mardi 31 décembre 2013

Ados

Le Grand Point Virgule
8bis, rue de l’Arrivée
75015 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Montparnasse-Bienvenue

Comédie écrite et mise en scène par Olivier Solivèrès
Avec Gwendal Marimoutou, Hugo Randrianatoavina, Victor Viel

Présentation : Après les contes pour enfants, voici les contes pour adolescents… La grosse différence ? Essayez par exemple de faire jouer l’histoire des Trois Petits Cochons à trois adolescents… Vous comprendrez ! Par contre, si vous n’avez pas sous la main trois ados complexés, bourrés d’acné et bagués, alors venez voir les trois spécimens que l’on a capturés jouer, danser, chanter.
Mais surtout, venez les voir se transformer en ce que, tous, on a été, on est, ou on sera : Adolescents !

Mon avis : Je ne vais pas faire la fine bouche : ce spectacle n’est pas de mon âge et n’appartient pas du tout au type d’humour que j’affectionne.
Lundi après-midi. La salle est archi comble ; à majorité emplie… d’ados. Certains en groupe, d’autres accompagnés d’un adulte qui s’est dévoué. Tout est normal car Ados est une comédie jouée par des ados pour des ados. La communion entre la salle et la scène est totale.

Après une présentation de nos trois lascars devant le rideau façon MC, nous découvrons un décor luxuriant (on apprendra un peu plus tard qu’il s’agit de la forêt de Pontault-Combault, grosse bourgade de Seine-et-Marne). Dès le départ les vannes fusent dans tous les sens. Gwendal, Hugo et Victor ne cessent de se charrier à qui mieux-mieux. Le ton est donné… Le prétexte, un peu léger, mais il en faut bien eux, c’est l’histoire revisitée des Trois Petits Cochons. Il est juste effleuré, mais il permet de tourner en ridicule nos trois teenagers qui se retrouvent affublés de prénoms qui ne leur conviennent guère.
Ados est un spectacle complet, ça tchatche beaucoup, certes, mais ça chante, ça parodie et ça danse aussi. En outre, les trois caractères de nos cochonnets sont fort bien dessinés et différenciés. Ils ont en revanche en commun d’être mal dans leur peau et bourrés de complexes non assumés inhérents à leur puberté, ce qui ne les empêche nullement de se la péter et d’essayer de frimer par rapport aux deux autres. Hélas, chacun à son tour devra dévoiler à un moment ou à un autre ses failles et sa fragilité.


Gwendal, Hugo et Victor sont très à l’aise sur scène. Jouant sans cesse avec le public, ils déballent toute la panoplie de leur humour générationnel. Dans ce « melting potes », il y a de tout, du plus fin au plus lourd. Nous sommes dans une cour de récré : plaisanteries potaches, verlan, bruitages, blagues pipi-caca, grimaces, parodies de chansons, clins d’œil plutôt réussis aux Télétubbies et à Scream… Dans une salle complètement complice, ça glousse à tout-va, ça rit de bon cœur, ça vibre… Mine de rien, tout en y allant à fond dans le côté farce de leur prestation, les trois jeunes gens énoncent ça et là quelques vérités et de jolis messages. C’est là aussi un des aspects très positifs de cette pièce.

Les trois garçons, aussi différents physiquement que psychologiquement, tirent aisément leur épingle du jeu avec un petit big-up toutefois pour Gwendal, le jeune homme « bedonnant » à la coupe afro, pour ses réels talents de chanteur. Sinon, ce sont tous trois de bons comédiens en herbe qui s’en donnent à cœur joie et qui ne s’économisent vraiment pas.

samedi 28 décembre 2013

Tilt !

Théâtre de Poche Montparnasse
75, boulevard du Montparnasse
75006 Paris
Tel : 01 45 44 50 21
Métro : Montparnasse-Bienvenue

Une pièce de Sébastien Thiéry
Mise en scène par Jean-Louis Benoit
Décor de Jean Haas
Lumières de Jacques Puisais
Costumes de Marie Sartoux
Avec Bruno Solo, Sébastien Thiéry, Antony Cochin

Présentation : Tilt ! est un mélange choisi et remanié des textes de Sébastien Thiéry parmi les plus corrosifs, les plus explosifs et les plus irrésistibles de Sans ascenseur et Dieu habite Düsseldorf, ses deux premiers recueils de sketchs surréalistes (2003 et 2004).
Deux hommes ahuris, timides et inoffensifs se posent des questions sur leur existence, leur famille, leur travail ou leur place dans la société. Ces dialogues drôles et loufoques ne seraient-ils pas finalement l’inventaire désenchanté d’une contemporaine et irrémédiable solitude ?

Mon avis : J’ai vu quatre des sept pièces signées Sébastien Thiéry (Dieu habite Düsseldorf, Cochons d’Inde, Qui est Monsieur Schmitt ?, Le Début de la fin), c’est dire si son univers me plaît et me transporte de joie.
Tilt ! est en quelque sorte une œuvre de jeunesse puisqu’elle est composée d’un patchwork de textes datant aujourd’hui de dix ans et plus. Elle préfigure formidablement le contenu de ses pièces à venir, à savoir un univers absurde, déroutant, un ton décalé et une propension au non-sens qui n’appartient qu’à lui.


Rassurez-vous, en dépit de son titre, Tilt ! ne vous fera pas flipper. Quoi que… En tout cas, il y a largement de quoi perdre la boule. Personnellement, je lui ai trouvé un réel cousinage avec Les Diablogues de Roland Dubillard. On y retrouve le même humour loufoque, une même culture de l’illogisme. Pourtant, ces quelques saynètes totalement irrationnelles, mises bout à bout, finissent par avoir un sens. Si la forme des différentes situations est résolument saugrenue, au fil de l’histoire, le fond prend de plus en plus en plus d’épaisseur. C’est cette curieuse alchimie qui fait tout le charme de Tilt !. Tout en nous réjouissant, l’incohérence des propos s’estompe, craquèle comme un vernis, pour laisser apparaître la réalité du message contenu dans ce spectacle : la communication et le besoin de l’autre.

Alors même que les scènes sont tout à fait disparates, l’habile construction de la mise en scène fait qu’un lien se tisse entre les deux protagonistes. Ce sont deux solitudes qui se rencontrent, qui évoluent d’abord en parallèle avec beaucoup de méfiance, puis qui commencent à se chercher, à se plaire ensemble et enfin, se révélant complémentaires, qui finissent par fraterniser. Ce cheminement mental est très subtil. Ce sont deux marginaux, deux souffreteux de la vie, deux complexés. Au départ, ils sont comme deux aimants dont les deux pôles, identiques, se repoussent, et que leurs différences vont leur permettre petit à petit de s’attirer. Jusqu’à ne plus pouvoir se passer l’un de l’autre…



Pour réussir à faire passer une telle subtilité, une telle humanité, il faut deux comédiens particulièrement fins. Déjà pour réussir à faire passer et à rendre (presque) crédibles des situations complètement délirantes ; ensuite, pour être capable de faire passer en quelques silences ou expressions leur profonde vulnérabilité. Dire que Bruno Solo et Sébastien Thiéry sont épatants dans cet exercice est un euphémisme. Ils sont carrément fascinants, chacun dans un registre très différent mais, comme je le soulignais plus haut, absolument complémentaires.

Gilbert 'Critikator" Jouin

mardi 10 décembre 2013

Michael Jones

40-60
(Save My Money / Universal)

Annoncé comme étant son « ultime album », 40-60 contient douze titres inédits et une reprise originale en version acoustique de Je te donne en duo avec Jean-Jacques Goldman. « 40 », c’est le nombre d’années que Michael Jones a passées en France depuis qu’il a débarqué en Normandie, la région natale de sa mère. « 60 », c’est plus prosaïquement son âge. Alors, pour célébrer dignement ces deux anniversaires, il a eu l’idée de les matérialiser par cet album. Il nous livre là un joli cadeau en guise de bouquet final.
Evidemment – et on n’en attend pas moins de lui – cet album est placé sous le signe de la guitare. Je n’en veux pour preuve que l’introduction et les ponts de Son jardin secret, un premier titre qui donne le ton. C’est un album homogène, très agréable à écouter, alternant les jolies ballades et les titres plus musclés, en tout cas tous mélodieux.


Sur les treize titres qui le composent, il y en a une demi-douzaine qui a retenu mon attention :

-          Pas signé pour ça (Goldman-Alfronsi/Jones)
Très efficace avec sa couleur reggae. Le texte de Jean-Jacques Goldman est plein d’humour et de dérision. Il aurait pu l’interpréter lui-même tant il est à son image. Aux antipodes du star-system, il prône en effet  la simplicité, la discrétion. La morale de cette chanson c’est que la seule valeur qui compte c’est l’amour, c’est le seul bien pour lequel il faut vraiment se battre.

-          Keep On Rollin’ (Veneruso)
Un des deux seuls titres que Michael Jones n’a pas composé… Superbe clin d’œil aux chansons américaines des Seventies. Elle sonne superbement bien, les guitares sont splendides. C’est un grand bol d’air frais, tonique et vivifiant. Et puis, magie suprême, le très (trop) rare Francis Cabrel vient mêler sa voix à celle de Michael. Magnifique !

-          Changement d’ère (Kocourek/Jones-D'Arpa)
/Jones)
Chanson qui fait allusion aux parcours initiatiques. La rythmique, entêtante, avance tout le temps, nous pousse dans le dos comme sous la poussée irrésistible du vent (et du temps). On constate combien tout est éphémère et fragile. Il suffit d’un courant d’ère pour tout balayer…

-          C’est déjà beaucoup (Kocourek/Jones-Jones)
Une belle ode à l’amitié, qui rend hommage aux frères de sang comme aux frères de chant. Mais qui en souligne également la rareté. Beaucoup de qualitatif pour peu de quantitatif car certains signes de fraternité sont hélas faussés par l’appât du gain, la gloriole, l’égocentrisme. Très belle chanson pleine de recul et de sagesse.

-          Un dernier verre (Forsans/Jones-Jones)
« Un dernier verre pour la route » en guise de conclusion sur une jolie ambiance bluesy. Mais ce qui semblerait être une invitation conviviale est en réalité la relation d’une dépendance à l’alcool. L’alcool que l’on réclame pour avancer, pour se donner du courage. Le refuge artificiel, en fait. Avec ce sentiment amer, l’album se termine sur une note mélancolique… Ça ne fait rien, on trinque quand même ?



Et puis bien sûr, il y a l’incontournable Je te donne, interprété avec Jean-Jacques, l’ami, le frère, rencontré en 1978 avec le groupe Taï Phong. 35 ans de complicité que cette sublime chanson résume et illustre à merveille. Un grand et vrai moment de grâce absolue…

lundi 9 décembre 2013

Franck Dubosc "A l'état sauvage"

Casino de Paris
16, rue de Clichy
75009 Paris
Tel : 08 926 98 926
Métro : Trinité d’Estienne d’Orves

One man show écrit par Franck Dubosc

Présentation : Tel un lion trop vieux, Franck Dubosc casse les barreaux de sa prison dorée pour fuir au bout du monde, loin des emmerdes… Jusqu’à ce que, redevenu sauvage, tout lui manque… Il est trop tard pour revenir, mais assez tôt pour en tirer des conclusions sur un monde pas si mauvais…

Mon avis : De spectacle en spectacle, Franck Dubosc est en train de se construire une œuvre tout à fait cohérente. Lorsqu’on le suit depuis ses débuts, on a l’impression de grandir avec lui et, comme il se livre de plus en plus, de le connaître de mieux en mieux.
Franck Dubosc, c’est un personnage et un univers. Les deux évoluent en même temps que lui dévoilant peu à peu une forme de mûrissement. Mais, heureusement pour toi public, Franck Dubosc reste Franck Dubosc. Il est toujours aussi hâbleur, il cabotine toujours autant, il se complaît toujours autant dans l’exagération. Et – mais ça c’est dans son ADN – il a gardé deux de ses plus importants traits de caractère, un qui nous amuse profondément, son côté mytho, et l’autre qui nous attendrit, son côté enfant. Ces deux entités, qui cohabitent paisiblement en lui, apparaissent régulièrement au gré du spectacle, l’un comme l’autre faisant notre ravissement.


A l’état sauvage, le nouveau one-man show de Franck Dubosc s’inscrit donc dans la lignée des précédents tout en s’en démarquant notablement. Le format qu’il a choisi cette fois, qui s’apparente plus au stand-up, lui apporte beaucoup plus de liberté que les deux premiers seuls en scène, J’ vous ai pas raconté ? et Romantique, qui étaient construits sur des sketchs, et même que le troisième, Il était une fois… Franck Dubosc, qui était essentiellement autobiographique.

Après nous avoir gratifié d’une entrée digne d’une rock star (l’excès fait partie de ses péchés mignons), il nous interpelle tout de suite pour nous faire part de sa déception du monde qui l’entoure. Franck a un coup de mou, tout « l’emmerde ». Et ce ne sont pas les exemples qui lui manquent. Alors autant utiliser ce vague à l’âme pour embarquer destination l’île déserte ( ?) de Tonkiki… Un bon coup de solitude, loin des turpitudes et des agressions du monde moderne, ne pourra lui faire que du bien.

On a l’impression d’être dans une bande dessinée. Franck est un conteur hors pair. Son écriture est très imagée, son sens de la formule est toujours aussi aiguisé, ses comparaisons toujours aussi audacieuses, et ses digressions toujours aussi savoureuses. Le fait de ne pas être prisonnier du carcan d’un sketch lui permet de musarder, de divaguer, de passer du coq à l’âne. Il peut faire quelques allusions sur l’actualité, parler de politique, intégrer des personnages, nous adresser ça et là un clin d’œil par rapport à ses précédents spectacles (Sandy). Libre de tout, il nous emmène où il veut.


A l’état sauvage se décompose en trois parties : avant l’île, pendant l’île et un dernier chapitre plus personnel, plus intime, dans lequel il évoque sa famille. La fin est très jolie. Son couplet sur le bonheur est de la poésie pure. On y retrouve Franck-le-tendre, mais qui, par pudeur, s’autorise pas mal d’autodérision et quelques réflexions impayables. Ses nombreuses expériences de comédien font qu’il se trouve aujourd’hui au sommet de son art. Sa gestuelle, parfaitement maîtrisée, n’appartient qu’à lui. L’œil qui frise en permanence, le sourire malicieux, toujours prompt à provoquer les spectateurs du premier rang, la gentillesse est chez lui plus naturelle que la moquerie. Sauf lorsqu’il se complaît à se ridiculiser.

Franck Dubosc me plaît et m’amuse énormément. J'aime l'homme autant que l'artiste. Le vernis de mytho-hâbleur dont il se pare est un trompe-l’œil qui n’abuse personne. Ou alors il faut manquer sacrément de lucidité et de sensibilité. Et comme, ces derniers temps, il a tendance à vouloir s’en badigeonner de moins en moins, on voit de plus en plus souvent le cœur apparaître…

Gilbert « Critikator » Jouin


vendredi 6 décembre 2013

Etienne Daho

Les Chansons de l’Innocence retrouvée
(Polydor/Universal Music France)

Treizième album d’Etienne Daho. Ce chiffre devrait lui porter bonheur car cet opus est particulièrement réussi… Bon, je me dois d’avouer que je n’ai jamais été un Dahophile. J’aime bien l’homme, sa mentalité, sa culture, son élégance, son discours, son honnêteté, sa simplicité. Mais en dehors de quelques titres, je n’étais guère séduit par l’artiste. Je ne rentrais pas dans ses chansons… et réciproquement. Je trouvais ses textes ampoulés, voire nébuleux. De même que je n’ai jamais éprouvé le désir d’aller le voir sur scène. Peut-être suis-je passé à côté de quelque chose. On ne devient pas l’icône de toute une génération par hasard.


Mon enthousiasme pour ce nouvel album ne peut donc pas prêter à caution. Sur les onze titres qui le composent, j’en ai apprécié huit. Une jolie proportion qui frise le plébiscite !.
Tout d’abord j’ai trouvé cet album musicalement très travaillé. Les arrangements sont réellement somptueux avec, en particulier, un subtil usage des cordes qui le rend extrêmement raffiné. Il a construit une passerelle résolument estampillée années 2000 s’appuyant sur deux solides piliers, les Sixties et les Eighties… A l’image de son interprète. La voix de l’Etienne, mise très en avant, est un parti pris réussi. Comme il en a une maîtrise parfaite, elle agit comme un instrument de plus, chaud et mélodieux. Sur le plan de l’ambiance, c’est du très, très beau travail. On  prend beaucoup de plaisir à l’écouter. Daho s’est donné les moyens, ça s’entend et il faut lui en rendre hommage.


En 1981 ; il se proclamait « Mythomane », plus de trente ans après il s’émerveille d avoir retrouvé son « innocence ». Drôle de chemin parcouru. Il nous la fait à l’envers. Dans le star system, c’est habituellement l’inverse qui se produit. Voilà donc qui est réconfortant et somme toute guère étonnant de la part d’un artiste toujours aussi avide de nouvelles aventures et affranchi de toute contrainte matérialiste.

Or donc, pour ce qui me concerne voici dans un ordre préférentiel, les chansons qui m’ont le plus plu :
-          La peau dure
-          Le malentendu
-          Onze mille vierges
-          L’étrangère
-          En surface
-          Les torrents défendus
-          L’homme qui marche
-          Un nouveau printemps


(A noter l’ambiance joliment gainsbourienne de L’homme qui marche et de L’étrangère)

Olivier de Benoist "Fournisseur d'excès"

La Cigale
120, boulevard Rochechouart
75018 Paris
Tel : 01 49 25 89 99
Métro : Anvers / Pigalle

One man show écrit par Olivier de Benoist et Vincent Leroy

Présentation : Après avoir défendu les hommes pendant trois ans, Olivier de Benoist défens désormais les femmes car elles ont beaucoup de choses à se faire pardonner. En plus, ODB aime défendre les causes perdues…

Mon avis : Je crois que je n’ai jamais entendu autant de mots d’esprits cumulés dans un one man show. Si Olivier de Benoist est un sniper, c’est avec une mitraillette qu’il canarde ses cibles. Je crois qu’il sort une (bonne) vanne toutes les 15-20 secondes. Quelle écriture ! Et quelle façon de les dire !

On peut désormais affirmer qu’ODB est entré dans le cénacle de nos tout meilleurs humoristes. Il était déjà un des plus grands… par la taille. Il a tout pour lui. Reconnaissable entre tous avec son timbre de voix si personnel, il chambre avec une sorte de nonchalance tranquille, affichant un large sourire de sale gosse content et fier de ses « bêtises ».

Cet homme est doté d’une mauvaise foi aussi faramineuse qu’inoxydable. D’entrée, il proclame haut et fort que, dans ce nouveau spectacle, il va prendre cette fois la défense de la Femme, manière pour lui de s’excuser le l’avoir allègrement brocardée dans le précédent. Bien sûr, la suite nous apprendra qu’il n’en est rien. On sent qu’il voudrait bien mais c’est plus fort que lui. Une fois encore, les femmes en général, sa propre femme et sa belle-mère vont être ses victimes privilégiées. Et elles prennent lourd !
Plus, dans la salle, la gent féminine s’insurge et proteste, plus il en rajoute et plus il y prend visiblement du plaisir. Si on devait lui accorder une décoration, ce serait la Légion d’horreurs (avec un « s »). Il pratique la misogynie, le machisme et l’humour noir dans des proportions rarement atteintes. Et ça nous transporte de joie, quel que soit son sexe.


Le plus effarant est que ce jeune homme de bonne famille est baron de son état. Il nous apprend, armoiries à l’appui, que son patronyme intégral est Olivier, Marie, Emmanuel, baron de Benoist de Gentissart ! Et dire que dans « Gentissart », il y a « gentil » ! Mais il ne nous cache pas que cette particule, sa famille la doit à une partie de cul. Le fait d’armes de son ancêtre Charles-Eugène fut en réalité un fait de charme dont bénéficia l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche en l’an 1778… Alors comment voulez-vous que son chenapan de descendant puisse faire preuve de noblesse d’esprit vis-à-vis de vous, mesdames ? Sa grivoiserie est atavique. Il est donc tout à fait excusable.


Ce nouveau spectacle est remarquablement structuré. Il a su lui donner du rythme en y apportant d’efficaces ruptures à grand renfort de matériel et d’effets spéciaux : paperboard, projections de photos, d’animations, accessoires… Il rejoint également à plusieurs reprises un guéridon sur lequel repose un antique téléphone pour une rubrique intitulée « SOS ODB » qui donne droit à une rafale d’excellentes brèves savoureusement vachardes.
Il n’y a aucun moment de faiblesse dans Fournisseur d’excès. Tout est d’un niveau très élevé. Olivier de Benoist n’a pas son pareil pour transformer des moments de vie très personnels en fresque épiques : sa rencontre avec sa femme, un entretien d’embauche particulièrement croustillant, l’accouchement de sa femme, l’enterrement de sa belle-mère et son éloge funèbre… et j’en passe tant ce spectacle est riche et drôle de bout en bout.


Olivier de Benoist est unique. Il est le seul actuellement à évoluer dans ce registre. C’est fin, c’est féroce, ça fait tellement de bien !

Gilbert "Critikator" Jouin

mardi 3 décembre 2013

Ariane Brodier "Ariane fait sa mytho"

Théâtre Le Bout
6, rue Frochot
75009 Paris
Tel : 01 42 85 11 88
Métro : Pigalle

One woman show écrit par Ariane Brodier, Yannick Vabre, Clément Charton

Présentation : Telle une funambule, Ariane Brodier avance sur le fil et jongle avec des personnages tout droit issus de l’Olympe. Elle revisite les grandes figures mythologiques… « Ariane fait sa mytho » répond à toutes les questions que l’on ne s’était jamais posées.

Mon avis : Je m’étais toujours demandé pourquoi il y avait des demi-dieux et pas de demi-déesses, d’autant que les femmes sont sensées être des moitiés. Je suis allé au Bout, à Pigalle, et là j’ai eu l’explication. J’ai vu sur scène une authentique déesse et, qui plus est, ne fait pas les choses à moitié : Ariane Brodier !

Sur son affiche, elle annonce la couleur : « Ariane fait sa mytho ». Mais nous, évidemment, béotiens que nous sommes, vu que c’est une jeune femme, on pense tout de suite à la mythomanie. Normal, ce mot qui vient du grec signifie « mensonge pathologique » ; un truc bien féminin quoi. Eh ben pas du tout. On a tout faux. Et elle nous l’explique tout de go : on reste néanmoins chez les grecs car la « mytho » dont il est question est tout bonnement la… mythologie. Le fil (rouge) d’Ariane, c’est donc la mythologie grecque… Inattendu, non ?


Ariane Brodier réussit le tour de force de nous faire rire (énormément) avec un texte intelligent et une vraie culture. Elle sait de quoi elle parle. Si bien qu’elle peut se permettre, à partir d’une base didactique solide, de déraper et de nous embarquer dans un univers complètement louftingue… Bénie des dieux, Ariane possède un bagage incroyable : elle est très belle à regarder mais, visiblement, elle s’en contrefout car elle n’a aucun scrupule à se ridiculiser. Elle se livre à des cascades improbables, prend (judicieusement) toutes sortes d’accents, s’autorise des imitations, flirte avec la ventriloquie. Visiblement, ce n’est pas à l’hydromel qu’elle a été abreuvée, mais au cartoon. Ses gags sont très visuels. Elle imprime à son spectacle une cadence de dessin animé avec, en prime s’il vous plaît, une bande son particulièrement élaborée.

Elle se mélange un peu les crayons entre les mythologies grecque et latine. Mais il est vrai qu’apostropher le dieu de l’amour « Cucu » (pour Cupidon) c’est bien plus trognon que « Eh-Eh » (pour Eros). Elle réussit même à remonter le temps et à quitter l’Olympe pour l’Eden afin de camper notre maman à tous, madame Eve. En cinq minutes, elle nous offre un condensé implacable de l’éternel féminin. L’Autre Eternel (celui qui a la barbe) en prend pour son grade ! On comprend mieux pourquoi la femme est responsable de notre punition perpétuelle à tous…


Bref, le one woman show d’Ariane Brodier vaut autant pour son fond que pour sa forme. C’est gonflé, c’est coquin, c’est farfelu ; c’est inventif. On passe au Bout un moment quasi divin en compagnie d’une Aphrodite complètement déjantée qui déborde d’énergie et de bonne humeur. Elle est franchement olympienne.

Gilbert "Critikator" Jouin

samedi 30 novembre 2013

Anne Bernex "Dans l'air du temps"

Le Temple
18, rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
Tel : 01 43 38 23 26
Métro : République

Ecrit par Anne Bernex
Mis en scène par Alex Goude
Musiques d’Adella Gerstenhaber
Chorégraphies de Johan Nus
Costumes de Matthieu Camblor

Présentation : A l’heure où la mode est au « prêt à enlever » et au « prêt à consommer », cette splendide créature, bien décidée à trouver l’âme sœur, va tout tenter.
Tiraillée entre le bien et le mâle, entre sa moitié séductrice, sa moitié hilarante et… sa moitié blonde aussi, Anne Bernex vous emmène à coup sûr dans un tourbillon jubilatoire.
Entre sketchs inoubliables et parodies hystériques de chansons, Anne vous invite à un spectacle sans la moindre fausse note.

Mon avis : Tout, ou presque est dit dans la présentation. Eh oui, Anne Bernex cherche désespérément l’âme sœur. Mais elle ne vit pas sa solitude comme une Anne en peine, au contraire. Elle fait de sa disette affective une tribune, prend le public à témoin. Anne chasseresse a la « bredouillitude » partageuse et, paradoxalement, joviale. Aucune amertume chez elle, au contraire. Elle ne se morfond pas, ne s’apitoie pas sur son cas, elle déborde d’énergie et de vitalité. Cette petite cylindrée carbure au super, elle tourne à plein régime, elle ne s’économise pas une seconde. Tout passe par son corps et son visage. Son spectacle est très visuel. Elle danse (très bien d’ailleurs), fait des grimaces, fait des incursions dans la salle, change fréquemment de tenue, elle parodie Britney Spears, fait des claquettes en chaussons... Elle donne, elle donne, elle donne…
Sur le plan de la générosité, on lui attribue une note maximale. Elle finit complètement vidée… et heureuse. Rien à se reprocher : elle a tout donné.


Dans le spectacle d’Anne Bernex, il y a à voir et à changer. Il y a beaucoup à voir, et un peu à changer. La proportion joue en sa faveur. C’est une excellente comédienne, elle chante et danse admirablement. Son show est émaillé de jolies trouvailles. Dans le rayon bonus, je range une remarquable bande-son, cette métaphore on ne peut plus explicite avec sa chatte « Moumouille », sa tentative d’expérience saphique (toutes les goudous sont dans la nature), j’ai beaucoup apprécié le passage dans lequel elle met en opposition la raison et le désir, son clin d’œil très réussi à L’Exorciste, la rencontre entre Golum et Blanche Neige, sa truculente composition de pétasse-gourdasse avec tous les accessoires, un bon rappel, ses imitations de Piaf et Lady Gaga…

Les parodies… C’est là où, pour moi, le bât blesse. Autant je les ai trouvées superbement interprétées, autant je les ai trouvées approximativement écrites. Quel dommage ! Même si cette faiblesse est, comme je l’ai dit, largement compensée par le jeu, les textes eussent mérité un peu plus de soin et de rigueur. Mes oreilles ont frémi en entendant des « e » muets très appuyés à la fin des mots « réfléchir » et « veste en cuir ». Ce n’est vraiment pas beau à entendre… C’est, avec quelques petites vannes égrillardes un peu faciles, le seul reproche que je formule sur ce spectacle très abouti.


Anne Bernex a du tonus à revendre, elle est visiblement heureuse sur scène et elle aime son public (ce soir-là, elle a même fait preuve de beaucoup de patience et de bienveillance envers une crétine du premier rang au rire aigu systématique très perturbant). Elle est dans son élément, elle ne triche pas. Elle mérite amplement les nombreux rires qui ponctuent ses extravagances orales et physiques, et les longs applaudissements qui saluent sa performance. Car c’en est véritablement une.

vendredi 22 novembre 2013

Nora Hamzawi

Théâtre du Gymnase
38, boulevard Bonne Nouvelle
75010 Paris
Tel : 01 42 46 79 79
Métro : Bonne Nouvelle

One woman show écrit et interprété par Nora Hamzawi

Présentation : Reine de la mauvaise foi, Nora dresse un portrait acide d’une femme d’aujourd’hui, en un peu plus ballonnée.
C’est avec un sens du détail obsessionnel qu’elle décortique son quotidien. Cachée derrière ses lunettes, elle scrute ses névroses et taquine celles de son public. Anxieuse et parano, elle est la girl next door qu’il vaut mieux croiser sur scène que sur son palier.

Mon avis : Jeudi soir. Salle comble. Plus un seul strapontin. Public composé essentiellement de jeunes de 20 à 30 ans. Deux-tiers de filles… dont beaucoup à lunettes. On a l’impression d’une soirée entre copines avec l’une d’entre elles qui serait monté sur scène pour synthétiser leur quotidien.
Le spectacle de Nora Hamzawi est résolument générationnel. Elle parle de ce qu’elle vit, de ce qu’elle connaît. Très décontractée, elle est en connexion directe avec son public. Nora, c’est surtout un sacré tempérament. Son énergie et son débit sont impressionnants. Tout le temps en mouvement, elle se livre à un stand-up tonique et effréné. Il faut la suivre la Nora dans ses délires. Très expressive, elle émaille son discours de descriptions très imagées. C’est une championne de la métaphore imparable et de la comparaison qui fait mouche.


Sa thématique est très simple : elle raconte sa vie de jeune femme de 28 ans, ses états d’âme, ses doutes, ses relations avec les mecs. On voit qu’elle vient de la pub et de la communication. Elle a à la fois le sens de la formule et le talent pour la faire passer. Et puis il faut voir comme elle bouge et comme elle danse ! Elle est vraiment faite pour la scène.
Nora décrypte l’ambiance des soirées où elle se rend, elle décrit l’attitude des filles, elle avoue sans détour sa recherche du soutien de l’alcool, son meilleur désinhibant, mais aussi son meilleur ennemi. Elle égratigne les mecs avec gourmandise et va même jusqu’à aborder un sujet plutôt tabou dans la bouche d’une jeune femme, la sodomie. Mais elle le fait avec une telle finesse qu’elle en désamorce l’audace, tout en donnant au mot oculaire un sens que la phonétique rend soudain plus explicite.


Consciente de la crudité de certains de ses propos, elle nous livre elle-même le jugement que nous ressentons tous : « ça passe bien avec son petit minois ! ». C’est vrai, elle se montre tellement heureuse d’être sur scène et de partager ses tribulations avec des gens qui vivent les mêmes qu’on accepte tout d’elle. Cette fille est lumineuse, elle rayonne.


Très sincèrement, elle n’a pas besoin que l’on écrive de critiques sur elle. Le bouche à oreilles devrait lui suffire amplement car elle touche un cœur de cible particulièrement dynamique et friand de ce genre de propos, celui des 20-30 ans... Mais quel que soit son âge, on rit vraiment beaucoup.

Gilbert "Critikator" Jouin

jeudi 21 novembre 2013

Elie Semoun "Je grandirai plus tard"

Je grandirai plus tard
Flammarion
320 pages
19,90 €

Présentation : Pour la première fois, Elie Semoun se raconte à la première personne et revient sur son enfance, la disparition brutale de sa mère, sa rencontre avec Dieudonné, la naissance de son fils, le décès de son frère…
Au fil de ces rendez-vous avec lui-même, l’humoriste dresse un bilaan à la fois drôle et émouvant de cette vie à double tranchant, et nous fait rencontrer l’enfant qu’il n’a jamais cessé d’être.

Mon avis : Je crois connaître bien Elie Semoun. Je l’ai interviewé une dizaine de fois, seul et en compagnie de Dieudonné. Dans cet ouvrage autobiographique, je l’ai retrouvé tel que je l’avais perçu, c’est-à-dire, un garçon extrêmement sensible qui a trouvé dans l’humour une façon à la fois de se protéger et d’exister.
Sa personnalité s’est cristallisée à l’âge de 11 ans, à la disparition de sa mère. Ne l’ayant vue qu’à l’hôpital, encore vivante, son père ne lui apprenant son décès qu’après les obsèques, Elie n’a jamais pu réaliser ce départ. Il n’est resté qu’un terrible manque et une folle envie de le compenser en introduisant dans sa vie une grande part de fiction. Et, surtout, il a fait sien l’adage affirmant que l’humour était la politesse du désespoir. C’est d’autant plus troublant et assumé que cette citation est de Boris Vian, un auteur qu’il adule particulièrement…


Très tôt, Elie Semoun a été un adepte des plaisirs solitaires : la lecture, l’écriture, la chanson (Brassens, Ferré…), la musique (le jazz, l’opéra) et, plus tard, le jardinage. Toujours pour fuir sans doute la triste réalité, il est devenu un hyperactif. Se dépenser pour ne pas penser, se disperser sans compter…
Elie ne sera jamais épanoui. Ou alors très tard, quand il sera devenu vieux sans avoir été adulte (merci Jacques Brel). Il aura toujours en lui la hantise de l’abandon et de la trahison, un besoin viscéral de reconnaissance, il sera toujours perclus de doutes, il cherchera toujours où est sa véritable place… Mais de tous ces handicaps, il a fait une force. C’est ce qui le fait avancer. C’est ce qui le propulse sur scène. Les rires et les applaudissements qu’il reçoit agissent sur son âme inquiète comme le plus doux des baumes… S’il n’a peut-être pas encore réalisé l’étendue de sa réussite, de son succès, c’est parce qu’il possède l’orgueil des timides. Il devrait en être satisfait, mais il en veut toujours plus.

Il ressort à la lecture de cet ouvrage, dont il faut saluer la justesse d’un titre qui en dit long, une rencontre avec un personnage formidablement attachant. Elie Semoun se raconte avec une totale sincérité, sans faux-fuyants, sans compromission.

Dans sa vie, les larmes ont sans cesse côtoyé le rire. Il en faut du caractère pour accepter les drames qui l’ont jalonnée. Touchant de tact et d’humilité, il s’en excuserait presque. Il nous en parle parce qu’ils ont bien eu lieu, mais ça le gêne visiblement. Pourtant, il s’est véritablement construit avec cette adversité. Elie a su se partager entre l’ombre et la lumière, entre la discrétion et l’exposition, entre la solitude et la ferveur du public. Pas facile de gérer toutes ces contradictions quand on est un grand sentimental…

mercredi 20 novembre 2013

Lamine Lezghad "Déjà ?"


Le Temple
18, rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
Tel : 01 43 38 23 26
Métro : République

Ecrit par Lamine Lezghad et Jimmy Lévy

Présentation : Toujours aussi élégant et subtil dans sa manière de jongler avec l’humour des limites et les limites de l’humour, Lamine Lezghad se fait l’avocat du diable avec une mauvaise foi cinglante et hilarante. Dans cette nouvelle inspiration, qui représente aussi un virage radical dans sa carrière, il se sert outrageusement de son apparence de « bogosse » lisse et propre sur lui pour nous prendre à contrepied par sa noirceur et la jubilation de ses saillies cruellement drôles. Lamine réveille en nous notre capacité à rire de l’horreur. C’est transgressif et salutaire…

Mon avis : Lamine Lezghad a considérablement évolué par rapport au spectacle auquel j’avais assisté il y a dix-huit mois. Il a abandonné la formule des sketchs au profit du stand-up ce qui lui donne visiblement une plus grande liberté d’expression. Et cette liberté lui permet de repousser beaucoup plus loin le curseur de l’impertinence.
Aujourd’hui, Lamine fait partie de ces humoristes qui s’autorisent à soulever le couvercle de la marmite du politiquement correct pour laisser s’échapper le fumet acide de l’irrévérence absolue. Il était grand temps. Finis les tabous et l’hypocrisie.
Son discours offre un contraste saisissant avec son élégance vestimentaire, son maintien et sa belle gueule. En même temps, cette classe naturelle et son sourire craquant lui permettent de le faire mieux passer. Parce qu’il va loin, le bougre ! C’est Lamine… à fragmentation. Quand il explose, personne n’est épargné. Arabes, cons, handicapés, Juifs, Noirs, Parisiens, provinciaux, racistes, suicidaires… sans compter un running gag s’apparentant à du Roumanoff Bashing. Bref, il dégomme tout à l’insolence-flamme.


Comme toujours, il adore chambrer le public, flattant certains, égratignant d’autres. Mieux vaut ne pas être susceptible. A mes côtés, une dame à la tête enfoulardée a fait la gueule toute la soirée. On l’avait sans doute mal renseignée. Elle devait se sentir bien seule au milieu de tous ces éclats de rire qui fusaient de partout.
Le one man de Lamine est à la fois bien écrit et bien structuré. Il excelle dans les métaphores les plus osées mais qui en deviennent d’autant plus explicites. C’est aussi très varié. Il peut passer d’un échantillonnage de rires ou d’une séquence de détournement de grands classiques à un slam fort bien troussé. Très à l’aise, facile même, il est aussi un sacrément bon comédien. Et, surtout, il s’amuse beaucoup avec lui-même. Il adore se vautrer autant dans un narcissisme complaisant (sa fameuse « bogossitude ») que dans une mauvaise foi assumée : « Je pratique un humour incisif et couille-molle ». Mais quand on analyse la totalité du contenu de son spectacle, il y a 90% d’« incisif » pour 10% de « couille-molle ». Il est vraiment très gonflé. Il nous fait une réjouissante démonstration que l’on peut rire absolument de tout. Vu son métissage, dont il peut être fier à juste titre, on ne peut vraiment pas le taxer de prosélytisme. Il sait de quoi il parle, il sait jusqu’où il peut aller et tant pis (ou tant mieux) si c’est un peu cruel à entendre. Il y a toujours un fond de vérité.

A l’image de sa tenue de scène, son humour est noir. C’est décapant et salvateur comme une grosse goulée d’oxygène prise au sortir d’un long moment en apnée.

Gilbert "Critikator" Jouin

mardi 19 novembre 2013

Montreux Comedy Festival


Hier, à Bobino, sous le parrainage d’Arnaud Tsamère, a eu lieu la finale française du Montreux Comedy Casting 2013. Dix candidats étaient en lice. Un jury de professionnels avait la charge de qualifier les cinq meilleurs pour la grande finale disputée le 4 décembre en ouverture du Festival.
Très honnêtement, j’ai passé une excellente soirée car le niveau général était plutôt bon, voire très bon pour certains. Les cinq heureux élus ont été David Azancot, Vincent Dedienne, Julie Gallibert, Olivia Moore et Lucas Véran.
Personnellement, j’ai été vraiment emballé par la prestation de David Azancot qui pratique un humour noir assez ravageur. En deuxième position, j’aurais voté pour Gérémy Crédeville, dit "G", très à l’aise lui aussi dans un certain cynisme. Il est vrai que chacun reçoit l’humour différemment, c’est le charme de cette discipline exigeante et c’est la raison pour laquelle fleurissent autant d’humoristes.

Cette soirée très ludique a donc en quelque sorte servi de rampe de lancement à la 24ème édition du Montreux Comedy Festival qui se tiendra du 4 au 10 décembre. Une fois encore la programmation en est aussi riche qu’éclectique. En voici le programme :

Mercredi 4 décembre
-          Constance, avec son one woman show Les mères de famille se cachent pour mourir.
-          Finale du Montreux Comedy Casting

Jeudi 5 décembre
-          Gala d’ouverture, Adopte-un-Français.com. Avec, entre autres, Antonia, Constance, Cuche et Barbezat Marie-Thérès Porchet, Vérino…

Vendredi 6 décembre
-          Stand Up Africa (Show in English)
-          Studio Bagel

Samedi 7 décembre
-          Best of Web
-          Castings
-          Montreux Comedy Club
-          Stand Up Africa
-          Carte blanche à Michael Grégorio. Avec Eric Antoine, Guillaume Bats, Stéphane de Groot, Joséphine Drai, Arié Elmaleh, Fills Monkey, Bérengère Krief, Jonathan Lambert, Nawell Madani, Rédouane Marjane, Thomas VDB.
-          Montreux Comedy Club


Dimanche 8 décembre
-          Journée spéciale Cédric Klapisch
-          Garnier et Sentou
-          Comedy Contest (Show in English)
-          Yann Lambiel, Les 4 sans voix
-          Montreux Comedy Awards

Lundi 9 décembre
-          Montreux Comedy Club

-          Gala de clôture, Deux fois plus drôle. Avec Les Chevaliers du Fiel, Dau et Catella, Les Décaféinés, Jérémy Ferrari et Guillaume Bats, Charlotte Gabris et Mustapha El Atrassi, Garnier et Sentou, Michael Grégorio et Elisabeth Buffet, Les Lascars Gays, Denis Maréchal, Steeven et Christopher, Patrice Thibaud et Philippe Leygnac, Arnaud Tsamère et Ben.

mercredi 13 novembre 2013

La Générale

La Générale
Ecole du Théâtre et de l’Image
11, rue Rabelais
93100 Montreuil
Métro : Mairie de Montreuil

Je voudrais saluer la courageuse et estimable du comédien Patrick Fierry qui vient de créer aux portes de Paris une Ecole du Théâtre et de l’Image.
Une ancienne usine de 1500 m2 a totalement été aménagée pour devenir un centre de formation professionnelle au concept unique car ce sont des disciplines on ne peut plus complémentaires qui vont y être proposées : comédie, réalisation et mise en scène, costumes.

1000 heures de cours pour chaque discipline y seront données tout au long de l’année par de prestigieux professeurs qui seront renouvelés tous les deux mois… En dehors des heures de cours, l’école restera ouverte pour que les élèves puissent continuer à travailler, à échanger, sur différents projets comme la création de web séries, de courts métrages, d’adaptations théâtrales…
En plus, tout au long de l’année, une salle de spectacle de 165 places accueillera des pièces de théâtres, des concerts, des expositions (photos, peinture…) et toutes sortes de réalisations artistiques.


Jusqu’à aujourd’hui, une telle forme de pédagogie regroupant différents corps de métier n’existait pas.
Les premiers cours de comédie seront dispensés dès janvier 2014. On peut y accueillir sur deux ans jusqu’à 120 élèves. Il y aura en outre des classes pour les enfants et pour les ados.
Quant aux ateliers de réalisation et de costumes, ils pourront recevoir chacun une quinzaine d’élèves.
Enfin, « cherry on the cake », tous les cours seront bilingues car La Générale a également pour but de préparer aux concours britanniques.

Renseignements :
Sabrina Zielinski 01 48 58 66 07
Site Internet : www.lagenerale.fr


Patrick Fierry
Artiste, musicien, interprète, professeur, fondateur de l’école La Générale.


Patrick Fierry a joué dans une vingtaine de films, une trentaine de téléfilms et une dizaine de pièces de théâtre 

Sacha Judaszko "Chauffe la salle"

Petit Palais des Glaces
37, rue du Faubourg du Temple
75010 Paris
Tel : 01 48 03 11 36
Métro ; République / Goncourt

One man show écrit et interprété par Sacha Judaszko

Présentation : Dans son nouveau spectacle, Sacha Judaszko chauffe la salle jusqu’à l’ébullition et met le feu à la morosité ambiante. Normal, chauffeur de salle, ce fut son job avant de passer la rampe pour se mettre en lumière.
En plus d’être la révélation la plus chauve de l’émission On n’ demande qu’à en rire sur France 2, Sacha est sans doute l’un des artistes les plus roux de sa génération. Chauve et roux, est-ce vraiment le cocktail idéal pour séduire les femmes ? Est-ce le CV parfait pour décrocher les premiers rôles ? Est-ce le profil rêvé pour se faire des amis, pour garder ses parents, pour prétendre à une allocation handicapé ? Si on y ajoute ses origines suspectes, pour ne pas dire sémites, et une propension déraisonnable à être de bonne humeur malgré toutes ses tares, on peut dire que Sacha a tout pour réussir… à nous faire rire !

Mon avis : Sacha Judaszko est un peu l’enfant qu’auraient pu avoir Patrick Timsit et Elisabeth Buffet ! Un enfant roux, bien sûr, mais surtout un vrai sale gosse qui ferait rien qu’à se moquer de tous et de tout. Du premier il aurait hérité le cynisme de façade et de la seconde le parti pris d’appeler un chat un chat.
Lorsqu’il annonce sur l’affiche qu’il « chauffe la salle », il tient parole. Au propre comme au figuré. Non seulement, il apparaît très humblement comme le personnage chargé de « chauffer » le public avant l’arrivée de l’artiste, mais ce message induit également que le spectacle de va pas être tiède.


Ce spectacle est très personnel. Il fourmille de détails autobiographiques. En fait, Sacha se raconte pendant plus d’une heure. Et quand Judaszko narre, Judaszko casse. Il se moque d’abord de lui-même. Il évoque sa singularité à avoir été un enfant roux. Un véritable handicap dont il se rit aujourd’hui mais qui a dû salement le complexer. Des quolibets qu’il a essuyés, il en a fait un mot : le roussisme. Seulement, il n’existe pas de SOS Roussisme, alors il faut bien apprendre à gérer, partant du principe que ce qui ne pue pas nous rend plus fort… En tout cas, on a l’impression que sa « chauvitude » précoce l’a bien arrangé.

Sacha Judaszko est un véritable chamboule-tout. Il bombarde à tout-va jusqu’à ce qu’il ne reste vraiment plus rien sur l’étagère : les handicapés, les Noirs, les Juifs, les Arabes, les Roms, les mendiants… Tout le monde y passe. Même la mort. Il réussit à nous faire rire avec la mort ! L’œil rigolard, il nous tire son irrévérence. Plus il choque, plus il est heureux. Et il y réussit pleinement car on n’arrête pas d’entendre des petits cris offusqués, pour la plupart féminins. Ce doit être très jouissif pour l’excellent auteur qu’il est.


Sacha est également le champion du rebondissement. C’est Monsieur Plus. On croit qu’il a fini sa phrase, mais non, il y ajoute la réflexion ou la saillie qui tuent. Il est en outre un remarquable comédien et il bouge vraiment bien (nous en avons eu pour preuve cette séquence hilarante consacrée à la danse). Il établit d’emblée un super contact avec le public. On sent qu’il a besoin de cet échange tout en sachant que ce sera toujours lui qui aura le dernier mot ; voire le dernier gros mot car le bougre ne dédaigne pas la scatologie. Il excelle itou dans l’humour noir, parfois très noir. Et puis, il ne faut pas oublier que dans Judaszko, il y a « Judas ». Il n’hésite pas à trahir le secret familial, à nous révéler des choses très intimes. Ses parents prennent grave ! Il nous le fait d’abord, et de façon très convaincante, à l’émotion. On est vraiment touché. Le silence est total et respectueux. Et puis, hop, la pirouette et le sourire qui tuent… Comme je le mentionnais plus haut, Sacha a toujours gardé en lui son côté sale gosse qui cherche sans cesse à accomplir les pires blagues. Il n’hésite pas non plus à élever le mauvais goût à l’état d’institution.
Mais c’est tellement bien fait. Tout cela est joué et dit avec tant de jubilation qu’on lui pardonne tout. On est faits pour s’entendre. Il adore provoquer et nous on est venus pour être un peu bousculés. C’est ce registre-là qu’on est venu chercher : un Sacha chassant choquer. Il fait l’éclatante démonstration qu’on peut rire de tout quand on sent que ce n’est qu’un jeu et que le fond est bon.


Bref, Sacha Judaszko fait partie du petit peloton de formidables humoristes, auteurs et acteurs que l’émission de Laurent Ruquier, On n’ demande qu’à en rire, a révélés. Il est indéniable qu’une belle carrière l’attend et je ne serais pas surpris de le retrouver bientôt au cinéma ou dans une pièce de théâtre. Il en a le talent et le physique.

lundi 11 novembre 2013

Au secours, je l'aime !

Comédie de Paris
42, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 42 81 00 11
Métro : Blanche / Pigalle

Une comédie écrite et mise en scène par Fabrice Tosoni
Décor de Juliette Azzopardi
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Avec Carine Ribert (Julie), Mathieu Stortoz (Sam), Lily Rubens (plusieurs personnages), Manon Rony (plusieurs personnages), Mélodie Fontaine (Julie), Julia Mendel (plusieurs personnages), Clément Naslin (Sam)

L’histoire : Julie et Sam se rencontrent an vacances, et c’est le coup de foudre ! De retour à Paris, ils décident d’’emménager ensemble… Seulement, s’ils avaient su ce qui les attendait, ils seraient peut-être restés célibataires !
De la première rencontre aux noces d’or, la vie de couple n’est pas de tout repos…

Mon avis : Le soir où j’ai vu cette pièce, la distribution était la suivante : Mélodie Fontaine dans le rôle de Julie, Clément Naslin dans celui de Sam et Julia Mendel qui campait tous les autres personnages.
Cette pièce fonctionne pour plusieurs raisons. Il y a d’abord le texte. Il est drôle, enlevé, servi par des dialogues vifs et piquants truffés de jolies formules et de bonnes réparties. Les caractères des deux principaux protagonistes, Julie et Sam, sont si bien dessinés qu’on n’a aucun mal à anticiper sur leurs comportements et à se projeter en eux… Ensuite, il y a le montage. Il est très habile car il fait parfois appel au procédé du flashback, à la matérialisation de scènes imaginaires ou de fantasmes et, d’autres fois, il fait intervenir un personnage qui a une certaine importance à un moment donné de la vie du couple. Cette écriture non linéaire provoque ainsi des ruptures et donne beaucoup de rythme… Enfin, il y a les comédiens. Ils sont totalement crédibles parce que, comme je l’ai signalé plus haut, parfaitement campés. Julie, artiste peintre, est sensible, plutôt susceptible, jalouse, mais également un tantinet roublarde. Sam, comptable de son état, est plus cool, taquin avec des blagues de plus ou moins de bon goût, un peu égoïste et capable de mauvaise foi.


Ce couple est sympathique parce qu’il est proche de nous. Ce sont des gens normaux qui vivent des péripéties qui sont communes à bon nombre de couples. On partage donc avec d’autant plus de plaisir leurs mésaventures, leurs épreuves, leurs moments de bonheur… Mélodie Fontaine et Clément Naslin, très complices, forment un duo épatant. Ils jouent avec beaucoup de naturel et de simplicité, sans jamais forcer le trait.
Heureusement d’ailleurs, car les personnes qui viennent interférer dans leur sphère privée ne sont pas, elles, de tout repos. Virginie, la sœur de Sam, est exubérante, intrusive, directive, légèrement excessive… La femme médecin, elle, est carrément barrée ; elle abuse de formules pseudo médicales complètement alambiquées ; elle en fait vraiment des tonnes… Quant à la prof de gym, elle frise la clownerie.
Ce hiatus entre deux personnes plutôt normales (Julie et Sam) et ces personnages trop caricaturaux, s’il offre de grands moments de comédie, tombe aussi dans l’excès. Ils sont beaucoup trop caricaturaux (surtout le médecin). C’est sans doute un parti pris de mise en scène et, dans ce cas, Julia Mendel, qui les incarne tous, y va à fond, et on ne peut pas le lui reprocher. Mais moi ça m’a un peu gêné car trop outrancier. C’est très personnel, car la majorité des spectateurs riaient à gorge déployée. Hormis cette petite constatation due à mon côté cartésien, et quelques jeux de mots un peu gratuits, je me suis bien amusé devant les tribulations Julie et Sam.

Au secours, je l’aime ! est assurément une pièce à aller voir en couple.

vendredi 8 novembre 2013

1789. Les Amants de la Bastille

Palais des Sports
1, place de la Porte de Versailles
75015 Paris
Tel : 0 825 038 039
Métro ou Tram : Porte de Versailles

Jusqu’au 5 janvier 2014

Mon avis : Après quelques mois de pause, le spectacle musical 1789. Les Amants de la Bastille est de retour au Palais des Sports. Eternel insatisfait, Giuliano Peparini, son génial metteur en scène, a profité de cette parenthèse pour apporter quelques retouches à la mouture précédente. Il a supprimé des scènes et des tableaux superflus qui ralentissaient l’action et en a ajouté d’autres qui rendent l’histoire encore plus lisible. Le spectacle est ainsi bien plus rythmé. Les tableaux s’enchaînent sans aucun temps mort, on ne s’ennuie pas une seconde.

Autre nouveauté appréciable : la présence d’un orchestre qui accompagne toutes les chansons en live, ce qui a pour effet de dynamiser les interprétations et d’apporter une couleur « concert » au show.


Ces quatre mois d’interruption ont également provoqué deux changements dans la distribution en raison des départs de Nathalia, qui tenait le rôle de Solène, la sœur de Ronan, et de Yamin Dib, qui campait Auguste Ramard, le chef des mouchards… C’est Caroline Rose, ex-candidate de The Voice, qui a hérité de la lourde tâche de succéder à Nathalia. Avec sa voix rauque et son énergie puisée au sein de groupes de métal, elle s’en tire très bien, d’autant qu’elle n’a eu que quelques jours pour apprendre son rôle. Elle devrait très vite trouver ses marques et libérer sa vraie personnalité.


La très bonne pioche, c’est d’avoir confié le personnage si haut en couleurs de Ramard à Willy Rovelli. Il fallait oser relever le défi car Yamin Dib avait placé la barre très haut au niveau de la truculence et de la turpitude. Et bien Willy a largement transformé l’essai. Moins « defunèsien » que son prédécesseur, tout en restant très exubérant, il apporte plus de finesse et presque de l’humanité à cet odieux personnage. Ramard a un rôle important dans le scénario car il amène la seule note résolument caricaturale et comique dans un spectacle mélodramatique et rigoureusement historique. En tout cas, son plaisir de se retrouver sur scène au milieu d’une troupe très aguerrie est évident. Son large sourire au moment des rappels attestait de son grand bonheur.


En conclusion, ce spectacle, qui était déjà remarquable, a encore gagné en qualité, en punch et en esthétique. Il est désormais tout à fait accompli. Giuliano Peparini est un magicien, un artisan exigeant et perfectionniste qui remet sans cesse son métier sur l’ouvrage. Il peut être satisfait du résultat. C’est parfait !