Théâtre de la Madeleine
19, rue de Surène
75008 Paris
Tel : 01 42 65 07 09
Métro : Madeleine
Une pièce de Sébastien Thiéry
Mise en scène par Ladislas Chollat
Décors d’Edouard Laug
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Lumières d’Alban Sauvé
Vidéo de Nathalie Cabrol
Musique de Frédéric Nobel
Avec François Berléand (Alain Kramer), Isabelle Gélinas
(Catherine Kramer), Sébastien Thiéry (Nicolas Priou), Marie Parouty (Dominique
Franck ?)
L’histoire :
Alain Kramer, avocat sérieux et mari fidèle, se réveille nu chez lui avec un de
ses collègues de bureau. L’incompréhension est totale et aucun des deux hommes
n’arrive à expliquer comment ils ont pu se retrouver dans cette situation.
Quand la femme de l’avocat découvre les deux hommes dénudés dans son salon,
Kramer invente n’importe quoi pour sauver son couple. Il est prêt à tout pour
rétablir une vérité qui lui échappe. Où se trouve la vérité ? Dans le
salon de Kramer ou dans son inconscient ?
Quand on fouille au fond de soi, sait-on jamais ce qu’on va
trouver ?
Mon avis : Deux hommes tout nus est la cinquième
pièce de Sébastien Thiéry que je vois (après Dieu habite Düsseldorf, Cochons d’Inde, Qui est Monsieur Schmitt ?,
Tilt !). Et, une fois de plus, j’ai été complètement désorienté et
emballé.
Sébastien Thiéry est un auteur unique. Il nous emmène dans
un univers qui n’appartient qu’à lui, une sorte de no man’s land dans lequel
nous n’avons plus aucun repère, où il n’y a aucun garde-fou, où notre cerveau,
privé soudain de toute logique, se met à mouliner dans le vide. C’est une
sensation particulière où le lâcher-prise est la seule façon de surnager. Car,
avec son esprit tordu, il nous entraîne en totale immersion en Absurdie.
Pendant plus d’une heure et demie, nous sommes en apnée. Et les seules bulles
que nous émettons, sont des bulles de rire. On rit sans discontinuer du début à
la fin. Et en plus, on rit de choses que l’on ne comprend pas. Amis cartésiens,
laissez votre rationalité au vestiaire, elle ne vous servira strictement à rien
au Théâtre de la Madeleine.
Sébastien Thiéry a ce don si personnel de construire toutes
ses pièces sur les sables mouvants du non-sens. Et le pire, c’est que l’édifice
qu’il érige est d’une solidité à toute épreuve. Sébastien Thiéry, C’est Dédale
qui nous entraîne dans son labyrinthe pour nous y perdre. De quelle matière
étrangère sont constituées ses neurones tant il a l’art de créer des situations
totalement saugrenues qui nous captivent sans coup férir ?
La phrase qui pourrait synthétiser le mieux Deux hommes tout nus est prononcée par
Alain Kramer vers la fin de la pièce. S’adressant à Catherine, son épouse, il
lui lance un improbable : « Je mens pour que tu comprennes la
vérité » !!! Et pourtant, prise dans le contexte, cette affirmation
est irréfutable… Dès le début, à l’instar des deux hommes qui se retrouvent
tout nus dans le même canapé d’un salon cossu des beaux quartiers, nous sommes
dans le brouillard complet. Et nous allons y rester tout au long de ma pièce.
Tout comme Alain et Nicolas. L’un comme l’autre vont désespérément chercher à
expliquer l’inexplicable. Déjà qu’eux n’y comprennent rien, comment Catherine
Kramer, en rentrant chez elle, va-t-elle pouvoir croire aux justifications
qu’ils vont tenter de lui fournir ? Et, hélas pour eux trois, tout va
aller de Charybde en Scylla.
Sébastien Thiéry a l’art d’imaginer des pièces qui
permettent à ceux qui les jouent de se livrer à d’extraordinaires numéros
d’acteurs. Ce fut le cas entre autres pour Patrick Chesnais, Richard Berry ou
Bruno Solo ; et ça l’est encore pour François Berléand et Isabelle
Gélinas. François Berléand nous offre un véritable festival. Il patauge et
s’englue, dépassé et impuissant, dans une incompréhension absolue. Ses gestes,
ses mimiques, ses silences, ses indignations, ses révoltes, sont d’une justesse
incomparable. Je pense qu’à travers ce personnage d’avocat complètement paumé,
il va achever de convaincre les quelques derniers détracteurs qu’il aurait pu
avoir. Dans ce registre de l’absurde, il est comme un poisson dans l’eau,
fût-elle passablement troublée. Plus ce qu’il vit lui échappe, plus il tente
d’y trouver une solution. Il est un brillant avocat, que diable, il doit être
capable de trouver les mots justes pour sa défense. Et bien, non… François est
particulièrement excellent dans la scène où il téléphone à plusieurs personnes.
Il se livre à un véritable sketch digne d’un one man show. C’est à pleurer de
rire. Quel subtilité dans les variations !
Isabelle Gélinas est parfaite dans le rôle de l’épouse face
à une énigme. Vingt-cinq ans d’une vie commune limpide et fluide qui reçoivent
brutalement l’injection du liquide boueux de la turpitude. Pour la première
fois, elle se retrouve confrontée au doute et au mensonge. Mais comment
pourrait-il en être autrement quand on est en face d’une situation on ne peut
plus concrète ? Isabelle Gélinas joue passe du désarroi à la colère, de la compréhension à
la condamnation, de la tendresse au dégoût. Elle surfe sur routes la palette
des sentiments avec une précision achevée. Du grand art. Elle donne une réplique
parfaite à ses deux partenaires masculins.
Photo : Laurencine Lot |
Enfin, il faut également saluer la prestation incroyable de
Marie Parouty dans un rôle relativement court, mais qui vaut son pesant de
cocasserie. Complice de Sébastien Thiéry depuis une dizaine d’années – ils ont
joué en semble Chez maman sur Canal+
et Dieu habite Düsseldorf -, elle
sait parfaitement se fondre dans son univers loufoque. Je me demanderai
toujours comment font les acteurs pour ne pas éclater de rire lorsqu’ils ont à
interpréter des scènes aussi insensées. La séquence affectée à Marie Parouty
dans la pièce en est un des moments les plus forts, et Dieu sait s’il y en a.
Vous l’aurez compris, Deux
hommes tout nus est une pièce très, très réussie. On y rit tout le temps.
C’est un exercice de style brillantissime avec une écriture au scalpel au
service de situations totalement extravagantes. En plus, c’est une pièce très
physique. La dépense d’énergie de chacun des trois principaux protagonistes est
à l’aune de l’épaisseur du mystère qu’ils vivent.
On ne peut non plus encenser cette pièce sans évoquer la
beauté du décor avec cette grande baie vitrée ouvrant sur des immeubles
haussmanniens et sur la qualité de projections vidéo aussi distrayantes
qu’esthétiques. Ah, ce travelling avant pour nous faire pénétrer dans le salon
des Kramer !
Gilbert « Critikator » Jouin
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