Théâtre Michel
38, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 41 30
Métro : Havre-Caumartin / Auber
Une pièce de Jacques Rampal
Mise en scène de Pascal Faber
Costumes de Nathalie Vignon
Lumières de Sébastien Lanoue
Avec Gaëlle Billaut-Danno (Célimène), Pierre Azéma (Alceste
Le Cardinal)
Présentation :
Cardinal ! C’est, vingt ans plus tard, le destin qui attendait le
Misanthrope imaginé par Molière ! Voici Alceste dans la situation très
confortable d’un homme coupé d’un monde qu’il réprime de sa main de fer :
au 17ème siècle, le pouvoir d’un prélat est considérable. Vingt ans
après, il s’invite donc chez son ancienne amante pour trouver une jolie
quadragénaire qui, loin de la Cour qu’elle a « trahie » en épousant
un bourgeois, semble parfaitement comblée avec ses quatre enfants.
Mais qu’est donc venu faire l’égal de Mazarin chez cette
mère de famille sans histoire ? convaincu d’être l’ambassadeur de Dieu
auprès des hommes, Alceste décide de confesser cette brebis égarée, trop
heureuse pour être honnête. Cette « confession », tour à tour cocasse
et émouvante… tournera vite à la joute oratoire entre un janséniste ancré dans
son époque et une libertine avant l’heure, figure de proue, selon Alceste, d’un
18ème siècle qui arrive à grands pas…
Mon avis :
Hier, j’ai eu rendez-vous avec LE Théâtre. Le théâtre dans sa délicieuse
quintessence. C’est-à-dire quand tout est réuni pour que la soirée soit tout à
fait réussie. Quand, pendant près d’une heure et demie, vous avez la sensation
d’être dans une bulle, hors du temps, hors de la vie extérieure, tout entier
happé par ce qui est proposé sur la scène.
Dans Célimène et le
Cardinal, on a tout ce qui synthétise une excellente comédie : un
texte admirable servi par deux comédiens sensibles et impliqués. Il n’y a pas à
sire : une pièce en costumes et en alexandrins, ça a de la gueule ! D’autant
que grâce aux deux acteurs, on oublie très vite l’écriture en douze pieds pour
prendre le nôtre. Dit comme ça, ça fait un peu trivial, c’est pourtant la
vérité. Quel plaisir !
Le texte de Jacques Rampal est un bonheur. Pourtant, son
postulat de départ est plutôt osé. Imaginer les retrouvailles entre Alceste et
Célimène vingt ans plus tard, c’est un sacré risque. Presque un crime de
lèse-Molière. Or, je suis convaincu que l’auteur du Misanthrope eût bu du petit
lait (ou plutôt du chocolat, plus à en vogue à cette époque) à écouter ces vers
remarquablement troussés. Il n’aurait pas désavoué la parodie tant elle est
brillante, inspirée et, surtout, respectueuse des caractères brossés dans l’œuvre
originale… Tout comme Molière, Jacques Rampal est un fin connaisseur de l’âme
humaine, qu’elle soit masculine ou féminine. Ici, les profils psychologiques d’Alceste
et de Célimène sont finement traduits. Ce sont deux duellistes qui s’affrontent
dans un combat où les fleurets ne sont pas toujours mouchetés. Ou, si (fine) mouche
il y a, c’est du côté de Célimène qu’on la trouvera.
En effet, en tant que spectateur privilégié, on se régale d’assister
à ce combat où chacun, avec ses propres armes, se donne coup pour coup.
Alceste, rigide, misogyne, imbu de son pouvoir et un tantinet pervers, attaque
son adversaire frontalement. Ses assauts sont brutaux, faits pour briser puis
anéantir… Alors que Célimène, plus maligne, plus joueuse, plus vivante surtout,
pratique plus volontiers l’esquive tout en ne négligeant pas, lorsqu’elle
entrevoit une ouverture, de porter une botte percutante. Elle adore piquer et
re-piquer où ça fait mal… Leur opposition, c’est du noble art entre deux
stylistes. Jusqu’à la fin, on compte les points, sans savoir lequel des deux l’emportera.
Car chacun y laisse pas mal d’influx. Les blessures font mal de part et d’autre,
mais aucun des deux ne veut monter de fragilité. Et pourtant…
Pourtant, après l’émotion des retrouvailles, après cette
féroce échauffourée, aucun des deux n’a oublié les sentiments qui l’animaient
vingt ans plus tôt. Même s’ils s’efforcent de la contenir, la tendresse est
toujours là. Trouble pour lui, affection pour elle. Lui veut mettre l’âme en avant
alors que c’est le corps qui l’obsède. Elle, en féministe assumée, elle s’est affranchie
de ce tabou. C’est une femme libre. Libre de choisir ses amants, libre aussi du
carcan de la religion. Deux attitudes qui sont insupportables pour le Cardinal.
L’écriture de Célimène
et le Cardinal, ciselée, alerte et incisive, est d’une surprenante
modernité. Outre la satire de l’époque (Célimène prend la défense des « petits »,
critique le laisser-aller de la noblesse, fustige le mépris du haut clergé,
loue la force de travail des bourgeois), elle nous fait également penser à ces problèmes
actuels que sont la lutte des classes et les conflits religieux. On a ainsi un
pied dans la fin du 17ème siècle et l’autre dans le présent. On se
sent ainsi concerné de bout en bout.
Et puis, il y a ces deux formidables comédiens que sont
Gaëlle Billaut-Danno et Pierre Azéma. Ils sont tout entiers dans leur
personnage. Célimène, on l’a compris, est une femme intelligente. Elle aime la
vie sous tous ses aspects et elle y croque à belles dents. Elle a un port
altier, de la prestance. Et elle voit clair dans l’âme trouble d’un Alceste qui
n’a finalement pas changé en vingt ans. Elle lui reproche « cette rigueur
extrême, cet orgueil insensé », elle va jusqu’à le traiter de « fou »
et de « porc lubrique ». Gaëlle Billaut-Danno est frémissante de vie,
c’est une fière rebelle, mais elle ne dédaigne pas jouer aussi d’un pouvoir de
séduction qu’elle sait ensorcelant. Son jeu est tout en subtilité.
Pierre Azéma campe un prélat tout en rigidité, droit dans
ses bottes. Il se veut sans faiblesse alors qu’il n’est que tourment. Engoncé
dans sa raideur janséniste, il veut à tout prix mettre à ses genoux (au propre
comme au figuré) celle qui lui résiste aussi âprement. A ses remarques lucides,
il répond « blasphèmes ! ». Il la traite de « catin »
de « démon ». Il la menace d’excommunication. Mais au fond de lui, il
sait qu’il n’est pas de taille et que, finalement, c’est lui qui ira à Canossa…
Bref, pour jouer une partition aussi brillamment composée,
il fallait deux interprètes qui soient des virtuoses… Et ces deux là nous emportent
très haut. Que c’est beau le théâtre quand il nous apporte autant de
ravissement. Hâtez-vous de vivre et de partager un tel moment de grâce absolue !
Gilbert « Critikator » Jouin
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