mardi 22 décembre 2020

Hervé Vilard "Du lierre dans les arbres"

 


Editions Fayard

 306 pages

20 €

Sortie le 4 novembre 2020

 

Mon avis : Du lierre dans les arbres est le troisième volet de l’autobiographie d’Hervé Vilard.

J’avais bien sûr lu et apprécié les deux précédents et j’avais hâte de découvrir celui-ci car il aborde des années plus contemporaines, des années où je l’ai connu, d’abord professionnellement, puis amicalement. J’étais donc doublement curieux…

 Hervé Vilard a un style et un ton bien a lui. Il ne s’embarrasse pas de fioritures et de circonvolutions. Il ne va qu’à l’essentiel. Les phrases sont courtes, parfois réduites à deux ou trois mots ; l’écriture est saccadée, rythmée. En fait, il écrit comme il parle : cash. Il est sans concession, sans langue de bois. Il n’a aucune complaisance, ni avec les autres, ni avec lui-même.

 Dans ce livre écrit à la manière d’un journal de bord, Hervé est le spectateur de sa propre vie. Sa trop grande lucidité l’amène à se tenir en marge du monde qui l’entoure. Qu’il soit celui policé et hypocrite du showbiz, ou celui méfiant et « sournois » de la campagne. Il n’est dupe de rien… Résolument anti star system, il ne se livre à aucune compromission pour faire à tout prix partie du sérail. Il EST et se VEUT différent. Epris de littérature, de poésie et de musique classique, il est aux antipodes des clichés du « chanteur à minettes », qualificatif dont on l’avait affublé à la fin des années 60.

 Hervé est un aventurier. Il n’a peur de rien ni de personne. En vrai déraciné, sans attaches, il va où il veut quand il veut. Avide de rencontres, de nouveaux paysages, de nouvelles cultures, il a beaucoup voyagé. Particulièrement en Argentine et au Mexique. C’est d’ailleurs dans ce pays qu’au milieu des années 70, il va vivre une telle passion amoureuse avec Consuella qu’il va vouloir fonder une famille avec elle. Hélas, « Lalla » allait périr dans un accident de la route avec l’enfant qu’elle portait, ce « petit mulâtre » qu’il « réclamait de toute son âme »… Hervé ne sera jamais père.

C’est le début du livre.

Désormais, il le sait, il est plus que jamais une « âme seule ».




Avec son regard critique et détaché, il raconte ses nuits parisiennes. On y boit beaucoup, on consomme différents produits. Tout au long du premier tiers du livre, on croise de nombreuses célébrités qu’il encense ou démolit d’un mot. Heureusement, il reçoit le réconfort de belles amitiés, comme celle qu’il partage avec sa sœur de cœur, Nicoletta… La disparition de sa « marraine » et confidente Dalida, qu’il ressent comme un nouvel « abandon », est évoquée dans un chapitre où l’amour se teinte d’amertume.

 Et puis, Hervé va trouver un nouveau sens à sa vie : le presbytère de l’abbé Angrand, le prêtre qui l’a initié au catéchisme, à la littérature et à la musique lorsqu’il avait 11 ans, est à vendre à La Celette. Se sentant investi d’une mission sentimentale qui confine au mysticisme, il va dès lors n’avoir de cesse que d’en faire l’acquisition.

La chronique mondaine va se muer en chronique campagnarde. Dans ce petit coin perdu du Berry, il va vivre et écrire sa Mare au diable à lui.  

C’est là, enfin, qu’il va rencontrer Simone, sa voisine, dernier témoin de sa jeunesse berrichonne, qui va lui faire de nouvelles révélations sur sa mère. Il va nourrir pour elle un véritable amour filial qui tranche avec l’attitude distante des autres habitants qui ont du mal à gérer son statut de personne « qui passe à la télé ». Discrète et aimante, Simone va combler un temps ce manque de tendresse après lequel Hervé a toujours couru…

 Du lierre dans les arbres est remarquablement écrit. On sent qu’Hervé y a mis du temps, qu’il a dû beaucoup peaufiner pour élaguer le superflu et ne garder que l’essentiel. Hervé est un arbre solitaire qui, finalement, aura toujours été protégé par ces petites feuilles de lierre que constituent les belles rencontres qui ont émaillé son existence. Et, aujourd’hui, sa misanthropie, son désenchantement, semblent avoir fait place à une forme de sérénité, voire de sagesse.

 

mardi 1 décembre 2020

Sylvain Binet "Zooanthropie & Folie"

 


Livre d’art

Format A4 (21 x 29,7)

160 pages

En prévente https://www.papa-paper.com

Editions PapaPaper

Prix : 35 €

 

Mon avis : Le titre, volontairement très savant, de cet ouvrage en explique l’esprit et le double niveau de lecture. En effet, lorsque qu’on lit la définition du terme « zoanthropie », on apprend qu’il s’agit d’une « affection mentale dans laquelle le sujet se croit changé en animal. Ce terme appartient au domaine psychiatrique »… En y ajoutant un « o » pour introduire le mot « zoo », Sylvain crée un néologisme qui caractérise doublement le contenu de son livre. Donc « zooanthropie » appartient non seulement au domaine psychiatrique (car c’est une dinguerie), au domaine animalier et, se doit-on d’ajouter, au domaine artistique.

Vingt ans… Sylvain Binet a passé vingt ans à se consacrer à sa passion du dessin sous toutes ses formes avant d’enfin croiser son destin.

Son destin était écrit dans le (logi)ciel !


Tel un alchimiste, il a longtemps cherché dans son atelier-labo jusqu’au jour où il a enfin pu changer la mine de plomb de son crayon en or. Et en originalité. Grâce à une souris ! Car c’est dans l’informatique avec sa palette graphique aux ressources infinies qu’il a trouvé son identité picturale.

Sylvain Binet est un créateur frénétique, un stakhanoviste compulsif, un esthète absolu. On a l’impression qu’il met sa vie en jeu dans chaque tableau qu’il compose. Chacune de ses productions est une déclaration d’humour corollée à une sollicitation d’amour.

Il conçoit une œuvre unique, hors mode, en marge ; une œuvre subtile et flamboyante qui n’appartient qu’à lui.

Lorsqu’on croise un de ses tableaux, on n’hésite pas une seconde pour l’identifier et s’écrier : C’est du Binet !




Tous ses tableaux sont de la même veine mais aucun ne se ressemble.

Sylvain Binet nous restitue à l’aide de sa palette graphique, un monde onirico-réaliste. Artiste ambivalent, donc tout simplement humain, il impose sa patte, son identité et son style propres. A l’image des animaux qu’il dessine, il est un instinctif. Il se laisse aller à son inspiration du moment. Il travaille sur chacun de ses tableaux avec le même enthousiasme que si c’était le premier, et la même désespérance perfectionniste que si c’était le dernier. Si bien qu’il n’a pratiquement jamais le temps d’être satisfait de lui. Il peut seulement justifier de sa rigueur et de sa sincérité.

 Le politiquement correct n’est pas dans ses gènes. Et il ne se gêne pas pour le faire voir et le faire-savoir. Sylvain Binet est un épicurien de l’art. Il cultive l’esthétisme de façon d’abord ludique et jouissive puis, tout naturellement, viscéralement, il ne peut s’empêcher de glisser dans son œuvre quelques touches d’irrévérence et de provocation. C’est subtil, ce n’est pas appuyé, mais c’est dit ! Il y prend visiblement du plaisir et il le partage. Sa générosité farouche n’a d’égale que sa quête d’amour. Sylvain est un « crocoeur » de vie.



Bien qu’animaliers, ses portraits, saisissants de réalisme, font défiler sous nos yeux l’humanité sous tous ses aspects, des plus nobles aux plus inquiétants. Il boucle la boucle avec Darwin. Dans L’Origine des espèces, le singe est devenu homme ; chez Sylvain, l’homme redevient singe. And the « (Dar)winner is…

Vous retrouverez également dans cet ouvrage quelques clins d’œil amicaux de la part de Christian Binet (Le papa des « Bidochon »), Jérémy Ferrari, Guillaume Bats, Laura Laune, Arnaud Tsamère, Vincent Moscato…

samedi 10 octobre 2020

"Touche pas à mon poste !" Le Jeu

 


Hors Collection                                                                     

Plateau de jeu

6 joueurs

130 fiches

500 questions sur la télévision

100 défis et gages

17,90 €

 Sortie le 8 octobre 2020

Pour accompagner la sortie du livre sur les 10 ans de TPMP, nous avons créé un jeu de société, un peu sur le principe du Jeu de l’Oie ou du Trivial Pursuit, mais agrémenté de gages et de défis à accomplir tout au long du parcours.

100 questions sur TPMP, 100 sur le PAF (Paysage Audiovisuel Français), 100 sur les émissions, 100 sur les séries télé et 100 sur les « peoples » du petit écran.

Un divertissement ludique pour tester vos connaissances sur le monde de la télévision.

jeudi 8 octobre 2020

Dix ans déjà !

 

Editions Hors Collection

192 pages


19,90 €

 

Sortie le 8 octobre 2020

 

Oyez, oyez braves gens…

Aujourd’hui sort mon 24ème livre 10 ans déjà !, qui raconte les dix ans de l’émission Touche pas à mon poste ! (TPMP).

On peut penser et dire ce que l’on veut à propos de Cyril Hanouna, personnage clivant s’il en est, mais en créant le 1er avril 2009 Touche pas à mon poste !, il a révolutionné le petit monde de la télévision. Il a joyeusement cassé les codes, transgressé les conventions et même chamboulé les horaires de début des prime times.

Capitaine d’un gros bateau comptant 120 membres d’équipage à plein temps, Cyril, en dépit des apparences, ne navigue pas à vue ; même s’il préfère le cabotage à la ligne droite. La seule chose qu’il laisse au hasard, c’est son sens de l’improvisation. Sinon, tout est minutieusement préparé et travaillé en amont.

Pour célébrer le dixième anniversaire de cette émission déjà culte, j’ai rencontré tous ceux qui la construisent et l’animent jour après jour : Cyril Hanouna, bien sûr, Lionel Stan, le directeur général de H2O Productions, Gad Elmaleh le parrain, mais aussi toutes celles et ceux qui travaillent dans l’ombre (les producteurs, les auteurs, la programmatrice…) et, évidemment, les chroniqueurs (Valérie Bénaïm, Benjamin Castaldi, Julien Courbet, Christine Kelly, Fabien Lecoeuvre, Jean-Michel Maire, Bernard Montiel, Isabelle Morini-Bosc, Eric Naulleau, Kelly Vedovelli, Gilles Verdez, etc…), sans oublier le chauffeur de salle, la coiffeuse, l’agent de sécurité, etc…).

Parcours professionnels, confidences, anecdotes, relations avec Cyril Hanouna… je me suis surtout attaché à l’aspect humain.

mardi 26 mai 2020

L'Enigme de la chambre 622




Editions de Fallois
576 pages
Prix : 23 €

Sortie le 27 mai 2020

L’histoire : Une nuit de décembre, un meurtre a lieu au Palace de Verbier, dans les Alpes suisses. L’enquête de police n’aboutira jamais.
Des années plus tard, au début de l’été 2018, lorsqu’un écrivain se rend dans ce même hôtel pour y passer ses vacances, il est loin d’imaginer qu’il va se retrouver plongé dans cette affaire.
Que s’est-il passé dans la chambre 622 du Palace de Verbier ?
Avec la précision d’un maître horloger suisse, Joël Dicker nous emmène enfin au cœur de sa ville natale au fil de ce roman diabolique et époustouflant, sur fond de triangle amoureux, jeux de pouvoir, coups bas, trahisons et jalousies, dans une Suisse pas si tranquille que ça…

Mon avis : Je suis comme tout le monde : la lecture de La vérité sur l’affaire Harry Québert m’avait réellement enthousiasmé. Alors, pensez, l’annonce de la sortie du nouvel ouvrage de Joël Dicker au titre très alléchant, L’Enigme de la chambre 622, m’a émoustillé. La découverte d’un nouveau livre d’un auteur qu’on apprécie, c’est comme un rendez-vous amoureux. On est tout excité. On a hâte de l’effeuiller.
Il est venu, j’ai lu, je n’ai pas été convaincu…

Circonspect, je suis circonspect.
Vous prenez une bouteille de vodka Beluga, vous la videz dans un grand shaker, vous y ajoutez un zeste de Gaston Leroux, un zeste d’Agatha Christie, un zeste de Fantômas et un zeste d’Eugène Sue, vous secouez le tout et vous obtenez un cocktail qui pourrait s’appeler « Les Mystères de Genève »… En effet, j’ai perçu ce livre de près de 600 pages comme un roman-feuilleton du 19ème siècle. Il est construit d’une telle façon qu’on est avide de connaître ce qui va se passer dans le paragraphe ou le chapitre suivants.

Voici donc tout-à-trac les impressions que j’ai tirées de ma lecture :

Ce que j’ai aimé :
-          Un style qui ne s’embarrasse pas de fioritures, qui va à l’essentiel, ce qui donne une narration très rythmée.
-      Retrouver la marque de fabrique de Joël Dicker : des allers et retours incessants entre le présent et le passé ; des destins et des histoires qui s’entrecroisent.
-     L’aspect « matriochkas » (poupées russes) du scénario, à savoir des événements qui s’emboîtent les uns dans les autres. On croit être en possession de tous les éléments et, bing, il nous ressort une nouvelle intrigue, il ajoute une nouvelle couche à un mille-feuilles pourtant bien garni !

Ce que j’ai moins aimé :
-          Un début un peu simpliste.
-   Des comportements peu logiques. Celui de Scarlett, par exemple. Son attitude face à « l’Ecrivain » n’est pas crédible : elle s’impose à lui, lui dicte sa conduite, se mêle de tout, se montre intrusive et envahissante. C’est madame « sans-gêne ». On ne sait qui elle est vraiment, ni d’où elle vient… Il y a celui d’Arma aussi. Une domestique qui se permet de donner des ordres à ses patrons, c’est un tantinet déplacé.
-       Des dialogues qui sonnent faux. Les échanges entre Macaire et Tarnogol sont peu plausibles. Le vocabulaire de Macaire est à la limite du trivial, peu en phase avec ce que devrait être un échange entre deux sommités de la haute finance… Tous les dialogues manquent d’ailleurs en général de hauteur ; ils s’apparentent plus à de la BD qu’au roman.
-     Un ensemble de personnages hyper caricaturaux, peu vraisemblables. On a l’impression d’avoir affaire à des enfants tant ils manquent d’épaisseur de de psychologie. Ils sont naïfs, fantasques, capricieux, cul-cul la praline sur le plan sentimental.
-     C’est étonnant, mais toutes les femmes mêlées à cette histoire sont sublimes ! Que des physiques de rêve. Il n’y en a même pas une « moyenne » et encore moins de quelconque.
-          Les nombreuses digressions-hommages à Bernard de Fallois, pour louables qu’elles soient, alourdissent le récit.
-    On sent parfois poindre chez « L’Ecrivain », une certaine autosatisfaction qui frise l’immodestie.

En conclusion : Si on ampute du squelette du livre les quelques côtes (trop) flottantes qui l’encombrent et si on ne s’en tient qu’à la colonne vertébrale, L’Enigme de la chambre 622 se lit sans déplaisir. On se laisse prendre par le suspense, les multiples rebondissements, les trahisons, les situations rocambolesques. Joël Dicker nous livre habilement quelques indices, mais il a l’art de les noyer dans un flot de petits affluents qui brouillent les pistes… Ce qui fait qu’il nous tient en apnée jusqu’à la fin.
Les ficelles sont tout de même bien grosses, il y a beaucoup de redondance et de divagations superfétatoires. Bref, je suis convaincu que, réduit à 400 pages, ce polar eût gagné en efficacité.


vendredi 7 février 2020

Les Ritals

La Scène Parisienne
34, rue Richer
75009 Paris
Tel : 01 40 41 00 00
Métro : Grands Boulevards / Cadet

Salle Anémone
Jusqu’au 26 avril 2020

D’après le livre de François Cavanna
Adaptation de Bruno Putzulu
Mis en scène par Mario Putzulu
Lumières de Vincent Lemonnier
Musique originale de Grégory Daltin
Interprété par Bruno Putzulu et Grégory Daltin à l’accordéon (en alternance avec Aurélien Noël)

Présentation : François Cavanna livre le récit drôle et émouvant de son enfance de petit Italien émigré, fils de maçon, installé avec sa famille sur les bords de la Marne. Nogent, les guinguettes, les bals populaires, tout cela en marge du Front populaire.
Bruno Putzulu et Grégory Daltin donnent à entendre la drôlerie, la tendresse et le souffle de vie de ce truculent et décapant roman autobiographique. Du Cavanna, quoi !
Le bonheur populaire, l’élégance prolétarienne et la richesse des humbles : c’est cela Les Ritals !

Mon avis : En quittant la charmante salle Anémone de La Scène Parisienne, je me suis posé la question de savoir quel élément de ce spectacle je devais mettre le plus en exergue. Je n’ai pas hésité une seconde. Si je devais hiérarchiser mes impressions, c’est la performance de Bruno Putzulu que je mets en avant. Totalement habité par son personnage, sans cesse en mouvement, déployant une palette de jeu d’une richesse époustouflante, il nous livre une prestation de haut vol.
On le sent profondément impliqué dans la narration de l’enfance de François Cavanna. Ses origines sardes, par son père, y sont sans doute pour beaucoup. Il a dû opérer une forme de rétro transfert très compréhensible. Pourtant, quelle gageure que d’essayer d’adapter Les Ritals de François Cavanna, une autobiographie pleine de vie et haute en couleurs.
L’affiche est maline, évocatrice : Bruno Putzulu se tient tout au bord, comme s’il osait à peine s’immiscer dans l’espace, impressionné qu’il est par l’œil bleu perce-muraille de François Cavanna. Que de respect dans cette attitude !


Face à ce récit bouillonnant, truculent, Bruno Putzulu a dû faire un choix. Il le reconnaît d’ailleurs en toute sincérité à la fin : il s’est beaucoup concentré sur la mémoire du papa du petit François, Luigi, un maçon modeste et travailleur. Il en brosse un portrait attachant, drôle et émouvant. Ce spectacle qui couvre dix ans de l’enfance de l’auteur – de 6 à 16 ans – pendant les années 30, aurait pu être sous-titré « Mon père, ce héros » ou « La Gloire de mon père »… 

Le racisme anti-Italiens, pourtant vivace à cette époque à Nogent-sur-Marne, est juste effleuré. Bruno Putzulu évoque néanmoins les insultes, les coups échangés, le repli communautaire. Mais il ne manque pas de rendre un vibrant hommage à l’éducation nationale. François Cavanna était le premier de sa classe. Ses instits l’ont éveillé, instruit, lui ont donné la passion de la lecture. Il allait devenir un des plus prolifiques auteurs contemporains avec 70 livres en tous genres. Pierre Desproges, qui l’admirait, le qualifiait de « Rabelais moderne ».


Au-delà de l’amour filial, omniprésent, ce spectacle déborde de tendresse, d’humanité, d’humour, de mélancolie avec, de temps à autre, quelques sentiments de révolte qui nous rappellent que, toute sa vie, François Cavanna s’est érigé en grand défenseur des valeurs républicaines et que, toute sa vie, il a combattu toutes les formes d’injustice.
Personnellement, ayant eu le bonheur de l’interviewer à plusieurs reprises, je garde le souvenir d’un homme doux, profondément bon, profondément humain, traitant ses colères avec beaucoup de dérision.


Au son d’un accordéon qui habille subtilement chaque séquence, l’interprétation « putzulienne » des Ritals nous happe immédiatement. Sa gestuelle, très physique, est inventive, proche souvent du mime. Comédien hors pair (mais surtout pas « hors père ») il est tout entier au service de sa narration.
Bref, ses Ritals font de nous les témoins d’une intense et picaresque tranche de vie. Cette trajectoire, pourtant si personnelle, touche à l’universel.

Gilbert "Critikator" Jouin

samedi 25 janvier 2020

Jérémy Ferrari "Anesthésie générale"


La Maison de la Mutualité
24, rue Saint-Victor
75005 Paris
Tel : 08 99 23 76 48
Métro : Maubert Mutualité

Seul en scène écrit et interprété par Jérémy Ferrari
Mise en scène de Jérémy Ferrari
Collaboration artistique : Mickaël Dion

Présentation : Après la religion et la guerre, Jérémy Ferrari s’attaque à la santé ! Une nouvelle thématique explosive…

Mon avis : Comme attendu, la très confortable salle de la Maison de la Mutualité est pleine à craquer pour la première parisienne d’Anesthésie générale, le tout nouveau spectacle de Jérémy Ferrari. Lorsque « l’humoriste », ainsi qu’il se définit lui-même, fait son apparition sur scène dans un déluge de son et de lumière, il reçoit un accueil de folie.
Particulièrement affûté, Jérémy sautille sur place à la façon d’un sportif se préparant à prendre le départ d’une course de fond. Car le champion qu’il est va tenir la scène précisément le temps d’un marathon : un peu plus de deux heures !

On a été averti via les médias que la thématique de ce troisième seul en scène était la santé. Mais dès ses premières phrases, il nous prend de court. Ça va être surtout sa propre santé - surtout mentale- qui va être le sujet principal de ce spectacle. Car la première confidence qu’il nous livre est on ne peut plus intime puisqu’il s’agit d’une tentative de suicide !... Et il réussit la gageure de nous faire rire avec un événement dramatique. Il revit et réinterprète pour nous ce moment où sa vie aurait pu basculer (au sens propre).
Et, on va le découvrir au fur et à mesure, une grande moitié du spectacle est consacrée à son mal-être, à ses psychoses, à ses addictions, à ses pathologies. Petit à petit, nous ne sommes plus de simples spectateurs ; nous nous sentons plutôt comme des proches venus, sans le savoir au départ, au chevet d’un grand malade en phase de rémission… Je n’en dirai pas plus. Son témoignage est si fort, si inattendu qu’il nous cloue sur notre fauteuil. Alors que tout ce qu’il nous confesse est terrible et poignant, grâce à sa formidable autodérision, ses talents aujourd’hui affirmés de comédien, il parvient à rendre drôles ses vingt ans d’errance.


Avec une précision quasi chirurgicale, il dissèque au scalpel tous les dysfonctionnements cérébraux qui lui polluent le cerveau. Il va jusqu’à l’os et il en tire une substantifique moelle absolument irrésistible. Sans aucun temps mort, il enchaîne les situations.

Voici ce que je mets en exergue dans ce spectacle :
Une séquence de narcissisme tout à fait jubilatoire… Le bel hommage rendu à son ami-frère-associé Mickaël Dion... Son cynisme réjouissant lorsqu’il s’en prend aux pauvres… Son goût pour les images peu ragoûtantes quand il démystifie l’homéopathie… Son exigence de précision et de véracité dans ses recherches scientifiques (quand il brandit le gros livre rouge qu’est le Code de la santé publique, on sait qu’il l’a étudié à fond)… Son appétence chronique pour l’humour un peu plus foncé que noir… Ses indignations délicieusement empreintes de mauvaise foi… Sa séquence « animalière » qui déclenche une colère féroce sur l’accueil que l’on fait à ses exercices de mime… Son sens de la pédagogie qui fait que, paradoxalement, son Anesthésie générale a le don d’éveiller nos consciences ; particulièrement sur les agissements scandaleux de l’industrie pharmaceutique… Ce grand moment de schizophrénie puissance 4 lorsqu’il fait dialoguer entre eux ces intrus qui cohabitent dans son cortex ; quelle virtuosité !... Et, enfin, cette émouvante et superbe anaphore : « Bonjour, je suis Jérémy Ferrari… », qui vient clôturer son spectacle et qui provoque une standing ovation chaleureuse et surtout, spontanée...
Et puis, comme tout le public, j’ai adoré le clin d’œil au spectacle précédent en retrouvant la table du sketch sur le pseudo terroriste kamikaze, une image qui est encore dans nos têtes. Quelle judicieuse idée que de re-convoquer Jawad, le crétin magnifique, pour le replacer dans l’univers hospitalier !


En conclusion, Anesthésie générale, cette mise à nu vertigineuse, est une sacrée claque. Il faut un sacré courage pour se dévoiler ainsi. C’est un spectacle charnière pour Jérémy Ferrari. Un passage obligé pour se libérer de vingt ans de difficulté à vivre normalement malgré le succès. Une thérapie nécessaire grâce à laquelle, en nous la faisant partager, il dresse autant de garde-fous contre une éventuelle rechute. Maintenant qu’on sait, il n’a plus le droit à l’erreur. Nous sommes complices. Il nous fait confiance. On a besoin de lui autant qu’il a besoin de nous.

On peut donc supposer qu’il a réussi à vendre son deux-pièces à Beyrouth au meilleur moment, car vu ce qui se passe actuellement au Liban, il ne fait pas bon y résider. Déjà libéré de ce souci immobilier, aujourd’hui, grâce à cette véritable cure que constitue ce spectacle, enfin débarrassé de la plupart de ses tourments, on va progressivement découvrir un tout nouveau Jérémy Ferrari. Plus apaisé et toujours aussi créatif. C’est tout ce qu’on lui souhaite, Hallelujah bordel !...

Gilbert « Critikator » Jouin