Tacet
Depuis l’enregistrement des textes de Prévert, cela fait six
ans que Jean Guidoni n’avait pas sorti d’album. Il revient aujourd’hui avec Paris – Milan, un CD sur lequel Romain
Didier a mis en musique des textes inédits d’Allain Leprest, auteur disparu à
l’été 2011.
Ces trois noms associés sont un gage d’extrême qualité pour
tout amateur de (très) bonne chanson française.
Ami pendant vingt-cinq ans d’Allain Leprest, Romain Didier,
pianiste et orchestrateur aussi prolifique que talentueux, était incontestablement
le plus à même de traduire en musique l’hypersensibilité du parolier. Et
lorsque s’y ajoute la propre sensibilité et la voix chaude de Jean Guidoni,
cela donne un album qui ne peut laisser indifférent. Mais, malgré tout, ce qui
y prédomine, c’est la beauté formelle des textes. Chacun des douze titres est
un petit bijou d’écriture. C’est riche, dense, réaliste, imagé et, surtout,
empreint d’une grande poésie.
Jean Guidoni étant avant tout un interprète, il donne à ces
chansons tout leur sens, y compris ce qui est entre les lignes, y compris les
doubles sens, les intentions intimes. Ainsi ai-je trouvé particulièrement
réjouissant dans Paris – Milan, quand
il est écrit « j’ mang’ des cacahuètes et des amandes », j’ai compris
dans la bouche de Guidoni : « j’ mang’ des cacahuètes et des
amants » ! Ce qui donne un contre-sens assez croquignolet. Mais tout
à fait plausible…
Quant aux arrangements de Thierry Garcia, magnifiés par les
cordes bichonnées par Romain Didier, ils offrent à chaque titre son habillage
et son climat propres.
Paris – Milan est
un album qui s’écoute avec un livret qui se lit pour ne pas passer à côté de
certaines perles. Il y a des phrases que l’on prend en pleine tête du genre
« Les remords ça n’a pas de prix » ou « Tout est bien qui finit
mal » ; il y a des textes qui sont d’étourdissants exercices de style
(Reviendre – ah, le banjo sur ce
titre ! -, les rimes en « ute » et en « oi » de Chut, le calendrier égrené dans Partition de septembre, le name dropping
nostalgique de Dans le jardin de Gagarine,
l’accumulation de rimes en « ré » dans Homosapiens…). C’est simple, plus on l’écoute, plus on découvre de
pépites. Et plus on regrette que la plume d’Allain Leprest se soit aussi
funestement envolée…
Et puis il y a Trafiquants,
ce tango minimaliste aux sons bizarres et brinquebalants (et le banjo qui
revient s’amuser) interprété avec Juliette. C’est un petit film que l’on
imagine en noir et blanc avec un couple improbable et décadent. Les voix, très
devant, nous permettent de goûter à toutes les finesses de leur composition
intelligente.
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