jeudi 27 septembre 2018

Un truc entre nous


Comédie Bastille
5, rue Nicolas Appert
75011 paris
Tel : 01 48 07 52 07
Métro : Richard Lenoir / Chemin Vert

Une pièce de Clément Naslin
Mise en scène par Agnès Boury
Mise en magie de Clément Naslin
Consultant magie : Fred Razon
Lumières de Sébastien Lanoue
Costumes de Sandra Grélier
Musique de Romain Trouillet

Avec Clément Naslin et Sabine Perraud

Présentation : Un truc entre nous est une pièce et un spectacle de magie, à moins que ce ne soit un spectacle de magie et une pièce.
Que se passe-t-il quand l’assistante du magicien décide de prendre le contrôle du spectacle ? Sous nos yeux amusés, Clément va devoir céder du terrain à sa partenaire. Entre le magicien et l’assistante, le torchon brûle, ça fuse, ça balance, et ça fait des étincelles…

Mon avis : Tout comme le PSG, Clément Naslin « est MAGIQUE » ! On connaissait le comédien, sa drôlerie, on connaissait aussi l’auteur (Jackpot), mais on ignorait qu’il était féru de magie depuis son plus jeune âge. C’est ce que l’on découvre dans son nouveau spectacle, Un truc entre nous.
Ce titre, très efficace, possède plusieurs niveaux de lecture. Il y a d’une part les « trucs » propres aux tours de magie, il y a en outre ce petit « truc » qui fait qu’il y a une attirance entre deux personnes, et il y a aussi ce « truc » complice qui s’établit entre des artistes et le public. D’où l’importance du « nous » qui peut autant s’appliquer au couple qui évolue sur scène qu’aux spectateurs. Car ce spectacle est très interactif. Sabine et Clément nous sollicitent, nous interpellent, nous prennent à témoin. Nous sommes aux premières loges pour assister à un spectacle qui, lui-même, est double puisqu’il mêle très intelligemment le théâtre et la magie. C’est aussi habile que fascinant car nous somme sans cesse partagés entre l’émerveillement et l’étonnement que nous procurent d’excellents tours et l’intérêt suscité par la relation entre le magicien et son assistante.


Au départ, Clément et Sabine ne se trouvent pas au même niveau. Lui, il est LE magicien, le maître, celui qui sait et celui qui fait… Elle, elle est son faire-valoir, sa caution charme, sa potiche quoi. Mais la belle a du caractère. Elle cherche à exister. Son ambition est d’abord d’être considérée comme une partenaire et non plus comme une assistante. Mais Clément n’a pas envie de se voir piquer la vedette. S’ensuit donc un affrontement, un ping-pong verbal à grand coups de vannes et de chamailleries. Or, tout en se houspillant et en se balançant des vacheries sous formes d’épithètes bien choisis, ils accomplissent comme si de rien n’était un grand nombre de tours de passe-passe qui nous laissent ébaubis. C’est qu’il y a du niveau dans le domaine. Escamotages, artifices, illusions, mentalisme, manipulations, bruitages, prestidigitation, tours filmés et projetés avec gros plans sur les mains… tout y est. Mais comme ces prouesses sont insérées au cœur de la comédie, elles en font finalement partie intégrante. Elles agrémentent la pièce, la rythment, la diversifient pour en faire un spectacle franchement original.


Les deux comédiens s’en donnent à cœur joie. Les dialogues sont vifs, drôles et percutants. Tout est construit de façon à nous troubler l’esprit. Pendant qu’on se focalise sur leur querelle, notre attention est un moment détournée. Si bien qu’ils en profitent pour nous surprendre avec un tour que l’on n’a pas vu venir. On a beau être sur nos gardes on se fait quand même avoir. C’est vraiment bluffant.
Un truc entre nous est un fort bon spectacle qui s’adresse à tous les publics. C’est plaisant, réjouissant, sympathique, immensément drôle, remarquablement interprété. On ne s’ennuie pas une seconde. On passe un très, très bon moment à la Comédie Bastille.

Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 18 septembre 2018

Jimmy Lévy "Adoration"


Cherche Midi
176 pages
17 €

Un an après le déconcertant et très réussi Petites reines, Jimmy Lévy vient de sortir son deuxième roman, Adoration.
Avant même d’entrer dans le vif du sujet, une évidence s’impose : nous tenons avec Jimmy Lévy une sacrée plume, un grand écrivain. Son style, que l’on retrouve avec une gourmandise teintée de fascination, est riche, foisonnant, impétueux. C’est un véritable stakhanoviste du verbe, un amoureux de la langue, un orpailleur qui s’acharne à n’extraire que les pépites qui émergent dans le grand tamis du vocabulaire pour nous les restituer dans l’écrin de son roman. L’écriture de Jimmy Lévy est un coup de poing ; ou plutôt un enchaînement ininterrompu d’uppercuts et de petits crochets qui vous frappent le cœur et l’esprit jusqu’à vous étourdir et vous laisser exsangue. Lorsqu’on referme son ouvrage, saoulé de coups, on est proche du K.O..

Trêve de compliments, abordons donc ce deuxième opus, Adoration. D’abord, il est judicieux de vérifier la définition du mot adorer : « Rendre un culte à un dieu, à un objet divinisé »…
Les 176 pages de ce livre ne sont que cela. C’est la description d’une passion. Mais une passion si exacerbée, si jusqu’au-boutiste, si dévastatrice, qu’elle se confine en « adoration ».
La relation entre le narrateur et « L » (Elle ?), va bien au-delà de la simple histoire d’amour. Nous sommes dans un cas quasiment pathologique d’une dévotion qui frise l’asservissement. Mais, bien sûr, - sans cela il n’y aurait pas de roman - un asservissement totalement consenti et assumé. Il y a même un aspect masochiste.

Ce qui est flagrant, c’est la propension que possède le narrateur à se dédoubler. Il est tout autant la victime et le témoin. En tant que témoin, il analyse avec une froideur clinique sa propre descente aux enfers. Pour reprendre une métaphore qu’il utilise, il est à la fois le conducteur et la victime d’un camion fou qui va tout écraser sur son passage… Jimmy Lévy est un médecin légiste du cœur. Il n’écrit pas, il dissèque. Sa plume est un scalpel qui fouille et touille dans les tréfonds de l’âme.
Pratiquement avant de la vivre, il sait que cette passion va être toxique. Il va en déguster les fruits amers avec une avidité inquiétante. Il y a chez lui une irrépressible volonté sacrificielle, un don de lui qui, il le pressent, peut aller jusqu’à son anéantissement. Son « adoration » n’a rien de positif. Elle est pernicieuse, nocive, mortifère.
Il ne s’épargne et ne nous épargne rien. Ce livre est âpre. Il oscille entre le réel et l’irrationnel, entre le fantasme et la réalité. Jimmy Lévy utilise intelligemment la technique du flashback. Avec un sens inné de la rupture, il nous entraîne sur une balançoire qui passe mécaniquement de l’ombre à la lumière. C’est très habile car cela évite l’écueil de la linéarité et du redondant.

On sent qu’il FALLAIT qu’il se débarrasse une bonne fois pour toutes de cette sombre histoire, de cette parenthèse désenchantée de sa vie. Ce livre lui permet de refermer une plaie, chaque mot étant une aiguille qui lui a permis d’en suturer les lèvres. Il reste aujourd’hui une cicatrise rougeâtre qu’il trimballera inexorablement. Mais ce n’est plus qu’une cicatrice… Il va pouvoir enfin passer à autre chose et se consacrer plus sereinement au métier pour lequel il était programmé, celui d’écrivain… Ainsi libéré, je suis convaincu qu’il n’a pas fini de nous surprendre.

Gilbert « Critikator » Jouin