lundi 26 mai 2014

Isabelle Boulay "Merci Serge Reggiani"


Chic Musique / Universal / Polydor


Je tiens depuis belle lurette Isabelle Boulay pour une de nos toutes meilleures chanteuses, sinon la meilleure. Sa voix, modulable et musicale à souhait, est d’une incomparable qualité. En outre, non contente d’être une formidable artiste, Isabelle est une belle âme, une belle personne. Elle est généreuse, altruiste, sincère, drôle, modeste. Revendiquant son statut d’interprète, elle n’aime rien tant que de se glisser dans les univers des grand(e)s de la chanson, d’hier comme d’aujourd’hui. Elle fait merveille dans les reprises et dans les duos. Sans doute, à mon avis, par trop d’humilité, par trop d’admiration. Mais, en même temps, elle se fait vraiment plaisir. Mon album de chevet, celui où, pour moi, elle touche au sublime, date de 2000 ; il s’appelle Scènes d’amour. 17 chansons dont 13 duos franco-québécois absolument superbes.

L’Absence de Serge Reggiani, qui nous a quittés en juillet 2004, lui est toujours aussi douloureuse. Elle avait rencontré un an plus tôt celui qu’elle l’admirait depuis ses 16 ans. Peut-être parce qu’il avait L’air d’une chanson… Elle avait connu le bonheur de chanter avec lui sur la scène du Palais des Congrès. Ils n’auront pas eu le temps de former un Vieux couple. Le destin en a décidé autrement… Ces dix ans de Solitude, elle les a comblés en rêvant De quelles Amériques ? 
L’amour qu’elle portait à L’Italien, n’était pas à classer parmi Les amours sans importance. Il aurait pourtant suffi de presque rien, d’un peu de temps seulement, pour qu’un profond sentiment filial les unisse. Il l’aurait invitée à un Déjeuner de soleil, il lui aurait payé un verre. La considérant comme sa Fille, il lui aurait inévitablement raconté Les mensonges d’un père à son fils, à son Petit garçon. Raconter des histoires et les peindre, c’était sa Liberté à lui, sa façon d’esquiver les saloperies que le destin avait sournoisement semées sur son parcours.


Le 19 mai dernier, est sorti Merci Serge Reggiani, un album hommage à un chanteur qui, comme Piaf, lui a « donné le goût du métier d’interprète ». Elle était en train de préparer un album de chansons originales quand, soudain le besoin de remercier Serge Reggiani s’est fait irrépressible, plus impérieux que tout le reste. Elle est comme ça, Isabelle, elle sait remercier. C’est dans son éducation, dans ses gènes. C’est avec tout son cœur qu’elle se met au service d’un répertoire de très haut niveau. Avec des textes forts, sensibles, émouvants, parfois souriants, comme L’Italien… On la sent comme missionnée par cet hommage. D’ailleurs, quand elle évoque ce qui l’a poussée à l’enregistrer, elle utilise le terme de « devoir »…
Isabelle ne pouvait qu’être en amour pour un homme et un artiste comme celui-là. Un écorché vif au cœur saignant mais au sourire irrésistible. Fataliste sûrement.
La pochette est d’une sobriété volontaire. Toute blanche, ornée du dessin d’une rose que Serge lui avait dessinée et signée. En signe de déférence, le nom d’Isabelle Boulay, apparaît en tout petit au-dessus de « Merci Serge Reggiani ». C’est tout Isabelle, ça. S’effacer devant ceux qu’elle admire et affectionne.


Ces dix ans passés étaient nécessaires pour s’autoriser ces reprises. Isabelle a aujourd’hui accumulé le vécu nécessaire à l’appropriation de chansons aussi profondes,  aussi adultes. La légitimité, elle l’avait (elles sont rarissimes les chanteuses qui se situent à un tel niveau d’excellence), mais il fallait aussi une certaine maturité pour « embrasser un répertoire si viril ». Le résultat est superbe. La discrétion des arrangements permet de mettre très en avant les subtilités vocales de la chanteuse… Bien sûr, il est impossible d’attendre de la part d’Isabelle la même intensité que mettait Serge dans ses interprétations. Ses qualités de comédien, son phrasé et sa couleur vocale apportaient à ses prestations une dimension unique. Serge vivait ses chansons, il les jouait. Pour les plus dramatiques, on avait l’impression qu’il les laissait sourdre de lui comme d’une plaie. Car, ne l’oublions pas, serge était un homme en souffrance. Ce qui n’est – heureusement – pas le cas d’Isabelle. Elle, elle apporte à ces quatorze chansons toute sa sensibilité (qui n’est pas mince), toute une palette de nuances. Elle ne passe pas en force. Elle est habitée à sa façon. Une façon plus féminine, plus fraternelle, plus maternelle.

Cet album est formellement beau, noble. Il s’écoute comme on se recueille et on n’a qu’à se laisser toucher par la grâce qui en émane.
Merci Serge Reggiani. Merci Isabelle Boulay.


Je n’ai qu’un (bienveillant) reproche à lui adresser. Elle le sait, on en a déjà parlé : quand va-t-elle enfin cesser de jouer au ver de terre amoureux des étoiles. Elle est elle-même une magnifique et lumineuse étoile. Il est grand temps qu’elle se montre un peu égoïste et qu’elle se construise un répertoire à la hauteur de son immense talent.

samedi 17 mai 2014

Courts-Circuits

Comédie Bastille
5, rue Nicolas Appert
75011 Paris
Tel : 01 48 07 52 07
Métro : Richard Lenoir

D’après des scènes courtes de Jean-Michel Ribes et Roland Topor
Textes montés par Stéphane Pouplard avec la complicité d’Ivana Coppola
Mise en scène d’Ivana Coppola
Lumières de Nidry Lérigé
Costumes de Marc Clément
Avec Laurence Bréheret (Femme 1), Cathy Cerda (Femme 4), Simon Charasson (Homme 2), Ivana Coppola (Femme 2 et journaliste), Ana Piévic (Femme 3), Stéphane Pouplard (Homme 1)

Présentation : Une perruque Louis XV se débat avec un sèche-linge, pendant que ce pauvre Guy se balance les pieds dans le vide, entre un « Ta gueule, eh con ! » et des « bravo, bravo », tandis qu’une lettre d’amour se glisse dans un carnet de « Voyages-Aventures », parce qu’on n’est pas des sauvages quand même !!!
Bienvenue dans l’univers décalé de Jean-Michel Ribes et Roland Topor où des personnages hauts en couleurs se « court-circuitent »…
Petites tragédies absurdes, égarements et folies douces dans la grande Comédie de la vie !

Mon avis : J’ai ouvert mon Petit Larousse pour y chercher la définition de court-circuit et j’y ai lu : « Connexion par une très faible résistance ou impédance de deux ou de plusieurs points d’un circuit qui se trouvent normalement à des tensions différentes ; accident qui en résulte (interruption de courant, incendie, etc. »)
Bien que n’étant pas très branché en la matière, quelques mots puisés dans cette définition m’ont éclairé pour analyser le spectacle concocté par Stéphane Pouplard et Ivana Coppola d’après des textes signés de l’ineffable duo Ribes et Topor… Les mots-clés sont « connexion », « très faible résistance », « impédance », « tensions différentes » et, surtout, « accident ». Et encore, certains de ces mots sont ici plutôt de contre définitions.

« Connexion ». Le terme est on ne peut plus approprié puisque chaque sketch ou saynète est dans la plupart des cas générateur de dialogue. Presque toujours conflictuel, sinon contradictoire.
« Très faible résistance ». Là, ce n’est pas vraiment le cas car dans deux situations particulièrement, un dénommé Guy fait preuve d’une sacrée résistance face à l’inéluctable avant de lâcher prise, et l’homme qui refuse d’aller féliciter son actrice de belle-sœur fait preuve lui aussi d’une belle pugnacité face à l’avalanche d’arguments dont l’abreuve son épouse.
« Impédance ». Ce mot qui signifie en anglais « faire obstacle à » et qui concerne le courant alternatif dans le domaine de l’électricité prend ici toute sa place. Des « obstacles », les personnages de Courts-Circuits s’en inventent ou en rencontrent, et pas qu’un peu ! Ce qui est tout à fait le cas également pour « tensions différentes » et pour « accident »…

Ce qui n’est pas un « accident », en revanche, c’est la qualité de ce spectacle, tant au niveau de l’écriture des dialogues, de la mise en scène et du jeu des acteurs.
Il n’y a que le sketch inaugural qui ne m’ait guère plu. Certes, il nécessite une expression chorale qui nous permet de faire connaissance immédiatement avec les six comédiens. Six personnages qui, eux, ne sont pas vraiment en quête d’auteur(s), les petits veinards. Car la dialectique et l’imaginaire de Jean-Michel Ribes et Roland Topor sont d’une inventivité et d’une originalité absolument jubilatoires. Dans leur domaine de prédilection, ce sont des « absurdoués ». Ils ont l’art de créer des situations incongrues traduites par des dialogues surréalistes.


Donc, passé le tableau liminaire et sa litanie de jeux burlesques que j’ai trouvée sans saveur, mon désarroi s’est évaporé vitesse grand « V » avec la suite. En effet, jusqu’à la fin, le divertissement s’est tenu à un très, très haut niveau. Personnellement, je connaissais deux sketches parmi la douzaine qui nous est proposée. Celui qui est baptisé « Bravo » et celui de l’homme à la perruque Louis XV. Ils sont tellement bien interprétés que ça été pour moi une exquise redécouverte. Il faut à ce propos saluer la prestation des six comédiens. Il faut beaucoup de finesse pour jouer avec sérieux et conviction des situations et des entretiens aussi insolites ; sinon ça ne passerait pas du tout. Ils sont tous vraiment épatants.

Ensuite, il y a cette idée géniale de la part de la metteure en scène de s’amuser à entrecroiser deux histoires. Ça crée une espèce de feuilleton, un véritable suspense.
Outre le parti pris de loufoquerie de chaque tableau, j’ai particulièrement apprécié ceux qui étaient marqué du sceau de l’humour noir, du cynisme. Bref, j’ai passé (et je n’étais le seul) un excellent moment à la Comédie Bastille. Total respect à messieurs Ribes et Topor. Ils font grand honneur à la langue et à la scène françaises.

Gilbert "Critikator" Jouin


samedi 10 mai 2014

Kerredine Soltani "Bandit chic"

Warner Music France

J’avais déjà bien aimé Fils de Bohême, le premier CD de Kerredine Soltani. De toute façon, un garçon qui a écrit Je veux et On ira pour Zaz mérite respect et attention.
Avec Bandit Chic, son deuxième album, j’ai surtout eu la confirmation d’un excellent auteur. Kerredoine Soltani, c’est une évidence, aime les mots. Et il n’aime rien tant que de les mêler avec les sons (c’est un orfèvre de l’allitération). Ce n’est pas un fainéant du stylo. Du stylo stylé, dirais-je même. Il y a du texte dans cet album, il ne pleure pas l’encre… Avec une telle écriture, très imagée, avec un tel soin apporté au choix des mots, il pourrait écrire des scénarios, une comédie musicale et des dialogues de films. Certaines de ses chansons sont d’ailleurs de véritables courts métrages, d’autres s’apparentent à des portraits (Hollywood Boy, Elle est perdue, Le Mytho). Et puis, comme il a des sujets qui l’inspirent plus particulièrement, comme les relations homme-femme, il a le sens de la chanson-gigogne. On a ainsi l’impression que Le Tour du monde est la suite de Sex Symbol, que Elle ne me voit pas vient compléter Le Tour du monde et que L’amour criminel vient conclure Elle ne me voit pas
C’est très habile et ça instaure une réelle homogénéité à son travail.


Le premier titre, Dandy chic est une sorte d’exposition. Il s’y livre à une étude comparative des comportements des filles et des garçons. C’est bien observé, c’est amusant, il n’y a pas une once de misogynie. Et il est impossible de ne pas hocher la tête en cadence sur le refrain…
Hollywood Boy est un brillant exercice, un hommage aux cinéma américain avec la mise en exergue des films qui l’ont fait rêver et l’énumération d’une poignée d’acteurs mythiques, particulièrement les italo-américains.
Pleure pas est peut-être également une chanson autobiographique. Avec humour, distance et douceur, il s’adresse à toutes les filles qu’il a déçues. Il se reproche son incapacité à résister à la tentation, mais toujours en dandy-bandit, en dandy avec flirt à la boutonnière et en bandit pas manchot du tout dans la séduction.
Personne ne sait est une chanson un peu à part, la seule qui contienne un message universel : l’avenir étant trop incertain, il faut vivre l’instant présent et en profiter. La partie féminine y est remarquablement écrite.


Hormis quand il se réfugie dans la fantasme comme dans Hollywood Boy, ou quand il se la joue bourreau des cœurs comme dans Pleure pas, Kerredine Soltani campe plutôt un personnage de gentil loser, de ver de terre amoureux d’une étoile (Sex Symbol, Elle ne me voit pas), de garçon prêt à toutes les folies et à toutes les concessions pour conquérir l’élue de son cœur (Le Tour du monde, L’Amour criminel). Sa voix douce et légère, aérienne, se prête parfaitement à ce climat somme toute assez romantique.

Kerredine Soltani est un conteur. Et il est très agréable de l’écouter nous raconter ses histoires…


jeudi 8 mai 2014

En Mai, c'est FERRIER, ah la Gaîté !

Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Spectacle écrit et mis en scène par Julie Ferrier
Avec Julie Ferrier, Anne Buffet, Brieuc Carpentier, Katia Charmeaux, Bénédicte Guichardon, Véronic Joly

Présentation : Julie Ferrier revient au théâtre de la Gaîté Montparnasse entourée de complices de toujours, tous plus fous les uns que les autres… Vous y retrouverez entre autres Martha et Melle Klimt, issues de son seule-en-scène, accompagnée de nouveaux personnages dans une succession de numéros, sketches et performances.
La maîtrise de la connerie, l’interactivité et la jubilation seront le cœur et les poumons de ce cabaret unique.

Mon avis : Julie Ferrier, Julie fait rire, y compris les jours ouvrables ! Entourée de quatre femmes et d’un homme (et quel homme !), elle a créé un véritable esprit de troupe avec des comédiens aussi barrés qu’elle. Et ce n’est pas peu dire. Des cas barrés, quoi !
Avec les « Ferriéristes », le spectacle commence dans la rue, se prolonge dans la salle avant de se projeter sur scène pour deux heures de délire(s). Artiste protéiforme, Julie Ferrier, n’aime rien tant que de créer des personnages très différents mais toujours très hauts en couleurs. C’est d’ailleurs avec la petite veste jaune de Mademoiselle Klimt qu’elle apparaît d’abord. Cherchant  toujours la spontanéité, mais freinée par une gaucherie hésitante et chronique, elle fait furieusement penser à la gestuelle de Jacques Tati. C’est un personnage sympathique et attachant qui ose parfois l’audace des timides. Des fulgurances qu’elle regrette aussitôt, qui la gênent, ce qui, bien sûr, provoque le rire. Cette Julie-là possède une sorte d’alter ego tout aussi caricaturale en la personne de Bernadette. Autant Julie est introvertie, autant Bernadette est cash. Un tempérament auquel elle donnera libre cours tout au long du spectacle avec des compositions absolument désopilantes dont, en particulier, l’art de se faire une gâterie après moult préliminaires et un numéro en ombres chinoises aussi gonflé que cocasse.


En mai, c’est Ferrier est un spectacle inclassable qu’on ne peut pas narrer par le menu. Un pot-pourri, un pot pour rire. C’est une succession de tableaux et de saynètes, une auberge espagnole où chacun apporte son talent avec pour seule mission, nous surprendre, nous enchanter, nous émouvoir et, évidemment, nous faire rire. Surtout nous faire rire.
Très riche, très dense, très varié car on touche à différents genres, très coloré (il y a des accoutrements qu’il faut oser porter), très visuel, on sent que les comédiens prennent un plaisir fou à le partager avec nous. C’est en fait un drôle (au sens propre) de cocktail. On pense parfois aux Branquignols, aux Deschiens, à l’univers d’Edouard Baer, et à Tati donc (Bernadette est une sorte de Monsieur Hulot en jupons)… Julie Ferrier se délecte à revêtir à deux reprises la robe incontrôlable de Martha pour se livrer à deux prestations complètement déjantées avec gestuelle saccadée, débit bouillonnant et discours farfelu, nous démontrant une fois encore qu’elle n’a pas le téton près du bonnet…

Cette troupe picaresque nous fait vivre vraiment de grands moments. Certains même plus grands que d’autres. J’ai ainsi particulièrement apprécié la séquence de break dance (du très, très haut niveau), les personnages de Karbie et Ben, la mamie au ukulélé… Mais j’ai quasiment tout aimé. Ça a l’air disparate, de partir parfois un peu dans tous les sens alors que, au final, tout se tient. Et puis il y a une réelle poésie dans tout cela. Une poésie de l’absurde jouée avec beaucoup d’authenticité, de sincérité et de générosité.
« En mai, fais ce qu’il te plaît »… C’est le parti pris de Julie et de ses complices. Et, ce qui est parfait, c’est que ça nous plaît aussi !

Gilbert « Critikator » Jouin



mardi 6 mai 2014

Sophie-Tith "J'aime ça"

Polydor / Universal Music

Je l’attendais de pied ferme, Sophie-Tith. J’avais bien sûr apprécié son album de reprises. Vu la qualité de ses prestations lors de La Nouvelle Star, je savais quelle remarquable interprète elle était. Premières rencontres était un amuse-gueule, un truc bien fait destiné à nous faire patienter dans la perspective du premier vrai opus


Sophie-Tith n’est pas encore majeure (elle aura 18 ans en septembre), son album non plus. Jusque là, elle avançait masquée. Elle se planquait derrière des reprises qu’elle s’appropriait de façon magistrale. Aujourd’hui, elle est bien forcée de se dévoiler, de révéler ce qu’elle a au fond de son tout jeune cœur. Tous les textes qu’elle a retenus proposent des paroles plutôt adultes. Même si elle n’a apporté sa patte qu’à un seul texte (J’envie / J’en veux), je pense qu’elle est en droit de revendiquer tout ce qu’elle chante. Sinon, je n’en vois pas l’intérêt.

Sophie-Tith m’avait vraiment impressionné lors de La Nouvelle Star. Alors, forcément, mon attente était proportionnelle à mon enthousiasme. Elle avait mis la barre très haut, la demoiselle ! Que dire donc de J’aime ça, ce premier album personnel ?
Pareil pour moi. J’aime ça, mais sans plus… Bon, sur les douze titres qui composent cet album, j’en ai « aimé » huit. Les deux tiers. C’est une bonne proportion. Pourtant, je n’ai pas grimpé aux rideaux comme je l’espérais.

Photo : JM Lubrano

Voici mon hit-parade personnel :
-          1/ Jalouse
-          2/ Hit You With The Truth
-          3/ J’envie / J’en veux
-          4/ Ces choses-là
-          5/ J’ai sorti les armes
-          6/ Weakfortress
-          7/ J’aime ça
-          8/ Enfant d’ailleurs

Mat Bastard, le leader de Skip The Use, a écrit sept chansons. C’est un bon auteur qui ne fait pas dans la mièvrerie. Ses pôles d’intérêt touchent à l’universel et à la place de l’individu dans le vaste monde. Il frise parfois la métaphysique (Enfant d’ailleurs). Mais il a un grand défaut qui m’a horripilé et fait légèrement saigner les oreilles : c’est un stakhanoviste de l’élision ! Son record de voyelles bouffées se trouve, je crois, dans J’ai sorti les armes. J’ai failli « sortir d’ mes gonds » comme il est dit dans le superbe duo Ces choses-là. C’est dommage, ça gâche un peu la portée de textes vraiment intelligents.

Si le tonique et entêtant Jalouse et le très anglo-saxon Hit You With The Truth sont redoutablement efficaces, j’avoue néanmoins un faible pour J’envie / J’en veux. C’est pour moi une chanson à part. D’abord parce que Sophie-Tith l’a coécrite. Et ensuite, j’ai été très sensible à son climat carrément « mylènefarmerien », tant dans la façon de chanter que dans son climat musical. J’ai aimé ce parti pris de dire des choses assez violentes, de se montrer menaçante sans jamais élever la voix. L’impact n’en est que plus efficace. Pas besoin de chercher à lire entre les lignes, on voit que le texte est très personnel, intime même. Et si on veut en savoir un peu plus sur la jeune fille, il suffit de se reporter à J’aime ça, et on en apprend beaucoup sur sa personnalité profonde.
J’ai aimé cette sincérité, ce courage, cette manière de défier le monde, de bousculer les a priori, de piétiner les idées reçues.

Le masque est tombé. On a l’impression que Sophie-Tith est devenue papillon sans être jamais chrysalide. Elle a pris son envol. Je suis certain qu’elle peut nous emmener encore plus haut. L’avenir lui appartient.

samedi 3 mai 2014

Kyo "L'Equilibre"

Sony Music/Jive Epic

Cette année marque les 20 ans de la formation du groupe Kyo… Après un départ fulgurant et trois albums en quatre ans qui leur ouvrent Le Chemin du succès, il aura fallu attendre dix ans pour découvrir leur quatrième opus, L’Equilibre.
Le titre n’est pas si innocent que cela. En effet, en 2005, les « Oisillons » du collège Notre-Dame de Verneuil-sur-Seine, encore assez fragiles, ont eu du mal à faire face à un lot de critiques qui leur a laissé au cœur 300 Lésions qui semblent avoir été assez longues à cicatriser. Brûler ce qu’on a adoré, éreinter des jeunes de 20 ans parce qu’ils deviennent culte, ironiser sur leur public de minettes énamourées, c’est hélas typiquement français. La déconvenue et l’incompréhension succédaient brutalement à l’adulation dont ils avaient fait l’objet. Pas facile à vivre et à accepter. Si bien que le quatuor a frôlé le clash.

Désireux de ne plus trop s’exposer, ils ont choisi de se mettre en retrait et d’écrire pour d’autres artistes. Et puis le temps a fait son œuvre. Réparatrice. Les liens du chant étaient les plus forts, ajoutés à l’envie de revenir au Contact avec un public qui ne les a pas oubliés et Benoît, Fabien, Florian et Nicolas ont repris le chemin du studio pour enregistrer 12 nouveaux titres. Evidemment, on n’écrit pas à 30 ans comme à 20. Entre temps, la vie s’est chargée de les nourrir. Il est en outre patent que L’Equilibre est teinté du désir de construire une passerelle avec un glorieux passé et, surtout, d’essayer de l’analyser et de le commenter. Il y avait déjà un terreau ; la période de jachères terminée, l’heure était venue de présenter la nouvelle récolte.

Poupées russes, le premier titre de l’album résume parfaitement cette parenthèse et en dresse le bilan. Le texte est dense, bourré d’images, Benoît Poher y accumule en un flot (flow ?) ininterrompu de mots les métaphores alternant les aspects positifs et négatifs de leur parcours : « Dans la vie, il y a les flaques et les éclaboussures », « Dans la musique, il y a des farces et les graines du futur », « Il y a les pièges, les arnaques, quelques âmes encore pures », « Il y a le temps des grands soirs et le temps des blessures »… et, surtout, référence directe à la cabale : « 300 Lésions et les rideaux se ferment »… La pointe d’amertume va encore plus loin dès lors qu’il s’agit des sentiments les plus nobles : « Même l’amour est schizophrène ». Il y a désormais une carapace. Finies candeur et naïveté juvéniles. Mais, aujourd’hui, tout est raccord : « J’ai l’impression d’être là où il faut être ». Fort de cette sensation, en paix avec lui-même, il n’y a plus qu’à revenir aux fondamentaux et montrer ce que Kyo ressent en 2014.


J’ai écouté plusieurs fois L’Equilibre et j’avoue qu’aucune chanson ne m’a déplu, au contraire. C’est un album qui tient La Route de bout en bout. C’est vraiment du beau travail. Et Benoît est un fameux auteur.
Dans Le Graal, clin d’œil appuyé à Indiana Jones, son écriture est moderne, générationnelle. Sur une mélodie aussi efficace qu’entêtante, il fait part de ses doutes et de ses certitudes, de ce qu’il construit et des « rechutes ».

L’Equilibre est ma chanson préférée. Le refrain, délicieusement aérien, est tout en voix de tête. L’écriture est très descriptive. Elle évoque le quotidien et l’usure du couple. Ici, comme dans le livre de Beigbeder, l’amour dure trois ans ou plutôt, pour être précis « mille nuits »… Et pour bien faire le tour du sujet, Enfant du solstice est comme la suite du titre précédent. C’est l’après rupture. Lancinante, pas évidente à chanter, elle exige un sacré travail au niveau de la diction. D’autant que les mots, explicites et suggestifs, sont là encore très importants.


Dans cet album, l’amour tient une place prépondérante. On ne le vit pas à 30 ans comme à 20 ans. Nuits blanches, par exemple, avec un total abandon qui frise la soumission assumée, va énormément plaire à la gent féminine… Une fois encore, telle une chanson-gigogne, celle qui suit vient développer le thème précédent. La magnifique XY traite de la fragilité de l’amour. A priori, en amour, il n’y a pas de vainqueur. Mais, tout de même, il apparaît en filigrane que l’homme serait quand même le plus perdant parce que plus dépendant.

Récidiviste se veut plus réaliste. Chanson de groupe très mélodieuse, elle interpelle : « Tant que je saigne, j’existe ». Le message est direct : il faut apprendre à sublimer la douleur et à affronter le sort même quand il est contraire et s’acharne… D’ailleurs, dans On se tourne autour, avec ses paroles adultes, sans ambiguïté, l’amour n’est pas qu’une affaire de sentiments. Il y a le sexe aussi, et la jalousie, et la souffrance…
Benoît confirme ses qualités d’auteur dans le très imagé White Trash, au texte truffé de références cinématographiques.

Enfin, L’Equilibre est rétabli à la fin de l’album avec l’interprétation toute en douceur de Florian sur La Route. La voix, juste accompagnée d’une guitare est empreinte d’une jolie mélancolie, un climat qui sied parfaitement à ce touchant message adressé à l’au-delà.

Femmes Libérées

Théâtre Tristan Bernard
64, rue du Rocher
75008 Paris
Tel : 01 45 22 08 40
Métro : Saint-Lazare / Villiers

Une pièce de Noémie de Lattre coécrite avec Nicolas Lumbreras, Rudy Milstein, Johann Dionnet, Jean Gardeil, Sarah Suco
Mise en scène par Pierre Palmade
Avec Noémie de Lattre, Nicolas Lumbreras, Rudy Milstein, Johann Dionnet, Jean Gardeil, Sarah Suco et, en alternance, Gwendoline Hamon, Joffrey Platel, Constance Carrelet, Marie Lanchas, Yann Papin, Benoît Moret, Cédric Moreau, Camille Cottin

L’histoire : On peut aimer un homme, coucher avec un autre et faire un enfant avec un troisième !... C’est en cherchant à éprouver cette théorie que Noémie rencontrera des hommes, des femmes, des homos, des hétéros, des bisexuels, des transsexuels, des mères de famille, des infidèles… et peut-être celui qui fera voler cette théorie en éclats.

Mon avis : La Troupe à Palmade a encore frappé ! Et fort. Après avoir exploré les mondes de l’Entreprise, de la police, de la politique, elle aborde cette fois l’univers féminin avec Femmes Libérées. Le concept de cette nouvelle pièce a été élaboré par Noémie de Lattre puis, comme c’est la règle dans l’Atelier, cinq coauteurs sont venus se greffer pour aboutir à une écriture collégiale. Le fait d’écrire ainsi à douze mains est très bénéfique. Le scénario et les dialogues n’en sont que plus aboutis, plus riches. De toute façon, pour que Pierre Palmade donne son aval à une production, il faut que tout soit parfaitement ciselé. Cette exigence fait que chacune des prestations de la Troupe débouche sur un grand moment de drôlerie et de comédie pure.


On comprend très vite que Femmes Libérées a été en grande partie directement inspiré par la propre vie sentimentale de Noémie de Lattre. Quasiment omniprésente sur scène, elle est le fil rouge de la pièce. A travers une succession de tableaux qui sont autant de jalons à sa quête éperdue d’amour, nous allons être les témoins réjouis de son « Odysexe »… Noémie se veut libérée. Elle se laisse guider par sa libido, se laisse draguer ou prend carrément les initiatives. Nous sommes en 2014, et il y a belle lurette que la Carte du Tendre a subi l’érosion du temps. Bien heureusement ! Biche aux abois ou Diane chasseresse, Noémie n’en a pas la tâche plus facile pour autant. Dans son périple amoureux, elle va faire quelques rencontres. Quatre garçons et une fille, cinq personnalités complètement différentes parmi lesquelles se trouve sûrement le bon parti (ou la bonne). On ne sait qu’une chose au départ c’est que, d’après une prédiction, l’heureux(se) élu(e) aura un grand nez !

On rit du début à la fin. Tout en étant très féminine, Noémie s’autorise fréquemment des comportements typiquement masculins dont le plus répandu, la mauvaise foi. Au fur et à mesure de ses rencontres, elle va se révéler de moins en moins fragile et de plus en plus dirigiste. Ce qui donne lieu à des situations inversées particulièrement cocasses.
La force de Femmes Libérées, ce sont évidemment ses dialogues, vifs et percutants, ses retournements et le jeu millimétré de tous les comédiens. Devant faire face à de multiples situations et à des interlocuteurs parfois imprévisibles, Noémie de Lattre est amenée à jouer une impressionnante palette de sentiments. Faisant preuve d’une grande finesse de jeu, elle est absolument parfaite.


Mais, au-delà de son aspect purement comique – et là on est servi – la pièce a aussi cette force de faire passer un message de tolérance qui donne à réfléchir. Les personnages de Rudy et de la seconde jeune femme, en apportant une note d’émotion, sont en cela prépondérant. Ils nous touchent tout en nous faisant rire. On sent derrière tout cela la patte et la sensibilité de Pierre Palmade ainsi que le produit d’un vécu partagé avec Noémie de Lattre.
Finalement, il n’y a pas que les femmes qui soient libérées dans cette pièce. Les personnes de toutes les orientations sexuelles y trouvent une tribune réellement positive. C’est ça, le rire intelligent.

Gilbert « Critikator » Jouin


vendredi 2 mai 2014

Hangar "Ivre Mer"

Roy Music/Polydor/Universal Music

Pour Ivre Mer, le deuxième album de Hangar, je suis absolument sans réserve. Onze titres, onze perles. De ces perles que l’on rêve de trouver dans les huitres du Cap-Ferret, fraîches et goûtues à souhait. Honnêtement, chacun des titres est un vrai bonheur. Je me suis régalé du début à la fin.
Les six (Han)garnements forment un fameux groupe qui possède une vraie identité, une empreinte originale. Ils ont une qualité fondamentale, la simplicité. Plus c’est simple, plus c’est efficace. Leur musique, sans fioritures, sans effets superflus, est d’une redoutable efficacité. Ils vont à l’essentiel, créant pour chaque morceau son ambiance propre.


Ecoute, le premier titre de l’album, en est le reflet parfait. Ils mêlent leur besoin vital et impérieux de musique aux sentiments. Le rythme, entêtant, obsédant, envoûtant, monte en puissance pour se terminer quasiment en incantations « vaudouesques ». Le résultat est imparable. Ce titre va trouver toute sa dimension sur scène.
Le suivant, Où errons-nous, est peut-être ma chanson préférée. J’ai aimé son texte énigmatique, riche en jolies sonorités, j’ai apprécié l’enchevêtrement des voix avec les guitares, trouvé jolies cette image de filles dansant devant les phares…
Tattoo est une superbe déclaration d’amour, forte, pas mièvre du tout, truffée de témoignages d’affection on ne peu plus concrets. Ce sont des paroles adultes qui vont aller droit au cœur des demoiselles… Quant à Descends, elle est le développement de la précédente. Les choses ont été dites dans Tattoo, Descends correspond au passage à l’acte. C’est délicieusement coquin, explicite. Il y a un côté gainsbourien avec soupirs et petites rires à la clé. C’est vraiment, vraiment bien. Superbe ambiance qui se termine en une ponctuation sexophonique.

La miss du sud, c’est carrément une incursion vers la musique country. C’est plein de douceur et – ils en sont capables – de délicatesse. C’est tout en touches pastel et en notes sucrées et cuivrées. En fermant les yeux, nous sommes transportés dans le bayou girondin…
La musique et la voix de Mister Power m’ont ramené presque 50 en arrière. Dans les couplets, a surgi l’image de Jacques Dutronc interprétant Et moi, et moi, et moi. Je ne suis sorti de ma nostalgie qu’à la fin du morceau, réveillé par la fureur des guitares.


De son côté, la rumeur se singularise par son ambiance un tantinet celtique. On y reconnaît l’empreinte de la cornemuse de l’excellent Carlos Nunes. Août est un titre plus dépouillé, débutant par une guitare-voix puis montant joliment sans jamais forcer comme si la chaleur du mois assoupissait les musiciens. La voix, très devant, ajoute au charme indiscutable de cette chanson teintée de mélancolie.
Ivre mer est ma deuxième chanson préférée. C’est gonflé car interprété intégralement en voix de tête. Avec ses rimes en « air », cela crée un climat onirique, aérien, du meilleur effet. C’est un titre à part, original, qui ne fait qu’amplifier la grande envergure de leur éventail musical… On retrouve d’ailleurs l’utilisation des voix de tête sur le refrain de A l’ombre. Un emprunt (très réussi) aux Beatles ?
Enfin, après Gainsbourg, Dutronc, les Beatles, le clin d’œil à l’Amsterdam de Jacques Brel est-il volontaire avec la phrase « Le long des verges mortes » dans Soleil profond ? Je le pense car il est subtilement amené et formulé. Cette chanson, fort bien écrite, termine l’album en beauté…


Hangar passe le cap du second album sans coup férir. Si les petites d’Arcachon ne les mangent pas, ce sextette débordant de talent et de créativité est appelé à une belle et longue carrière. Assurément, avec Hangar est loin d’être sur la voie de garage. Fermez le ban… d’Arguin.