mardi 18 septembre 2018

Jimmy Lévy "Adoration"


Cherche Midi
176 pages
17 €

Un an après le déconcertant et très réussi Petites reines, Jimmy Lévy vient de sortir son deuxième roman, Adoration.
Avant même d’entrer dans le vif du sujet, une évidence s’impose : nous tenons avec Jimmy Lévy une sacrée plume, un grand écrivain. Son style, que l’on retrouve avec une gourmandise teintée de fascination, est riche, foisonnant, impétueux. C’est un véritable stakhanoviste du verbe, un amoureux de la langue, un orpailleur qui s’acharne à n’extraire que les pépites qui émergent dans le grand tamis du vocabulaire pour nous les restituer dans l’écrin de son roman. L’écriture de Jimmy Lévy est un coup de poing ; ou plutôt un enchaînement ininterrompu d’uppercuts et de petits crochets qui vous frappent le cœur et l’esprit jusqu’à vous étourdir et vous laisser exsangue. Lorsqu’on referme son ouvrage, saoulé de coups, on est proche du K.O..

Trêve de compliments, abordons donc ce deuxième opus, Adoration. D’abord, il est judicieux de vérifier la définition du mot adorer : « Rendre un culte à un dieu, à un objet divinisé »…
Les 176 pages de ce livre ne sont que cela. C’est la description d’une passion. Mais une passion si exacerbée, si jusqu’au-boutiste, si dévastatrice, qu’elle se confine en « adoration ».
La relation entre le narrateur et « L » (Elle ?), va bien au-delà de la simple histoire d’amour. Nous sommes dans un cas quasiment pathologique d’une dévotion qui frise l’asservissement. Mais, bien sûr, - sans cela il n’y aurait pas de roman - un asservissement totalement consenti et assumé. Il y a même un aspect masochiste.

Ce qui est flagrant, c’est la propension que possède le narrateur à se dédoubler. Il est tout autant la victime et le témoin. En tant que témoin, il analyse avec une froideur clinique sa propre descente aux enfers. Pour reprendre une métaphore qu’il utilise, il est à la fois le conducteur et la victime d’un camion fou qui va tout écraser sur son passage… Jimmy Lévy est un médecin légiste du cœur. Il n’écrit pas, il dissèque. Sa plume est un scalpel qui fouille et touille dans les tréfonds de l’âme.
Pratiquement avant de la vivre, il sait que cette passion va être toxique. Il va en déguster les fruits amers avec une avidité inquiétante. Il y a chez lui une irrépressible volonté sacrificielle, un don de lui qui, il le pressent, peut aller jusqu’à son anéantissement. Son « adoration » n’a rien de positif. Elle est pernicieuse, nocive, mortifère.
Il ne s’épargne et ne nous épargne rien. Ce livre est âpre. Il oscille entre le réel et l’irrationnel, entre le fantasme et la réalité. Jimmy Lévy utilise intelligemment la technique du flashback. Avec un sens inné de la rupture, il nous entraîne sur une balançoire qui passe mécaniquement de l’ombre à la lumière. C’est très habile car cela évite l’écueil de la linéarité et du redondant.

On sent qu’il FALLAIT qu’il se débarrasse une bonne fois pour toutes de cette sombre histoire, de cette parenthèse désenchantée de sa vie. Ce livre lui permet de refermer une plaie, chaque mot étant une aiguille qui lui a permis d’en suturer les lèvres. Il reste aujourd’hui une cicatrise rougeâtre qu’il trimballera inexorablement. Mais ce n’est plus qu’une cicatrice… Il va pouvoir enfin passer à autre chose et se consacrer plus sereinement au métier pour lequel il était programmé, celui d’écrivain… Ainsi libéré, je suis convaincu qu’il n’a pas fini de nous surprendre.

Gilbert « Critikator » Jouin

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