feux d’artifice.
Le seul parallèle que j’ai trouvé avec les engins pyrotechniques qui fusent vers le ciel, c’est que cet opus est vraiment très aérien. Le son, le climat, la voix, tout contribue à nous emmener très haut.
Pour continuer dans la métaphore du « feu », ce n’est pas une œuvre qui éclate. Au contraire, c’est un feu doux, un feu qui lèche, qui réchauffe le cœur et, parfois, embrase l’âme. Ses flammes empruntent toutes les nuances du rouge. Du rose pâle du Portrait » au rouge sang de Un jour au mauvais endroit, en passant par le rose pastel de Avant toi.

Sinon, c’est un album dénué de tout « artifice », de toute fioriture. Calogero et le réalisateur-arrangeur Alan O’Connell ont gommé tout superflu pour n’aller qu’à l’essentiel avec un seul souci en tête : un esthétisme pur.
Le seul mot qui me vienne à l’esprit pour qualifier Les Feux d’artifice, c’est « efficace ». Cet album est efficace dans tous les domaines : les mélodies, les couleurs musicales, les paroles et, bien sûr, la voix…
J’ai rencontré et interviewé Calogero pour la première fois en… mai 90. Il n’avait pas encore 19 ans, il s’appelait encore Charly, il était le chanteur des Charts. Il portait alors de longs cheveux bouclés qui lui donnaient une allure angélique, romantique. Vingt-quatre ans plus tard, il a un peu perdu au niveau de la coiffure, mais il a gardé et dans son attitude et dans sa voix quelque chose de divinement céleste.

Habituellement, je m’efforce de dresser un classement des chansons dans un ordre préférentiel. Ici, ça m’a été totalement impossible. En plus, ces Feux d’artifice ne se terminent pas en bouquet final. C’est un bouquet du début à la fin.

J’ai beaucoup aimé l’écriture de chaque chanson. A chaque fois, c’est une écriture simple,
directe, imagée. On n’a pas besoin de réfléchir, les paroles vont droit au cœur. Car, à chaque fois, il y a du sens. Même si, personnellement, j’ai un faible pour Le Portrait, une chanson tendre, mélancolique et formellement belle, les onze autres titres m’ont plu et intéressé. Un jour au mauvais endroit, inspirée d’un fait divers survenu dans le village isérois natal de Calogero, Echirolles, est une chanson sensible et citoyenne, une chanson utile. Tout aussi utile est J’ai le droit aussi, magnifique ode à la tolérance et au droit à la différence.
Calogero, par auteur(e) interposés, évoque également l’évolution de la société dans notre vie de tous les jours dans Le monde moderne, avec pour thème principal les familles recomposées et la priorité qui doit être donnée aux enfants. C’est en homme concerné qu’il aborde ce sujet. Ici, l’écriture féminine de Marie Bastide apporte ce qu’il faut de douceur lucide.


J’ai aussi particulièrement apprécié, et avec beaucoup d’amusement, la chanson Conduire en Angleterre. Il y a tout ce que j’aime dans ce titre résolument british : une mélodie beatleisante, une bonne dose d’humour et d’autodérision, un arrangement original (grosse présence de la basse). C’est une chanson rebelle en hommage aux gauchers. J’ai aimé le jeu de mot avec les deux sens de « manche », le Channel et le manche de guitare, et l’abondance de rimes en « air » qui le rendent encore plus aérien. Bref, c’est une chanson adroite…

Il ne faudrait pas non plus occulter ces deux chansons d’amour que sont Avant toi et Elle me manque déjà. Placées ainsi à la suite l’une de l’autre, on a l’impression que la seconde développe la précédente. C’est très intelligent. Elles vont beaucoup, beaucoup plaire aux dames et aux demoiselles.

Et je terminerai par ce petit bijou qu’est La boîte à musique, un éloge de la danse classique. A travers le climat, la légèreté de la mélodie qui colle parfaitement au texte, la précision des mots, on VOIT les images. On la voit cette danseuse. Et puis, même les « la, la, la » sont magnifiques…


Voilà, tout ça pour dire que j’ai absolument a-do-ré ce nouvel album de Calogero. Grand artiste, beau chanteur, excellent mélodiste et remarquable musicien et, ça apparaît en filigrane tout au long de ces douze chansons, un homme concerné et engagé, un témoin de son temps. Une belle âme, quoi…

samedi 6 septembre 2014

Le Dîner de Cons

Théâtre de la Michodière
4bis, rue de l Michodière
75002 Paris
Tel : 01 47 42 95 22
Métro : Opéra / Quatre Septembre

Une pièce de Francis Veber
Mise en scène par Agnès Boury
Décors d’Edouard Laug
Lumières de Laurent Béal
Costumes de Juliette Chanaud
Musique de François Peyrony
Avec Patrick Haudecoeur (François Pignon), José Paul (Pierre Brochant), Grégoire Bonnet (Lucien Cheval), Patrick Zard’ (Juste Leblanc), Florence Maury (Christine Brochant), Anne-Sophie Germanaz (Marlène Sasseur), Stéphane Cottin (le docteur Sorbier)

L’histoire : Chaque semaine, Pierre Brochant, grand éditeur parisien, et ses amis organisent un dîner de cons…
Le principe est simple : chaque participant amène un « con ». A la fin de la soirée, celui qui a dégoté le plus spectaculaire est déclaré vainqueur. Ce soir, Brochant exulte ; il a déniché la perle rare, un con de classe mondiale : François Pignon, fonctionnaire au Ministère des Finances et fou de maquettes en allumettes.
Mais l’éditeur ignore que Pignon, prêt à tout pour rendre service, est passé maître dans l’art de déclencher des catastrophes !
La rencontre entre deux destins qui n’auraient jamais dû se croiser…

Mon avis : Ah le con ! Mais quel con !...
Il y a belle lurette que Le Dîner de Cons fait partie de notre patrimoine via ses différentes adaptations au théâtre (cinq) et son film. Plusieurs générations le connaissent quasiment par cœur… Un peu plus de vingt après sa création au Théâtre des Variétés, la pièce de Francis Veber revient donc sur la scène de la Michodière dans une toute nouvelle distribution. Même si on sait ce Con va voir, on y court pour découvrir à quel niveau sur l’échelle de Richter de la Connerie va se situer le François Pignon estampillé 2014. D’autant que Jacques Villeret, qui a joué deux fois la pièce et le film, avait mis le curseur presque en dehors des limites de tout contrôle technique.

Et bien Patrick Haudecoeur crée une sorte de Pignon-étalon. Un Concentré. Il est sans Concurrence. D’ailleurs, j’ai entendu Francis Veber déclarer dans une émission de radio que cette version de son Dîner était la plus fidèle à l’originale. Avec de  tels propos venant de son créateur, Patrick Haudecoeur hérite du statut de Con sacré. Et non pas de sacré con. Surtout pas. Car il le joue avec une telle finesse, un tel naturel et une telle humanité qu’il nous attendrit autant qu’il nous fait rire. Bref, ce Con plaît. Complètement. Il est Convaincant.


Il est donc inutile de raConter l’histoire. On arrive au théâtre de la Michodière en terrain connu. On y vient pour découvrir dans quels abîmes de désarroi Brochant va se perdre, emporté par ce tsunami qui lui veut du bien. Car Pignon est un Con bien, un Con-battant, un gentil Con. Il ne sait pas quoi faire pour rendre service à son hôte (il faut bien qu’un Con serve). Et plus il se dévoue, plus il déchaîne de catastrophes. Il devient totalement inContrôlable… Sur le plan simplement relationnel, avec Lucien Cheval, son collègue des Impôts, Pignon se révèle est aussi être un bon Compagnon, un Con-pote en quelque sorte. Donc Pignon a bon fond, c’est un brave homme qui, en plus, certes avec un temps de retard, a Conscience de ses bévues et des dégâts qu’il cause. Il ne sait pas quoi faire pour se rattraper et il envenime encore plus la situation.

Le Dîner de Cons est une mécanique imparable, aux rouages parfaitement huilés. Certaines répliques deviennent totalement inaudibles tant les spectateurs rient. La fameuse scène de « Juste Leblanc » - un tube ! – se déroule sous les hoquets et les étranglements. Une telle communion, c’est un bonheur.


Mais pour que le Con-texte, pour que la sauce prennent, il faut qu’il y ait en face de l’incontrôlable Pignon un partenaire à la hauteur. José Paul compose un Brochant inaltérable, du moins au début. Car, petit à petit, sa suffisance va se déliter. C’est un rôle que l’on ne peut pas sur-jouer. Il faut être sans cesse dans la justesse ; que les mimiques, les réactions soient en permanence crédibles. Avec sa voix grave, son élégance naturelle, son sens de la comédie, son métier, son goût pour le partage, José Paul est le complice idéal de Patrick Haudecoeur. On connaît l’impact des duos antagonistes dans les comédies. C’est un truc qui marche si les rôles sont parfaitement assumés, si aucun des deux n’empiète sur le registre de l’autre. Patrick et José forment un vrai tandem… En outre, ce ne doit pas être évident pour José Paul de tenir toute la pièce en simulant un tour de reins et, surtout, on se demande comment il fait pour ne pas éclater de rire devant les facéties inénarrables de son partenaire.


Autour de ce duo, les autres comédiens tirent leur épingle du jeu. Mention particulière toutefois pour la composition de Grégoire Bonnet dans le rôle de Lucien Cheval. Son attitude lorsqu’il apprend son infortune fait hurler la salle de rire.

Cette pièce est logiquement partie pour durer un bon moment. C’est tout le bonheur qu’on leur souhaite. Après tout, lors d’un Dîner, il est logique que les Cons vivent…


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 4 septembre 2014

Des gens intelligents

Théâtre de Paris
(Salle Réjane)
5, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 42 80 01 81
Métro : Trinité / Blanche / Saint-Lazare

Une comédie de Marc Fayet
Mise en scène par José Paul
Décors d’Edouard Laug
Lumières des Laurent Béal
Costumes de Brigitte Faur-Perdigou
Musique et illustration sonore de François Peyrony
Avec Lisa Martino (Chloé), Lysiane Meys (Marina), Marie Piton (Gina), Marc Fayet (David), Stéphan Wojtowicz (Alexandre), Gérard Loussine (Thomas)

L’histoire : David, qui est un garçon sensé et réfléchi, a décidé de se séparer de Chloé. Chloé, qui est une fille habile et déterminée, ne l’entend pas vraiment de cette oreille. Leurs amis, qui sont des gens prudents et attentionnés, sont un petit peu embêtés. C’est donc une histoire ordinaire et très originale, car tout est différent quand on est intelligent… ou pas.

Mon avis : En dépit de son titre, Des gens intelligents n’est pas qu’une simple histoire de QI… Même si, au niveau du texte, cette pièce est remarquablement écrite. On y entend des mots que l’on n’a pas coutume d’entendre sur une scène, à fortiori dans une comédie. Mais c’est là aussi une de ses principales qualités car elle nous tire vers le haut. L’auteur, Marc Fayet, qui tient également le rôle de David, a particulièrement soigné les dialogues. Et quand ils sont mis dans la bouche de comédiens qui s’investissent à fond dans leurs personnages, on boit du petit lait, on jubile.

Je ne pouvais pas mieux démarrer la rentrée théâtrale de la saison 2014-2015. En même temps, je ne prenais pas beaucoup de risques. Toutes les pièces écrites par Marc Fayet m’ont immanquablement comblé (Jacques a dit, L’un dans l’autre, Il est passé par ici, Le Scoop). Et comme comédien (24 pièces en 30 ans !), il a un jeu qui n’appartient qu’à lui. Autre de ses talents, et non des moindres, il sait aussi s’entourer. D’abord avec un metteur en scène, José Paul, qui signe ici sa quatrième mise en scène avec lui. Ce sont tous deux des artisans entièrement investis dans une mission unique : faire rire intelligemment.

Des gens intelligents s’avère en effet être une pièce chorale où (presque) tout le monde chante faux pour savoir un vrai qui n’existe peut-être pas… Elle met en scène trois couples, mais six personnalités. Marc Fayet a dessiné six caractères d’hommes et de femmes très différents. David est sûr de lui, macho, apparemment zen, mais son personnage va évoluer tout au long de la pièce pour devenir exalté et démonstratif… Alexandre est sûr de lui, macho, pragmatique, sceptique, et docteur émérite ès mauvaise foi… Thomas n’est pas sûr de lui, pas macho, doux, conciliant, sans problème…
Côté filles, Chloé est déterminée, maligne, c’est une joueuse d’échecs qui a toujours un coup d’avance sur Marc… Marina est tolérante, pleine de bon sens, positive, mais elle trompe son monde en jouant les nunuches alors qu’elle est extrêmement lucide… Gina est volcanique, méfiante, carrée (elle est Corse !), apparemment bien dans sa peau, mais elle dissimule une certaine vulnérabilité.


Pour la synthétiser, Des gens intelligents est une pièce sur le doute. Ce doute qu’on instille, soit sans le vouloir, soit sournoisement, dans la tête des autres. Un doute qui enfle comme une pièce montée, qui enfle sur du vide comme une pièce montée. On en vient ainsi à assister à des scènes de ménage virtuelles.
Cette comédie se déroule en douze tableaux qui s’enchaînent sans le moindre temps mort. Suivant le scénario à la lettre, José Paul y a mis un maximum de vivacité. On change d’appartement, mais on ne change quasiment pas de décor. Il n’y en n’a pas besoin. On gagne ainsi en rythme et en fluidité. Ce qui est cocasse et apporte un maximum de drôlerie, c’est que les comédiens ne sont jamais tous les six sur scène en même temps. On évolue en triplette, les trois hommes d’un côté, les trois femmes de l’autre, ou en couple. C’est très malin car on a droit ainsi à deux versions : la masculine et la féminine. Ça aussi ça ajoute pas mal de piquant…

Mais il ne faut pas trop en dire. Il faut se laisser porter. D’autant qu’au fil des tableaux, on voit se dessiner une fin qui ne peut être qu’apocalyptique… ou pas ! C’est tellement subtil.
Des gens intelligents est une pièce de qualité, excessivement drôle (la scène de la soupe à la grimace entre Gina et Thomas est un grand moment de comédie), on pourrait même la qualifier de "virevoltante", et en parfaite harmonie avec son titre, très, très intelligente.

Quant aux comédiens ce sont six grands solistes, des virtuoses qui mettent leur talent à l’unisson pour nous offrir un spectacle absolument jubilatoire.

Gilbert "Critikator" Jouin

lundi 1 septembre 2014

Eric Clapton & Friends

The Breeze
An Appreciation of J.J. Cale
(Polydor)

Du haut de son nuage sur lequel il s’est juché en juillet 2013, J.J. Cale a dû prendre un plaisir monstrueux à l’écoute de The Breeze, l’album hommage que lui ont concocté Eric Clapton and Friends.
L’ami de J.J., Eric « God » Clapton, alias « Slowhand », s’est entouré de la fine fleur des guitareux, tous sains de cordes et d’esprit, pour enregistrer 16 des meilleurs chansons de la plus discrète des rock stars.
J.J. Cale et Eric Clapton avaient en commun cette façon très nonchalante de chanter. d’interpréter et, bien sûr, chacun des guest stars s’est mis au diapason. Ainsi l’ambiance musicale de J.J. Cale est-elle parfaitement respectée.

Dès le premier titre de cet album, Call Me The Breeze, on est dans le ton : c’est tout en douceur tout en étant très rythmé. Si vous aimez le blues, le country blues et le blues rock, vous allez être au ciel. C’est tout simplement majestueux.
Le troisième titre, Someday, chanté et joué par Mark Knopfler est à la fois troublant et envoûtant. Un grand moment. De même dans le cinquième titre, Sensitive Kind, la partie de guitare est à tomber par terre. Déjà que le niveau, dans ce domaine, est très, très haut, c’est dire…


D’ailleurs, pour honorer la mémoire de J.J., ce ne sont pas moins de douze guitaristes qui sont venus prêter leur concours, et quels instrumentistes ! Outre Eric Clapton et Mark Knopfler, on retrouve en effet des pointures comme John Mayer, Willie Nelson, Don White, Albert Lee, et même une femme, Christine Lakeland.

Cet album est un pur bonheur. Il nous rappelle que J.J. Cale était un sacré mélodiste.

On peut tout juste regretter l’absence de titres comme After Midnight, Cocaïne ou I’ll Make Love To You Anytime qu’Eric Clapton avait déjà repris précédemment. Mais, honnêtement, sur le plan acoustique, c’est un régal.