Chic Musique / Universal / Polydor
Je tiens depuis belle lurette Isabelle Boulay pour une de
nos toutes meilleures chanteuses, sinon la meilleure. Sa voix, modulable et
musicale à souhait, est d’une incomparable qualité. En outre, non contente
d’être une formidable artiste, Isabelle est une belle âme, une belle personne.
Elle est généreuse, altruiste, sincère, drôle, modeste. Revendiquant son statut
d’interprète, elle n’aime rien tant que de se glisser dans les univers des
grand(e)s de la chanson, d’hier comme d’aujourd’hui. Elle fait merveille dans
les reprises et dans les duos. Sans doute, à mon avis, par trop d’humilité, par
trop d’admiration. Mais, en même temps, elle se fait vraiment plaisir. Mon
album de chevet, celui où, pour moi, elle touche au sublime, date de
2000 ; il s’appelle Scènes d’amour.
17 chansons dont 13 duos franco-québécois absolument superbes.
L’Absence de Serge
Reggiani, qui nous a quittés en juillet 2004, lui est toujours aussi
douloureuse. Elle avait rencontré un an plus tôt celui qu’elle l’admirait
depuis ses 16 ans. Peut-être parce qu’il avait L’air d’une chanson… Elle avait connu le bonheur de chanter avec
lui sur la scène du Palais des Congrès. Ils n’auront pas eu le temps de former
un Vieux couple. Le destin en a
décidé autrement… Ces dix ans de Solitude,
elle les a comblés en rêvant De quelles
Amériques ?
L’amour qu’elle portait à L’Italien, n’était pas à classer parmi Les amours sans importance. Il aurait pourtant suffi de presque rien, d’un peu de temps
seulement, pour qu’un profond sentiment filial les unisse. Il l’aurait invitée
à un Déjeuner de soleil, il lui
aurait payé un verre. La considérant
comme sa Fille, il lui aurait
inévitablement raconté Les mensonges d’un
père à son fils, à son Petit garçon.
Raconter des histoires et les peindre, c’était sa Liberté à lui, sa façon d’esquiver les saloperies que le destin
avait sournoisement semées sur son parcours.
Le 19 mai dernier, est sorti Merci Serge Reggiani, un album hommage à un chanteur qui, comme
Piaf, lui a « donné le goût du métier d’interprète ». Elle était en
train de préparer un album de chansons originales quand, soudain le besoin de
remercier Serge Reggiani s’est fait irrépressible, plus impérieux que tout le
reste. Elle est comme ça, Isabelle, elle sait remercier. C’est dans son
éducation, dans ses gènes. C’est avec tout son cœur qu’elle se met au service d’un
répertoire de très haut niveau. Avec des textes forts, sensibles, émouvants,
parfois souriants, comme L’Italien…
On la sent comme missionnée par cet hommage. D’ailleurs, quand elle évoque ce
qui l’a poussée à l’enregistrer, elle utilise le terme de « devoir »…
Isabelle ne pouvait qu’être en amour pour un homme et un
artiste comme celui-là. Un écorché vif au cœur saignant mais au sourire
irrésistible. Fataliste sûrement.
La pochette est d’une sobriété volontaire. Toute blanche,
ornée du dessin d’une rose que Serge lui avait dessinée et signée. En signe de
déférence, le nom d’Isabelle Boulay, apparaît en tout petit au-dessus de
« Merci Serge Reggiani ». C’est tout Isabelle, ça. S’effacer devant
ceux qu’elle admire et affectionne.
Ces dix ans passés étaient nécessaires pour s’autoriser ces
reprises. Isabelle a aujourd’hui accumulé le vécu nécessaire à l’appropriation
de chansons aussi profondes, aussi
adultes. La légitimité, elle l’avait (elles sont rarissimes les chanteuses qui
se situent à un tel niveau d’excellence), mais il fallait aussi une certaine
maturité pour « embrasser un répertoire si viril ». Le résultat est
superbe. La discrétion des arrangements permet de mettre très en avant les
subtilités vocales de la chanteuse… Bien sûr, il est impossible d’attendre de
la part d’Isabelle la même intensité que mettait Serge dans ses
interprétations. Ses qualités de comédien, son phrasé et sa couleur vocale
apportaient à ses prestations une dimension unique. Serge vivait ses chansons,
il les jouait. Pour les plus dramatiques, on avait l’impression qu’il les
laissait sourdre de lui comme d’une plaie. Car, ne l’oublions pas, serge était
un homme en souffrance. Ce qui n’est – heureusement – pas le cas d’Isabelle.
Elle, elle apporte à ces quatorze chansons toute sa sensibilité (qui n’est pas
mince), toute une palette de nuances. Elle ne passe pas en force. Elle est
habitée à sa façon. Une façon plus féminine, plus fraternelle, plus maternelle.
Cet album est formellement beau, noble. Il s’écoute comme on
se recueille et on n’a qu’à se laisser toucher par la grâce qui en émane.
Merci Serge Reggiani. Merci Isabelle Boulay.
Je n’ai qu’un (bienveillant) reproche à lui adresser. Elle
le sait, on en a déjà parlé : quand va-t-elle enfin cesser de jouer au ver
de terre amoureux des étoiles. Elle est elle-même une magnifique et lumineuse
étoile. Il est grand temps qu’elle se montre un peu égoïste et qu’elle se
construise un répertoire à la hauteur de son immense talent.
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