vendredi 21 décembre 2007

Eric Antoine "Satisfait ou remboursé"


Théâtre Trévise
14, rue de Trévise
75009 Paris
Tel : 01 45 23 35 45
Métro : Grands Boulevards/Cadet
Le lundi à 21 h 30

Ma note : 7,5/10

Mon avis : Après une très sympathique première partie assurée par un longiligne Breton de Saint-Malo au talent prometteur, le noir se fait dans la salle et, quand la poursuite déchire l'obscurité, c'est pour nous faire découvrir un immense garçon à la tignasse hirsute, planté côté jardin avec un sourire narquois. Eric Antoine est grand et costaud ; des adjectifs qui, finalement, conviennent aussi bien à son spectacle qu'à son physique.
Immédiatement, il entre dans le vif de son sujet, à savoir une conférence dont le thème est "Réalité ou Illusion". Et, tout en devisant benoîtement, il se livre à quelques tours de magie inattendus mais qui tombent à pic pour étayer sa thèse. Avec une maîtrise absolue du burlesque et du saugrenu, qu'il colore parfois d'une touche attendrissante de poésie, il campe une sorte de savant pas si fou que ça car, tel le petit joueur de flûte, il nous entraîne sur le terrain qu'il a choisi. Un terrain miné, bien entendu, qui nous fait sans cesse exploser de rire. Sa grande force, c'est de commencer par nous faire rêver en nous emportant au bord d'un paysage enchanteur et, d'un seul coup, de casser le rêve en brisant le jouet qu'il venait patiemment de créer devant nos yeux émerveillés. Un vrai sale gosse ! Très joueur avec le public aussi. Madame ou mademoiselle, s'il a jeté son dévolu sur vous, attendez-vous à passer une soirée agitée. Sollicitations en tous genres, allusions coquines, participations... il ne vous lâchera plus. Mais, si cela peut vous rassurer, il choisira aussi d'autres victimes qui ne seront pas forcèment mieux loties que vous...
Tout en tenant un discours docte et intelligent et en assénant des sentences qui donnent souvent matière à réflexion, il n'arrête pas de de faire des tours. Il passe sans transition d'un truc tout bête que l'on a l'impression d'avoir déjà vu cent fois, mais qui, placé dans son contexte à lui, nous fait éclater de rire, à de véritables prouesses complètement... magiques et réellement bluffantes. C'est vraiment très très drôle.
Ce spectacle s'adresse autant aux enfants qu'aux adultes. De toute façon, au bout d'un quart d'heure, d'un coup de baguette, il nous a tous transformés en gamins. On passe vraiment un excellent moment et Eric Antoine a le don rare de nous insuffler de la bonne humeur. Avec son quintal, il possède un sacré taquin-talent...

jeudi 20 décembre 2007

Thiéfaine/Personne "Amicalement blues"


Ma note : 7/10

Mon avis : Et si ce fameux album de blues que Johnny rêvait tant enregistrer, c'étaient Hubert-Félix Thiéfaine et Paul Personne qui l'avaient fait ? En tout cas, contrairement à Johnny, ils ne nous trompent pas sur la marchandise avec cet Amicalement blues. C'est du vrai, pur et dur, avec des mecs destroy, des filles paumées et des relents de Jack Daniels. Sur des musiques de Paul et des textes d'Hubert-Félix, nos deux guitareux s'en donnent à coeurs et à choeurs joie. Evidemment, le Paul joue de la gratte comme Personne et le micro HF (comme Hubert-Félix) nous distille les paroles abruptes et couillues de l'inspiré Franc-Comtois. C'est d'une simplicité limpide, sans fioriture aucune. Les guitares, aux sons à la fois virils et pleurnichards, se laissent à peine troubler par quelques fulgurances de l'harmonica personnel de Paul. il y a du riff hi-fi dans l'air !

Thiéfaine a tout compris sur l'essence-même du blues. On n'y raconte pas des histoires à l'eau de rose. 13 chansons, 13 chansons d'amour dont on peut définir ainsi les thèmes :
- l'errance (Avenue de l'amour)
- les amours compliquées (Emeute émotionnelle)
- les amours sous dépendance (Amant sous contrôle)
- les amours malheureuses (Strindberg 2007)
- les amours qui se passent à peu près bien. Il en faut bien une, car ça arrive (L'appel de la forêt)
- les amours tumultueuses (Les douceurs de la vengeance)
- les amours qui finissent (Distance)
- le désespoir et le renoncement (Rendez-vous au dernier carrefour)ce qui veut dire que le caddy est trop plein.
- la dérive (Spécial ado SMS blues)
- les amours contemplatives (Photographie d'un rêveur)
- les délires oniriques un peu glauques (Your terraplane is ready Mister Bob !)
- les paradis artificiels (Juste avant l'enfer)
- les amours à grand écart... d'âge (Le vieux bluesman et la bimbo)

"Du blues, du blues, du blues" vomissait l'ami Jonasz... Et bien en v'là du blues.
je ne me permettrai qu'un petit bémol histoire de critiquer : dommage que la voix d'Hubert-Félix Thiéfaine soit un peu trop "clean" ; il manque de graillon et on le déplore parfois. Il aurait peut-être dû boire et fumer un peu plus...

mercredi 19 décembre 2007

Alizée "Psychédélices"


Ma note : 6/10

Mon avis : Voici un retour au premier plan très attendu. On pouvait craindre que la maternité succédant à quelques années d'un succès ébouriffant au moment où la vie est la plus tendre et la plus fragile allait brutalement écrabouiller la Lolita sous le double poids de la femme et de la maman ; on n'était même pas sûr qu'elle ait profondément envie de remettre ça. D'ailleurs - et c'est ce qui est louable et estimable chez cette toute jeune femme - son peu d'appétence pour la gloire et les honneurs lui permet d'envisager les choses uniquement sous l'angle du plaisir et non sous celui du vil aspect commercial.
Or donc, à partir du moment où elle avait pris la décision de s'y recoller, il fallait que l'Alizée souffle très fort pour tourner les lourdes pages du premier chapitre de sa carrière écrit par le tandem redoutablement efficace Mylène Farmer/Laurent Boutonnat. Adieu les pygmalions, place à un jeune lion, ce Châtelain qui l'a faite reine en son joli royaume musical. Pétri de talent, ainsi que le fit en son temps Jean-Jacques Debout pour Chantal Goya, le Jérém a eu l'élégance de mettre de côté ses propres ambitions (très légitimes) pour ne se consacrer qu'au nouvel album de sa dulcinée. On la reconnaît bien sa patte !
Finalement, l'écueil essentiel qui résidait à l'élaboration de cet album, ce n'était pas les mélodies, mais les textes. Vu son récent passé, Alizée ne peut pas chanter des mièvreries. Il lui faut à la fois du fond et du trompe l'oeil. On a donc fait appel à la plume ébouriffée de Jean Fauque, le parolier attitré du sieur Bashung. Ce parti pris de textes alambiqués saupoudrés de second, voire de troisième degré, est à double tranchant. Autant ça peut fonctionner sur certaines chansons, autant, quand le don ne devient qu'une sale manie (merci Brassens), on en oublie le sens pour ne retenir que le son. Si bien qu'à l'écoute de cet album, on en vient parfois à avoir furieusement envie d'une chanson toute simple où les choses sont exprimées normalement...

Mais il reste heureusement suffisamment de jolis titres pour que l'on accorde plus de la moyenne à notre charmante Alizéenne. Personnellement, dans l'ordre de leur apparition sur la galette, j'ai une préférence marquée pour Mademoiselle Juliette, sa pop sautillante, fraîche et tonique et son refrain qui grave si bien son sillon dans notre tête ; Fifty Sixty, c'est Ex-fan des Sixties revisité avec références au Velvet Underground et énumération de marques célèbres et de lieux mythiques (mais on est obligé de lire le texte sur le livret pour en saisir toute la saveur), avec en prime un passage rappé avec voix trafiquée dans l'écho ; J'aime bien Mon taxi driver, son texte habile émaillé d'alitérations élémentaires, son interprétation gentiment sensuelle ("Feu vert mon lover, goûte la saveur sous mon pull-over"...), sa mélodie délicieusement lancinante ; de Jamais plus, je n'ai su apprécier que le refrain ; Psychédélices est un petit bijou tant par son arrangement truffé de sonorités originales, que par son climat envoûtant souligné par la voix traînante et dans le souffle d'Alizée (c'est joli, non, "le souffle d'Alizée" ? Ce pourrait être un titre de chanson !) ; ce n''est qu'à la troisième écoute que j'ai décollé sur le Décollage signé Oxmo Puccino. J'aime bien la façon qu'a Alizée de prononcer les mots en "ion" et l'arrangement est bien ficelé ; Lilly Town est la petite cousine de Fifty Sixty. Construite de façon identique, elle abonde en références en tous genres que l'on aurait négligemment jetées dans un shaker et qui, une fois secouées, ressortent comme autant de bulles extravagantes, a priori peu compatibles, mais finalement pas si anodines que ça : les Stones et les Beatles côtoient la Motown et Al Capone, Gandhi surgit dans le sillage de Paris Hilton ! C'est gonflé, mais ça sonne, et le charme agit... En plus, ce n'est pas une chanson évidente à chanter ; enfin, j'ai un gros faible pour Idéaliser ( "Idéale Alizée" ! Tout le contraire d'une "Fauque" de goût...). C'est peut-être là la chanson toute simple que je réclamais en début de critique. Une ambiance diaphane, un délicat piano châtelinesque, des cordes discrètes et légères, c'est très agréable à écouter ; un mot quand même à propos de L'effet, chansonnette-comptine déclaration d'amour d'une maman à sa fifille : j'estime - mais cela n'engage que moi - que ce texte empli de douceur et de tendresse eût mérité une autre mélodie...

Voilà, il ne vous reste plus à votre tour qu'à remonter les "chants Alizée" en sa charmante compagnie... Et Dieu que sa salopette a bon dos !!!

mardi 18 décembre 2007

La Légende des 3 clefs


Jeudi 20 décembre
M6 - 20 h 50


Mini-série en trois épisodes de 90 minutes.
Réalisée par Patrick Dewolf
Avec : Julie Gayet (Béatrice Sancier), Thierry Neuvic (Mathieu Di Maggio), Julie de Bona (Vanessa), Jean-Pierre Lorit (Nicolas Sancier), Danièle Lebrun (Mathilde Sancier), Michel Duchaussoy (Charles Sancier), Thierry Hancisse (Rohmer), Delphine Rollin (Delphine), Marc Duret (Simon), Dominique Guillo (Sandhoz)...
Et les enfants : Manon Gaurin (Juliette), Paul Blaise (Damien), Julien Crampon (Jimmy)

Ma note : 7,5/10

L'histoire : Damien est incroyablement facile en mathématiques, Juliette possède le don de parler toutes les langues, Jimmy a la faculté de dessiner ce qui va arriver...
Ils ont 13 ans, ils sont nés le même jour, ils sont surdoués...
Ils vont être amenés à se rencontrer, ou plutôt à se retrouver... Mais un groupe d'hommes armés est à leurs trousses et le danger rôde partout... Les enfants ne peuvent faire confiance à personne, sauf à Béatrice, la belle-mère de Damien, à Mathieu, un policier marginal, et à Vanessa, la ravissante soeur de Jimmy. Commence alors une aventure qui les mènera à la découverte d'un secret remontant à la nuit des temps...
Trois enfants, trois dons... trois clefs...

Mon avis : Même si l'idée de devoir me passer de Prison Break jeudi soir m'est insupportable, je me dois de vous signaler la qualité de cette mini-série ambitieuse que nous propose M6. L'éminente productrice Nelly Kafsky n'a pas lésiné sur les moyens pour nous offrir une histoire qui devrait captiver un très large public.
Nous sommes dans un savant mélange de Club des Cinq et du Da Vinci Code. Régulièrement, la légende tenace du fameux trésor des Templiers revient à la surface. Sept siècles après la terrible malédiction proférée sur son bûcher par le dernier grand maître de l'Ordre, Jacques de Molay, trois enfants aux dons surnaturels vont avoir pour mission de réunir les trois clefs qui vont les mener à la récompense suprême. Mais, évidemment, des groupuscules résurgents des castes moyenâgeuses sont prêts à utiliser tous les moyens, y compris le meurtre, pour s'approprier le dit trésor.
On est très vite embarqué par cette histoire, fantastique certes, maus rudement bien ficelée. C'est Indiana Jones qui bouscule sans vergogne une Bibliothèque Verte mâtinée de BD. On pense aussi, en raison de la présence d'enfants surdoués, à La nuit des enfants rois de Bernard Lentéric. On ne peut que se laisser prendre. D'autant que ce n'est jamais mièvre. Cette série ne s'adresse pas aux tout petits car la violence n'y est pas édulcorée. les méchants sont vraiment méchants et sans aucun scrupules. L'histoire monte en puissance, en même temps que le suspense, pour prendre un rythme de plus en plus haletant. Ce qui est bien aussi dans cette série, c'est que les adultes se donnent à fond dans ce jeu de piste.
D'ailleurs, la qualité du casting est à mettre en exergue. Le couple Danièle Lebrun-Michel Duchaussoy est particulièrement réussi ; elle en mégère impitoyable, lui en patriarche énigmatique. Dans leur sillon, tous sont parfaitement bien à leur place et dans leur rôle. Très rare à la télévision, Julie Gayet semble prendre un énorme plaisir à se métamorphoser, ainsi qu'elle le confie elle-même, "en Kathleen Turner dans A la poursuite du diamant vert".
Honnêtement, ces 3 clefs vont vous ouvrir toutes grandes les portes de l'aventure et vous offrir trois soirées de pure détente et de pur divertissement.

jeudi 13 décembre 2007

"Je me suis régalé"


Philippe Noiret
Conversations avec Bruno Putzulu

Editions : Flammarion
19,90 €

Ma note : 8/10

Mon avis : Quelle jolie idée que ce livre de conversations croisées entre deux comédiens ! Pendant quatre mois, d'octobre 2005 à janvier 2006, Bruno Putzulu est venu chaque début d'après-midi passer deux heures dans le salon de Philippe Noiret pour échanger avec lui des confidences sur le métier d'acteur. Evidemment, avec sa formidable générosité chronique, Phlippe Noiret s'est totalement livré, si bien que cet ouvrage dépasse largement le cadre simplement professionnel pour nous faire découvrir l'intimité d'un homme au parcours exceptionnel.
Ce qui est particulièrement émouvant quand on entre dans ce livre, c'est qu'on ENTEND la voix du comédien ; cette voix si personnelle, au timbre grave, chaud, enjôleur, empreinte tour à tour d'accents de bienveillance ou de pointes d'ironie.

Bruno Putzulu a rencontré Philippe Noiret en 2002 sur le tournage du premier film de Michel Boujenah, Père et fils. Aux côtés de Charles Berling et de Pascal Elbé, il y campait un des trois rejetons de ce père un peu farceur. Une jolie relation était née et, quelque temps après le tournage, c'est "Fifi" lui-même qui avait pris l'initiative de décrocher son téléphone et de reprendre contact avec ses quatre "connards" comme il appelait affectueusement Boujenah et ses trois garçons de fiction... Un peu plus tard, à l'été 2005, Bruno Putzulu, qui avait un petit coup de mou du côté du moral, a trouvé un vrai réconfort auprès de Philippe Noiret et de son épouse, Monique Chaumette, dite "Chonchon". C'est là qu'il a eu l'idée de lui proposer d'avoir avec lui ces fameux entretiens.
Hélas, après quatre mois passés à dialoguer et à échanger, la maladie de Philippe s'est aggravée et le comédien nous a quittés. Désemparé, brutalement orphelin, Bruno ne se sentait plus de mener à bien son projet de livre. Ce sont Monique et leur fille, Frédérique Noiret, qui ont tenu à ce qu'il aille au bout de sa mission, s'autorisant même à compléter l'ouvrage en évoquant le souvenir de ce grand bonhomme que fut leur mari et père.

Philippe Noiret s'étant confié avec une totale honnêteté, ce livre fourmille d'anecdotes. On y découvre ainsi qu'au moment où le cinéma se décide à faire appel à lui (il a 30 ans) il y a déjà une dizaine d'années qu'il fait du théâtre et il a plus de trente pièces du répertoire classique à son actif. On y apprend ainsi que c'est Gérard Philippe qui l'a repéré et lui a donné sa première chance, que c'est au cours de ces dix premières annés-là qu'il a acquis, chevillé à l'âme, son amour de "l'esprit de troupe", que Vilar a été "la rencontre la plus importante" de sa "vie de comédien"...
Philippe y fait également part d'un de ses plus grands regrets, celui d'avoir refusé le rôle de garagiste que lui proposait Claude Chabrol dans Que la bête meure : "ça a été une belle connerie de ma part. Je ne sentais pas le rôle... En tout cas, un conseil, quand un réalisateur comme Chabrol vous propose un rôle, allez-y même si vous le le sentez pas !"
L'acteur aux 130 films, relate son admirations pour Jean Gabin, et souligne "la chance" qu'il a eue de tourner sous la direction de réalisateurs comme Louis Malle, Tavernier, De Broca, Monicelli, Rossi, Ferreri, Granier-Deferre, Yves Robert, Hitchcock... Il énumère les films qui ont le plus compté pour lui : Zazie, Thérèse Desqueyroux, L'Etoile du Nord, Alexandre le bienheureux, Le vieux fusil, L'horloger de saint-Paul, Le juge est l'assassin, Coup de torchon, La vie et rien d'autre, La grande bouffe, Mes chers amis, Cinéma Paradiso... Il évoque longuement le souvenir de Romy Schneider. Il s'attarde pudiquement sur la magnifique vie de couple qu'il a partagée avec sa "Chonchon", et l'importance que son épouse a eue dans sa carrière... Il parle dans détours de l'amour, de la mort, de la critique, de l'argent...
Son aveu est éloquent : "Je me suis régalé"... Et bien, nous aussi il nous a régalés et, à travers ce livre, il continue...

Les Bonimenteurs


Le Bataclan
50, boulevard Voltaire
75011 Paris
Tel : 01 45 45 76 91
Métro : Oberkampf / Saint-Ambroise

Du 18 au 31 décembre 2007

Avec Jean-Marc Michelangeli et Didier Landucci

Ma note : 7,5/10

Mon avis : En cette époque où les ouragans se déchaînent, c'est un vent de folie douce qui va souffler pendant deux semaines au Bataclan.
Marco (Jean-Marc Michelangeli) et Ducci (Didier Landucci) sont deux hurluberlus inclassables. Leur spectacle, en effet, ne ressemble à aucun autre car il repose sur le talent extravagant de deux personnages, deux personnalités aussi différentes que complémentaires.
A priori, ils respectent la grande tradition du cirque avec l'Auguste (Ducci) et le clown blanc (Marco). Mais on s'aperçoit rapidement que ce serait aller un peu vite en besogne que de les réduire à ce binôme. Ils font preuve d'une telle inventivité, d'une telle originalité et d'une formidable générosité que nous avons droit avec eux à plusieurs spectacles en un : humour, jeux de mots, accents, mime, bruitages, comédie musicale, et j'en oublie. Et le tout nous est livré à un rythme dingue.
Déjà, leur façon d'arriver sur scène se démarque. Tout de noir vêtus, ils surgissent sur une chorégraphie très très personnelle, pour ne pas dire navrante, à travers laquelle on perçoit bientôt qui est qui. Marco, sérieux, directif, un tantinet grandiloquent, est le mâle dominant. Ducci, espiègle, facétieux, insouciant et maladroit est le prototype du benêt. Pagnol aurait dit "le ravi". C'est un peu comme si Prof et Simplet avaient décidé de se produire en duo.
Sur scène, rien ou presque rien : deux fauteuils et deux serviettes-éponges rouges... Mais ils n'ont besoin de rien de plus puisque c'est leur folle énergie qui va toute entière prendre possession de l'espace jusqu'à déborder dans la salle... Ils attaquent leur show par une improvisation pure. Un thème est tiré au sort et ils partent dans un époustouflant délire. C'est un tsunamimodrame qui déferle sur un public ébaubi et enchanté. Puis ils compliquent leur numéro de funambules du verbe et du geste en inscrivant sur un tableau 7 mots pris au vol parmi les propositions des spectateurs et, après s'être fait également imposer un thème tiré au sort, ils vont s'efforcer à les introduire dans une histoire abracadabrantesque inventée de toutes pièces. C'est de la haute voltige. La salle, qui assiste à des moments de comédie surréaliste, hurle de rire. Mais ces trésors d'imagination, pour étonnants qu'ils soient, sont encore bonifiés par la qualité des intermèdes qu'ils nous servent entre deux prouesses. Non seulement ils sont remarquablement écrits mais, surtout, admirablement dits.
L'opposition de styles et de comportements de nos deux olibrius ne fait que renforcer l'impact de la drôlerie. Marco se cantonne avec superbe dans son rôle de camelot déclamateur, laissant à Ducci ses débordements burlesco-cartoonesques. Ce qui est également très réussi, c'est cet acharnement qu'a Marco à vouloir faire de Ducci son souffre-douleur alors que celui-ci, dans sa candeur enfantine, ne s'aperçoit de rien et ne lui laisse aucune prise. Il campe en quelque sorte un idiot plus vrai que mature !
Ce qui est sûr, c'est qu'avec ces deux zigotos, du côté du Bataclan, la période des fêtes va bien justifier son nom...

lundi 10 décembre 2007

Aladin


Palais des Congrès
2, place de la Porte Maillot
75017 Paris
Tel : 01 40 68 22 22
Métro : Porte Maillot

Jusqu'au 6 janvier 2008

Mise en scène et chorégraphie : Jeanne Deschaux
Paroles et musique : Bernard Poli
Effets spéciaux, illusions : Dani Lary
Direction vocale : Pierr-Yves Duchesne
Avec Nuno Resende (Aladin), Florence Coste (Shéhérazade), Pierr-Yves Duchesne (Le Génie), Thierry Gondet (Le Sultan), Stéphane Métro (Mastabar), Christophe Borie (Le Conteur)...

Ma note : 6,5/10

L'histoire : Aladin, un jeune orphelin pauvre et malicieux, est toujours à l'affût du moindre larcin sur la place et dans les ruelles de son village. Un jour, il croise le chemin du maléfique Vizir qui rêve de prendre le pouvoir à son maître le Sultan. Ce dernier est surtout préoccupé de marier sa fille à un prince aussi riche que lui.
Piégé par le Vizir, le jeune homme fait la découverte d'une lampe magique qui renferme le puissant Génie. En le libérant, Aladin obtient le droit de formuler trois voeux...

Mon avis : Je ne suis sans doute pas le meilleur juge pour noter ce spectacle car il est délibérément destiné aux enfants. Heureusement, pour rétablir l'équilibre, j'étais accompagné de deux charmantes fillettes de 11 et 8 ans. La façon dont elles ont suivi les aventures magico-rocambolesques d'Aladin a été suffisamment probante : elles ont été enchantées. Tout autour, je ne voyais que des enfants concentrés, fascinés, émerveillés. Les plus petits frémissaient devant l'aspect et la voix terrifiants du méchant Vizir. Le pari des producteurs est donc parfaitement réussi. Leur ambition affichée étant de faire rêver les enfants, ils y ont mis les moyens et le show est à la hauteur de leur exigence.
Les atouts de cette énième version de ce conte des Mille et Une Nuits sont nombreux. L'idée des décors projetés est astucieuse car elle apporte une mobilité et une diversité que des éléments disposés sur scène n'auraient pu permettre. En plus, ils permettent aux comédiens et aux danseurs de bénéficier d'un maximum d'espace pour évoluer. A ce propos, les chorégraphies sont impeccables. Les comédies musicales ont atteint dans ce domaine un tel niveau de performance, qu'on ne peut plus se permettre de faire "cheap". Les danseurs savent tout faire avec leur corps, aussi bien du hip-hop que de la gymnastique pure. Cela apporte énormément de variété et de dynamisme. Les effets spéciaux, que l'on doit au magicien Dani Lary (un des complices récurrents du Grand Cabaret de Patrick Sébastien), sont particulièrement réussis. La danse du tapis volant défiant les lois de la gravité est tout simplement bluffante ; et le coup du miroir sidère les enfants. Ces deux illusions apportent indéniablement une valeur ajoutée au spectacle.
Le casting lui aussi est quasiment sans failles. Celui qui m'a le plus surpris, c'est Nuno Resende. Je l'avais déjà rencontré sur Roméo et Juliette, je savais qu'il chantait merveilleusement bien ; mais ce que j'ignorais c'est qu'il fût aussi tonique physiquement. Incroyable ce à quoi il se livre sur scène. C'est un véritable acrobate, un homme-caoutchouc. Il est un parfait Aladin à qui il apporte une vraie présence : du charisme, du charme, de la séduction, de la joie de vivre. On ne peut que lui tirer notre chéchia... Ensuite, il y a le Génie. Dès qu'il apparaît, le spectacle prend une toute autre dimension. Pierr-Yves Duchesne l'habite de toute sa truculence, sa fantaisie débridée, son outrance. Cet homme-là est fou ! Fou d'une folie inventive et constructrive, capable de toutes les audaces sans crainte du ridicule et ça marche. Il s'amuse et il entraîne toute la salle dans son délire extravagant. Le Sultan (Thierry Gondet), est parfait lui aussi. Il joue de sa (fausse) rondeur sympathique, il est aimable, pas très sérieux, c'est un bon vivant, un épicurien qui ne désire que le bonheur de sa fille... Et le sien ! Mastabar, le Vizir (Stéphane Metro) incarne le méchant absolu. Caricarural et inquiétant, c'est un personnage que l'on croirait directement sorti d'un dessin animé...
Les deux seules réserves que je m'autoriserai concernent d'une part la princesse Shéhérazade et d'autre part certaines chanson, un peu monotones à mon goût. Florence Coste chante juste et bien, certes, mais il lui manque un peu de personnalité, de sensualité et de charisme pour rendre sa princesse réellement excitante... Enfin, personnellement, j'estime qu'il manque une ou deux chansons un peu plus enlevées et qu'il y en a trop qui se révèlent un peu lentes. Vous me rétorquerai que ces chansons-là dégoulinent de romantisme et permettent de faire rêver les gamines, et vous aurez raison. C'est là tout le problème générationnel que j'évoquais au début. Les enfants sont heureux, et c'est ce qui compte...

jeudi 29 novembre 2007

L'Auberge Rouge


Une comédie de Gérard Krawczyk
D'après le film réalisé par Claude Autant-Lara
Scénario, adaptation et dialogues de Christian Clavier et Michel Delgado
Avec Josiane Balasko (Rose), Christian Clavier (Martin), Gérard Jugnot (le Père Carnus), Fred Epaud (Violet), Jean-Baptiste Maunier (Octave), Juliette Lamboley (Mathilde), Sylvie Joly (la Comtesse de Marcillac), Anne Girouard (Marie-Odile de Marcillac), Urbain Cancelier (Philippe de Marcillac), François-Xavier Demaison (Simon Barbeuf), Laurent Gamelon (le bûcheron), Olivier Saladin (le cocher)...
Sortie le 5 décembre 2007

Ma note : 7,5/10

Synopsis : A la fin du 19è siècle, la sinistre auberge du Croûteux se dresse au milieu des sauvages et inquiétatntes montagnes du massif des Pyrénées.
L'établissement est tenu par Martin et Rose, un couple d'aubergiste qui a pris l'habitude de faire régulièrement assassiner par Violet, leur fils adoptif sourd muet, les voyageurs solitaires pour les détrousser.
Par un soir d'orage, une diligence en difficulté trouve refuge dans l'auberge. Parmi eux, le bon père Carnus a sous sa responsabilité un adolescent qu'il doit conduire à un monastère... Martin vient d'apprendre que le tracé d'une nouvelle route va détourner les voyageurs de sa gargote. Redoutant d'être ruiné, il décide de supprimer tous ces fortunés clients...

Mon avis : Il est vraisemblable - voire inévitable - que certains pisse-froid affichent un mépris condescendant vis-à-vis de ce film. c'est typiquement français de dénigrer systématiquement les comédies dites "populaires". Le paradoxe, c'est que ce film est on ne peut plus "typiquement français" lui aussi. C'est en effet une bonne grosse farce qui n'a pour seule ambition que de nous distraire. Et, dans ce domaine, c'est absolument réussi. Dans ces temps moroses où l'on nous encourage à travailler plus pour gagner plus parce que les caisses de l'Etat sont vides, nous avons à l'écran une brillante application de ce postulat présidentiel. En effet, notre couple d'aubergistes, Rose et Martin, ne font rien d'autre que de devoir augmenter leur cadence de travail histoire de se remplir efficacement le bas de laine. Bon, on pourra ergoter en prétextant que ce dit boulot est une entreprise d'assassinats en série, mais si une décision n'avait pas été prise en haut lieu de détourner les voyageurs sur une autre route que celle qui menait à leur relais, sans doute n'en seraient-ils jamais venu à une telle extrêmité ; jusque là ils se contentaient sagement du rythme d'un petit meurtre par ci par là en fonction de leurs besoins immédiats.

Ce film va marcher, c'est sûr. Il possède tous les ingrédients de la comédie à succès avec, en premier lieu une brochette d'acteurs qui s'amusent comme des petits fous. C'est simple, il y a longtemps que l'on n'avait pas vu une telle brochette de "gueules". Tous, de Clavier à Jugnot en passant par Balasko, Epaud, Girouard, Joly, Cancelier, Demaison, Gamelon, Saladin, sont à fond dans la caricature, dans l'outrance. Ils s'en donnent à coeur joie, se contrefoutant totalement de leur image.
Christian Clavier en fait des tonnes. Mais son personnage, cupide, méchant, sadique, le réclame et c'est ce que l'on attend de lui. On va encore une fois évoquer de Funès (il y a il est vrai un petit parallèle entre le commissaire Juve de Fantômas lorsqu'il a des boules quiès dans les oreilles et qu'il ne s'exprime que par gestes et le Martin qui s'essaie au langage des sourds-muets avec son fils adoptif), mais ce serait un peu facile. Clavier fait du Clavier ; point ! Il forme d'ailleurs avec Josiane Balasko une sorte de couple de Thénardier ansolument abominables et dénués de tous scrupules. Mais des Thénardier sans Cosette puisque eux, au moins, ils l'aiment leur fille. De même qu'ils nourrissent une vraie affection pour leur fils adoptif si indispensable pour l'accomplissement des basses besognes. Et puis la Rose a ce trait de caractère en plus d'être un tantinet bigote, une faiblesse qui va s'avérer être le grain de sable qui va enrayer les rouages de leur belle mécanique d'éliminations physiques en tous genres.
Gérard Jugnot trouve là un rôle plus complexe qu'il y paraît de prime abord. Au début du film, il se comporte en parfait faux-cul, en méprisable tartufe, profiteur, gourmand, mesquin avant de se révéler en noble sauveur de son prochain. Une fois de plus, il est excellent dans les deux registres.
Il a été également très habile de réunir jugnot et Jean-Baptiste Maunier, les deux figures de proue des Choristes. Si Jugnot y joue toujours les protecteurs, Jean-Baptiste en revanche s'affranchit considérablement. On est loin de Morhange ! D'abord il fait deux mètres, il a un physique de jeune premier et, surtout, il y affirme un don certain pour le second degré. Octave (joli prénom pour un ancien choriste !) passe sans transition du mysticisme le plus absolu à la découverte autrement plus agréable des plaisirs de la chair. Il est impeccable.
Enfin, il y a cette fameuse brochette de "gueules" dont je parlais plus haut. Fred Epaud (Violet) se permet une composition plutôt émouvante en exécuteur patenté. Anne Girouard et Urbain Cancelier campent deux andouilles inénarrables, faisant preuve d'un mépris total pour les petites gens. Sylvie Joly s'autorise des pitreries d'une franche gaminerie. François-Xavier Demaison, quasi méconnaissable, est grotesque à souhait. Je crois qu'il va falloir désormais compter avec lui tant son potentiel est intéressant. Et il y a Laurent Gamelon. Il est impayable ! Il est le running gag du film...
On s'amuse donc énormément avec cette Auberge Rouge revisitée. On n'a pas à se prendre la tête, on n'a qu'à se laisser aller, rire et détentes garantis. La musique est digne des ambiances de maison hantée à Disneyland, les décors naturels sont grandioses. Et ce film, délicieusement amoral, est émaillé tout du long d'une kyrielle de scènes qui sont autant de grands moments de comédie pure. Que demander de plus ?

Pagny chante Brel


Ma note : 8/10

Enorme ! Quelle réalisation ! J'ai d'abord écouté cet album dans des conditions normales, puis je me le suis offert au casque afin de mieux m'imprégner encore de toute sa richesse instrumentale, de sa densité, de son émotion, de ses ponctuations magistrales. On sent que sur chaque titre il y a eu un gros travail de fond, une transposition intelligente des textes pour les napper d'un climat personnalisé. Du grand art. Et là il faut encenser le trio de réalisateurs qui ont bossé comme des artisans à qui on aurait donné d'énormes moyens et un confort total pour exprimer leur sensibilité. Yvan Cassar - encore lui, ils doivent être plusieurs - en a arrangé sept à lui seul. Les quatre autres ayant été habillés par un tandem de couturiers habités, Daran et Erik Fostinelli. Chaque chanson a donc sa couleur, son ambiance, son traitement de faveur. C'est un véritable travail d'orfèvres. Un travail qu'aurait assurément approuvé et apprécié François Rauber, grand arrangeur aujord'hui devant l'Eternel.
Ce préambule peut peut-être sembler par trop emphatique et pourtant, il n'est pas facile de traduire en mots les sensations que l'on éprouve à l'écoute de ce pari gonflé qu'est Pagny chante Brel. Il est fou le Bourguignon-Patagon ! Depuis qu'il a renoué avec le succès il y a dix ans (1997) avec l'album Savoir aimer, Florent Pagny est (re)devenu un homme libre. Un homme et un artiste libres. Alors il s'amuse. Il adore surprendre, apparaître là où on ne l'attend pas. Il se fait plaisir. Il s'offre un album de reprises (RéCréation), un autre de duos (2), s'autorise un détour du côté de l'opéra (Baryton). Il se permet même de se planter avec un opus médiocre (Abracadabra), un album sauvé toutefois par un seul et unique titre tubesque, Là où je t'emménerai. C'est son luxe. Et maintenant, il s'éclate en reprenant une onzaine des plus grandes chansons de maître Jacques Brel. Gonflé le mec ! Mais c'est tout lui. Il n'a pas de complexes ; et il a bien raison puisque le résultat est là. Et quel résultat !
Cette fois, je ne m'amuse même pas à établir mon petit hit parade personnel. Chaque titre m'a enchanté pour des raisons propres. Si on insiste, je reconnais avoir peut-être pris un peu plus de plaisir encore à l'écoute de Au suivant et des Bourgeois.
La chanson de Jacky est toute en énergie avec une formation pléthorique (banjo, accordéon, cuivres, cordes...). Orly joue plus sur l'émotion avec des cordes somptueuses et le London Session Orchestra, le tout flirtant avec le symphonique sans jamais y basculer. Ne me quitte pas, une chanson à laquelle peu ont eu l'outrecuidance de se frotter, jouit d'une interprétation toute en retenue et sensibilité, Yvan Cassar avec un piano fin, léger, discret, se contentant de souligner la supplique. Mathilde - il fallait oser - est quasiment métamorphosée en rock qui avance tout le temps avec une guitare monstrueuse et une interprétation graillonneuse. La Fanette repose totalement sur une atmosphère ample et majestueuse avec une dominante de piano et de cordes qui respectent tout à fait le climat lourd et dramatique de la chanson. La chanson des vieux amants se distingue par un jeu de réponses entre les percussions et un bandonéon qui lui donnent l'aspect d'un tango argentin. En s'appuyant sur d'omniprésents piano, contrebasse et percussions, Au suivant s'offre des allures de rumba. Dans Le dernier repas, la magnifique trouvaille est la présence d'un sifflet qui se glisse entre les cordes et qui apporte une sonorité vraiment originale qui fait un peu penser à la fameuse flûte de Il est cinq heures, Paris s'éveille de Dutronc. Les Bourgeois, eux, défilent en fanfare, on dirait une musique de film, c'est épatant. Sans surprise, Vesoul est débitée en valse à un train d'enfer ; il faut noter le clin d'oeil à la version originale avec la présence à l'accordéon de Marcel Azzola, immortalisé par le célèbre "Chauffe, Marcel !". Quant à Ces gens-là, c'est un morceau de bravoure au niveau de l'interprétation, un grand numéro de comédien.

En conclusion, Florent Pagny a parfaitement respecté l'atmosphère des chansons de Brel. Il ne les a pas dénaturées vocalement. En revanche, les arrangements les ont réellement magnifiées. De la bien belle ouvrage.
Et maintenant, on va se demander ce que ce diable de Florent va nous sortir de son sac à malices la prochaine fois. Il a tellement de cordes (vocales) à son arc ! Mais il n'y a pas urgence. On va d'abord se régaler avec cet album-ci avant de penser "au suivant"...

Dernière minute : Samedi soir, à l'Olympia, j'ai eu la chance et le privilège d'assister à l'enregistrement pour France 2 du concert "Florent Pagny chante Brel". Il était 23 h 10 (!) et la salle était pleine, quand Florent s'est présenté, fort élégamment vêtu (pantalon gris anthracite, veste sombre col officier) devant un grand orchestre dirigé par Yvan Cassar. En apparence décontracté, il va enchaîner dans l'ordre les onze titres de l'album. Il plie La chanson de Jacky avec une formidable énergie. Encore essouflé par le rythme infernal imprimé par l'arrangement, Florent avoue son appréhension en confiant qu'il n'a eu que très peu de temps pour répéter et qu'il se prépare à un grand numéro de voltige sans filet. La salle, totalement acquise, l'encourage en lui criant son admiration et son soutien.
Florent est un artiste d'une énorme générosité. Il s'est coltiné ce tour de chant à haut risque avec la fougue d'un petit coq de combat et l'humilité d'un sherpa au pied de l'Himalaya. C'est ce en quoi il est si attachant. Bien sûr nous eûmes des orages (retard à l'allumage sur une chanson, oubli des paroles dans une autre) mais nous vécûmes un amour fort. A chaque fois, Yavan Cassar, l'indulgense souriante, remettait en marche le puissant moteur de l'orchestre symphonique et, à chaque fois, Florent nous resservait la magie et l'émotion... A la fin, l'enregistrement de quatre chansons n'ayant pas paru tout à fait convenable, il a fallu les réinterpréter ; pour le plus grand bonheur du public, invité ainsi à un bonus inattendu. Mais que la communion était belle.
Dans une loge du balcon surplombant le côté jardin de la scène, Pascal Nègre et Santi se régalaient visiblement. A leurs côté, Marc Lavoine vibrait, vivant chaque titre comme s'il était branché avec Florent. Nikos Aliagas, subjugué, préférait suivre tout le concert debout. Philippe Douste-Blazy ne tarissait pas d'éloges auprès de Pascal Nègre sur la performance à laquelle il venait d'assister. Chacun, de la star à l'anonyme, était convaincu d'avoir vécu un grand moment de music-hall. Ce grand moment, vous pourrez à votre tour y assister puisque ce concert sera diffusé vers la mi-décembre sur l'antenne de France 2 (Patrick de Carolis, le patron de la chaîne, était d'ailleurs lui aussi présent dans la salle).

mardi 27 novembre 2007

Johnny Hallyday


Le coeur d'un homme

Ma note 7/10

Depuis le temps qu'il en rêvait, depuis le temps qu'il en parlait... Johnny Hallyday a enfin enregistré son album de blues. Du blues ? Il y en a certes, mais on pourrait plus justement qualifier cet album de variété-blues. Les puristes n'y trouveront certainement pas suffisamment leur compte. Alors, vrai retour aux sources ou habile compromis ? Il y a des deux. La maison de disques a dû craindre qu'un opus intégralement voué au blues ait un retentissement commercial moindre. Personnellement, je pense que c'est une erreur et qu'il fallait aller au bout du truc, mordre les roots à pleines dents.
Pour sauver la face, on a eu recours à un habile camouflage en faisant appel à des musiciens rompus à ce style de musique (Taj Mahal, Keb' Mo', Tony Joe White) et à des instruments typiques du country-blues (Guitares dobro, slide, pedal steel, harmonica). A ce niveau, on ne s'est pas moqué du monde du côté des Ocean Studios californiens. Il y avait du lourd ! Et, en toute sincérité, musicalement cet album tient vraiment la route. Il y a des sonorités qui fleurent bon le Deep South ou le bayou.
Et puis il y a Johnny... On sent qu'il s'est régalé. Il chante avec l'aisance chaloupée et l'assurance tranquille d'un vieux cow boy. Comme il sait qu'il peut tout demander à sa voix, il s'amuse et prend des risques. Il reste un phénomène unique. Estimable et respectable.
Pourtant, cet album tant attendu m'a laissé un peu sur ma faim. Par rapport à l'état d'esprit avec lequel il l'envisageait (nous en avions parlé en tête à tête), il a dû subir quelques influences qui l'ont fait bifurquer parfois de la ligne pure et dure qu'il s'était fixée.
Sur les treize titres qui composent Le coeur d'un homme, j'en ai retenu huit qui m'ont toutefois vraiment plu. Après tout, c'est une bonne proportion. Mais on attend toujours tellement de notre "Jojo"...
Mes deux préférées sont T'aimer si mal et Ce que j'ai fait de ma vie. La première, parce qu'elle contient tous les archétypes du blues. C'est la plus authentique. La guitare de Taj Mahal (le frère de Carol Fredericks), un harmonica bien dirty et le piano boogie lui donnent une facture classique dans le genre. Et le texte de l'écrivain Marc Lévy est un vrai texte de blues qui raconte les amours malheureuses, la rupture, la souffrance d'aimer et de ne pas l'être en retour... Quant à la seconde, son climat plaintif et douloureux la rend chargée d'émotion jusqu'à la superbe montée en puissance qui la métamorphose en une sorte d'hymne (préparez vos briquets !). A souligner également la qualité de l'adaptation de Lionel Florence qui a eu le talent de s'effacer derrière Johnny à tel point qu'on pourrait croire que c'est lui qui a écrit ce texte empli d'honnêteté et d'humilité. D'où le réalisme de l'interprétation...
Après ces deux chansons, j'en distingue quatre qui sont particulièrement solides à différents titres :
- Always. La mélodie est imparable. C'est dans ce type d'ambiance que Johnny est le meilleur. Il peut y exprimer toutes les nuances de son extrême sensibilité. Le texte est simple, c'est une jolie chanson d'amour qui va droit au coeur.
- Chavirer les foules. Il est malin comme un singe ce Mallory. Très habilement, il nous fait une resucée "Canada Dry" de Toute la musique que j'aime. Johnny y est comme un poisson dans l'eau. C'est peut-être là sa meilleure interprétation de tout l'album car il joue sur les intonations, retient les syllabes, balance naturellement, suinte le swing. Et bien sûr il y est entraîné par un subtil harmonica et une excellente guitare dobro.
- Que restera-t-il ?. Là, on nage en pleine ambiance country, un genre qui va à Johnny comme un stetson ou une paire de santiags. Qu'est-ce qu'il est bon dans la douceur et la mélancolie ! Mais quant à imaginer ce qui restera de lui, la question ne se pose même pas : il restera. Point. Et pour longtemps dans nos coeurs et nos mémoires.
- Laquelle de toi. Voici une très jolie chanson, au texte original et intelligent, et à la mélodie entraînante et vivifiante. Sacrées guitares qui sentent le bivouac à la belle étoile devant un feu de bois.
Et enfin, dans le troisième wagon du train de l'excellence, je placerai deux titres :
- Je reviendrai dans tes bras. C'est un presque vrai blues, torturé par la guitare magique de l'ami Tony Joe White. Une chanson lancinante, efficace, virile, musclée. Sur scène, elle devrait dépoter.
- Ma vie. C'est la chanson-partage type. Le public va être debout et balancer en communion extatique et complice avec LE chanteur. C'est un bon rock énergique, tonique, tout entier destiné à chauffer l'ambiance dans la salle.

Thomas Fersen


Gratte-moi la puce
(Best Of de poche)

Ma note : 7/10

Le titre de cet album intrigue...
"Best Of", on comprend ; mais pourquoi "de poche" ? Si on est un peu curieux, avant même d'écouter, on tourne et retourne l'objet et, au verso, un petit encadré nous livre l'information : "Retrouvez sur ce disque laser une sélection des plus grands succès de Thomas Fersen, interprétée en duo sur des instruments de format réduit". Voici don la clé du mystère... Thomas nous la jouerait-il petit bras ? Et bien que nenni, au contraire. En s'accompagnant avec des modèles réduits, ses chansons en sortent grandies. Avec son complice Pierre Sangra, il envoie l'épurée, le bougre ! Les ukulélés, la flûte et la mandoline, objets peu encombrants parfaits pour voyager léger, apportent une grâce authentique à cet album, tant leurs délicats pizzicati nous charment la trompe d'Eustache. Le mot qui m'est venu immédiatement en l'écoutant a été "délicieux".
Ce minimalisme instrumental, avec ses sonorités originales, permet par sa sobriété de faire ressortir le timbre chaud de la voix du chanteur et surtout, de percevoir ses moindres intonations, qu'elles soient empreintes de poésie eu chargées d'ironie. C'est la chanson dans toute sa pureté. Certaines chansons ont une couleur qui fait parfois furieusement penser cet autre Georges que fut Brassens. Fersen, c'est le dernier des troubadours. Il aurait fait fureur auprès des gentes dames du temps jadis ou à la cour de Diane de Poitiers en interprétant ses chansonnettes au son d'une mandoline. Pendant que les maris étaient partis guerroyer en Terre Sainte, mignon à "croquer" comme il est, sûr qu'il n'aurait pas fait ceinture...
20 titres, 20 éclats d'un bonheur simple et léger. Comme il s'agit d'un Best Of, il n'y a rien à jeter (comme aurait dit Georges). Une grande partie de son fameux bestiaire s'y retrouve en bonne place (normal ,c'est un "Bête Of") : les papillons, la chauve-souris, Pégase le cheval zélé, Le Chat Botté, la chienne Zaza, les oiseaux qui virevoltent au bal, le lion et ses malheurs, la blatte... Belle plume, Fersen est un chanteur très "bêtes", une sorte de La Fontaine sans morales, un peintre animalier tendre et facétieux.
Pour en revenir à ce Bijou d'album, l'apport des ukulélés (baryton et soprano) enveloppe de swing des titres comme Le Bal des oiseaux ou Louise ; ça bouge tout seul. C'est la re-découverte de tout un répertoire. Personnellement, j'ai adoré encore plus particulièrement les ambiances de Croque, de La chauve-souris, de Pégase, de Bella Ciao, de Diane-de-Poitiers et de Bijou.
Si vous ne possédez pas encore de CD de Thomas Fersen, c'est celui-ci qu'il vous faut impérativement. Vous ferez une affaire. Une affaire saine...

mercredi 21 novembre 2007

Cabaret


Folies Bergère
32, rue Richer
75009 Paris
Tel : 08 20 88 87 86
Métro : Cadet/Grands Boulevards

Livret de Joe Masteroff
Musique de John Kander
Paroles de Fred Ebb
Co-mise en scène et chorégraphie originales : Rob Marshall
Mise en scène originale : Sam Mendès
Adaptation française du livret : Jacques Collard
Adaptation française des paroles : Eric Taraud
Scénographie : Alberto Negrin

Avec Claire Pérot (Sally Bowles), Fabian Richard (Emcee), Catherine Arditi (Fraülein Schneider), Pierre Reggiani (Herr Schultz), Geoffroy Guerrier (Cliff Bradshaw), Patrick Mazet (Ernst Ludwig), Delphine Grandsart (Fraülein Fritzie-Kost)...

Ma note : 8/10

Argument : Cliff Bradshaw, un jeune écrivain américain arrive à Berlin par le train. Il voyage à travers l'Europe en quête d'inspiration^pour son prochain roman. A la gare, il fait la connaissance d'Ernst Ludwig, un sympathique Berlinois, qu'il aide malgré lui. En retour, Ernst le conseille pour ses recherches de logement. C'est ainsi que Cliff atterrit dans la pension de Fraülein Schneider.
Le Kit Kat Club est le lieu de rendez-vous de la nuit berlinoise. Cette boîte de nuit est une enclave de liberté et de distraction où Cliff se rend dès le premier soir sur les recommandations de Ernst. Il y découvre Emcee, le maître de cérémonie, cynique, sensuel et provocant, qui présente au public la star du club, la chanteuse anglaise Sally Bowles.
A l'issue de la représentation, Sally repère Cliff dans la salle et, le trouvant à son goût, l'invite dans sa loge. Mais Max, le propriétaire du club, son amant jaloux, ne voit pas cette démarche d'un bon oeil. Il se dispute avec elle et la congédie. Le lendemain, Sally se présente à la pension où loge Cliff. Il accepte qu'elle vienne partager sa modeste chambre...

Mon avis : A chaque fois que j'ai l'opportunité de pénétrer dans le grand hall des Folies Bergère, j'en ressens un émerveillement d'enfant. Pour moi, cette salle de spectacle est la plus belle de Paris. Elle fait rêver et on y vient avec un plaisir accru : on est de sortie ! En prime, pour le spectacle Cabaret, on y a supprimé toutes les rangées de fauteuils pour y disposer des petites tables guéridon agrémentées de fort mignons abat-jour ce qui a pour résultat de nous transplanter d'emblée dans une ambiance caf' conc' si caractéristique des années 1900. Toutes ces attentions - y compris les tenues des serveurs et (surtout) des serveuses - contribue à nous installer dans les meilleures conditions psychologiques.
Inutile de tourner autour du pot : j'ai adoré Cabaret ! Du début à la fin. Et quel début ! Dès l'apparition de Emcee, le maître de cérémonie, on entre dans le vif du sujet ; des sujets, devrait-on plutôt dire. Car elle est haute en couleurs la troupe des danseuses et danseurs du Kit Kat Club que ce Monsieur (dé)Loyal extravagant et ambigu se fait un plaisir de nous présenter les uns après les autres. Ces demoiselles, outrageusement maquillées, se complaisent dans les poses lascives, provocantes, les grimaces aguichantes, les clins d'oeil effrontés. Ah, on sait s'amuser au Kit Kat Club ! Ce n'est pas un endroit pour les demi-sel et les demi-portions. En plus, il y a un vrai orchestre dans cette boîte de tous les vices et de tous les fantasmes. Un qui dépote ; et où même les musiciennes portent des tenues coquines. La totale... C'est un endroit qui suinte le sexe et invite à la débauche.

Il faut saluer le travail effectué par le concepteur des lumières. On est sans cesse surpris par ces habiles ruptures d'éclairage qui soulignent telle ou telle scène et créent des univers différents. Lumières tamisées pour les scènes intimistes, lumières crues pour mettre les corps en évidence, parfois les petits abat-jour susmentionnés s'allument pour nous signaler que nous somlmes DANS le Kit Kat Club ; et puis il y a ce moment magique où une gigantesque boules à facettes nous éclabousse de halos scintillants au rythme d'une valse lente... Quand les gens ne sont pas trop déshabillés, ils portent des costumes, des robes et des tailleurs fort élégants. Le décor n'est pas encombré pour libérer de l'espace aux danseurs. Seules quelques astuces de transferts de mobilier opérés à vue nous permettent de savoir si nous nous trouvons sur un quai de gare, au Kit Kat ou dans la pension de Fraülein Schneider. C'est largement suffisant et tout simplement efficace.

Les acteurs... Fabian Richard incarne un Emcee tout en provocation et ambiguïté. Il nous distille ses blagues salaces, prend des poses suggestives, joue les pervers et les cyniques avec une jouissance assumée. Bref, il est parfait. Il est l'âme (damnée) du spectacle. Chacune de ses prestations est un grand moment. Pourtant, il arrive que sous ses attitudes effrontées il laisse entrevoir une vraie fragilité, un certain désarroi devant les événements qui sont en train de germer autour de lui. On se doute que, hors du Kit Kat Club, il n'existe plus. Il n'est plus qu'un être humain désemparé et privé de repères.
Claire Pérot est purement étonnante. Elle affiche une dualité troublante et attachante de petit fille paumée et d'allumeuse intéressée. En fait, ce qu'elle aime avant tout, c'est son métier. Elle chante et danse remarquablement bien. C'est une sorte de Liza Minnelli miniature, un petit bout de femme pêchu et énergique doté d'une voix à la puissance inversement proportionnelle à son physique. Quelle présence !
Catherine Arditi (quelle voix elle aussi !) tient une place prépondérante dans ce spectacle. Avec son pensionnaire Herr Schultz (Pierre Reggiani), ils sont les deux personnes à peu près normales de cette histoire. Catherine est émouvante en vieille fille qui s'est consacrée toute sa vie à la bonne marche de sa pension et qui découvre soudain le grand amour à l'automne de sa vie. Cette belle histoire d'amour "3ème âge" apporte le seul courant d'air frais et sain dans cet univers glauque et décadent. Mais...
Les danseuses ? Excellente distribution. Toutes différentes physiquement les unes des autres, on ne se lasse pas de les regarder. Avec leur façon destructurée de bouger, volontairement plus athlétique que gracieuse, leur audace, leur complicité entre elles, elles assurent grave.
Nombreux sont les tableaux d'une facture remarquable. J'ai particulièrement apprécié celui baptisé "Money money".
Enfin, l'histoire qui se déroule devant nous n'est pas anodine. C'est un filigrane de la grand Histoire qui nous interpelle. En toile de fond, nous assistons à la montée du nazisme. Le trait n'est jamais forcé, toujours habilement suggéré. La phrase qui résume sans doute le mieux ce qu'est ce Berlin des années 30, c'est Cliff Bradshaw, l'écrivain américain qui la prononce : "J'aime cette ville... C'est tellement sordide et effroyable !" Il n'y a rien à ajouter...
Si, tout de même : il faut encenser la qualité de cette adaptation française. Félicitations à Maître Collard... Jacques Collard.

mercredi 14 novembre 2007

Les Deux Mondes


Un film écrit et réalisé par Daniel Cohen
Avec Benoît Poelvoorde (Rémy Bassano), Natacha Lindinger (Lucile), Michel Duchaussoy (Mutr Van Kimé), Daniel Cohen (Rimé Kiel), Pascal Elso (Serge Vitali), Arly Jover (Delphine), Augustin Legrand (Zotan et Kerté)...
Sortie : 21 novembre 2007

Ma note : 6,5/10

Synopsis : Dans un monde parallèle, au village de Bégaméni,une tribu opprimée adresse des incantations au ciel afin qu'un sauveur vienne les libérer du joug de Zotan, le tyran cannibale...
A Paris, dans le monde normal... Rémy Bassano est un petit restaurateur d'oeuvres d'art réservé, discret et sans histoires. Il est marié à Lucile avec laquelle il a deux enfants.
Un jour, Rémy retrouve son atelier inondé. Non seulement il perd son travail, mais sa femme lui annonce brutalement qu'elle le quitte pour un autre. Il court chercher du réconfort chez ses parents et, alors qu'il est en train de préparer le café dans la cuisine, il est aspiré dans le sol, traverse le temps et se retrouve à Bégaméni.
Là, dans leur étrange village, les Begaméniens l'accueillent comme le libérateur espéré.
A compter de ce moment-là, Rémy se retrouve embarqué dans une aventure haletante. Il se met à naviguer de façon incontrôlable entre les deux mondes...

Mon avis : Dès le générique, on est embarqué dans un monde étonnant, celui de Bégaméni. Dépaysement et exotisme garantis. Les décors - en particulier cette gigantesque grotte inquiétante -, les costumes et le dialecte utilisé par ces êtres mi-aborigènes, mi-préhistoriques, nous transportent dans une BD fantastique. C'est à peine si on reconnaît, affublé de peaux de bêtes et décoré de colifichets et de gris-gris, un impayable Michel Duchaussoy. Quel bonheur que de voir des comédiens de cette envergure se contreficher complètement de leur image !
Retour à Paris. En quelques images, la personnalité de Benoît Poelvoorde est dessinée. C'est un bon mari et un gentil papa, aimable et conciliant, très attentionné ; un doux rêveur quoi, totalement dénué d'agressivité et d'ambition, il n'est pas du tout armé pour affronter les simples aléas de la vie quotidienne. Il subit sans se révolter jamais. Pas facile quand on est à ce point discret, limite insignifiant, d'être amoureux d'une lumineuse Natacha Lindinger au comportement plutôt désinvolte à son égard.
Benoît Poelvoorde est de la race des plus grands. Il pourrait être l'enfant contre nature qu'auraient engendré Bourvil et Louis de Funès au cours de leur Grande vadrouille !!! On peut dire tout ce qu'on veut de lui, mais c'est un sacré comédien. Il sait tout faire. Il est aussi convaincant dans le registre de la grosse farce que dans la plus extrême sensibilité. Il a des regards mouillés devant ses enfants ou devant son épouse qui font fondre. Et il possède au plus haut point le sens cartoonesque du burlesque. Dans ce film, il est irréprochable du début à la fin. Après, ce sont les vicissitudes du scénario qui font que l'on entre ou pas dans l'histoire. Toujours est-il que la véracité du jeu de Poelvoorde rend l'histoire (presque) acceptable.
Les deux Mondes est un peu la synthèse de Jumanji (pour les effets spéciaux), de Mad Max (pour le décor de la capitale des Bégaméniens) et de Sa Majesté Minor (pour le message sur le pouvoir entre autres).
Pour ce qui me concerne, ce film eût été un très bon film s'il ne contenait pas quelques dérives à mes yeux regrettables. Autant Rémy Bassano se montre émouvant de tendresse quand il est avec ses enfants, autant il se métamorphose en un tyran impitoyable et sanguinaire lorsqu'il reçoit le pouvoir. C'est tout de même terrible que d'avoir ainsi recours à la force brute. Sa gestion de la ville et de tout un peuple est calamiteuse. Ce n'est pas très logique et cohérent au vu du caractère débonnaire de son personnage. Autant de violence inutile gâche le plaisir enfantin que l'on a à adhérer à cette parabole pendant plus de la moitié d'un film qui se termine en fouillis mal maîtrisé.
Il reste toutefois de remarquables effets spéciaux (ah la scène avec le chat qui saute dans la cuisine !), les superbes décors du monde parallèle de Bégaméni, le charme de Natacha Lindinger (en dépit d'un rôle peu sympathique, mais nécessaire pour les ressorts de l'histoire) et de Arly Jover, et la fraîcheur des deux enfants. Et, bien sûr, la formidable prestation de Monsieur Benoït Poelvoorde. Rien que pour ça, Les Deux Mondes, un spectacle à voir en famille, vaut le déplacement.

Le p'tit trésor


La Grande Comédie
40, rue de Clichy
75009 Paris
Tel : 01 48 74 03 65
Métro : Place de Clichy/Liège/Trinité d'Estienne d'Orves

Une comédie de Jean-Yves Rogale
Mise en scène par Anne Beaumont
Avec Steevy Boulay (Kevin), Princess Erika (Clarisse), Vincent Azé (Chris)

Ma note : 6/10

Synopsis : A la suite d'un hold-up, alors que tous ses complices se sont fait prendre, Chris a réussi à s'enfuir avec le butin. Mais il a la police à ses trousses. Il trouve refuge dans un appartement occupé par un jeune homme un tantinet précieux en plein chagrin d'amour. Il décide de le prendre en otage afin de pouvoir négocier avec le redoutable commissaire Roulin. Hélas, Chris n'est pas un otage conventionnel. Son désespoir est tellement profond, qu'il en était à envisager le suicide. Alors, le gros pétard de Chris ne l'impressionne pas. Il va donc falloir d'abord amadouer l'amoureux transi pour le rendre plus coopèratif. Mais ce n'est pas une mince affaire tant l'énergumène se montre capricieux et versatile. A un tel point qu'à un moment, on se demande lequel est l'otage de l'autre ! Et pour ajouter à la cacophonie ambiante, voici que déboule dans l'appartement Clarisse, l'épouse de Chris, dépêchée par le commissaire Roulin pour essayer de fair fléchir Chris et l'amener à la raison. Pour ce dernier, les choses vont devenir impossibles à contrôler car Clarisse se révèle tout aussi ingérable que Kevin...

Mon avis : De l'aveu même de Jean-Yves Rogale, l'auteur de la pièce, cette comédie a été écrite sur mesure pour Steevy. De fait, on ne peut parler de rôle de composition tant le personnage de Kevin pourrait être Steevy dans la vraie vie. Pour sa deuxième apparition sur les planches après La presse est unanime de Laurent Ruquier, il s'en sort vraiment bien. Il joue juste et avec beaucoup de naturel. On sent qu'il a dû énormément bosser car il a acquis depuis le théâtre des Variétés une diction impeccable et pris du volume dans la voix. Sinon, Steevy fait du Steevy : attitudes outrées, désinvolture lascive, narcissisme éhonté, poses affectées... Il assume. Sur le mur de son appartement de fiction, est affichée une phrase de Rimbaud qu'il a vraisemblablement faite sienne : "Oh la la, que d'amours splendides j'ai rêvées !"...
Face à ce néophyte, il fallait pour lui donner la réplique deux personnalités chevronnées, un comédien accompli, Vincent Azé, et une habituée de la scène, Princess Erika. Et on peut dire que l'alchimie prend parfaitement. Princess Erika fait preuve d'une présence comique étonnante. C'est un vrai tourbillon à la sensualité énergique qui arrive juste à propos pour donner un bon coup de fouet à la pièce. Avec son visage hyper expressif, on n'a aucun mal à comprendre le moindre de ses états d'âme. C'est une excellente trouvaille que de lui avoir proposé le rôle de Clarisse... Vincent Azé, c'est l'antithèse de Steevy. Costaud, brut de décoffrage, primaire, facilement grossier, homophobe par auto-protection, il dissimule cependant très maladroitement une vraie sensibilité. Pire encore, il ne peut parfois cacher son trouble devant ce corps d'éphèbe que Steevy/Kevin se plaît à dévoiler pour le moindre prétexte. C'est un faux macho qui ne rêve que de garder l'argent de la banque pour que sa femme et ses gosses soient heureux. Il ne ferait pas de mal à une mouche alors, pensez, à une libellule !!!
Le p'tit trésor est une pièce gentillette, bien rythmée, vive. Bien sûr, elle ne décrochera pas le pactole aux Molières, mais c'est un divertissement sympathique qui se laisse regarder sans déplaisir.

mardi 13 novembre 2007

Jonathan Lambert : "L'homme qui ne dort jamais"


Comédie de Paris
42, rue Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 42 81 32 22
Métro : Blanche

Ecrit par Jonathan Lambert et Arnaud Lemort
Mis en scène par Arnaud Lemort

Ma note : 5,5/10

Synopsis : Suite à une erreur malencontreuse dans la retranscription d'une formule chimique, le héros incarné par Jonathan Lambert a été viré par le patron du laboratoire de recherches dans lequel il était employé. Devenu insomniaque, il fait partie depuis huit ans de la troupe de "monstres" qui sont exhibés dans la Maison des Mystères. Il est sujet à de nombreuses crises de dédoublement de personnalité et se transforme à vue en une poignée de personnages tous plus déjantés, allumés, bizarroïdes et inquiétants les uns que les autres...

Mon avis : Quand je pense que j'avais interviewé le jeune Jonathan Lambert à l'époque où il jouait le rôle du candide auprès de Jean-Pierre Coffe dans une émission culinaire diffusée sur le service public ! Il s'était montré d'une discrétion exemplaire, presque effacé, bien poli et propre sur lui... Treize années ont passé. On ne sait si, à l'instar de Spiderman, il a été piqué par une bestiole du genre répugnant, toujours est-il qu'il a subi une lente métamorphose qui l'a amené aujourd'hui, via la chaîne Comédie (certains d'entre vous se souviennent sans doute de ce grand moment de folie pure où il s'était introduit un poulpe dans le slip), à camper des individus totalement imprévisibles et hallucinants. Ses personnages dans On n'est pas couché, l'émission de Laurent Ruquier, sont, le plus souvent, à hurler de rire.
Je me suis donc rendu à la Comédie de Paris en m'attendant au pire ; en l'espérant même. Effectivement, les premières vingt minutes furent conformes à ce que je subodorais. C'est-à-dire, une vraie folie, complètement irrationnelle, une gestuelle et une logique de l'absurde qui n'appartiennent qu'à lui... Il attaque son spectacle - de même qu'il le terminera d'ailleurs - sur un slam, un slam... slamentable. C'est un esprit dérangé dans un Petit Corps Malade qui est devant nous. Il part ensuite dans ses élucubrations explicatives des (dé)raisons qui ont fait de lui un insomniaque chronique et par quels incidents de parcours il a dû quitter sa fonction de laborantin pour devenir monstre de foire. Mais avant d'être un des hôtes les plus atterrants de la Maison des Mystères, il lui en est arrivé des avatars... Un des plus savoureux à mon goût fut sa fonction d'alarme humaine dans un parking. Là, on entre de plain-pied dans la quatrième dimension. C'est le monde à Lambert ! Il prend le public à partie, l'invective, utilise un spectateur comme cobaye, se mue en obsédé sexuel bavant et halluciné... On y est, pas de problème, c'est du Jonathan Lambert tout... craché. Il est capable en un tournemain d'interpréter un individu complètement taré, agressif et libidineux et, la seconde suivante, de redevenir un jeune homme aimable dont le sourire angélique nous fait aussitôt oublier l'horrible personnage qu'il campait juste avant.
Et puis, petit à petit, le spectacle se met à ronronner. la folie s'amoindrit, le rythme tombe pour faire place à beaucoup de bavardage. C'est toujours amusant, mais il y a, pour moi, un problème de manque de rigueur dans l'écriture. Alors que l'idée de cet "homme qui ne dort jamais" est infaillible, je trouve que Jonathan et son co-auteur ne sont pas allée assez loin dans le délire. Peut-être parce que ce spectacle a été écrit bien avant que Jonathan ne se "ruquiérise" et il n'avait pas alors osé aller titiller les extrêmes de peur de faire peur à un public non averti. Aujourd'hui, il peut tout se permettre. Il a acquis une légitime notoriété. Il est tout seul dans ce registre. Il faut donc qu'il y aille à fond. Sans doute dans le prochain spectacle ???
Il nous offre néanmoins un show totalement atypique, bien barré, avec quelques moments absolument jubilatoires. Il est sur la bonne voie. Il a créé un vrai personnage, il est doué, il n'a aucune inhibition, et puis, avouons-le, il est sympathique le garçon.

vendredi 9 novembre 2007

Le système Ribadier


Théâtre Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Edgar Quinet/Gaîté/Montparnasse

Une pièce de Georges Feydeau
Mise en scène par Christian Bujeau
Avec Léa Drucker ((Angèle), Bruno Solo (Ribadier), Jean-Noël Brouté (Thommereux), Gérard Darier (Savinet), Fabienne Galula (Sophie), Romain Thunin (Gusman)

Ma note : 7/10

L'histoire : Pour pouvoir tromper en toute quiétude son épouse Angèle, qui est jalouse jusqu'à la paranoïa, Ribadier a inventé un système imparable. Lorsqu'il a envie de courir à un rendez-vous galant, exploitant les facultés hypnotiques dont il est doué, il l'endort en la fixant dans les yeux. A son retour, il réveille la malheureuse en lui soufflant sur le front.
Hélas, les plus belles mécaniques finissent toujours par se détraquer, et il en va de même pour le "système Ribadier", pourtant réputé infaillible. Surtout quand un ancien soupirant de son épouse revient d'un long exil bien déterminé à reconquérir l'élue de son coeur...

Mon avis : Quel auteur que ce Monsieur Georges Feydeau ! Ecrite la même année que Monsieur Chasse ! - il y a tout de même 115 ans - Le système Ribadier se distingue avant tout par ses dialogues ciselés et ses répliques savoureuses. Là, pas de portes qui claquent, pas d'amant dans les armoires, pas de courses folles, mais plutôt des échanges verbaux vifs, quelques saillies de bon aloi et de facétieux apartés avec le public. Mais si Le système Ribadier est d'abord une pièce qui s'écoute, elle n'en demeure pas moins très rythmée et truffée de rebondissements croquignolesques.
Le premier tiers repose sur le jeu du chat et de la souris auquel se livrent le sieur Ribadier et son épouse, malade de jalousie. Il faut dire que la pauvre Angèle (Léa Drucker) a été tellement bafouée par feu son premier mari qu'elle en nourrit une méfiance de tous les instants vis-à-vis de son successeur. Et elle n'a pas vraiment tort de se montrer si soupçonneuse... C'est une opposition de deux caractères. Devant un déferlement quasi hystérique de reproches, de plaintes, de lamentations qui, en une poignée de secondes sont regrettés pour se muer en une tentative de conciliation et d'apaisement, Ribadier (Bruno Solo), qui a certes quelques écarts de conduite à se reprocher, s'efforce de rester stoïque. Dame, il est tellement sûr de son fameux "système"...
Léa Drucker confirme une fois encore qu'elle est parfaitement à l'aise dans tous les registres. Elle nous campe une madame Ribadier à la jalousie et à la souffrance très théâtrales capable de se révéler soudain terriblement romantique et amoureuse. D'agaçante, elle devient touchnate. Elle joue toutes ces situations avec une grande finesse en ayant l'air de s'amuser énormément avec ce personnage haut en couleurs, limite caricatural...
Pour sa première expérience théâtrale, Bruno Solo a fait le bon choix. Il a l'art, en une simple mimique, de faire passer ses sentiments. Il aurait été excellent à l'époque du cinéma muet. Son Ribadier n'est jamais outré. Tout en subtilité. Il le joue avec l'assurance du bon bourgeois, de l'homme arrivé. Il vacille parfois légèrement devant les assauts véhéments de son épouse ou quand il doit trouver une parade aux maladresses de la servante, mais il reprend très vite sa maîtrise.
Or, c'est au moment où l'on commence à craindre que la pièce ne se mette à ronronner que surgit le troisième larron, Thommereux, l'homme par qui la machine va s'emballer. L'astuce de la mise en scène est d'avoir fait de lui l'antithèse de Ribadier. Autant ce dernier est placide, autant Thommereux est survolté, fougueux, excessif... Sans lui, la pièce n'atteindrait pas cette espèce d'équilibre. Jean-Noël Brouté y est épatant. Il a une condition physique irréprochable et un sens aigu de la gestuelle comique. Comme dans tout vaudeville qui se respecte, il fallait que le trio classique, le mari, la femme, le soupirant, se montre d'une égale valeur. Et là, c'est particulièrement bien réussi.
Petite mention également à Fabienne Galula, qui interprète une soubrette très joueuse, facétieuse et coquine. Elle est parfaite.
En conclusion, il y a seule chose qui, à mon goût, soit ratée dans cette nouvelle version du Système Ribadier, c'est son affiche. C'est vrai qu'elle ne donne pas très envie. Mais c'est pratiquement le seul reproche que l'on puisse lui adresser. Et, heureusement, les noms de Léa Drucker et Bruno Solo sont suffisamment attractifs pour que le public ait envie de passer un très bon moment de fantaisie au théâtre Montparnasse.

jeudi 8 novembre 2007

La chambre des morts


Un film écrit et réalisé par Alfred Lot
D'après le livre de Franck Thilliez
Avec Mélanie Laurent (Lucie), Eric Caravaca (Stéphane Moreno), Gilles Lellouche (Sylvain), Jonathan Zaccaï (Vigo), Céline Sallette (Annabelle), Laurence Côte (Alex), Nathalie Richard (Raphaëlle Valet)...
Sortie : 14 novembre 2007

Ma note : 8/10

Synopsis : Une nuit, dans le Nord de la France, Sylvain et Vigo, deux informaticiens au chômage un peu paumés font les cons en voiture dans une zone portuaire. En tentant d'éviter un train, ils percutent un homme surgi de nulle part et le tuent. A ses côtés, ils découvent un sac rempli de billets. 2 millions d'euros qui leur tombent tragiquement du ciel ! Apparemment, il n'y a eu aucun témoin de l'accident ; plutôt que d'appeler la police, ils décident, malgré les réticences de Sylvain, de se débarrasser du corps et de garder le pactole...
Le lendemain, dans un entrepôt situé à quelques mètres du lieu de l'accident, la police retrouve le corps de Mélodie, une fillette aveugle qui avait été enlevée. Son père, qui devait apporter les 2 millions de la rançon, a mystérieusement disparu...
Une autre enfant, diabétique cette fois, est kidnappée...
A l'hôtel de policde de Dunkerque, la course contre la montre est lancée. Lucie, jeune brigadier de 26 ans, se voit confier sa première enquête. Elle fait équipe avec le lieutenant Stéphane Moreno...

Mon avis : Quel film ! Pendant deux heures, je suis resté scotché à mon fauteuil, totalement captivé par l'histoire - ou plutôt les histoires - qui se déroulaient devant moi. Grand amateur de polars (c'est mon unique lecture dans le métro), je me suis régalé. Franchement, quand on reçoit de plein fouet un tel film, on se dit qu'on n'a vraiment rien à envier aux Américains. C'est Le silence des agneaux dans le Nord-Pas de Calais ! D'ailleurs, le réalisateur, Alfred Lot, dont il faut souligner au passage que c'est son premier long métrage, ne se gêne pas pour adresser un petit clin d'oeil en forme d'hommage référenciel au film de Jonathan Demme... Mais il ne faut surtout pas focaliser là-dessus, La chambre des morts n'a pas besoin d'être comparée à quoi que ce soit. C'est un film tellement français, qui existe par lui-même, une formidable réussite dans tous les domaines : le suspense, l'action, la peinture sociale, l'image, la bande-son, le jeu des comédiens... Respect total ! Grand bonheur de spectateur.
La chambre des morts est un film gigogne comme on a appris à les aimer. Ce sont plusieurs destins qui évoluent d'abord en parallèle, puis qui, sous l'effet d'un engrenage fatal, s'affolent soudain et se mettent à s'entrecroiser. C'est absolument magistral. La tension est permanente. Il n'y a pas de héros dans ce film. Que des gens on ne peut plus banals amenés à vivre des événements extraordinairement dramatiques. Certains les provoquent et les subissent involontairement (Sylvain et Vigo), d'autres tentent de les maîtriser (les flics). Mais ce film dépasse aussi la simple notion de polar. La peinture sociale y est traitée avec beaucoup de vérité, crûment et sans pathos. Les ressorts psychologiques de tous les personnages principaux sont fort bien décortiqués. Pas une fausse note.
Autre aspect passionnant de ce film, on en suit l'évolution de l'enquête au fil des déductions des policiers comme si l'on était au milieu d'eux.
Et puis il y a les décors, les paysages. Cette région de Dunkerque nous apparaît dans toute son âpreté et son austérité. De nombreuses scènes se passent de nuit, il pleut, il fait du vent. Et, soudain, parmi tous ces paysages rudes et tristounets, apparaissent tels des ilôts ou des oasis, des décors d'une incroyable esthétique, à la fois kitsch, luxuriante et baroque (l'atelier du taxidermiste, le loft du prédateur, la boîte de nuit) qui témoignent du rare soin apporté à leur réalisation.
Enfin, il faut évoquer le casting de La chambre des morts. Il y a pour chacun des personnages la bonne personne à sa bonne place. Ils nous sont immédiatement familiers. C'est nous, ce sont nos voisins que l'on voit se démener sur l'écran face à des situations tragiques. Mélanie Laurent (Lucie) est émouvante, fragile et en même temps toutà fait déterminée ; on lit souvent de la mélancolie et de la tristesse dans son regard. Toute en sobriété et dépouillement, elle n'en est que plus efficace. Eric Caravaca est totalement crédible ; son jeu est subtil, tout en nuances avec sa difficulté soudaine à faire cohabiter en lui l'homme et le flic. Jonathan Zaccaï est terrible de normalité. La fatalité fait de lui une ordure banale, un Dupont Lajoie pitoyable. Son comportement est d'une logique implacable, on ne peut l'excuser, mais on comprend sans problème ses réactions. Gilles Lellouche tient sans doute là un de ses rôles les plus forts. Jouet emporté et ballotté par un torrent de violence, il est amené à exprimer la palette de sentiments la plus large qui soit. Il atteint des sommets d'émotion... Alfred Lot a également déniché quelques personnages pittoresques, de vraies gueules, qui enrichissent encore plus sa distribution.
L'introduction du film, toute en noir et blanc, est terrible. Quand on passe à la couleur, les images sont hyper dures, froides, sans concession, très peu léchées ce qui ajoute encore au réalisme. Il y a des scènes d'une tension extrême, pas de temps mort, l'intrigue est super bien ficelée et d'une lisibilité totale.
Bref, La chambre des morts est un des meilleurs polars qu'il m'ait été donné de voir. Au risque de me répéter : les Américains vont être vachement jaloux...

mardi 30 octobre 2007

Darling


Un film de Christine Carrière
D'après le livre de Jean Teulé
Avec Marina Foïs (Catherine/Darling), Guillaume Canet (Roméo), Océane Decaudain (Catherine petite), Anne Benoit (La mère), Marc Brunet (Le père), Chantal Clément (La boulangère)...
Sortie le 7 novembre 2007

Ma note : 7/10

Synopsis : Darling est une histoire vraie. C'est celle de Catherine,une fille de paysans bas-normands qui, lancée dans le broyeur de la vie, donne l'impression de toujours choisir la mauvaise direction. Enfant non désirée, détestée, elle se marginalise dans une forme de rébellion et d'indépendance entêtée. Elle se réfugie aussi dans le rêve. La route qui passe devant la ferme de ses parents est sans cesse parcourue par d'énormes camions. Du coup, la gamine fait une fixette sur les routiers. Son prince charmant ne pourra être autre chose qu'un chauffeur de poids lourd... Et son rêve se réalisera en la personne de Roméo ; avant de se transformer de nouveau en cauchemar. Mais c'est son destin. Elle l'accepte sans jamais s'apitoyer sur son (mauvais) sort.

Mon avis : Quelle histoire ! Darling, c'est la "dream victime"... Elle est programmée pour déguster. Souffre-douleur de ses parents qui ne la voulaient pas, elle grandit livrée à elle-même. Grassouillette et maussade, naîve et effrontée, inculte et déterminée, elle oscille sans cesse entre résignation et révolte. Dans son quotidien, il y a bien plus de bleus sur son corps que de bleu dans son ciel. Il y a une certitude en elle : elle ne sera pas paysanne comme ses parents, son destin c'est de partir le plus loin possible de cette basse-Normandie à bord d'un camion. Mais, pour l'instant, la tragédie ne cesse de ponctuer son enfance. C'est Maupassant + Zola. Son seul havre de quiétude et d'affection, c'est la boulangère. Elle aurait pu, avec un tout petit peu de chance, trouver son salut auprès de la seule personne qui sache lui apporter un peu d'attention, de respect et d'humanité. Mais la chance n'était pas inscrite dans ses gènes, il lui fallait d'abord ingurgiter son pain noir, affronter son chemin de croix...
Vous aurez vite compris que cette histoire vous tasse, accablé, dans votre fauteuil. Comment survivre à de telles atrocités, à de telles abominations, à autant d'injustices ? La bouffée d'oxygène de ce film qui pourrait être insupportable tant il est oppressant c'est la voix off. Les commentaires de Darling sur sa vie sont formulés avec un détachement total, comme si elle n'était que le témoin distancié de sa propre misère. Dans sa bouche, les coups, les catastrophes, la mort, sont banalisés. Même quand elle est confrontée au plus sordide, elle analyse les faits sur un ton quasi badin. C'est la magnifique trouvaille de ce film. Sinon, on ne tiendrait pas.
Et là, il faut saluer l'incroyable performance de Marina Foïs. Elle est aux antipodes de ce qu'elle nous avait montré jusqu'à présent avec les Robin des Bois. On avait pu entrevoir cette facette de son talent dans Filles perdues, cheveux gras, mais là, elle va au bout du bout. Elle n'en rajoute jamais, elle joue simple, nature. Sincèrement, une telle prestation lui vaudrait à coup sûr un Oscar aux Etats-Unis. En France, on ne sait jamais. Mais il est impensable que la critique ne salue pas sa bouleversante composition. On sait désormais qu'on peut tout lui faire jouer, que son registre est illimité.
Et puis on ne peut passer sous silence le jeu des autres comédiens, Guillaume Canet en tête. Il faut être gonflé et peu imbu de sa personne pour ternir ainsi son image, pour parvenir à se faire détester à ce point. Et malgré tout, grâce à la subtilité de son jeu, on arrive quand même à lui accorder quelques circonstances atténuantes.
Darling est un beau film, âpre et dur, pathétique et violent. Mais c'est aussi et surtout une incroyable leçon de résistance et de courage à la limite de l'héroïsme.
Chapeau et respect total, mademoiselle Marina Foïs !!!

mardi 23 octobre 2007

Jupe obligatoire


Théâtre du Gymnase
38, boulevard Bonne Nouvelle
75010 Paris
Tel : 01 42 46 79 79
Métro : Bonne-Nouvelle

Une comédie écrite et mise en scène par Nathalie Vierne
Avec Olga Sekulic (France), Lilou Fogli (Sharon), Jean-François Gallotte (Bernard), Ludovic Berthillot (Maître Dong, Sylvain Clama.

Ma note : 6/10

Synopsis : A la demande Bernard, comédien et réalisateur de renom, France, la trentaine intellectuelle, un peu coincée, doit écrire un scénario sur les premiers pas d'un couple dans le monde échangiste.
Bernard est aussi horrifié qu'étonné par la première ébauche de son texte qui frise la pornographie. Devant tant d'excès, il est persuadé que, par ignorance du monde libertin, France s'est laissée dépasser par le sujet. Elle s'en défend vivement en lui avouant une nouvelle vie sexuellement débridée... Mais rien n'y fait, il ne la croit pas.
Un matin, Bernard arrive chez France accompagné de Sharon. Fraîchement débarquée à Paris, cette délicieuse bimbo est prête à tout pour devenir une star... Clubs échangistes et soirées VIP font partie intégrante de son plan de carrière. Riche d'une expérience impressionnante sur le sujet, elle doit aider France à retravailler son scénario...

Mon avis : Le décor, soigné, cosy, plutôt raffiné, nous fait immédiatement penser à un certain boudoir cher au marquis de Sade. Mais l'occupante des lieux ne s'appelle pas Juliette... Il s'agit de France, une grande jeune femme élancée, un peu bourgeoise et très intello. L'irruption dans son appartement de son ex, Bernard, comédien et réalisateur apparemment connu, nous fait bientôt comprendre qu'elle lui sert de nègre pour des scénarios dont il endosse sans vergogne la paternité. Des scrupules, il en a peu le garçon. Il est suffisant, désagréable, franchement odieux. Et elle, gentille oie blanche obéissante, elle accepte humblement d'être ainsi maltraitée. Après tout, l'écriture est son seul gagne-pain, autant le préserver. Mais Bernard n'aime pas du tout la première mouture de son histoire qui a pour cadre le monde de l'échangisme. Et il ne se gêne pas pour le lui dire d'un ton cassant. Comme de nombreuses personnes mal assurées, France a trouvé le réconfort spirituel avec maître Dong, une sorte de gourou bonzifié avec lequel elle correspond via une webcam. Or, on perçoit très vite que ce pseudo bouddha enveloppé dans son rideau orange n'est qu'un charlatan pervers qui se sert de son ascendant sur les jeunes femmes pour étancher sa soif de turpitudes... Mal barrée, la France.
C'est en lui imposant la collaboration de Sharon, une bimbo aspirante comédienne, que Bernard va bouleverser la vie de France. Sharon est bien dans son corps, elle s'en sert abondamment pour pénétrer le monde du showbiz et du cinéma. C'est une fidèle cliente des hôtels du libre échange. Et sa connaissance approfondie du milieu va se révéler être une masse de renseignements tout à fait exploitables pour le scénario commandé par Bernard. Mais je vous laisse découvrir la suite...
Si, sans que je parvienne à en définir précisément les raisons, cette pièce m'a laissé un peu sur ma faim, j'ai toutefois passé de très bons moments dans cette très agréable petite salle du Gymnase. D'abord en tant que mâle primaire face à deux fort jolies jeunes femmes. Les jambes admirablement longues et fuselées de France (Olga Sekulic) devraient être réquisitionnées pour des pubs sur les dessous ou les collants. Quand elle apparaît en simple nuisette, je vous jure que l'on a ses compas dans l'oeil ! Et puis il y a pour lui donner la réplique côté plastique, l'absolument superbe Sharon (Lilou Fogli). Un corps sans défaut qu'elle sait mettre en valeur sans aucune vulgarité. Un bonheur. D'autant que la belle se permet de cumuler, tant au théâtre qu'à la ville, tête bien faite et bien pleine...
Alors, devant tant de grâce et de sensualité, les deux bonshommes qui leur servent de partenaires, souffrent de la comparaison. Bien sûr, c'est entièrement voulu. Non seulement la jupe est obligatoire, mais on constate aussi que ce sont elles qui portent la culotte.
Bernard (Jean-François Gallotte) campe une sorte de François Berléand du pauvre, persuadé de tirer les ficelles de deux marionnettes soumises. Des médiocres de cet acabit qui se la pètent, abusant de leur petit pouvoir, on en connaît quelques uns dans le showbiz... Quant au gourou gourmand, il est plus vrai que nature et pas si caricatural qu'on pourrait le croire. Son rôle, ambigu, est quelque part de servir de révélateur à la libido refoulée de France. Ludovic Berthillot lui apporte toute sa rondeur et il excelle dans les manoeuvres mielleuses et vicieuses.
En conclusion, j'ai aimé Jupe obligatoire aux trois-quarts. Mes quelques mini réserves portent sur quelques retombées de rythme et, surtout, sur la fin. On devine l'intention de l'auteur, mais je ne suis pas certain que tout le monde dans la salle ait saisi cette soudaine intrusion dans le second degré.
Mais bon dieu que France et Sharon sont belles à regarder !!!

Pirette au Gymnase


Théâtre du Gymnase
(Grande salle - du mercredi au samedi à 19 h)
38, boulevard Bonne Nouvelle
75010 Paris
Tel : 01 42 46 79 79
Métro : Bonne-Nouvelle

Ma note : 8/10

Mon avis : Dans Pirette, il y a "Pire". Et ce n'est pas en cherchant à l'atténuer avec un diminutif-écran en "ette", qu'il va s'en tirer avec une pirouette. Pirette, il n'y a pratiquement pas pire que lui dans le petit monde des humoristes pratiquant l'humour (très) noir, corrosif et vachard. C'est qu'il y va le bougre ! Tous nos travers, nos tares, nos petits défauts et nos grosses bassesses, il met la loupe dessus. Et ça ne loupe pas : on se reconnaît, et le pîre (toujours ce "pire"...) c'est qu'on en rit aux éclats. Chez lui, il y a du Pierre Doris, du Franquin (pas de Gaston Lagaffe, mais d'Idées noires, des sales blagues de Vuillemin. Du lourd, quoi !
Franchement, bien qu'il le revendique (sans doute par bravade) on n'en a rien cirer qu'il soit Belge. L'humour et le rire n'ont pas de nationalités, pas de frontières. D'ailleurs, lui, les frontières, celles du politiquement correct, il les repousse vraiment très très loin. Ses personnages sont remarquablement dessinés ; excellent comédien, conteur hors pair, mime accompli, jonglant avec les accents, il les fait vivre et s'exprimer avec un tel naturel qu'ils existent devant nous. On en oublie le comédien pour ne se focaliser que sur ses compositions. Il n'y en a que sept, mais elles sont aussi savoureuses que gratinées.
Il ouvre le spectacle habillé en mémère. Le ton est donné. Avec un fort accent belge, elle raconte, sans pudeur aucune, sa vie de famille étriquée, se permettant quelques digressions perfides qui font frissonner la salle de contentement... Dans son deuxième sketch, il campe un père ignoble, un con intégral équipé de toutes les options : lâcheté, xénophobie, méchanceté, mesquinerie, et j'en passe... Dans le troisième, en prof de 1ère STT remplaçant, il atteint des sommets de cruauté dignes d'être inscrits au tableau d'horreur... Peut-être est-ce pour se faire pardonner qu'il se glisse ensuite dans l'aube blanche d'un communiant ? Et bien c'est raté pour l'absolution car il en profite pour faire un tour d'horizon fort irrévérencieux des religions. Il faudra qu'on brûle un cierge pour le salut de son âme. Dans ce brûlot qui fait hurler la salle de rire, regardez-le bien, il a des grimaces qui nous donnent l'impression d'avoir Mister Bean devant nous... Et puis, troquant sa tenue symbole de pureté pour un sombre surplis, il gravit encore une marche dans l'indicible en se mettant dans la peau de la Faucheuse, de la Mort. Ce qui lui permet de balancer ses vérités, Bush en coeur, sur quelques nuisibles de ce monde qu'il aimerait bien avoir pour clients. C'est beaucoup plus profond quil n'y paraît... Et voici que la Mémé du début revient sur scène. Elle a, cette fois, quelques démêlés avec sa fille de 18 ans. Quel sens de l'observation et du détail qui tue ! Expressif en diable, il s'autorise à la fin du sketch un joli retournement de sentiment qui nous titille l'émotionnel. C'est très habile... Ensuite, il se métamorphose en vieillard à l'hospice pour nous livrer un sketch tour-à-tour caustique, acide, impitoyable et, pourtant, profondément humain. Avec beaucoup de bon sens et une logique imparable, jouant avec les mots comme avec les sentiments, il ne peut s'empêcher malgré lui de laisser filtrer sa vraie grande tendresse... Et il termine en rappel avec une sorte de fable située en 2017, grinçante et réaliste, touchante et inquiétante, avec des saillies dignes de Pierre Dac.
Bref, c'est sincèrement du grand art, un grand moment de funambulisme verbal et gestuel. Jouant beaucoup avec le public, il se permet d'ironiser sur son propre spectacle, tel un sale gamin qui prend plaisir à casser son jouet. Bien sûr, si vous n'aimez pas l'humour noir, si vos oreilles sont réticentes auc horreurs, si vous n'appréciez guère les éclaboussures de vitriol, ne vous risquez pas au Gymnase. En revanche, si vous prisez la vacherie instituée au rang de bel art, précipitez-vous y, vous ne serez pas déçu. Au contraire, vous boirez du petit laid !