jeudi 27 décembre 2018

Florence Foresti "Epilogue"


Le Zénith Paris-La Villette
211, avenue Jean Jaurès
Parc de la Villette
75019 Paris
Tel : 01 44 52 54 56
Métro : Porte de Pantin / Porte de la Villette

Jusqu’au 31 décembre
Au Paradis Latin du 14 janvier au 16 avril 2019 (lundi et mardi)
Puis en tournée

Mon avis : Le nouveau spectacle de Florence Foresti après trois ans d’absence s’intitule « Epilogue ». Pris dans son sens brut, ce titre alerte. Florence Foresti nous annoncerait-elle « la conclusion » (Petit Larousse) de son histoire d’amour avec son public ? Même en nous proposant elle-même deux définitions, elle s’évertue à nous laisser dans le flou, le flou artistique bien sûr :
Epiloguer : S’ingénier à faire des critiques par le détail, faire des commentaires longs et superflus.
Epilogue : Dernière partie d’une œuvre.
A la fin du spectacle, on est (presque) rassuré. Florence a passé une heure et quart à « épiloguer », c’est-à-dire à « critiquer » et à « commenter », un exercice dans lequel elle excelle… Pourtant, à un moment, elle s’attarde sur ce titre pour le moins inquiétant. En fait, elle l’a choisi en manière d’exorcisme. A plusieurs reprises, elle revient sur son (grand !) âge, 45 ans… C’est quand même loin d’être l’âge de la retraite ! D’autant plus qu’elle se reconnaît « en pleine forme ». En nous faisant craindre une fin, elle se rassure. C’est son côté gentiment parano.


Une chose est certaine : en dépit de son âge "canonique", Florence Foresti est au sommet de son art. Epilogue est d’une efficacité redoutable. Elle occupe la scène avec une formidable maestria. LA Foresti est unique. Que ce soit sur le plan de la gestuelle ou sur celui des expressions, elle n’a pas d’égal(e). La moindre de ses attitudes, la moindre de ses mimiques sont d’une force comique incomparable. Elle est véritablement cartoonesque… Mais Florence, ce n’est pas que cela. Au-delà de la démonstration physique et de sa science de la pantomime, il faut prendre en compte ce qu’elle nous raconte. Sans jamais appuyer le trait, elle aborde des thématiques qui ont du fond, qui nous donnent à réfléchir. Loin de s’ériger en donneuse de leçon, elle se complaît à disséquer et à analyser les petits sujets de société qui ponctuent notre quotidien.

Après avoir effectué une entrée digne des plus grandes divas de la chanson américaine, rien que pour le plaisir de la parodie, elle se lance sans plus de cérémonie dans un stand-up ininterrompu. La boîte à vannes est ouverte. Pas une seconde de répit. Florence est cash. Elle a la franchise impertinente. Elle nous assène en préambule toute une série de vérités sur sa façon d’appréhender sa relation avec son public, son rapport avec l’argent. Une fois cette page tournée, elle attaque les différents thèmes qui l’ont interpellée, nous livrant au gré de sa fantaisie ses états d'âme comme ses états dame.
Sans coup férir, chaque coup fait rire... Elle s’en prend à l’invasion de la « culture » américaine, s’offre une petite parenthèse un tantinet scato, revient malicieusement sur la privation de nos smartphones durant son spectacle, s’attarde sur ses différentes coupes de cheveux, nous narre par le menu sa passion irrépressible pour Ikéa, surtout le dimanche matin… Et puis, elle enfourche un de ses chevaux de bataille favoris : les relations homme-femme et la parité ; ensuite, après avoir abordé les réseaux sociaux, elle se confie sur des sujets bien plus personnels comme la fréquentation de l’Hôpital Américain, l’alcool, la cigarette et… la mort. C’est tout de même gonflé de nous faire rire avec ce thème. Un thème qu’elle développera d’ailleurs en « épilogue » de son spectacle…


Florence Foresti est toujours aussi performante, aussi percutante, aussi audacieuse. Elle traite de lieux communs, de faits banals, mais toutes ses constatations, marquées du sceau du bon sens et de son sens suraigu de l’observation, elle a une façon unique de les raconter. Ses formules sont imparables, incisives, les images qu’elle utilise sont confondantes de drôlerie, elle se moque de tout et de tous, et surtout d’elle-même. Florence est une sacrée performeuse. J’adore comme elle bouge, comme elle occupe l’espace, comme elle joue avec ses deux meilleurs partenaires : son corps et son visage. Bref, ce nouveau seule en scène est un pur régal et je suis convaincu que cet Epilogue aura encore de nombreuses suites…

Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 19 décembre 2018

Eric Clapton "Happy Xmas"


Disques Polydor

Un peu de douceur dans ce monde de brutes avec la sortie de Happy Xmas, le 22ème album studio d’Eric Clapton, enregistré en octobre dernier.
Le ton est donné dès l’ouverture avec l’incontournable White Christmas. La guitare de Clapton, particulièrement soyeuse, est d’une douceur évangélique, les chœurs ont des voix d’anges, le rythme est gentiment chaloupé ; il n’y a aucune fioriture. C’est tout en simplicité et donc, redoutablement efficace. Ça ne pourrait pas réveiller un petit Jésus qui dort, juste le bercer… Le climat, gentiment incantatoire, reste le même pour la deuxième chanson, Away In A Manger (Once In Royal David’s City) tout entière dévolue à l’Enfant Roi. Après tout, il est tout à fait légitime que « God » évoque son divin Fiston…


Cet opus contient 14 titres. Clapton y a savamment mélangé des chansons de Noël archi connues comme White Christmas, Jingle Bells ou Silent Night avec des titres moins connus du grand public. Il nous offre également un air de sa composition, For Love On Christmas Day.
« Je me suis dit que ces chansons pouvaient être teintées de blues et j’ai commencé à réfléchir à la façon d’inclure cette touche entre les voix a-t-il déclaré. J’ai réussi et l’une des chansons les plus identifiables de l’album, celle qui en est devenue le pilier fondateur, c’est Have Yourself A Merry Little Christmas ».

Plus « SlowHand » que jamais, Eric Clapton nous régale. Dans Christmas Tears, il fait littéralement pleurer sa guitare. L’arrangement sur le célèbre Jingle Bells est très original. Cet instrumental qui tourne tout le temps avec un tempo légèrement sautillant est d’ailleurs dédié à la mémoire du DJ Avicii. C’est une sorte de parenthèse dans cet album, une petite rupture placée en plein milieu. Après quoi, il reprend sa balade avec le joliment bluesy Christmas In My Hometown. Une friandise de plus avec chœurs délicieusement acidulés.


Dans It’s Christmas, on perçoit les clochettes des rennes. Là, les cervidés semblent un peu pressés d’aller livrer le contenu de la hotte. On ne peut pas somnoler tout le temps !... Comme son nom l’indique, Sentimental Moments, est une chanson qui glisse douillettement sur un tapis immaculé de poudreuse (je parle de neige évidemment). Alors, histoire de secouer les flocons qui ont eu le temps de se déposer sur nos épaules, Eric nous propose un ersatz de Rythm’n’blues avec Lonesome Christmas, un petit bijou pour qui aime les jolis riffs de guitares et les rythmes syncopés. C’est un des meilleurs titres.

Avec comme choristes son épouse Melia et une de leurs filles, Sophie, la version de Silent Night nous fond dans les oreilles comme du sirop. Avec de la ouate pour remplacer les boules de neige, le silence est vraiment d’or. Enfin, après un blues classique, Home For The Holidays (avec solo de guitare très inspiré), Eric Clapton clôture son album avec le fameux « pilier » dont il parle, Have Yourself A Merry Little Christmas. Effectivement, ne serait-ce que pour ce titre, cet album est indispensable. Plus qu’un pilier, c’est un superbe sapin agrémenté de diverses décorations aux tons pastel. Le climat dégouline de tendresse. A la dernière note, on n’a plus qu’une envie : s’exclamer « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ».

jeudi 6 décembre 2018

Francis Renaud "La rage au coeur"


Hugo : Doc
340 pages. 18,50 €

Quel livre ! En fait, tout est annoncé dans le titre. De toute évidence, Francis Renaud est un affectif doublé d’un écorché vif. Son autobiographie est une autopsie à cœur ouvert et sans anesthésie. Lorsque le scalpel ouvre son organe, on y découvre qu’il contient, partagés à parts égales, deux sentiments forts et profonds : l’amour et la rage. Tout au long de cet ouvrage, son cœur palpite et saigne ; mais il continue à battre.

Dans « Francis » - même s’il porte un prénom qu’il déteste - il y a « franc ». Cette franchise est viscéralement intrinsèque au personnage. Olivier Marchal, son ami, son « frère », qui signe la préface du livre, souligne, en s’adressant directement à lui, cette façon d’être à plusieurs reprises : « Toi, tu ne sais ni ne peux faire semblant ». Et il résume le bonhomme avec une formule aussi lapidaire qu’imparable : « Trop de bruit, trop de gueule, trop de fureur, trop de talent »… Avec une telle introduction, on sait à quoi s’attendre lorsqu’on se plonge dans la lecture de La rage au cœur.


Eh bien, ce que l’on découvre tout au long de ces 340 pages va bien au-delà. Ce livre n’est pas un coup de poing, c’est un enchaînement éprouvant de crochets, de directs, d’uppercuts. Ça arrive de partout ! Les mots sont durs, les chapitres courts, les phrases brèves. Francis ne va qu’à l’essentiel, sans fioritures ni concessions… Le moins qu’on puisse dire, c’est que le destin ne s’est pas montré très tendre à son égard. Le 27 septembre 1967, il a pris un rendez-vous manqué avec la vie. Son « bonheur » aura duré quatre ans ! Passé cette parenthèse, son existence n’aura été jalonnée que de coups, de morts violentes, d’injustices. Quand il connaît une accalmie, quand il découvre que l’on peut recevoir aussi de l’amour (auprès de ses grands-parents), on lui arrache ce bien-être pour le plonger dans un monde de violence et d’indifférence. Du coup, il va grandir comme une mauvaise herbe. Pas le choix. Quand on n’a pas d’autre alternative que la survie, on s’accroche à tout et à n’importe quoi. Et, surtout, on devient tout naturellement un rebelle.
Emporté comme il l’était sur des eaux saumâtres et tumultueuses, il aurait pu se laisser couler à tout moment. Or, il a surnagé. Il s’est appuyé plus ou moins consciemment sur deux bouées salvatrices : le rêve et le cinéma. « Je n’ai fait que rêver pour m’empêcher de voir le pire », annonce-t-il en préambule… Quelle enfance, quelle adolescence !

J’ai été d’autant plus passionné par ce livre que je me suis senti concerné à plusieurs reprises.
D’abord, Francis a grandi dans la même région que moi. Je connais les bourgades vosgiennes dont il parle, Remiremont, Le Thillot, Le Val d’Ajol… Ensuite, il évoque son amitié pour Samy Naceri. Or, il s’avère que j’ai écrit l’autobiographie du héros de Taxi Normal qu’ils aient été attirés l’un vers l’autre. Ce sont deux êtres en recherche chronique d’un père, en quête permanente d’amour et d’un minimum de reconnaissance et qui nourrissent une même aversion pour l’injustice. En plus, ni l’un ni l’autre ne possédait « la carte » pour pénétrer dans ce milieu si particulier qu’est le cinéma. Pourtant, Samy a beaucoup moins de raisons légitimes d’avoir « la rage ». Il est très loin d’avoir connu une enfance aussi cruelle et douloureuse que celle de Francis.

Olivier Marchal, Francis Renaud, Gérard Lanvin
Enfin, j’ai eu l’opportunité de croiser Francis Renaud à plusieurs reprises, le plus souvent en compagnie d’Olivier Marchal. Je l’ai également interviewé en janvier 2002. Il venait de tourner dans La Mentale au côté, justement, de Samy Naceri. J’ai rencontré alors un garçon cordial, sensible, généreux, bref foncièrement attachant… J’ai sélectionné quelques déclarations qu’il m’a faites au cours de cet entretien, déclarations que j’ai retrouvées dans son autobiographie : « J’ai une violence en moi », « J’interprète toujours des personnages en bascule », « J’ai envie de vivre sans rentrer dans le système », « J’ai été un enfant mal aimé. Mon refuge, c’était les cimetières ; je trouvais ça apaisant. Je discutais avec les photos des morts », « J’avais dit à un copain que je voulais faire du cinéma. Il m’a offert une bio de James Dean. J’ai fait une fixation : James Dean est mort à 25 ans et mon père à 26 », « Le monde du cinéma m’a mis tricard pendant huit ans ; c’est un milieu un peu pourri », « J’ai un peu trop parlé. Je dérangeais en disant ce que je pensais », « je ne supporte pas les rumeurs, surtout quand elles sont fausses », « Olivier Marchal est quelqu’un qui me touche énormément. J’aime son mélange de candeur, de générosité et de violence. Il me transperce. Pour moi, c’est le Comte de Monte Cristo ! »…

En relisant ces lignes, en pensant à Francis Renaud, il m’est revenu du fond de ma mémoire une expression que j’avais entendue dans ma jeunesse : « Il n’a pas de porte de derrière ». Cela signifie que la personne dont on parle est directe, franche du collier. Dans l’absolu, c’est une qualité rare ; qui devrait être universelle. Or, il s’avère que c’est une pratique à haut risque. Encore plus dans un microcosme comme celui du cinéma où l’on cultive jalousement son entre-soi. Et c’est encore pire lorsque celui qui dit les choses ne fait pas partie du sérail. Guy Béart l’a très bien chanté : « Celui qui dit la vérité, il doit être exécuté »… Là, la sanction est professionnelle. Au sein des réseaux, le bouche-à-oreille fonctionne à la vitesse de la lumière. Du jour au lendemain, on n’existe plus, on ne travaille plus.


Tout acteur qu’il soit, pas question pour lui de se donner le beau rôle. De la première à la dernière page Francis Renaud est honnête. Il ne se lamente pas sur son sort, il ne se victimise pas. Il ne cache rien de ses forfaits, de ses turpitudes et de ses dérives. Rien non plus de ses emballements, de ses amours et de ses succès. Il aurait pu facilement basculer dans le pathos mais il est trop avide de justice et de justesse pour cela. Il raconte, c’est tout. Il livre des faits. A nous de nous faire notre opinion. Il n’élude rien et, pourtant, je suis quasiment convaincu qu’il n’a pas chargé la mule, qu’il a occulté pas mal de choses.

La rage au cœur est un livre fort, âpre, dérangeant. L’instinct de survie est d’une puissance incroyable. Le petit Francis aurait dû être écrasé, broyé par tout ce qui lui est tombé sur la gueule. Il aurait dû être haineux et revanchard avec son pauvre cœur en manque d’amour. Il a comblé les vides avec la rage. Et il a grandi et avancé comme ça, un coup de cœur, un coup de rage. Il a adapté tous ses handicaps en « fureur de vivre » (coucou James Dean). Malgré tous les obstacles qu’on a dressés sur sa route, à 51 ans, il a tourné dans une trentaine de films et dans une cinquantaine de téléfilms, et il a écrit et réalisé son propre long métrage, Marie, Nonna, la Vierge et moi. Imaginez la carrière qu’il aurait faite s’il avait tenu sa langue et s’était montré un tantinet hypocrite ! Mais il n’aurait sans doute pas été raccord avec ses principes et n’aurait pas apprécié son reflet dans la glace.
La rage au cœur est un livre fort, âpre, dérangeant… Quoi ? Je l’ai déjà dit ? Eh bien tant pis, je le redis !

Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 23 novembre 2018

Etude notariale

Séverine Autenzio
36, rue Etienne Dolet
94230 Cachan
Tel : 01 58 07 00 45
www.autenzio-cachan-94.notaires.fr

Une fois n'est pas coutume : Critikator ne conseille pas une pièce, un disque, un livre, un spectacle.
J'ai envie exceptionnellement de faire l'éloge... d'une étude notariale... Ayant besoin des services d'un notaire, la proximité géographique m'a amené à ouvrir la porte du bureau de Séverine Autenzio.
Je n'ai eu qu'à me louer de la qualité et de son accueil et de ses conseils. Humaine, pédagogue, compétente, elle allie avec naturel la rigueur professionnelle et le sens de l'écoute.
En sortant de son étude, parfaitement informé, j'avais la sensation confuse de quitter une amie...
C'est la raison pour laquelle, n'ayant aucun intérêt dans ses affaires, il m'est facile de recommander chaudement ses services.

Un Picasso


Studio Hébertot
78bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
Tel : 01 42 93 13 04
Métro : Villiers / Rome

Une pièce de Jeffrey Hatcher
Adaptée par Véronique Kientzy
Mise en scène par Anne Bouvier
Décor de Charlie Mangel
Lumières de Denis Koransky
Costumes de Mine Vergez
Musique de Raphaël Sanchez

Avec Sylvia Roux (Mademoiselle Fischer), Jean-Pierre Bouvier (Pablo Picasso)

Synopsis : 1941. Paris est occupé.
Pablo Picasso est convoqué par Mademoiselle Fischer, attachée culturelle allemande, dans un dépôt où sont entreposées des œuvres d’art volées aux Juifs par les Nazis… Il doit identifier parmi elles trois de ses propres tableaux pour permettre à la propagande allemande d’organiser une exposition d’« Art Dégénéré » dont le point d’orgue sera un autodafé. Telle est la terrible mission confiée à la jeune femme dans le face à face qui l’oppose à l’artiste.
Comment Picasso va-t-il empêcher la destruction de ses tableaux ? Quels arguments peut-il employer pour faire échec à cette entreprise honteuse ? Certes, Mademoiselle Fischer est acquise à la cause nazie, mais pour autant elle a du mal à cacher la fascination qu’exerce sur elle la beauté des œuvres du maître.
Débute alors un affrontement tout en séduction, ruse, violence et ambiguïté dans lequel le peintre sait, qu’au-delà de lui-même, se joue un combat essentiel : la défense de la liberté de l’artiste face à la barbarie totalitaire qui, toujours, cherche à la détruire…

Mon avis : Cette pièce est un superbe mano a mano entre deux grands fauves, Madame Fischer et Pablo Picasso. Elle, c’est un animal à sang froid ; lui, c’est un buffle bouillonnant… En clair, nous assistons à un affrontement entre le feu ibère et la glace teutonne. L’opposition va être âpre et tendue.

Tous les éléments sont réunis pour qu’il y ait conflit. Madame Fischer est allemande. N’oublions pas que nous sommes en 1941. Le pouvoir nazi est à son apogée. Madame Fischer est Allemande. Elle se sent investie des pleins pouvoirs. Elle a la force avec elle. D’ailleurs, la Gestapo monte la garde à l’entrée de l’entrepôt. Pour arriver à ses fins, elle peut ainsi se montrer cassante, abrupte, autoritaire. Le problème, c’est qu’on ne peut imposer quoi que ce soit à un individu comme Picasso.
Lui, la guerre, il s’en fout. D’abord, il n’est même pas Français. C’est un exilé espagnol. Il n’est donc pas directement impliqué. Il ne réagit qu’en artiste et… en homme qui ne veut pas se laisser dicter sa conduite par une femme. C’est un des ressorts de la pièce. Le Pablo est non seulement très imbu de sa personne et de son immense talent, mais c’est aussi un sacré misogyne. C’est un taureau. Il ne cherche pas à esquiver, il fonce droit vers la muleta que cette torera fasciste agite devant son mufle fumant. Il n’est pas question pour lui de se laisser dominer par une représentante du sexe faible, fût-elle protégée par son statut d’occupante.

Ce face-à-face est passionnant. Il repose essentiellement sur des dialogues mordants, incisifs, drôles parfois, et sur deux comportements et deux mentalités diamétralement opposés. Autant Madame Fischer est rigide, cassante, sûre d’elle et de ce qu’elle représente, autant Picasso est rebelle, bougon et fougueux. S’appuyant sur un fonds historique solide (le texte est émaillé de nombreuses anecdotes et informations passionnantes), cette pièce, intelligente, est vraiment prenante. La bagarre est aussi intense sur le plan physique que psychologique. La tension va croissant. Un Picasso est un véritable suspense, un savoureux poker menteur qui nous tient en haleine jusqu’à la fin.

Gilbert "Critikator" Jouin

mercredi 21 novembre 2018

Pierre Perret "Humour Liberté"


Disques Adèle. Distribution Irfan, Le Label

« Humour Liberté »

31ème album studio de Pierre Perret, Humour Liberté s’inscrit dans la lignée de ses opus généralistes, c’est-à-dire non thématiques.
Trousseur de mots, détrousseur d’idées, retrousseur de zygomatiques, l’ami Pierrot, revisite dans ce nouvel album toutes les formes, tous les styles de chansons qui font sa renommée depuis… 1957 (61 ans !).
Pierre Perret… Père éternel dont l’œuvre fait partie depuis belle lurette du patrimoine de la chanson française, nous propose douze titres au contenu éclectique. Cela fait déjà un bon moment qu’il s’applique à faire se côtoyer dans ses albums des chansons rigolotes et coquines avec des chansons engagées.

Dans Humour Liberté, on retrouve donc le Perret traditionnel, le Perret rabelaisien et égrillard (Le beau matelot), le Perret témoin de son temps (Humour Liberté, Les émigrés), le Perret à la nostalgique souriante (La communale, Mémé Anna, Django, Ils se gourent), le Perret contemplatif (Ma France à moi), le Perret moralisateur (Pédophile), le Perret stylistique (Héloïse) et l’ami Pierre (L’ami fidèle, La ouananiche)…
En même temps, certaines de ces chansons se sentent un peu à l’étroit quand on les place dans des cases ainsi étiquetées. Elles dégagent des sensations, des sentiments, voire des dénonciations plus complexes.


Prenons donc la « liberté » d’analyser le contenu de cet album :

1/ Comment réduire Humour Liberté à un simple fait divers ? Accompagnée par une musique martiale avec roulements de tambours en intro, cette chanson qui évoque la tragédie de Charlie est un hommage fraternel. Dans l’esprit de Pierre, juxtaposer ces deux mots est un pléonasme. Il est tellement évident que l’humour se doit d’être libre, sans tabous, sans interdits, fussent-ils religieux. Quant à la liberté d’expression, elle devrait faire partie des saints sacrements et être œcuménique… Que des « grands gosses » armés de leurs seuls « crayons », certes bien pointus, bien aiguisés, puissent perdre la vie pour le seul motif de blasphème, c’est ahurissant. Pierre rejoint ici deux des ses pairs, Brassens, qui supputait que l’on puisse « mourir pour des idées » - ici pour des dessins qui les colportent -, et Béart qui déplorait « Le poète a dit la vérité, il doit être exécuté »… Résultat : on tombe dans une funeste caricatuerie…
Qu’elle est belle et forte cette chanson écrite d’une « plume alerte » !

2/ La communale s’inscrit en pleins et en déliés dans la plus pure tradition perretienne. Sur un ton guilleret, il égrène les quatre piliers sur lesquels s’est érigée sa scolarité castelsarrasinoise : la castagne, l’entraide pour les leçons en fonction des points forts de chacun, le goûter, et l’éveil à la sexualité. Souvenirs savoureux d’une époque bénie où le portable et Internet n’existaient pas.

3/ Les émigrés est une chanson-message dans la lignée de Lili. Pierre se met carrément dans la peau d’un émigré lambda qui se fait le représentant de tous ceux qui, comme lui, fuient leur pays pour différentes raisons. Il nous narre son odyssée avec les nombreux dangers qui l’ont émaillée. Il termine toutefois avec cette note d’espoir : le projet de rentrer un jour au pays.

4/ Retour aux grands classiques avec cette chanson polissonne qu’est Le beau matelot. Avec ses expressions et son langage très imagés, le chevalier paillard nous raconte par le menu un dépucelage. On se gondole et on se marre quasiment tout du long. Et puis il y a la chute, une chute qui pourrait s’apparenter à une sorte de coït interrompu et qui laisse un goût saumâtre.

5/ Ma France à moi appartient à la catégorie des chansons-énumérations. Pierre y dresse un bilan très personnel en citant toutes les personnes qui ont contribué à lui apporter son « gai savoir » : les écrivains, les poètes, les peintres, les humoristes, les musiciens, les grandes figures féminines, les savants, les comédiens, des hommes ou femmes politiques… Bref, une sorte d’inventaire à la Perret, un best of de ces personnalités que « les écoliers devraient apprendre par cœur ». Tous ces grands personnages étant des apôtres de la liberté d’expression, cette chanson vient compléter le thème exposé dans Humour Liberté.

6/ Une sacrée luronne que cette Mémé Anna un peu « chtarbée ». Quelle gaillarde ! Elle aussi exprimait son humour et sa fringale de vie en toute liberté. Sentencieuse, convaincante, consciencieuse (n’est-ce pas monsieur le Vicomte ?), licencieuse, anticléricale… Avec un tel modèle, une telle hérédité, le petit Pierrot ne pouvait pas être un ange.


7/ L’ami fidèle est une chanson cérébrale à suspense. Pierre Perret se met à gamberger et à se poser un tas de questions pour tenter de deviner quelles peuvent être les raisons du silence d’un ami. On analyse avec lui toutes les suppositions qui appartiennent au champ du possible. Sauf que la réalité ne fait pas partie des idées qu’il s’est faites. Elle est en fait toute simple. Lorsqu’il découvre enfin le poteau rose, il n’a de cesse que de lui démontrer à son vieux complice l’intangibilité de son amitié.

8/ J’ai ressenti un certain malaise à l’écoute de Pédophilie. C’est une chanson à la fois explicite et ambiguë. Le désert sexuel que leur religion impose aux prêtres les amène à des pratiques que la morale réprouve. Il ne faut pas surtout pas laisser venir à eux les petits enfants. Il y a des ouailles adultes pour cela... C’est une chanson qui fait désordre car la fin des quatre couplets leur donnerait quasiment l’absolution puisque « les faits sont prescrits », alors « on n’en parle plus »… Au contraire, il faudrait l’abroger cette prescription et ne pas mettre ces turpitudes ecclésiastiques sous l’éteignoir.

9/ Django est le pendant de Ma France à moi, mais vis-à-vis du jazz. Pierre y liste tous ces musiciens qui lui ont enchanté les cages à miel, fait swinguer l’âme et « mis le soleil au cœur ». Quelle compilation !

10/ Grand amateur de figures de styles, le Pierre a dû se régaler avec l’imparfait du subjonctif qui agrémente le texte d’Héloïse. C’est un petit bijou d’écriture au charme désuet mis au service d’une histoire un tantinet coquine.

11/ J’ai beaucoup aimé Ils se gourent car c’est une chanson qui se termine sur belle note rassurante d’espoir. Quatre couplets pour démontrer à grand force d’images qu’en amour on ramasse plus de râteaux que de pelles ; donc qu’il est superfétatoire d’y croire… Et puis survient dans le cinquième couplet la « bandante » Raymonde qui met à bas toutes ces certitudes nées d’échecs sentimentaux répétés. Conclusion : il faut espérer en l’amour et remettre sans cesse son métier sur l’ouvrage.

12/ Dans le refrain, Pierre Perret, grand pêcheur devant l’Eternel, nous explique ce qu’est La ouananiche. Pas besoin donc d’ouvrir votre dico. C’est les copains d’abord en goguette sur les rives du Saint-Laurent ou des lacs canadiens pour une mémorable partie de « pêche miraculeuse ». C’est avant tout une superbe histoire qui tourne autour de ce pivot, essentiel pour lui, qu’est l’amitié… La ouananiche permet ainsi à cet album de finir en queue de poisson. On peut donc imaginer que le Pierre a déjà appâté pour un 32ème opus…

Gilbert "Critikator" Jouin



jeudi 27 septembre 2018

Un truc entre nous


Comédie Bastille
5, rue Nicolas Appert
75011 paris
Tel : 01 48 07 52 07
Métro : Richard Lenoir / Chemin Vert

Une pièce de Clément Naslin
Mise en scène par Agnès Boury
Mise en magie de Clément Naslin
Consultant magie : Fred Razon
Lumières de Sébastien Lanoue
Costumes de Sandra Grélier
Musique de Romain Trouillet

Avec Clément Naslin et Sabine Perraud

Présentation : Un truc entre nous est une pièce et un spectacle de magie, à moins que ce ne soit un spectacle de magie et une pièce.
Que se passe-t-il quand l’assistante du magicien décide de prendre le contrôle du spectacle ? Sous nos yeux amusés, Clément va devoir céder du terrain à sa partenaire. Entre le magicien et l’assistante, le torchon brûle, ça fuse, ça balance, et ça fait des étincelles…

Mon avis : Tout comme le PSG, Clément Naslin « est MAGIQUE » ! On connaissait le comédien, sa drôlerie, on connaissait aussi l’auteur (Jackpot), mais on ignorait qu’il était féru de magie depuis son plus jeune âge. C’est ce que l’on découvre dans son nouveau spectacle, Un truc entre nous.
Ce titre, très efficace, possède plusieurs niveaux de lecture. Il y a d’une part les « trucs » propres aux tours de magie, il y a en outre ce petit « truc » qui fait qu’il y a une attirance entre deux personnes, et il y a aussi ce « truc » complice qui s’établit entre des artistes et le public. D’où l’importance du « nous » qui peut autant s’appliquer au couple qui évolue sur scène qu’aux spectateurs. Car ce spectacle est très interactif. Sabine et Clément nous sollicitent, nous interpellent, nous prennent à témoin. Nous sommes aux premières loges pour assister à un spectacle qui, lui-même, est double puisqu’il mêle très intelligemment le théâtre et la magie. C’est aussi habile que fascinant car nous somme sans cesse partagés entre l’émerveillement et l’étonnement que nous procurent d’excellents tours et l’intérêt suscité par la relation entre le magicien et son assistante.


Au départ, Clément et Sabine ne se trouvent pas au même niveau. Lui, il est LE magicien, le maître, celui qui sait et celui qui fait… Elle, elle est son faire-valoir, sa caution charme, sa potiche quoi. Mais la belle a du caractère. Elle cherche à exister. Son ambition est d’abord d’être considérée comme une partenaire et non plus comme une assistante. Mais Clément n’a pas envie de se voir piquer la vedette. S’ensuit donc un affrontement, un ping-pong verbal à grand coups de vannes et de chamailleries. Or, tout en se houspillant et en se balançant des vacheries sous formes d’épithètes bien choisis, ils accomplissent comme si de rien n’était un grand nombre de tours de passe-passe qui nous laissent ébaubis. C’est qu’il y a du niveau dans le domaine. Escamotages, artifices, illusions, mentalisme, manipulations, bruitages, prestidigitation, tours filmés et projetés avec gros plans sur les mains… tout y est. Mais comme ces prouesses sont insérées au cœur de la comédie, elles en font finalement partie intégrante. Elles agrémentent la pièce, la rythment, la diversifient pour en faire un spectacle franchement original.


Les deux comédiens s’en donnent à cœur joie. Les dialogues sont vifs, drôles et percutants. Tout est construit de façon à nous troubler l’esprit. Pendant qu’on se focalise sur leur querelle, notre attention est un moment détournée. Si bien qu’ils en profitent pour nous surprendre avec un tour que l’on n’a pas vu venir. On a beau être sur nos gardes on se fait quand même avoir. C’est vraiment bluffant.
Un truc entre nous est un fort bon spectacle qui s’adresse à tous les publics. C’est plaisant, réjouissant, sympathique, immensément drôle, remarquablement interprété. On ne s’ennuie pas une seconde. On passe un très, très bon moment à la Comédie Bastille.

Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 18 septembre 2018

Jimmy Lévy "Adoration"


Cherche Midi
176 pages
17 €

Un an après le déconcertant et très réussi Petites reines, Jimmy Lévy vient de sortir son deuxième roman, Adoration.
Avant même d’entrer dans le vif du sujet, une évidence s’impose : nous tenons avec Jimmy Lévy une sacrée plume, un grand écrivain. Son style, que l’on retrouve avec une gourmandise teintée de fascination, est riche, foisonnant, impétueux. C’est un véritable stakhanoviste du verbe, un amoureux de la langue, un orpailleur qui s’acharne à n’extraire que les pépites qui émergent dans le grand tamis du vocabulaire pour nous les restituer dans l’écrin de son roman. L’écriture de Jimmy Lévy est un coup de poing ; ou plutôt un enchaînement ininterrompu d’uppercuts et de petits crochets qui vous frappent le cœur et l’esprit jusqu’à vous étourdir et vous laisser exsangue. Lorsqu’on referme son ouvrage, saoulé de coups, on est proche du K.O..

Trêve de compliments, abordons donc ce deuxième opus, Adoration. D’abord, il est judicieux de vérifier la définition du mot adorer : « Rendre un culte à un dieu, à un objet divinisé »…
Les 176 pages de ce livre ne sont que cela. C’est la description d’une passion. Mais une passion si exacerbée, si jusqu’au-boutiste, si dévastatrice, qu’elle se confine en « adoration ».
La relation entre le narrateur et « L » (Elle ?), va bien au-delà de la simple histoire d’amour. Nous sommes dans un cas quasiment pathologique d’une dévotion qui frise l’asservissement. Mais, bien sûr, - sans cela il n’y aurait pas de roman - un asservissement totalement consenti et assumé. Il y a même un aspect masochiste.

Ce qui est flagrant, c’est la propension que possède le narrateur à se dédoubler. Il est tout autant la victime et le témoin. En tant que témoin, il analyse avec une froideur clinique sa propre descente aux enfers. Pour reprendre une métaphore qu’il utilise, il est à la fois le conducteur et la victime d’un camion fou qui va tout écraser sur son passage… Jimmy Lévy est un médecin légiste du cœur. Il n’écrit pas, il dissèque. Sa plume est un scalpel qui fouille et touille dans les tréfonds de l’âme.
Pratiquement avant de la vivre, il sait que cette passion va être toxique. Il va en déguster les fruits amers avec une avidité inquiétante. Il y a chez lui une irrépressible volonté sacrificielle, un don de lui qui, il le pressent, peut aller jusqu’à son anéantissement. Son « adoration » n’a rien de positif. Elle est pernicieuse, nocive, mortifère.
Il ne s’épargne et ne nous épargne rien. Ce livre est âpre. Il oscille entre le réel et l’irrationnel, entre le fantasme et la réalité. Jimmy Lévy utilise intelligemment la technique du flashback. Avec un sens inné de la rupture, il nous entraîne sur une balançoire qui passe mécaniquement de l’ombre à la lumière. C’est très habile car cela évite l’écueil de la linéarité et du redondant.

On sent qu’il FALLAIT qu’il se débarrasse une bonne fois pour toutes de cette sombre histoire, de cette parenthèse désenchantée de sa vie. Ce livre lui permet de refermer une plaie, chaque mot étant une aiguille qui lui a permis d’en suturer les lèvres. Il reste aujourd’hui une cicatrise rougeâtre qu’il trimballera inexorablement. Mais ce n’est plus qu’une cicatrice… Il va pouvoir enfin passer à autre chose et se consacrer plus sereinement au métier pour lequel il était programmé, celui d’écrivain… Ainsi libéré, je suis convaincu qu’il n’a pas fini de nous surprendre.

Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 29 juin 2018

Karim Duval "Y"



-          Le 30 juin, aux Tontons Flingueurs à Lyon.
-          Du 2 octobre au 31 décembre au Boui-Boui à Lyon.

Karim Duval est de retour ! Après avoir présenté avec succès (plus de 1000 représentations) son premier seul en scène, Melting Pot, il propose aujourd’hui son deuxième opus, tout simplement intitulé Y.

Karim Duval possède déjà sa marque de fabrique, son identité propre. Cet ex-diplômé de Centrale a choisi d’abandonner un emploi d’ingénieur pour se montrer ingénieux dans l’emploi de l’humour. Plus précisément dans une forme de stand-up dont le personnage « central » est la personne qu’il connaît le mieux, lui-même. Mais on constate très vite que tous les thèmes qu’il aborde nous concernent tous. Quand il parle de lui, il parle aussi de nous.

Comme son nom l’indique, dans Y, il se focalise sur cette génération – la sienne – qui regroupe les personnes nées entre 1980 et 2000. Son analyse est très percutante. Toutes ses observations sont marquées du double sceau de la pertinence et de l’intelligence. S’appuyant sur une solide base d’autodérision, il peut se permettre d’extrapoler sur les principaux traits de caractères de ses contemporains âgés aujourd’hui de 20 à 38 ans.

Gentiment vanneur, à grand renfort d’exemples éminemment drôles et imagés, il nous amuse tout en nous en faisant réfléchir. Car, chez Karim Duval, il y a toujours du fond. Mine de rien, il distille nombre de messages emplis de tolérance et d’humanité. Karim sait être comique sans user jamais de cynisme. Il est plus dans la satire. Son spectacle remarquablement écrit et construit, fourmille de réflexions avisées. Il nous tient en permanence en attention. Comme tous ses congénères estampillés « Y », il cherche à donner un sens à sa vie. Ce qui n’est pas si évident. Il raille, mais toujours avec une certaine tendresse, la génération B (celle des baby-boomers), les consultants, les traders, les adeptes du yoga, les partisans du lâcher-prise… Et il termine son exposé en nous prodiguant un conseil avisé : Yolo ! Yolo (« You Only Live Once ») qui est en quelque sorte aux « Y » ce que le « Carpe Diem » était aux « B ».

Personnellement, j’apprécie énormément le style et l’homme. Avec son parti-pris d’amuser sans casser et de ne pas nous considérer comme un public mais comme un auditoire complice, on ressent l’agréable sensation de rire intelligemment. 

Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 19 juin 2018

Eddy Mitchell "La même tribu" (volume 2)


Polydor / Universal Music France

S’il est plutôt de coutume de respecter l’adage par lequel « on ne change pas une équipe qui gagne », Eddy Mitchell, lui, préfère conserver un concept qui gagne (1er opus certifié platine avec plus de 100.000 exemplaires vendus) en renouvelant quasi totalement l’équipe des artistes qui viennent s’associer à lui le temps d’un duo.

Elle est large la tribu mitchellienne ! On en connaissait certes le premier cercle, composé en priorité de ses deux « vieilles canailles », Johnny-le-frère et Jacques Dutronc, l’ami de longue date, mais aussi de sa fille aînée, Maryline, et de quelques collègues-potes historiques comme Alain Souchon, Renaud, Julien Clerc ou Christophe. Puis sont venus s’agréger en cercles concentriques des artistes qu’Eddy apprécie tout particulièrement à la fois pour leur voix et pour leur état d’esprit. Eddy n’est pas un nostalgique, il est aussi à l’affût des talents émergents. D’où ce brassage intelligent dans les deux volets de La Même tribu.

Un seul artiste a le privilège de figurer sur les deux albums : Arno. Il est la seule exception… Eddy affectionne tout particulièrement les personnages qui, comme Arno, ont un grain. Un grain de voix hors du commun et un grain de folie. Avec le « Tom Waits » belge, il est comblé !


Pour ce deuxième album, Eddy Mitchell a fait appel à quelques camarades de la vieille garde qui, par faute de place ou d’emplois du temps, n’avaient pas figuré dans le premier : Maxime Le Forestier, Laurent Voulzy, William Sheller, Michel Jonasz et, bien sûr, Véronique Sanson ; Véro qui, ne l’oublions pas, à fait partie de la toute première édition de la tournée des Enfoirés aux côtés d’Eddy, Johnny, Sardou et Godman. Les after-shows avaient été paraît-il mémorables !... Il a également « convoqué » quelques valeurs sûres de la génération intermédiaire, Calogero, Pascal Obispo, Féfé, Laurent Gerra, Thomas Dutronc, plus une des grandes révélations 2017-18, Juliette Armanet,
On retrouve également au générique de ce volume 2, Helena Noguerra et, plus étonnement, la comédienne Cécile de France. Enfin, comme dans le précédent où Eddy avait invité une Guest star américaine en la personne du regretté Charles Bradley, disparu en septembre 2017, il a convié cette fois Gregory Porter, un chanteur californien de soul et de jazz vocal.
Voici donc les quinze nouveaux membres du clan.

A l’instar du précédent album, la qualité est au rendez-vous. On en remarque d’abord une constante : le superbe travail sur les arrangements. Aucun titre ne possède la même couleur. Sur certains, c’est le piano qui est mis en évidence, sur d’autres c’est la guitare, ou bien les cuivres qui sortent du lot quand ce ne sont pas les cordes. Des trilles d’harmonica par ci (Charlie McCoy, s’il vous plaît), le son si spécifique d’une pedal steel guitar par là, de la flûte… Bref, ce sont plus de cinquante musiciens, parmi ce qui se fait de mieux en France et aux Etats-Unis, qui ont prêté leur concours à la réalisation musicale de cet album. Sur le plan acoustique, c’est une merveille absolue et je vous conseille vivement de l’écouter au casque pour en goûter toute la richesse et toutes les subtilités.


Avec un accompagnement de ce niveau, la tâche pour les chanteurs et chanteuses est tout de même bigrement simplifiée. Facile d’entrer dans un tel costume. Pour parodier le texte d’une chanson d’Eddy de 1971 qui figure sur ce CD, on peut proclamer qu’avec de telles chansons, « c’est facile d’être amoureux tout le temps » et, qu’avec de tels partenaires, « c’est facile avec eux de faire des enfants »… En plus, Eddy est très malin. Il n’a pas distribué ses duos par tirage au sort. Il a visiblement ciblé ses complices d’un tour de chant. Par exemple, pour cette chanson éminemment sociétale qu’est Il ne rentre pas ce soir, il a choisi un grand auteur à textes, Maxime Le Forestier. Pour raconter La dernière séance, qui mieux qu’une actrice, Cécile de France, pouvait l’interpréter en y apportant toute sa sensibilité parce que concernée par le sujet ? Et il ne pouvait trouver meilleur complice pour Je chante pour ceux qui ont le blues que le créateur de Du blues, du blues, du blues, Michel Jonasz. Enfin, quelle bonne idée que de confier à Laurent Gerra quelques imitations de son cru pour C’est la vie mon chéri… Ces choix ne sont pas anodins.

En revanche, il est bien plus difficile de déterminer un ordre préférentiel, de dire quels sont les duos que l’on place en haut de notre hit-parade personnel.
Voici néanmoins mes six tandems préférés :
-          That’s How I Got To Memphis, avec Gregory Porter
-          Couleur menthe à l’eau avec Juliette Armanet
-          Pas de boogie-woogie avec Calogero
-          Rio Grande avec Laurent Voulzy
-          Vieille Canaille avec Féfé
-          Le Cimetière des éléphants avec Véronique Sanson
Mais j’ai franchement presque tout aimé. Encore une fois, je me suis régalé. Quelle beau concept !


Je terminerai en mettant en exergue la formidable présence d’Eddy Mitchell. Il s’amuse comme jamais. Il se balade d’un titre à l’autre avec un plaisir non dissimulé. On le perçoit dans sa façon de chanter. Tout en maîtrise, il joue avec sa voix, intervient entre les lignes, se livre à quelques scats ou onomatopées. Libre, parfaitement détendu, paternel et fraternel, il est le grand manitou de cette joyeuse Tribu, son véritable patriarche… On n’a plus qu’à espérer un troisième volume. Il reste encore quelques pointures ou quelques jeunes pousses avec lesquelles il ferait bon revisiter le superbe répertoire (l’œuvre ?) d’Eddy Mitchell.