vendredi 31 octobre 2014

Tony Bennett & Lady Gaga "Cheek To Cheek"

Columbia Records / Universal International Music



Lady Gaga avait figuré en 2011 sur l’album Duets II de Tony Bennett. A la demande du crooner, ils avaient interprété ensemble The Lady Is a Tramp. Conquis par la prestation de la Lady, Tony Bennet lui a proposé d’enregistrer tout un album de jazz. Ainsi est né Cheek To Cheek
C’est peut-être l première fois que la créatrice de Bad Romance s’est sentie intimidée et impressionnée par quelqu’un. Pourtant, soixante ans les séparent (Tony Bennett, 88 ans, Lady Gaga, 28 ans) mais un même amour du jazz les a réunis.
Pour la première fois aussi, la chanteuse ne s’est pas réfugiée derrière son extravagance et son goût naturel pour la provocation. Elle avoue avoir enfin pu être elle-même et chanter avec une voix qui est vraiment la sienne. Et puis, cet album arrive fort à propos pour remettre la Lady en selle après l’échec commercial de son dernier opus, Artpop qui ne s’est vendu qu’à 1,4 millions d’exemplaires dans le monde. Echaudée, elle aurait même annoncé qu’après cette « jazzy experience », qu’elle ne ferait « peut-être plus jamais de musique pop ». gageons plutôt que cette décision est motivée par le dépit et que la « Mother Monster », qui n’en est pas à un revirement près, va vraisemblablement trouver d’autres terrains musicaux pour rebondir…

Photo Abaca
 Pour les amateurs de grands standards et de big band, Cheek To Cheek est une splendeur. Comme à son habitude, Tony Bennett, dont c’est tout de même le cinquante-septième album studio, assure sa partie avec son aisance et son swing habituels. En revanche, celle que l’on attendait au tournant, c’était bien sa partenaire, Stefani Germanotta, alias Lady Gaga, dans un registre où on ne la soupçonnait pas forcément.
Et bien, on peut dire que la sauce a pris. Entre la voix chaude et légèrement éraillée de Tony et celle plus aigue et plus métallique de la Lady, le mélange est parfait. L’osmose est totale. Le plaisir qu’ils ont à partager est audible. On les sent s’amuser comme deux petits fous, chacun tentant de séduire l’autre. On entend Lady Gaga rire, pousser des petits cris,


S’appuyant sur cette Rolls vocale qu’est Tony Bennet, Lady Gaga se lâche, prend des risques, explore des zones jusque là insoupçonnées de son organe.
Dans Nature Boy (ma chanson préférée sur cet album), elle joue merveilleusement de la voix de velours. A souligner également sur ce titre une superbe partie de flûte… Dans I Can’t Give You Anything But Love, sa voix ondule, se love, s’enroule sensuellement autour de celle de Tony. Dans Firefly, elle termine dans un scat que n’aurait pas désavoué Ella Fitzgerald. Dans Lush Life, elle se fait tour à tour impérieuse et langoureuse. Et dans It Don’t Mean A Thing (If It Ain’t Got That Swing), elle se fait sauvage, rugit, feule et swingue comme une petite folle pour temriner la chanson ( et l’album), sur un spontané « Waouh » de bonheur.
Lady Gaga s’éclate visiblement, prend du plaisir, se rassure et confirme une chose : elle sait vraiment chanter !



Sur le plan des orchestrations, Cheek To Cheek est également un pur bonheur. Autour de la colonne vertébrale qu’est le Tony Bennett Quartet (piano, guitare, basse, batterie), viennent se greffer une flopée de super musiciens qui apportent à chacun des titres une couleur personnelle en faisant la part belle à un son particulier : cuivres, orgue, violons, flûte, harpe… Il y a des merveilles de soli. C’est digne des meilleurs arrangements d’un Duke Ellington.

mercredi 29 octobre 2014

Le Bal des Vampires

Théâtre Mogador
25, rue de Mogador
75009 Paris
Tel : 01 53 33 45 30
Métro : Havre-Caumartin / Chaussée d’Antin / Trinité / Auber

Livret et paroles de Michael Kunze
Musique de Jim Steinman
Mise en scène de Roman Polanski
Chorégraphies de Dennis Callahan
Scénographie de William Dudley
Costumes créés par Sue Blane
Lumières créées par Hugh Vanstone
Adaptations des chansons de Nicolas Nebot
Avec David Alexis (le Professeur Abronsius), Daniele Carta Mantiglia (Alfred), Rafaëlle Cohen (Sarah), Solange Milhaud (Rebecca Chagal), Pierre Samuel (Yoine Chagal), Stéphane Métro (le comte Von Krolock), Sinan Bertrand (Herbert Von Krolock), Moniek Boersma (Magda), Guillaume Geoffroy (Koukol)…

L’histoire : Le Professeur Abronsius, un excentrique scientifique de l’université de Königsberg, n’a qu’une obsession : prouver au monde l’existence des vampires.
Accompagné par son fidèle assistant, le jeune Alfred, et avec pour seule arme son indéfectible foi en la logique et la science, il se lance dans cette quête un peu folle à travers les contrées sauvages de la Transylvanie.
Une tempête de neige va pousser nos deux héros à faire escale dans l’auberge de Yoine et Rebecca Chagal. Là, des indices tels que des guirlandes de gousses d’ail placées en abondance un peu partout dans la maison vont faire comprendre au Professeur qu’il est sur la bonne voie. Alfred, quant à lui, va tomber immédiatement sous le charme de la jeune Sarah, la fille des Chagal.
Le comte Von Krolock, vampire sombre et charismatique habitant le château des environs, tente lui aussi de séduire discrètement la jeune fille en l’invitant au bal annuel qu’il donne pour ses congénères…

Mon avis : Le Bal des Vampires a mis plus de quinze ans pour être enfin présenté dans le pays qui l’a vu naître ! Créé en 1997 à Vienne, en allemand, ce spectacle musical est en effet l’adaptation sur scène du film de Roman Polanski sorti sur les écrans 30 ans auparavant. Juste retour des choses, la version française de la comédie musicale possède le grand avantage d’être mise en scène par son propre auteur, Roman Polanski lui-même.


Disons le sans ambages, Le Bal des Vampires est un grand, très grand spectacle. On en prend plein les mirettes. Sur le plan de l’esthétique, des images, de la scénographie, des décors, des costumes, des chorégraphies et des voix, c’est un des plus aboutis que j’aie vu. Je le place quasiment au  niveau de la version anglaise des Misérables qui avait été présentée au Châtelet en 2010 et que je tiens pour le plus exaltant spectacle musical auquel j’ai assisté.
Pourtant, si je ne le mets pas au même niveau, c’est parce que j’ai quelques réserves à émettre… Pour être précis, ce Bal des Vampires m’a plu à 80 pour sang. Et, à la sortie, énormément d’avis abondaient dans le même sens : c’est une comédie musicale, mais elle pêche par… ses chansons ! Pour moi, la musique qui habille ce spectacle s’apparente plus à de l’opéra. Mais j’y reviendrai de façon plus explicite à la fin de cette critique.


Abordons d’abord les points positifs et emballants de ce Bal des Vampires. Ceux auxquels que je classe sous le titre générique de Rhésus O+…
Rhésus O+
-          L’orchestre qui joue en live… C’est magistral, ça donne un aspect musique de film. Il y a des quantités de couleurs musicales différentes qui soulignent les climats des différentes scènes. Il y a de l’ampleur, il y a de l’intime, il y a du frisson, il y a de l’allégresse. Et il y a de nombreuses trouvailles sonores. C’est de la belle et grande musique.
-          Les décors… Ils sont juste remarquables et ils donnent lieu à de magnifiques tableaux. Comme cette auberge qui pivote à 360° pour se métamorphoser en chambres à coucher, cette crypte qui sert de dortoir aux vampires, ce cimetière, ou ce tout premier tableau du second acte qui fait penser à un calendrier de l’Avent… Dans ce domaine, c’est un sans-faute absolu.
-          La scénographie… Il neige sur scène ! L’utilisation du travelling comme au cinéma nous permet de voyager dans une dense forêt de Transylvanie ou d’accéder au château du Comte. Les projections donnent de la profondeur, de l’espace, du dépaysement. Et, surtout, cette performance technique hallucinante grâce à laquelle on n’aperçoit pas les reflets des vampires dans les miroirs alors que l’on distingue parfaitement ceux des humains qui sont avec eux !... On voit qu’on a vraiment mis de gros moyens.
-          Les lumières… Elles sont essentielles pour l’ambiance des différentes phases de l’action. Un éclairage particulièrement travaillé nous met en présence de véritables tableaux de maîtres. Une couleur dominante (le gris, le rouge…) traduit donne le ton à certaines scènes et les magnifie.
-          Les costumes et les maquillages… Ils sont simplement prodigieux. Il y a plus de 200 costumes et 150 perruques ! Il y a deux ou trois tableaux qui ne sont pas sans rappeler La Nuit des morts-vivants ou le clip de Thriller de Michael Jackson.
-          Les chorégraphies… Elles nous emportent et nous fascinent. Quelques une nous font vivre de grands moments. Il y a des portés dignes de l’opéra, voire de l’acrobatie. Quelle maîtrise, quelle virtuosité et, surtout, quel travail ! j’ai adoré entre autres la scène qui se déroule autour du grand lit à baldaquin où sont assoupis le Professeur et Alfred et, bien sûr la grande scène du bal.
-          Les comédiens… Là aussi, le casting est parfait. Ils sont tous épatants. Mention spéciale toutefois au personnage du Comte, à celui de Koukol, sorte de Quasimodo des Carpates particulièrement inquiétant, et à celui de Yoine Chagal pour sa truculence.
-          Les voix… On ne peut que s’incliner. Elles sont toutes véritablement impressionnantes. Là aussi, pour certains, on frise de très près l’opéra. Mention spéciale là encore pour le coffre du Comte et pour le morceau de bravoure (très applaudi) qu’est la chanson du Professeur avec un débit effréné. C’est une sacrée performance.
-          L’humour… Il est permanent. On rit bien plus souvent que l’on est effrayé. C’est le but recherché puisqu’on est dans la parodie et de détournement, et il est tout à fait atteint.

Passons enfin aux quelques griefs que je formule et que je classe donc en toute logique sous le terme de Rhésus O-
Rhésus O-
-          Les chansons… Si l’on fait abstraction du seul énorme tube qu’est l’adaptation du somptueux Total Eclipse of the Heart, signé Jim Steinman, le compositeur du Bal et immortalisé en 1983 par Bonnie Tyler, je n’ai guère retenu que la fameuse performance vocale du professeur dans laquelle il parle de logique et de science, ainsi qu’une chanson interprétée joyeusement par Yoine Chagal. Pour le reste, on a droit la plupart du temps à des chansons très lentes, parfois symphoniques, qui se traînent en longueur. Elles ne doivent pas être simples à interpréter. Si bien qu’en dépit de la qualité vocale des chanteurs et chanteuses, on a tendance à décrocher assez vite. Bref, pour des Vampires ou des chasseurs de Vampires, je ne les ai pas trouvées assez… incisives... Bien sûr, c'est le livret qui a été conçu ainsi et les chanteurs n'ont absolument rien à se reprocher, au contraire.
-          Leur adaptation… La transfusion des textes originaux a été plutôt réussie par Nicolas Nebot. Là aussi, le boulot n’était pas évident car il y a un phrasé très particulier. Il faut le faire le découpage d’une chanson qui s’étire en longueur… Il y a néanmoins quelques petites choses qui m’ont écorché l’oreille ou des options auxquelles je n’ai pas adhéré. J’ai trouvé maladroite la formule « La mort vous change un homme » (puis « une femme »). C’est pour le moins une lapalissade d’un goût douteux… Enfin, daans l’adaptation de Total Eclipse of the Heart, la volonté de placer à tout prix la sonorité « Forever » (en faux rêveur) au dépit du sens et celle de garder le mot « Eclipse » pour en faire un vilain « éclipser mon cœur »… Mais c’est tout, le reste est parfait. Respect pour ce travail d’orfévre.
-          Quelques longueurs… Ou langueurs. Il y a certaines scènes qui sont trop longues (la mort de Chagal, par exemple) et qui, illustrées par une chanson qui se traine elle aussi, gâchent le rythme du spectacle.


En conclusion, La Bal des Vampires est un spectacle réellement magnifique, qui ne vous décevra pas et dont vous garderez longtemps en mémoire la magnificence de certains tableaux dignes de la peinture ou du cinéma.

lundi 27 octobre 2014

Arthur H "Soleil dedans"

Mystic Rumba / Polydor / Universal Music



Arthur H continue son petit bonhomme de chanteur en tentant d’introduire dans chaque album quelque chose de différent. C’est une sorte d’explorateur ; il aime découvrir des univers, des sons, des climats. Il lui serait pourtant facile, avec son timbre de voix si personnel et son piano, de se cantonner dans une même ambiance musicale, et ce serait incontestablement toujours aussi agréable à écouter. Seulement voilà, détestant la routine, il aime se surprendre et donc nous surprendre.

Dans Soleil dedans, son onzième album en près de vingt-cinq ans, il revient un peu à son principal fonds de commerce, avec une vitrine de facture classique, mais avec quelques articles nouveaux, comme des bruitages et, le plus inattendu, son utilisation de la voix de tête. Et c’est particulièrement réussi… A l’image de son titre, cet album est plutôt lumineux, mais il n’oublie toutefois pas d’aller faire un petit tour parfois « On the dark side of the moon ». D’ailleurs deux titres font directement allusion à cet astre (L’autre côté de la lune et L’aéroport de Los Angeles). La chanson la plus explicite de ce « côté sombre » est La Ballade des clandestins. Sur un rythme léger, Arthur H aborde ce fait de société empreint de gravité, en lui imposant un aspect dynamique. Il s’oppose au renoncement ; il faut « regarder devant », « marcher droit » et « glisser vers la lumière » et, quitte à échouer, autant « mourir debout ».


Cette Ballade est ma chanson préférée de cet album car elle traite d’un drame humain avec un mélange de réalisme et de poésie. Et les choses sont dites.
Autre chanson sociétale, celle que je classe en deuxième dans mon ordre affectif, La Caissière du Super… Là aussi, sur un ton badin, il évoque le quotidien d’une caissière de supermarché. Bruits de caisse enregistreuse, rythmique lancinante et orchestration primesautière, le climat ne souligne volontairement pas la pénibilité physique et morale de ce job. Il constate tout simplement en disant pour quoi et pour qui « elle bosse » : pour son boss et pour la banque, pour son gosse et pour bouffer. On ne peut pas être plus précis. Et l’interprétation, très ludique, voire détachée, nous fait encore plus prendre conscience de la lourdeur de ce métier. C’est très habile.

Après ces deux chansons qui interpellent, je place deux titres que je ne peux dissocier, La femme étoile et Les Papous, c’est nous. Elles ne traitent bien sûr pas du même sujet, mais elles partent du même parti pris musical. La première repose sur une rythmique hésitant entre le reggae et le ska. Et la seconde, vrai petit film d’aventures, est une chanson gag, sautillante et jubilatoire. Résultat les deux se confondent dans une joyeuseté totale en forme de récréation.


Ensuite, j’ai beaucoup aimé Une femme qui pleure. Cette très belle chanson d’amour, traitée en piano-voix (sauf le pont qui est brièvement symphonique), est envoûtante. C’est plein de déférence, de dévotion et de désir à peine contenu. Sur cette délicate ambiance bluesy, Arthur ose passer en voix de tête.
Je terminerai par L’autre côté de la lune, la chanson qui introduit l’album. La mélodie est efficace, entraînante, dominée par un piano complice. C’est dans ce titre qu’il s’amuse à dire la seule phrase en anglais (allusion référentielle aux Pink Floyd) avec la voix haut perchée. C’est une belle trouvaille.

Et enfin, j’ai pris beaucoup de plaisir à m’embarquer avec son Navigateur solitaire. Il y alterne systématiquement sa voix grave naturelle avec un timbre plus léger. C’est un très beau texte, intelligent, qui parle d’universalité. C’est une métaphore : la vie est une course en solitaire. On peut voyager sans bouger et savoir se contenter de son propre décor tout en laissant vagabonder son imaginaire… L’essentiel étant de se laisser emporter par la vie, une vie où la place de la femme est, pour lui, visiblement prépondérante.

samedi 25 octobre 2014

Célimène et le Cardinal

Théâtre Michel
38, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 41 30
Métro : Havre-Caumartin / Auber

Une pièce de Jacques Rampal
Mise en scène de Pascal Faber
Costumes de Nathalie Vignon
Lumières de Sébastien Lanoue
Avec Gaëlle Billaut-Danno (Célimène), Pierre Azéma (Alceste Le Cardinal)

Présentation : Cardinal ! C’est, vingt ans plus tard, le destin qui attendait le Misanthrope imaginé par Molière ! Voici Alceste dans la situation très confortable d’un homme coupé d’un monde qu’il réprime de sa main de fer : au 17ème siècle, le pouvoir d’un prélat est considérable. Vingt ans après, il s’invite donc chez son ancienne amante pour trouver une jolie quadragénaire qui, loin de la Cour qu’elle a « trahie » en épousant un bourgeois, semble parfaitement comblée avec ses quatre enfants.
Mais qu’est donc venu faire l’égal de Mazarin chez cette mère de famille sans histoire ? convaincu d’être l’ambassadeur de Dieu auprès des hommes, Alceste décide de confesser cette brebis égarée, trop heureuse pour être honnête. Cette « confession », tour à tour cocasse et émouvante… tournera vite à la joute oratoire entre un janséniste ancré dans son époque et une libertine avant l’heure, figure de proue, selon Alceste, d’un 18ème siècle qui arrive à grands pas…

Mon avis : Hier, j’ai eu rendez-vous avec LE Théâtre. Le théâtre dans sa délicieuse quintessence. C’est-à-dire quand tout est réuni pour que la soirée soit tout à fait réussie. Quand, pendant près d’une heure et demie, vous avez la sensation d’être dans une bulle, hors du temps, hors de la vie extérieure, tout entier happé par ce qui est proposé sur la scène.

Dans Célimène et le Cardinal, on a tout ce qui synthétise une excellente comédie : un texte admirable servi par deux comédiens sensibles et impliqués. Il n’y a pas à sire : une pièce en costumes et en alexandrins, ça a de la gueule ! D’autant que grâce aux deux acteurs, on oublie très vite l’écriture en douze pieds pour prendre le nôtre. Dit comme ça, ça fait un peu trivial, c’est pourtant la vérité. Quel plaisir !

Le texte de Jacques Rampal est un bonheur. Pourtant, son postulat de départ est plutôt osé. Imaginer les retrouvailles entre Alceste et Célimène vingt ans plus tard, c’est un sacré risque. Presque un crime de lèse-Molière. Or, je suis convaincu que l’auteur du Misanthrope eût bu du petit lait (ou plutôt du chocolat, plus à en vogue à cette époque) à écouter ces vers remarquablement troussés. Il n’aurait pas désavoué la parodie tant elle est brillante, inspirée et, surtout, respectueuse des caractères brossés dans l’œuvre originale… Tout comme Molière, Jacques Rampal est un fin connaisseur de l’âme humaine, qu’elle soit masculine ou féminine. Ici, les profils psychologiques d’Alceste et de Célimène sont finement traduits. Ce sont deux duellistes qui s’affrontent dans un combat où les fleurets ne sont pas toujours mouchetés. Ou, si (fine) mouche il y a, c’est du côté de Célimène qu’on la trouvera.


En effet, en tant que spectateur privilégié, on se régale d’assister à ce combat où chacun, avec ses propres armes, se donne coup pour coup. Alceste, rigide, misogyne, imbu de son pouvoir et un tantinet pervers, attaque son adversaire frontalement. Ses assauts sont brutaux, faits pour briser puis anéantir… Alors que Célimène, plus maligne, plus joueuse, plus vivante surtout, pratique plus volontiers l’esquive tout en ne négligeant pas, lorsqu’elle entrevoit une ouverture, de porter une botte percutante. Elle adore piquer et re-piquer où ça fait mal… Leur opposition, c’est du noble art entre deux stylistes. Jusqu’à la fin, on compte les points, sans savoir lequel des deux l’emportera. Car chacun y laisse pas mal d’influx. Les blessures font mal de part et d’autre, mais aucun des deux ne veut monter de fragilité. Et pourtant…

Pourtant, après l’émotion des retrouvailles, après cette féroce échauffourée, aucun des deux n’a oublié les sentiments qui l’animaient vingt ans plus tôt. Même s’ils s’efforcent de la contenir, la tendresse est toujours là. Trouble pour lui, affection pour elle. Lui veut mettre l’âme en avant alors que c’est le corps qui l’obsède. Elle, en féministe assumée, elle s’est affranchie de ce tabou. C’est une femme libre. Libre de choisir ses amants, libre aussi du carcan de la religion. Deux attitudes qui sont insupportables pour le Cardinal.

L’écriture de Célimène et le Cardinal, ciselée, alerte et incisive, est d’une surprenante modernité. Outre la satire de l’époque (Célimène prend la défense des « petits », critique le laisser-aller de la noblesse, fustige le mépris du haut clergé, loue la force de travail des bourgeois), elle nous fait également penser à ces problèmes actuels que sont la lutte des classes et les conflits religieux. On a ainsi un pied dans la fin du 17ème siècle et l’autre dans le présent. On se sent ainsi concerné de bout en bout.


Et puis, il y a ces deux formidables comédiens que sont Gaëlle Billaut-Danno et Pierre Azéma. Ils sont tout entiers dans leur personnage. Célimène, on l’a compris, est une femme intelligente. Elle aime la vie sous tous ses aspects et elle y croque à belles dents. Elle a un port altier, de la prestance. Et elle voit clair dans l’âme trouble d’un Alceste qui n’a finalement pas changé en vingt ans. Elle lui reproche « cette rigueur extrême, cet orgueil insensé », elle va jusqu’à le traiter de « fou » et de « porc lubrique ». Gaëlle Billaut-Danno est frémissante de vie, c’est une fière rebelle, mais elle ne dédaigne pas jouer aussi d’un pouvoir de séduction qu’elle sait ensorcelant. Son jeu est tout en subtilité.
Pierre Azéma campe un prélat tout en rigidité, droit dans ses bottes. Il se veut sans faiblesse alors qu’il n’est que tourment. Engoncé dans sa raideur janséniste, il veut à tout prix mettre à ses genoux (au propre comme au figuré) celle qui lui résiste aussi âprement. A ses remarques lucides, il répond « blasphèmes ! ». Il la traite de « catin » de « démon ». Il la menace d’excommunication. Mais au fond de lui, il sait qu’il n’est pas de taille et que, finalement, c’est lui qui ira à Canossa…
Bref, pour jouer une partition aussi brillamment composée, il fallait deux interprètes qui soient des virtuoses… Et ces deux là nous emportent très haut. Que c’est beau le théâtre quand il nous apporte autant de ravissement. Hâtez-vous de vivre et de partager un tel moment de grâce absolue !


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 23 octobre 2014

Julie Villers "Je buterais bien ma mère un dimanche"

Théâtre de l’Archipel
17, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 48 00 04 05
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Seule en scène écrit par Julie Villers, Antoine Schoumsky
Mise en scène de Johanna Boyé
Collaboration artistique d’Antoine Schoumsky

Présentation : Que celui (ou celle) qui n’a jamais eu envie de tuer sa mère lui jette la première pierre !
Trois femmes, trois générations, une histoire peu banale… De la mammy un brin collabo mais amoureuse à la fille déjantée et attachante, Julie Villers propose un voyage thérapeutique loin de l’univers « girly » et des clichés habituels. Vous allez la détester un peu, vous allez l’aimer beaucoup.
Plus efficace qu’une séance de psy, plus drôle que l’intégrale de Freud, plus névrosé qu’une conversation avec Woody Allen, vivez une expérience unique certifiée originale.

Mon avis : Je vais être franc : les prestations de Julie Villers dans l’émission de France 2 On n’ demande qu’à en rire avaient plutôt tendance à m’agacer. Je trouvais qu’elle en faisait trop, qu’elle cherchait à se mettre en avant… Mais, partant du principe qu’on ne peut bien connaître un artiste qu’en allant le découvrir sur scène dans l’intégralité de son spectacle, je suis allé voir Je buterais bien ma mère un dimanche, le seule en scène qu’elle joue au théâtre de l’Archipel. Et bien, je n’ai pas du tout regretté mon déplacement.
J’ai en effet découvert une remarquable comédienne, dotée d’un tempérament explosif, et d’une façon impressionnante d’occuper l’espace. Ajoutez à cela un texte joliment troussé, efficace et percutant, et vous obtenez une heure et quart d’un spectacle total, particulièrement tonique, tout le temps drôle avec de subtiles pointes d’émotion. Le jeu de Julie est parfaitement maîtrisé. Elle donne l’air d’être complètement barrée (elle l’est certainement un peu) mais sa folie est intelligemment structurée.
Julie Villers ne fait pas dans la dentelle. Elle appelle un chat un chat, elle piétine allègrement les tabous, elle ne se fixe aucune limite… Déjà, le sujet de son spectacle est scabreux : l’envie de commettre un matricide n’est pas chose anodine, et il faut être sacrément convaincante pour réussir à faire rire avec ça. Et elle y parvient sans aucun problème.


Après une entrée en scène pour le moins originale, Julie Villers entre immédiatement dans le vif du sujet, à savoir les raisons qui la poussent à vouloir trucider sa génitrice. Et elle en a des raisons ! Et pas qu’une. Son ressentiment à l’égard de sa mère est né le jour même de sa venue au monde. Dès l’accouchement, l’amour filial était sectionné avec le cordon ombilical… Mais, malgré tout cette maman avait droit à une importante circonstance atténuante, l’hérédité. En effet, sa mère à elle, la grand-mère de Julie donc, était d’un genre plutôt gratiné. Un caractère, une personnalité entière… En nous la faisant découvrir, Julie nous permet de comprendre que la méchanceté était transmise à travers les gènes. La malfaisance, la perversité et la vacherie étant dès lors héréditaires, on ne peut que s’incliner devant la fatalité.


Julie Villers jongle avec ces trois personnages (quatre si l’on tient compte du chat Georges), ces trois générations. Elle change de voix, adopte une gestuelle spécifique, crée de vrais dialogues… Une vraie performance d’actrice. Elle est comédienne jusqu’au bout des ongles, jusqu’au bout des cils. Et physiquement aussi, elle est impressionnante. Et vas-y donc que je te fais une cascade, que je sais faire aussi le grand écart. Julie est heureuse d’être sur scène. Son plaisir irradie et gagne très vite un public avec lequel elle ne cesse de jouer et à prendre à partie (au singulier). J’ai été vraiment bluffé par sa présence et son talent. Elle est aussi convaincante dans la drôlerie (elle possède une de ces batteries de mimiques !) que dans l’émotion (très juste sa parenthèse sur la solitude des personnes âgées).

Conclusion, si nous aussi on devient solidaire de ses envies de meurtre, moi je retournerais bien voir Julie un mercredi au théâtre de l’Archipel. Le cinéma ne devrait pas négliger un potentiel aussi évident. Avis aux producteurs.


Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 21 octobre 2014

L'Histoire enchantée du petit Juif à roulettes

Théâtre du Petit Hébertot
78bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
Tel : 01 43 87 23 23
Métro : Villiers / Rome

Pièce écrite par Frédéric Zeitoun et François d’Epernoux
Mise en scène par Alain Sachs
Avec Frédéric Zeitoun, Anthony Doux, Cécile Girard
Le samedi à 16 h 00 / Le dimanche à 19 h 30
Jusqu’au 4 janvier 2015

Présentation : « Or donc, depuis le jour où il est né, Frédéric Zeitoun traverse la vie sur ses roulettes. Avec une telle détermination et une telle élégance qu’il a entre autres talents celui de nous le faire souvent oublier. Et aujourd’hui voici qu’il lui vient l’envie de nous en parler.
D’abord sur le fond, un témoignage passionnant et passionné sur tous les aspects de sa vie qui ne peuvent que nous interpeller et nous interroger sur les nôtres. Sur la forme ensuite, celle d’une véritable comédie musicale haute en couleurs sur la destinée, le libre-arbitre, les épreuves et les victoires inhérentes à la condition humaine.
Trois vrais personnages, avec trois comédiens, musiciens, chanteurs, et pour chacun d’entre nous une seule volonté, celle de rendre à l’humour, seul moyen de parler sérieusement des choses, tous les honneurs qui lui sont dus »
Alain Sachs


Mon avis : J’avais vu cette pièce réellement originale à sa création en novembre 2013 à la Gaîté Montparnasse et j’en étais sorti emballé et aussi « enchanté » que le titre le laissait présager.
Frédéric Zeitoun nous embarque dans l’histoire de sa vie avec énormément d’humour, d’autodérision, de distance et de provoc’ aussi. La majorité de son parcours ayant été placée sous le signe de la chanson, il en a fait un spectacle total mêlant tous les genres dans lequel il est entouré de deux merveilleux artistes complets.
A la fois très drôle et émouvante, L’Histoire enchantée du petit Juif à roulettes est avant tout une superbe leçon de vie qui nous donne pas mal à réfléchir tout en nous distrayant.

Plaisir garanti. Sincèrement, à voir (ou à revoir)…

lundi 20 octobre 2014

Gentlemen Forever vol. 2

TF1 Musique / Warner Music



Je suis un inconditionnel de l’aventure « Forever Gentlemen ». Il y a tout dans ce concept : que des grands standards anglo-saxons et français, une orchestration somptueuse façon Big Band, des voix sacrément veloutées, une élégance raffinée (smokings et belles robes)… C’est vraiment un « produit » noble.

Après les reprises rappelant l’univers musical du fameux du Rat Pack (Frank Sinatra, Dean Martin, Sammy Davis Jr…) du volume 1, nos Gentlemen et Gentlewomen ont repris le chemin des studios pour y enregistrer un nouvel opus tout aussi fastueux. On ne sait plus ou donner de l’oreille tant les titres retenus sont des évidences et font partie du patrimoine international de la grande chanson de variété. Toutes ces chansons sont archivées à jamais dans le rayon « Musique » du disque dur de notre mémoire. C’est un vrai bonheur que de les réentendre interprétées par les plus belles voix actuelles sur des arrangements irréprochables signés Sinclair.


Je les aime toutes ces chansons. Les quatorze ! Bien sûr j’ai quelques préférences car certaines voix sont plus swingueuses ou plus crooneuses que d’autres. Mais c’est tellement bien fait !
Par rapport au volume 1, exit Elodie Frégé, Garou, Emmanuel Moire, M Pokora et Gad Elmaleh. En échange, font une entrée très remarquée (dans l’ordre d’apparition sur le CD) Claire Keim, Antoine Duléry, Ben L’Oncle Soul, Tal, Camille Lou et Amir.
Les duos (9) et les trios (5) se succèdent pour reprendre six titres en français, sept en anglais et un mixte (Que reste-t-il de nos amours ? I Wish You Love). A propos de ce titre, c’est juste une merveille. Il est d’ailleurs amusant de constater que les initiales juxtaposées de ses deux interprètes, Paul Anka et Claire Keim, donnent « PACK » ; comme le Rat Pack ! Il y a des associations subliminales qui ne trompent pas. Le swing naturel de Paul, la sensualité toute en retenue de Claire, des cordes discrètes… Ça nous va droit au cœur.


Que dire d’autre ? On ne peut qu’employer des superlatifs pour saluer telle ou telle performance comme la facilité avec laquelle Antoine Duléry (aux antipodes de Paul Gatineau) s’est glissé dans la peau d’un chanteur de charme. A vrai dire, ce n’est pas une surprise. Dans Jean-Philippe, il poussait déjà la chansonnette et il s’était montré vraiment à son avantage. Autre entrée très remarquée (et remarquable), celle de Bel L’Oncle Soul. Formé au gospel et vacciné à la Motown, il possède un swing naturel qui apporte une valeur ajoutée aux deux titres qu’il interprète, That’s Life, où il tient la dragée haute à Paul Anka, et C’est si bon, avec Sinclair.


Roch Voisine, aussi à l’aise en anglais qu’en français, se taille la part du lion dans cet album. On le retrouve en effet dans cinq chansons. Avec Dany Brillant, qui lui figure dans quatre, ils synthétisent physiquement et vocalement le concept de « Forever Gentlemen ».
Après eux, ils sont trois à se retrouver dans trois titres chacun, Damien Sargue, Corneille et Paul Anka.

Il n’y a rien à rajouter. Il n’y a qu’à écouter, écouter et encore écouter. C’est du plaisir « forever »…

Gérald Dahan "Canulars sur scène"

Théâtre de Dix Heures
36, boulevard de Clichy
75018 Paris
Tel : 01 46 06 10 17
Métro : Pigalle
Prochaines dates : 25 octobre, 28 et 29 novembre, 6 décembre

Seul en scène écrit et interprété par Gérald Dahan

Présentation : Si Hollande avait promis le changement dès maintenant, c’était surtout du flan.
Le combat vient de commencer, or les Français s’’en moquent et Gérald Dahan aussi… Mais… sur scène !
Car pour Gérald, quand les politiques prennent la place des comiques, les comiques se doivent de les remettre en place.
Venez découvrir les canulars non censurés de l’imitateur et réécouter les grands standards de la chanson française, imités pour vous « à la carte »…

Mon avis : Après avoir rôdé son nouveau spectacle, Canulars sur scène à Avignon cet été, Gérald Dahan le présente pour quelques dates au théâtre de Dix Heures avant d’investir une grande salle parisienne début 2015.
Pour sa première soirée du côté de Pigalle, l’imitateur-humoriste était tout ému de revenir sur les planches de ce théâtre qui l’avait vu faire ses débuts dans la capitale à l’âge de 18 ans sous le haut patronage de Philippe Bouvard. Mais passé le cap de l’attendrissement, l’artiste a vite retrouvé son aisance et son mordant (vingt-trois années de métier, ça se voit) pour enfourcher gaillardement son cheval de bataille : la politique. C’est avec une parodie des Murs de poussière de Francis Cabrel évoquant la vie sentimentale de François Hollande qu’il attaque son show. Ensuite, grâce à une actualité foisonnante et riche en péripéties croquignolesques (du nanan pour un humoriste), il enchaîne commentaires et réflexions avec les voix de Patrick Timsit, Pierre Palmade, Edouard Baer avant d’aborder le thème de son spectacle, le canular téléphonique.


Il se livre alors à un véritable numéro de haute voltige en assurant en direct la reproduction d’un canular dont fut victime Olivier Falorni le 1er avril 2014 à la veille de l’annonce du Gouvernement Manuel Valls. Empruntant la voix du nouveau Premier ministre, Gérald Dahan jongle avec les réponses enregistrées du député de Charente Maritime. C’est d’une précision millimétrique. D’autant que la conversation, particulièrement édifiante, nous apporte beaucoup d’informations sur ce qu’est le monde politique vu de l’intérieur.

Ensuite, Gérald Dahan, chaussant les ray-ban et gigotant des épaules, se réincarne en Nicolas Sarkozy, un personnage qu’il maîtrise à la perfection. Sans prononcer un seul mot durant deux minutes, uniquement avec des mimiques et une gestuelle caricaturales, il fait crouler la salle de rire… Et il n’en reste pas là. Opérant dans l’ordre chronologique, il endosse aussitôt le costume de François Hollande. Là aussi, le mimétisme est confondant. L’idée de les faire se succéder ainsi est très efficace car elle permet de comparer les deux styles et les deux mentalités.


Enfin, sans aucune baisse de régime, il revient à ses voix et à ses personnages de prédilection : Julien Clerc, Johnny Hallyday, Fabrice Luchini, pour terminer avec un florilège de chansons (Gainsbourg, Nougaro, Montand…) grâce auquel il nous prouve, si besoin était, qu’il est un sacrément bon chanteur.


Avec Canulars sur scène, Gérald Dahan nous propose un spectacle haut en couleurs, varié, vif et rythmé, corrosif à souhait et, aussi, extrêmement bien écrit.

jeudi 16 octobre 2014

Louis Bertignac "Suis-moi"

Let It Bleed / Polydor / Universal Music


En trois ans et demi, c'est-à-dire depuis la sortie de l’album Grizzly (ça c’est vraiment moi) en mars 2011, Louis Bertignac a bien changé. Déjà, il a eu 60 ans (mais aujourd’hui ce n’est plus du tout un handicap pour un rocker), et puis il a changé de vie sentimentale (il a divorcé et retrouvé l’amour). Donc, en passant de la rupture douloureuse aux retrouvailles avec le bonheur, il n’est plus du tout le même homme. Du coup, son nouvel album, Suis-moi, c’est le jour et la nuit avec le précédent.


Personnellement, des deux, je préfère Grizzly. Il était plus dans la rock’n’roll attitude, plus virulent, plus sombre, et plus homogène aussi. De toute façon, le bonheur, on le sait, n’est jamais très inspirant. « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux », poétait l’Alfred (de Musset)…
Suis-moi est un album disparate, plus accessible, en mot plus « variétoche » et, malgré tout, très honnête. Il est tout à fait « bertignacien ». Il y a la guitare de Bertignac et la voix de Bertignac. On n’est donc pas trop dépaysé. Le fait d’y trouver dix auteurs différents dont lui (Laisse-moi dormir) pour treize chansons est-il une bonne chose ? Je n’en sais rien. Il n’y a aucun thème de particulièrement développé. Certains textes, plutôt légers, sont parfois sauvés par la mélodie, voire par l’interprétation. C’est le cas par exemple de Je dis oui, le duo avec Mélanie Laurent, et du très inconsistant Minilou. En revanche, pas de sauvetage possible pour le gnangnan Cathédrales qui s’apparente à un poème écrit par un collégien enamouré…


Néanmoins, on vit dans Suis-moi quelques jolis moments.
Comme d’habitude, me laissant guider uniquement par mes sens, je me livre à mon petit hit-parade personnel, totalement subjectif :

1/ Sûr de t’aimer. J’aime beaucoup cette valse lente bien écrite, en forme de profession de foi, sa mélodie et son interprétation pleines de douceur.
2/ Le Pouvoir de dire non. Sur une mélodie qui tourne toute seule, à travers la plume de Frédéric Zeitoun, Bertignac aborde le thème de la révolte, rejoignant en cela le camp des indignés. C’est une chanson qui a du sens, ambiance country music, joli solo de guitare et harmonica. Efficace.
3/ T’en fais pas. Je trouve Bertignac particulièrement convaincant dans les chansons lentes. Le piano bien devant, dessine un climat plein de tendresse. En plus, l’écriture féminine (Keren Meloul, alias Rose) de ce texte bien construit lui convient parfaitement.
4/ Qui a vu ma guitare ? Impossible de ne pas vibrer à l’écoute de ce rockabilly qui m’a projeté dans mes tendres années yé-yé. Entre Johnny Hallyday et Antoine, Bertignac reproduit avec énergie et dérision le son des sixties. Ce titre devrait faire un malheur sur scène.
5/ Je dis oui. Encore une ballade ! Et qui plus est en duo (avec Mélanie Laurent). C’est tout doux, voluptueux à souhait, dans le souffle, c’est très agréable à entendre. Pour cette déclaration d’amour réciproque, les deux voix se fondent harmonieusement. Et le solo de guitare est sobrement sensuel.
6/ Suis-moi. C’est carré, simple, percutant. C’est une excellente entrée en matière pour cet album. Et le refrain est infaillible.
7/ Embrasse-moi. Cette chanson vaut surtout pour ses guitares et la qualité de son refrain.
8/ Minilou. Cette déclaration d’amour de papa-poule à l’adresse de ses filles est finalement touchante de naïveté. On a plus d’indulgence pour l’intention que pour le résultat mais la mélodie est suffisamment entraînante et légère pour nous la faire accepter.

9/ Confidences de ma Junior. Louis Bertignac ne pouvait s’empêcher de rendre hommage à sa plus fidèle compagne depuis plusieurs décennies : sa SG Junior. Il y met toute sa sincérité. Ça sonne très américain.

Sans filtre

Théâtre Fontaine
10, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 48 74 74 40
Métro : Blanche / Pigalle / Saint-Georges

Une comédie écrite et mise en scène par Laurent Baffie
Décors de Juliette Azzopardi
Costumes de Pauline Gallot
Lumières de Thierry Alexandre
Avec Laurent Baffie (Philippe Maurice), Caroline Anglade (Léa, la neurologue), Jean-Noël Brouté (Maxence, le psy), Karine Dubernet (Ruth, la chiropractrice), Pascal Sellem (Jean-Phil, le chirurgien plasticien), Carine Ribert (Fleur, la pédiatre), Daravirak Bun (Chi, l’acupuncteur)

Note d’intention : « Je m’appelle Philippe Maurice. Je suis buraliste et, depuis 24 heures, je n’ai plus de filtre. Pas dans ma boutique, non, dans ma tête. Pour une raison inconnue, je dis directement tout ce que je pense à tout le monde, et ce dans un langage plus que fleuri. Beaucoup de gens rêveraient de pouvoir se lâcher totalement et de balancer toutes les horreurs qui leur traversent l’esprit, sauf moi pour qui la vie est devenue un enfer. Même acheter du pain devient très compliqué, la preuve :
-          Moi : Un bâtard.
-          Le boulanger : Tiens, vous ne prenez pas de croissants ce matin, Monsieur Maurice ?
-          Moi : Non, à ce prix-là, tu peux te les foutre au cul connard !
Heureusement, une équipe de médecins très soudés va se pencher sur mon cas pour essayer de résoudre mon problème. Et là, c’est le drame…

Mon avis : Pour sa cinquième pièce, ce « sale gosse » de Laurent Baffie s’est ingénié à pousser encore un peu plus loin les limites de son fonds de commerce, à savoir l’irrévérence. A l’instar de son ami Jean-Marie Bigard qui se proclame chantre de la vulgarité, lui il revendique sa spécificité, la grossièreté.
Il faut dire qu’avec le postulat de départ de sa pièce – un homme qui ne peut s’empêcher de dire frontalement à ses interlocuteurs ce qu’il pense – il s’est ouvert en tout grand le champ des possibles.
En clair, dans Sans filtre, Laurent Baffie met vraiment le paquet ; il ne mégotte pas. Il ne s’est pas pris le cigare et, aussi culotté qu’une pipe, il a bourré son texte d’un florilège des expressions les plus gauloises. Pour ça, il y a du taf… Il réussit la performance de nous tenir en (mauvaise) haleine avec une histoire on ne peut plus fumeuse que tout le monde, certes, ne peut pas priser. Il fallait l’inventer cette maladie cousine du syndrome Gilles de La Tourette !


Pour adhérer à cette pièce, il faut vraiment être un « baffiephile » inconditionnel. Même si elle a du fond, la forme a tout pour rebuter les oreilles les plus chastes. Laurent Baffie est un grosmots-sapiens. J’aurais dû me munir d’un boulier pour les recenser toutes les grivoiseries qu’il profère dans ce grand jeu de triviale poursuite. Or, comme c’est le thème de sa pièce, il est impossible de lui en tenir malgré tout rigueur. D’ailleurs, à part certainement Jean-Marie Bigard, aucun comédien autre que lui-même n’eût été crédible dans ce rôle. On le connaît, on prévoit ce qu’on va entendre, il est donc inutile de pousser ensuite des cris d’orfraie parce que ses petites trompes d’Eustache ont été verbalement violentées pendant près d’une heure et demie. La pièce est annoncée « sans filtre », il n’y a pas tromperie sur la marchandise. On est averti.


Pourtant, Sans filtre n’est pas qu’une litanie de gros mots et de situations olé olé. Comme à son habitude, Laurent Baffie stigmatise hardiment le monde de la médecine avec ses abus dans tous les domaines. Il brocarde ces praticiens imbus d’eux-mêmes, leur suffisance de gens qui « savent » et leur vocabulaire abscons. Il n’oublie pas bien sûr de s’attarder sur les nombreuses coucheries interprofessionnelles… Bref, malin comme un bonobo, il pousse au plus loin la satire du milieu médical et ses dysfonctionnements. Et il n’est pas tant que ça pourrait paraître dans la caricature… En conclusion, dans Sans filtre, il n’y a pas que des grossièretés, il y a aussi du sang et des larmes ; et du rire, du rire, beaucoup de rire.

Pour ce qu’il annonce comme son ultime prestation au théâtre, Laurent Baffie a encore eu le talent de savoir s’entourer avec une bande de joyeux déjantés qui vont, sans retenue aucune, au bout de leur personnage.
Jean-Noël Brouté campe un psy irrésistible, avec un accoutrement ridicule. Lui, s’il a prêté un serment, c’est celui d’hypocrite. Il n’est franc que lorsqu’il revendique exercer sa profession pour le fric.
Caroline Anglade, sensuelle et court vêtue, personnalise tous les mâles fantasmes vis-à-vis du corps médical féminin.
Pascal Sellem est la caricature du médecin séfarade. Accent appuyé, collier, gourmette et imposante montre en or, dragueur invétéré, (in)fidèle pratiquant de la mauvaise foi, petit plaisantin… il est parfait.


Une fois de plus, Karine Dubernet nous sort une composition de derrière les fagots. Cette brune qui ne compte pas pour des prudes, crée une chiropractrice brute de décoffrage, haute en couleurs, particulièrement cash et avec, comme toujours, en filigrane une certaine pointe de sensibilité qui la rend touchante. Dès son entrée en scène, la température de la pièce monte de quelques degrés.
Carine Ribert s’approprie sans retenue et sans pudeur aucune le rôle d’une pédiatre un tantinet fofolle, puérile, complètement barrée. Elle nous propose une composition réellement désopilante.
Enfin, Daravirak Bun, qui n’a qu’un petit rôle, mais essentiel, le fait avec une folie totalement « débridée ». Je pense néanmoins qu’il gagnerait en justesse en tempérant un peu sa tonitruante gestuelle (surtout juste avant de prodiguer ses premiers soins).

Un petit mot s’impose aussi pour louer le décor. Le bureau du psy dans lequel la pièce se déroule est conçu avec beaucoup de goût et d’ingéniosité.

Pour conclure en restant dans le même (mauvais) esprit : Sans filtre possède tous les ingrédients pour faire un tabac…


Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 14 octobre 2014

Michaël Hirsch "Pourquoi ?"

Les Déchargeurs
3, rue des Déchargeurs
75001 Paris

Tel : 01 42 36 00 50
Métro : Châtelet
Les lundis à 21 h 30

Seul en scène écrit et interprété par Michaël Hirsch

Présentation : Tout au long de son existence, chaque être humain s’interroge sur lui-même comme sur le monde qui l’entoure. Mais pourquoi autant de questions sans réponses et de réponses sans questions ?
Seul en scène, avec un sens vertigineux de l’absurde et du jeu de mots, Michaël Hirsch retrace les incessants « pourquoi ? » d’un personnage que l’on suit à toutes les étapes de sa vie. Au fil d’une savoureuse succession de tableaux, se dessine un univers insolite où le rire et la dérision côtoient l’imaginaire et la poésie.

Mon avis : Il est facile de comprendre ce qui attire les spectateurs au théâtre des Déchargeurs pour assister au seul en scène de Michaël Hirsch. D’abord, avec son petit côté lunaire, son regard clair et son expression à la fois candide et malicieuse, il attire spontanément la sympathie. Ensuite – et c’est là la principale raison – le texte de son spectacle est particulièrement réjouissant pour qui aime les mots et les infinies façons de jouer avec.
La construction de Pourquoi ? est imparable. On suit en effet tous les questionnements que peut se poser un individu de son enfance à sa vieillesse. Facile dès lors de se sentir complètement concerné. Une fois ce principe de découpage par étapes établi, reste l’aspect le plus personnel de ce seul en scène : la forme.
Michaël Hirsch est un habile tisseur de bonne aventure. De fil en aiguille, il brode une histoire qui tient debout tout en la déstructurant. Chaque pièce qu’il coud et juxtapose à une autre n’est là que pour amener une chute.


Il faut reconnaître que cet exercice n’est pas des plus aisés car jongler avec les mots est une tradition française ancestrale et il y a eu et il y a encore des maîtres en la matière. Michaël Hirsch a tout à fait sa place dans ce petit aréopage. Il est quasiment impossible d’être entièrement novateur dans ce domaine si spécial. Alors, dans ce spectacle, il y a des calembours ou aphorismes que l’on connaît déjà (« écrire en vers et contre tout », « Poéter plus haut que son cul » emprunté à Guy Bedos dans son sketch hommage à Nougaro…), il y en a qu’on voit venir et, heureusement, il y en a de nombreux qui nous surprennent (pour exemple, j’ai particulièrement goûté son « ascenseur pour les choix faux » !)… J’ai également beaucoup aimé sa façon de partir d’un dicton ou d’une formule pour nous embarquer dans une digression truculente. En partant de lui, de l’intime, il tend vers l’universel.


Ses saillies sont ponctuées de petits rires brefs, de frémissements, de soupirs, voire de râles de contentement. Michaël possède un public de gourmets qui déguste ses mots comme autant de friandises. Il en a un plein bocal à nous offrir et ce n’est jamais indigeste ; au contraire. On aime bien se laisser prendre en otage, se perdre dans son labyrinthe, et voir où son esprit retors et fort bien structuré va nous emmener.
Un résultat aussi abouti représente un sacré travail d’écriture en amont. Il a dû en écrire et en écrire des pages, raturer et peaufiner encore, se les mettre en bouche et se les réciter jusqu’à ce que ce soit digne d’être présenté au public.
Michaël Hirsch est un "verbivore", un grand humoureux des mots et il n’aime rien tant que de les partager avec nous.


Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 13 octobre 2014

Get On Up "James Brown, une épopée américaine"

Polydor / Universal Music


On ne dira jamais assez l’influence qu’a eue James Brown sur la musique de la deuxième moitié du 20è siècle. « The Godfather of Soul » a inspiré en effet bon nombres de chanteurs, Américains ou autres. Get On Up, le film qui lui a été consacré, sorti le 24 septembre dernier, possède la meilleure bande son qui soit pour rappeler et souligner l’invraisemblable talent de cet artiste complet disparu le jour de Noël en 2006.
Il y a tout James Brown dans cet album. Un premier CD de 20 titres reprend la grande majorité de ses tubes, devenus aujourd’hui des standards ; et un second CD de trois titres contient un hommage que lui rendent trois représentants de la chanson française, Ben l’Oncle Soul (Please Please Please), Mat Bastard, le leader de Skip The Use (I Got You (I Feel Good)), et Yseult, la finaliste de La Nouvelle Star 2014 (It’s A Man’s Man’s Man’s World).


Dans le CD spécifique à James Brown, il n’y a que du lourd et on y trouve huit morceaux en « live », ce qui est essentiel pour revivre tout la magie et la puissance scéniques de cet artiste incomparable.
Il serait présomptueux d’en dresser un hit parade. On ne peut que se laisser porter par les sensations que ces titres imposants nous procurent.
L’album commence par le tonique et saccadé Get Up (I Feel Like Being A Sex Machine), un titre qui contient à lui seul tout l’ADN de James Brown.
Mon tiercé personnel se décompose ainsi :
1/ It’s A Man’s Man’s Man’s World. Une véritable splendeur, un morceau d’anthologie dans lequel l’arrangement délicat donne la part belle à une interprétation particulièrement inspirée.
2/ Papa’s Got A Brand New Bag. Titre très bluesy où, pour une fois, le James, tout en retenue, retient les chevaux et s’amuse à répondre à des cuivres somptueux.
3/ Try Me. Avec ses chœurs sirupeux, cette ballade chaloupée et pleine de sensualité est une tuerie. Tous nos sens on éveil, on n’a envie que de lumières tamisées et d’un corps complice entre les bras.


Sinon, dans l’ordre d’apparition sur le CD, j’ai fortement apprécié Out Of Sight, parfait stéréotype du Rhythm and Blues avec big band ; I Got You (I Feel Good), une authentique transfusion de positivisme et de joie de vivre, à la fois légère et pêchue ; le swing incandescent de Caldonia ; l’incantatoire Please Please Please avec cuivres, piano et chœurs et ses cris de chat qu’on écorche vif ; le trépidant Night Train avec reconstitution musicale d’une ambiance ferroviaire (on entend littéralement un train qui file à travers les plaines) ; et, enfin, le sauvage, frénétique et sautillant Super Bad


Si vous êtes un fan absolu de cette musique, la bande son de Get On Up, doit impérativement figurer en très bonne place dans votre CDthèque !

dimanche 12 octobre 2014

Le Bistrot du Village

Le Funambule Montmartre
53, rue des Saules
75018 Paris
Tel : 01 42 23 88 83
Métro : Lamarck-Caulaincourt
Jusqu’au 26 octobre

Une pièce écrite et mise en scène par Franck Buirod
Avec Marine Blake, Franck Buirod, Vincent Demoury, Didier Forest, Grégory Kristoforoff, Pierre Nakache, Denis Obitz, Antoine Step

Présentation : C’est avant tout l’histoire de Fernand et Monique qui tiennent tous les deux le fameux Bistrot du Village.
Ou plutôt non ! C’est l’histoire du vieux Pierrot qui vient tous les matins et qui nous raconte encore une fois qu’il n’a pas pu prendre sa bécane à cause du froid.
Mais c’est aussi l’histoire de Nounours, le deuxième pilier de bar, qui parle de la pluie, du beau temps et des femmes.
C’est peut-être aussi l’histoire de Benjamin ? Ce serveur délicat et raffiné qui jure avec cette ambiance de café enfumé.
Et si, finalement, c’était l’histoire de Franck… Le fils des patrons qui traîne dans le Bistrot juste pour écouter ce qui s’y raconte…

Mon avis : Sans surprise : nous sommes dans un bistrot. Il doit déjà faire nuit ; autour d’une table, quatre hommes jouent au 421… Nous faisons ainsi connaissance avec Fernand, le patron du Bistrot, Nounours et Pierrot, les deux plus fidèles habitués, et Benjamin, le serveur. Cette scène liminaire nous permet déjà de distinguer les principaux traits de caractère des trois premiers. Difficile de cerner ceux de Benjamin, puisqu’il est assoupi, fatigué par sa journée de travail derrière le bar et en salle.
Fernand est plutôt sec, limite désagréable. Il est du genre bourru… Pierrot, c’est le brave homme type. Il est sympa, tolérant, d’humeur égale… Tout en rondeurs, Nounours est jovial, blagueur (un peu trop), il a toujours un mot ou une histoire pour amuser la galerie… Pierrot et Nounours ont en commun un profond amour du ballon… de rouge, qu’ils consomment sans modération aucune.
Quant à Benjamin, le dormeur du bar, on verra plus tard la grande importance de son rôle. En « bon soldat » qu’il est, il se révélera comme étant l’élément pondérateur, le sage, le fédérateur.


Cette scène d’exposition passée, le noir se fait, permettant d’égrener près de la moitié de Chez Laurette, la chanson de Michel Delpech. Sans doute pour nous faire passer la nuit car nous nous retrouvons le lendemain matin, à l’ouverture du Bistrot.
Nous faisons alors connaissance un peu mieux avec Benjamin et nous découvrons successivement Monique, la femme de Fernand, et Franck, leur fils… Monique est visiblement une femme de caractère, dynamique et autoritaire tout en se montrant bienveillante. Quant à Franck, c’est le stéréotype de l’ado glandeur, un tantinet flemmard, qui pose sur ce petit monde du Bistrot un regard plutôt critique.


Voilà, on connaît tout le monde. La pièce va se dérouler en une succession de tableaux situés à différents moments d’une journée que nous allons passer en leur compagnie.
Le Bistrot du Village est une petite chronique. On a tous fréquenté un endroit comme celui-là avec ses personnages hauts en couleurs. La pièce a un petit côté « Brèves de comptoir », sans en abuser toutefois. On s’attache beaucoup plus à l’aspect humain des relations qui unissent ces six personnages. C’est ce qui en fait toute la force. On est touché au cœur par ces braves gens, simples, banals, qui ont les petits problèmes de tout le monde, qui parlent de tout et de rien, et beaucoup du (sale) temps qu’il fait.

Il ne nous faut pas longtemps pour les prendre en affection. On en connaît, on en fréquente des gens comme ça. On se conduit comme eux parfois… Les caractères sont fort bien dessinés. Chacun y joue sa propre partition. Chaque acteur est parfaitement à sa place et dans son rôle. Ils sont tous crédibles, authentiques. Sur le plan psychologique, il n’y a aucune fausse note.


Ce qui rend cette pièce encore plus intéressante c’est, d’une part, la jeunesse de son auteur et, d’autre part, le fait d’apprendre de sa bouche au moment des saluts que ce qu’on vient de voir était totalement autobiographique. Le Bistrot du Village, c’était celui de ses parents, à Bougival. Il n’a eu de cesse de raconter ce qu’il y avait vécu. Et il y a mis tout son cœur…
En effet, ce qui domine dans cette chronique, c’est l’amour et l’amitié qui s’en dégage. Cette belle amitié virile où la tendresse se cache pudiquement derrière les vannes. Et puis Franck a brossé un joli portrait de femme pour la seule actrice de ce sextuor, façon on ne peut plus explicite de déclarer tout son amour à sa mère.

Première œuvre, Le Bistrot du Village n’est certes pas la pièce du siècle, mais elle se laisse voir avec beaucoup de plaisir. Il y a là six beaux personnages qui nous offrent le meilleur d’eux-mêmes dans une histoire toute simple et pleine d’humanité. Franck Buirod est indubitablement un garçon à suivre…


Gilbert « Critikator » Jouin