Hugo :
Doc
340
pages. 18,50 €
Quel
livre ! En fait, tout est annoncé dans le titre. De toute évidence, Francis
Renaud est un affectif doublé d’un écorché vif. Son autobiographie est une
autopsie à cœur ouvert et sans anesthésie. Lorsque le scalpel ouvre son organe,
on y découvre qu’il contient, partagés à parts égales, deux sentiments forts et
profonds : l’amour et la rage. Tout au long de cet ouvrage, son cœur palpite
et saigne ; mais il continue à battre.
Dans
« Francis » - même s’il porte un prénom qu’il déteste - il y a « franc ».
Cette franchise est viscéralement intrinsèque au personnage. Olivier Marchal,
son ami, son « frère », qui signe la préface du livre, souligne, en s’adressant
directement à lui, cette façon d’être à plusieurs reprises : « Toi,
tu ne sais ni ne peux faire semblant ». Et il résume le bonhomme avec une
formule aussi lapidaire qu’imparable : « Trop de bruit, trop de
gueule, trop de fureur, trop de talent »… Avec une telle introduction, on
sait à quoi s’attendre lorsqu’on se plonge dans la lecture de La rage au cœur.
Eh
bien, ce que l’on découvre tout au long de ces 340 pages va bien au-delà. Ce
livre n’est pas un coup de poing, c’est un enchaînement éprouvant de crochets,
de directs, d’uppercuts. Ça arrive de partout ! Les mots sont durs, les chapitres
courts, les phrases brèves. Francis ne va qu’à l’essentiel, sans fioritures ni
concessions… Le moins qu’on puisse dire, c’est que le destin ne s’est pas
montré très tendre à son égard. Le 27 septembre 1967, il a pris un rendez-vous
manqué avec la vie. Son « bonheur » aura duré quatre ans ! Passé
cette parenthèse, son existence n’aura été jalonnée que de coups, de morts
violentes, d’injustices. Quand il connaît une accalmie, quand il découvre que l’on
peut recevoir aussi de l’amour (auprès de ses grands-parents), on lui arrache
ce bien-être pour le plonger dans un monde de violence et d’indifférence. Du
coup, il va grandir comme une mauvaise herbe. Pas le choix. Quand on n’a pas d’autre
alternative que la survie, on s’accroche à tout et à n’importe quoi. Et, surtout,
on devient tout naturellement un rebelle.
Emporté
comme il l’était sur des eaux saumâtres et tumultueuses, il aurait pu se
laisser couler à tout moment. Or, il a surnagé. Il s’est appuyé plus ou moins
consciemment sur deux bouées salvatrices : le rêve et le cinéma. « Je
n’ai fait que rêver pour m’empêcher de voir le pire », annonce-t-il en
préambule… Quelle enfance, quelle adolescence !
J’ai
été d’autant plus passionné par ce livre que je me suis senti concerné à
plusieurs reprises.
D’abord,
Francis a grandi dans la même région que moi. Je connais les bourgades vosgiennes
dont il parle, Remiremont, Le Thillot, Le Val d’Ajol… Ensuite, il évoque son
amitié pour Samy Naceri. Or, il s’avère que j’ai écrit l’autobiographie du
héros de Taxi Normal qu’ils aient été
attirés l’un vers l’autre. Ce sont deux êtres en recherche chronique d’un père,
en quête permanente d’amour et d’un minimum de reconnaissance et qui
nourrissent une même aversion pour l’injustice. En plus, ni l’un ni l’autre ne
possédait « la carte » pour pénétrer dans ce milieu si particulier qu’est
le cinéma. Pourtant, Samy a beaucoup moins de raisons légitimes d’avoir « la
rage ». Il est très loin d’avoir connu une enfance aussi cruelle et douloureuse
que celle de Francis.
Olivier Marchal, Francis Renaud, Gérard Lanvin |
Enfin,
j’ai eu l’opportunité de croiser Francis Renaud à plusieurs reprises, le plus
souvent en compagnie d’Olivier Marchal. Je l’ai également interviewé en janvier
2002. Il venait de tourner dans La
Mentale au côté, justement, de Samy Naceri. J’ai rencontré alors un garçon cordial,
sensible, généreux, bref foncièrement attachant… J’ai sélectionné quelques
déclarations qu’il m’a faites au cours de cet entretien, déclarations que j’ai
retrouvées dans son autobiographie : « J’ai une violence en moi », « J’interprète toujours des
personnages en bascule », « J’ai envie de vivre sans rentrer dans le
système », « J’ai été un enfant mal aimé. Mon refuge, c’était les
cimetières ; je trouvais ça apaisant. Je discutais avec les photos des
morts », « J’avais dit à un copain que je voulais faire du cinéma. Il
m’a offert une bio de James Dean. J’ai fait une fixation : James Dean est
mort à 25 ans et mon père à 26 », « Le monde du cinéma m’a mis
tricard pendant huit ans ; c’est un milieu un peu pourri », « J’ai
un peu trop parlé. Je dérangeais en disant ce que je pensais », « je
ne supporte pas les rumeurs, surtout quand elles sont fausses », « Olivier
Marchal est quelqu’un qui me touche énormément. J’aime son mélange de candeur,
de générosité et de violence. Il me transperce. Pour moi, c’est le Comte de
Monte Cristo ! »…
En
relisant ces lignes, en pensant à Francis Renaud, il m’est revenu du fond de ma
mémoire une expression que j’avais entendue dans ma jeunesse : « Il n’a
pas de porte de derrière ». Cela signifie que la personne dont on parle
est directe, franche du collier. Dans l’absolu, c’est une qualité rare ;
qui devrait être universelle. Or, il s’avère que c’est une pratique à haut
risque. Encore plus dans un microcosme comme celui du cinéma où l’on cultive
jalousement son entre-soi. Et c’est encore pire lorsque celui qui dit les
choses ne fait pas partie du sérail. Guy Béart l’a très bien chanté : « Celui
qui dit la vérité, il doit être exécuté »… Là, la sanction est
professionnelle. Au sein des
réseaux, le bouche-à-oreille fonctionne à la vitesse de la lumière. Du jour au
lendemain, on n’existe plus, on ne travaille plus.
Tout
acteur qu’il soit, pas question pour lui de se donner le beau rôle. De la
première à la dernière page Francis Renaud est honnête. Il ne se lamente pas
sur son sort, il ne se victimise pas. Il ne cache rien de ses forfaits, de ses
turpitudes et de ses dérives. Rien non plus de ses emballements, de ses amours
et de ses succès. Il aurait pu facilement basculer dans le pathos mais il est
trop avide de justice et de justesse pour cela. Il raconte, c’est tout. Il
livre des faits. A nous de nous faire notre opinion. Il n’élude rien et,
pourtant, je suis quasiment convaincu qu’il n’a pas chargé la mule, qu’il a
occulté pas mal de choses.
La rage au cœur est
un livre fort, âpre, dérangeant. L’instinct de survie est d’une puissance
incroyable. Le petit Francis aurait dû être écrasé, broyé par tout ce qui lui
est tombé sur la gueule. Il aurait dû être haineux et revanchard avec son
pauvre cœur en manque d’amour. Il a comblé les vides avec la rage. Et il a
grandi et avancé comme ça, un coup de cœur, un coup de rage. Il a adapté tous
ses handicaps en « fureur de vivre » (coucou James Dean). Malgré tous
les obstacles qu’on a dressés sur sa route, à 51 ans, il a tourné dans une trentaine
de films et dans une cinquantaine de téléfilms, et il a écrit et réalisé son
propre long métrage, Marie, Nonna, la
Vierge et moi. Imaginez la carrière qu’il aurait faite s’il avait tenu sa
langue et s’était montré un tantinet hypocrite ! Mais il n’aurait sans
doute pas été raccord avec ses principes et n’aurait pas apprécié son reflet
dans la glace.
La rage au cœur est
un livre fort, âpre, dérangeant… Quoi ? Je l’ai déjà dit ? Eh bien
tant pis, je le redis !
Gilbert
« Critikator » Jouin
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