samedi 3 mai 2014

Kyo "L'Equilibre"

Sony Music/Jive Epic

Cette année marque les 20 ans de la formation du groupe Kyo… Après un départ fulgurant et trois albums en quatre ans qui leur ouvrent Le Chemin du succès, il aura fallu attendre dix ans pour découvrir leur quatrième opus, L’Equilibre.
Le titre n’est pas si innocent que cela. En effet, en 2005, les « Oisillons » du collège Notre-Dame de Verneuil-sur-Seine, encore assez fragiles, ont eu du mal à faire face à un lot de critiques qui leur a laissé au cœur 300 Lésions qui semblent avoir été assez longues à cicatriser. Brûler ce qu’on a adoré, éreinter des jeunes de 20 ans parce qu’ils deviennent culte, ironiser sur leur public de minettes énamourées, c’est hélas typiquement français. La déconvenue et l’incompréhension succédaient brutalement à l’adulation dont ils avaient fait l’objet. Pas facile à vivre et à accepter. Si bien que le quatuor a frôlé le clash.

Désireux de ne plus trop s’exposer, ils ont choisi de se mettre en retrait et d’écrire pour d’autres artistes. Et puis le temps a fait son œuvre. Réparatrice. Les liens du chant étaient les plus forts, ajoutés à l’envie de revenir au Contact avec un public qui ne les a pas oubliés et Benoît, Fabien, Florian et Nicolas ont repris le chemin du studio pour enregistrer 12 nouveaux titres. Evidemment, on n’écrit pas à 30 ans comme à 20. Entre temps, la vie s’est chargée de les nourrir. Il est en outre patent que L’Equilibre est teinté du désir de construire une passerelle avec un glorieux passé et, surtout, d’essayer de l’analyser et de le commenter. Il y avait déjà un terreau ; la période de jachères terminée, l’heure était venue de présenter la nouvelle récolte.

Poupées russes, le premier titre de l’album résume parfaitement cette parenthèse et en dresse le bilan. Le texte est dense, bourré d’images, Benoît Poher y accumule en un flot (flow ?) ininterrompu de mots les métaphores alternant les aspects positifs et négatifs de leur parcours : « Dans la vie, il y a les flaques et les éclaboussures », « Dans la musique, il y a des farces et les graines du futur », « Il y a les pièges, les arnaques, quelques âmes encore pures », « Il y a le temps des grands soirs et le temps des blessures »… et, surtout, référence directe à la cabale : « 300 Lésions et les rideaux se ferment »… La pointe d’amertume va encore plus loin dès lors qu’il s’agit des sentiments les plus nobles : « Même l’amour est schizophrène ». Il y a désormais une carapace. Finies candeur et naïveté juvéniles. Mais, aujourd’hui, tout est raccord : « J’ai l’impression d’être là où il faut être ». Fort de cette sensation, en paix avec lui-même, il n’y a plus qu’à revenir aux fondamentaux et montrer ce que Kyo ressent en 2014.


J’ai écouté plusieurs fois L’Equilibre et j’avoue qu’aucune chanson ne m’a déplu, au contraire. C’est un album qui tient La Route de bout en bout. C’est vraiment du beau travail. Et Benoît est un fameux auteur.
Dans Le Graal, clin d’œil appuyé à Indiana Jones, son écriture est moderne, générationnelle. Sur une mélodie aussi efficace qu’entêtante, il fait part de ses doutes et de ses certitudes, de ce qu’il construit et des « rechutes ».

L’Equilibre est ma chanson préférée. Le refrain, délicieusement aérien, est tout en voix de tête. L’écriture est très descriptive. Elle évoque le quotidien et l’usure du couple. Ici, comme dans le livre de Beigbeder, l’amour dure trois ans ou plutôt, pour être précis « mille nuits »… Et pour bien faire le tour du sujet, Enfant du solstice est comme la suite du titre précédent. C’est l’après rupture. Lancinante, pas évidente à chanter, elle exige un sacré travail au niveau de la diction. D’autant que les mots, explicites et suggestifs, sont là encore très importants.


Dans cet album, l’amour tient une place prépondérante. On ne le vit pas à 30 ans comme à 20 ans. Nuits blanches, par exemple, avec un total abandon qui frise la soumission assumée, va énormément plaire à la gent féminine… Une fois encore, telle une chanson-gigogne, celle qui suit vient développer le thème précédent. La magnifique XY traite de la fragilité de l’amour. A priori, en amour, il n’y a pas de vainqueur. Mais, tout de même, il apparaît en filigrane que l’homme serait quand même le plus perdant parce que plus dépendant.

Récidiviste se veut plus réaliste. Chanson de groupe très mélodieuse, elle interpelle : « Tant que je saigne, j’existe ». Le message est direct : il faut apprendre à sublimer la douleur et à affronter le sort même quand il est contraire et s’acharne… D’ailleurs, dans On se tourne autour, avec ses paroles adultes, sans ambiguïté, l’amour n’est pas qu’une affaire de sentiments. Il y a le sexe aussi, et la jalousie, et la souffrance…
Benoît confirme ses qualités d’auteur dans le très imagé White Trash, au texte truffé de références cinématographiques.

Enfin, L’Equilibre est rétabli à la fin de l’album avec l’interprétation toute en douceur de Florian sur La Route. La voix, juste accompagnée d’une guitare est empreinte d’une jolie mélancolie, un climat qui sied parfaitement à ce touchant message adressé à l’au-delà.

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