samedi 28 janvier 2012

Inconnu à cette adresse


Théâtre Antoine
14, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 08 77 71
Métro : Strasbourg Saint-Denis

D’après le chef d’œuvre de Kressmann Taylor
Adaptation de Michèle Lévy-Bram
Lecture dirigée par Delphine de Malherbe
Assistée de Joëlle Benchimol
Lumières de Marie-Hélène Pinon
Avec Gérard Darmon (Max Eisenstein) et Dominique Pinon (Martin Schulse) (en janvier et février)
Thierry Lhermitte et Patrick Timsit (en mars)

Delphine de Malherbe : Inconnu à cette adresse raconte avec un suspense captivant l’histoire de Max Eisenstein et de Martin Schulse, deux amis d’enfance que rien ne sépare et que tout unit, au point qu’ils se lanceront ensemble dans les affaires en fondant une galerie d’art à San Francisco. Mais nous sommes en 1932 et Martin doit rentrer en Allemagne. Là-bas, le nazisme monte. Les deux amis s’écrivent dès lors des missives comme on s’envoie des balles de ping-pong puis de révolver. Denses, généreuses, puis machiavéliques, ces lettres visionnaires sont le testament poignant de deux êtres humains pris dans la machine infernale d’un drame universel… »

Mon avis : C’est la troisième fois que je vois Inconnu à cette adresse. J’avais déjà lu le livre lorsque j’ai assisté à sa création sur la scène de la Pépinière avec Eric Laugérias et Matthieu Rozé en 2001… J’étais donc très curieux de voir ce qu’allait donner cette joute épistolaire avec Gérard Darmon et Dominique Pinon. Et bien, c’est une totale réussite. L’opposition entre les deux hommes est déjà physique. Ils sont tous deux très élégants, on sent qu’ils nagent dans le luxe et l’opulence.

Le décor est partagé en deux. Côté cour, un bureau assez simple dans une galerie d’art de San Francisco. Côté jardin, un guéridon en marqueterie et un confortable fauteuil Chesterfield. Max Eisenstein (Darmon) est resté aux Etats-Unis pour diriger la galerie qu’il a ouverte avec son ami Martin Schulse (Pinon) et il en assure la gestion alors que ce dernier a choisi de rentrer en Allemagne.
Max rédige sa première lettre le 12 novembre 1932. Les dates sont essentielles car les différents courriers échangés vont progressivement suivre la montée du nazisme en Allemagne et en être de plus en plus fortement impactées.

Il n’est pas nécessaire de raconter le contenu de ces quelques vingt missives car il y a un authentique suspense à entretenir. Une fois encore la force de l’ouvrage de Kressmann Taylor fait son œuvre. Passés les quelques rires que provoquent deux ou trois mots d’esprit, le silence s’étend sur la salle, hélas troublé par de nombreuses toux (hiver oblige). Il est vrai que l’on commence dans une atmosphère légère marquée du sceau d’une indéfectible amitié partagée. Et puis, petit à petit, la tension commence à monter…
In ne faut rien raconter. Il faut laisser à chacun découvrir cette histoire (s’il ne la connaît pas) et se laisser happer jusqu’à son dénouement.

Gérard Darmon et Dominique Pinon nous offrent deux superbes compositions, deux oppositions de styles, deux timbres de voix qui donnent une musicalité reflétant leurs mentalités propres. Mais je crois que, au-delà du jeu des comédiens, la vedette de Inconnu à cette adresse, c’est son texte et la redoutable et implacable efficacité de sa construction.
Au fait, j'ai oublié de préciser que la salle du théâtre Antoine était comble. Le moindre strapontin de l'orchestre était occupé. C'est un signe...

vendredi 27 janvier 2012

Un stylo dans la tête


Théâtre des Nouveautés
24, boulevard Poissonnière
75009 Paris
Tel : 01 47 70 52 76
Métro : Grands Boulevards

Une comédie de Jean Dell
Mise en scène par Jean-Luc Moreau
Décors de Charlie Mangel
Avec Francis Perrin (Victor), Anne Canovas (Adeline), Sophie Gourdin (Olga), Xavier Goulard (Raphaël), Valérie Even (Karen), Eric Boucher (Raoul)

L’histoire : Victor Aubrac est un auteur de théâtre à succès. Ce soir, il réunit ses meilleurs amis pour leur annoncer une grande nouvelle : il s’est inspiré d’eux pour écrire une comédie hilarante. Il avait ses personnages sous la main : un homo, deux sœurs névrosées, l’ex de sa femme… alors pourquoi chercher plus loin ?

Mon avis : C’est indéniable, Jean Dell sait trousser une comédie. Cinq ans après Vive Bouchon, il a pris tout son temps pour peaufiner cette pièce et en soigner les dialogues…

Nous sommes dans le salon-bureau de Victor Aubrac, auteur de théâtre à succès. Ceci nous est confirmé par les nombreuses affiches et les statuettes de Molières qui sont venues récompenser son talent. De cette reconnaissance, il a conçu une certaine suffisance et un évident contentement de soi. Victor ne pense et ne vit QUE pour le théâtre, au détriment souvent de ses vies de famille et sociale. D’ailleurs, le sujet de sa nouvelle pièce, Houlgate, il n’est pas allé le chercher bien loin. Il lui a été totalement inspiré par le petit aréopage des amis de son épouse Adeline. Et il a provoqué une soirée pour la leur faire découvrir. Le problème, c’est qu’il s’est appuyé sur leurs principaux défauts, handicaps ou tares pour en faire une comédie. Il a donc mis la loupe là où ça faisait mal. Et ça ne va pas « louper ». De se voir ainsi dépeints, les intéressés vont à juste titre se regimber.
Pourtant, Victor n’a qu’à peine grossi le trait. Chacun dans son genre, Olga, Karen, Raphaël et Raoul sont des individus assez gratinés.

Après une scène d’exposition nécessaire bien qu’un peu longuette entre Victor et Adeline (il faut bien amener le thème de la soirée), la pièce prend son vrai départ lorsqu’Olga fait son irruption chez les Aubrac. Ce qui n’était jusqu’alors que sourires, se métamorphose soudain en rires francs et massifs. Et chacun des autres personnages croqués va apporter sa pierre à un édifice de plus en plus branlant qui menace d’échapper totalement à son constructeur. Les répliques deviennent assassines. Ça devient carrément « Cinq personnages en racket d’auteur ».
Ce qui est bien dans cette comédie de Jean Dell, est qu’il a su mettre des limites à la moquerie. Ça eût été trop facile. Le ton est parfois acide. L’amertume et le cynisme s’introduisent subtilement dans la composition du cocktail. Tous ces ingrédients permettent à la pièce de vraiment s’humaniser et de ne pas rester dans la simple gaudriole.

Francis Perrin, en chef d’orchestre, est une fois de plus magistral. Après Signé Dumas et Le Nombril, il se glisse de nouveau dans la peau d’un écrivain, ce qu’il est également dans la vie réelle. Il s’y sent donc tout à fait à l’aise. Toujours juste, avec sa science du geste drôle, son aisance physique, son dynamisme et la finesse de ses expressions, il se multiplie et occupe l’espace à ravir. Il est dans du sur-mesure et sa complicité avec Jean-Luc Moreau à la mise en scène lui confère une grande assurance et une totale liberté de manœuvre (sa parodie de l’explication du tri sélectif à une idiote par une muette est un grand moment. Entre autres…).
Autour de lui, le casting est réellement réussi. Il faut de bons comédiens pour pouvoir se glisser sans être ridicules dans la peau de personnages volontairement aussi caricaturaux. Chacun est parfait dans son registre, ils ne se marchent jamais sur les pieds. Ils sont tous bons et, grâce à eux, en entrant sans aucun problème dans leur jeu et en l’appréciant, on prend énormément de plaisir à suivre leurs ébats. Voici donc une jolie comédie qui devrait tenir l’affiche un bon moment du côté des Grands Boulevards.

jeudi 26 janvier 2012

Simpatico


Théâtre Marigny
Carré Marigny
75008 Paris
Tel : 0 892 222 333
Métro ; Champs-Elysées Clémenceau

Une pièce de Sam Sheppard
Adaptée apr Didier Long et Séverine Vincent
Mise en scène par Didier Long
Décors de Jean-Michel Adam
Lumières de Laurent Béal
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Musique de François Peyrony
Avec Emma de Caunes (Cécilia), Jean-Claude Dauphin (Sims), Claire Nebout (Rosie), Serge Riaboukine (Carter), Vincent Winterhalter (Vinnie)

L’histoire : Entre Vinnie et Carter la tension est palpable. Amis d’enfance et complices dans une arnaque aux courses hippiques il y a quinze ans, ils affrontent aujourd’hui les fantômes du passé. Quelle place occupe Cécilia dans ce duel aux contours énigmatiques ? Qu’en est-il des mensonges et de la vérité ? Leur confrontation rend aux relations humaines leur dimension complexe et mystérieuse. Un thriller psychologique haletant, à la construction implacable, jusqu’au dénouement…

Mon avis : Simpatico ? Un titre énigmatique dont le secret ne sera guère levé au cours du déroulement de la pièce… Bon, à part ça ? Et bien, je suis un tantinet ennuyé pour exprimer mon ressenti… Le générique est magnifique et, sur le plan strict du jeu, les comédiens sont largement au rendez-vous. Chacun d’eux effectue une prestation irréprochable. Dans ce que l’on demande à leurs personnages, ils sont complètement dedans. Le gros problème – et ce n’est pas de leur faute – c’est que la pièce qu’ils ont à interpréter est affreusement nébuleuse et horriblement bavarde. Mon principal reproche est son traitement trop « américain ». Nous sommes très étrangers à l’univers qui nous est exposé et, plus particulièrement, au monde des courses hippiques tel qu’il est vécu outre-Atlantique.

Simpatico est annoncé comme « un thriller psychologique haletant »… Thriller, certes, psychologique, c’est indéniable, mais on n’halète pas du tout. On a en permanence l’impression d’être en plein brouillard avec cette intrigue qui se dénoue insidieusement. Il faut dire que l’histoire est un peu tordue. Même si on accepte le postulat d’une vengeance dont le plat, quinze années s’étant écoulées, est passablement refroidi, on a du mal à en admettre le bien fondé ; et qu’elle provoque un tel tohu-bohu. Les intéressés lui donnent beaucoup plus d’importance que l’on en ressent. Et, en dépit de tout le mal qu’ils se donnent, il ne nous est pas facile de se laisser embarquer.

Les cinq profils psychologiques sont en revanche parfaitement dessinés… Vincent Winterhalter donne au personnage de Vinnie une réelle densité. C’est un grand malade. Fragile, buveur, coureur, menteur, intrigant, vénal, il fait néanmoins preuve d’un certain courage pour soulever le couvercle d’une boîte de Pandore enfouie depuis longtemps… Serge Riaboukine, comme d’habitude impressionnant de force et de violence contenue, apporte à Carter une saisissante densité physique. Mais sous ses allures de matamore, on découvre peu à peu qu’il est lui aussi très vulnérable… Jean-Claude Dauphin joue un type insondable qui semble revenu de tout, qui a tout analysé, et qui ne ressent aucune rancœur, aucune haine. Il n’y a aucune prise sur lui… Dans le rôle de Cécilia, Emma de Caunes campe à merveille une fille banale, tour à tour candide et maligne, mais très mystérieuse. On a du mal à cerner son implication dans le drame. Elle a des comportements imprévisibles. Manipulée ou manipulatrice, on ne sait pas trop… Quant à Claire Nebout, elle n’a qu’une scène, mais quelle scène ! Une scène digne de la Maggie d’Une chatte sur un toit brûlant. Elle joue les névrosées avec une justesse confondante. Elle sait nous communiquer son mal-être. Sa maîtrise est totale…
Enfin, à l’égal du talent des comédiens, il faut mettre en exergue l’ingéniosité du décor qui, par un habile jeu de glissements, nous permet de nous trouver tour à tour dans quatre endroits différents. C’est vraiment efficace.

Devant une telle addition de jugements positifs, voire enthousiastes pour ce qui concerne le jeu des acteurs, on est donc d’autant plus chagriné de ne pas s’être laissé emporter par une histoire par trop nébuleuse. Peut-être est-ce dû en partie à une adaptation trop littérale ? Mais force est de reconnaître que Sam Sheppard nous avait habitués à des scénarii bien plus captivants et à des pièces bien plus fortes.

mercredi 25 janvier 2012

Le Bourgeois Gentilhomme


Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, boulevard Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 00 32
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Comédie-ballet de Molière et Jean-Baptiste Lully
Mise en scène par Catherine Hiegel
Costumes de Patrice Cauchetier
Décor de Goury
Chorégraphies de Cécile Bon
Direction musicale de Benjamin Perrot
Avec : François Morel, Marie-Armelle Deguy, Emmanuel Noblet, Alain Pralon, Stephen Collardelle, Héloïse Wagner, Camille Pélicier, Gilian Peytrovski, David Migeot, Géraldine Roguez, Eugénie Lefèbvre, Anicet Castel, Frédéric Verschoore, Joss Costalat, Romain Panassié, Olivier Bioret, et cinq musiciens

Catherine Hiegel : « Génial inventeur d’une comédie d’un nouveau genre, Molière signe avec Le Bourgeois Gentilhomme la plus accomplie des douze comédies qu’il écrira.
Le thème commandé par le Roi, qui souhaitait se moquer du peu de cas qu’un émissaire de l’Empire ottoman avait témoigné devant le faste de la cour, est une turquerie. Et c’est merveille de voir comment Molière, dépassant le poids de la contrainte, fait jaillir autour de Monsieur Jourdain, la plus acérée, la plus franche, la plus libre de ses comédies.
Quoi de plus naturel chez l’homme que le désir de changer de condition, quitte à renier sa naissance et son milieu. Et ce bourgeois, qui se rêve gentilhomme, est prêt à toutes les transgressions pour assouvir son obsession du « paraître »… »

Mon avis : Ce qui étonne d’abord, c’est le minimalisme du décor. Disposée en demi-cercle, une grande toile façon tapisserie des Gobelins, fendue en certains endroits pour permettre aux gens de passer, tient toute la scène. Devant, au fond et au milieu, est dressée une sorte d’estrade sur laquelle reposent un clavecin et des instruments à corde. Nous verrons plus tard que cette estrade surmontée d’un panneau tourne sur elle-même et fait parfois office de paravent. Bref, on se doute que le maximum d’espace a été laissé pour que les comédiens puissent évoluer en toute liberté.
Et c’est bien ce qui se passe avant même que la pièce ne débute puisqu’on assiste à un préambule un peu foutraque avec courses de domestiques, échauffements des danseurs, et exercices musicaux. Ce n’est qu’avec l’apparition du maître de musique et du maître à danser que le spectacle commence. Tous deux sont affublés de faux nez à la Cyrano et le maître de musique a hérité en outre d’un faux ventre. Et leur pseudo dévouement à leur employeur est tout aussi faux. Ce sont deux fantoches obséquieux et narcissiques.

C’est alors que François Morel, alias Monsieur Jourdain, ce fameux employeur apparaît. Avec son accoutrement bizarroïde et son petit bonnet rigolo, il ressemble à une sorte de Pierrot. Evidemment, tous les regards se focalisent sur lui, tant sur scène que dans la salle… Cette première partie, qui va durer une heure trente, est émaillée d’une succession de scènes toutes plus croquignolettes les unes que les autres avec quelques savoureuses trouvailles de mise en scène (comme ce jeu avec la robe de chambre démesurée qu’il porte). Les plus marquantes (ce sont aussi les plus marrantes) sont la leçon de danse, la leçon d’escrime et, surtout la leçon de philosophie agrémentée d’un exercice de prononciation… Lorsqu’un tableau est un peu longuet, comme par exemple ces passages chantés quelque peu ampoulés, il suffit de se focaliser sur le visage de François Morel. Ses multiples expressions, toutes en finesse, à peine esquissées, nous permettent de passer joyeusement ce petit pensum.
Si les parties musiques et chantées sont conventionnelles, il n’en est pas de même avec les chorégraphies qui se révèlent aussi originales qu’inattendues. Sarabande, bourrée, gavotte, menuet se succèdent en s’apparentant plus à de la gymnastique. L’effet est garanti, c’est très agréable à regarder. Monsieur Jourdain lui-même en convient : « Ces gens-là se trémoussent bien »…

Obsédé par l’exemple des « gens de qualité », naïf et enthousiaste, Monsieur Jourdain est toutefois empli de bon sens. Ses remarques sont parfois très pertinentes. Il n’y a guère que par Dorant, le Comte, qu’il se laisse vraiment emberlificoter. De toute façon, il est entouré –sauf dans sa famille – d’une armada de parasites, de profiteurs, qui sont tous aussi médiocres que vénaux. Ce n’est pas pour rien que Madame Jourdain le traite de « vache à lait ».
Déjà bien drôle, la pièce prend encore du rythme et de la cocasserie lorsque Monsieur Jourdain se change pour apparaître, enharnaché et emperruqué, dans la panoplie de gentilhomme que lui a concoctée son maître tailleur. Non seulement le costume est grotesque, mais la façon de se mouvoir de François Morel ajoute à la bouffonnerie. Il suffit d’entendre fuser les rires frais et clairs de quelques bambins disséminés dans la salle pour se dire que l’effet est vraiment réussi. Et si, nous même, on n’est pas encore gagné à l’hilarité ambiante, la réaction de Nicole, la servante, et ses fous-rires achèvent de nous emporter. Elle est absolument irrésistible. Impossible de ne pas rire avec elle. Cette comédienne possède une formidable présence comique.

Quant à la deuxième partie, qui dure une heure, elle s’avère tout aussi jubilatoire avec, en point d’orgue, un grand numéro, celui de Covielle, le valet de Cléonte, en émissaire du fils du Grand Turc, et une scène particulièrement réjouissante, celle du dîner avec le Comte et la Marquise.

La mise en scène de Catherine Hiegel est impeccable et pleine d’inventivité tout en respectant scrupuleusement l’esprit de Molière.
J’ai quand même quelques réserves à formuler, mais qui, bien sûr, n’engagent que le spectateur que je suis : je me suis un peu ennuyé pendant la séquence du Grand Mamamouchi où des Indiens et des créatures emplumées se livrent à une danse effrénée, je n’ai pas bien compris l’utilité de déshabiller Monsieur Jourdain, et j’ai trouvé que le fait de le faire voleter depuis les cintres à la fin n’ajoutait rien de réellement percutant. Evidemment, l’image en elle-même est amusante, mais j’estime que ce rajout est superflu. Enfin, j’ai trouvé que Marie-Armelle Deguy, qui interprète Madame Jourdain, joue un ton au-dessus. On comprend certes son acrimonie, mais peut-être gagnerait-elle en crédibilité en criant moins fort et en s’agitant moins.

Pour évoquer la prestation de François Morel, il faudrait se plonger dans le dictionnaire des synonymes pour égrener les épithètes tous plus flatteurs et louangeurs les uns que les autres. On se contentera donc de dire qu’il est en tout point remarquable. Quelle finesse de jeu, quelle générosité ! A ses côtés, j’ai beaucoup apprécié Alain Pralon en maître de philosophie, Géraldine Roguez, déjà citée, dans le rôle de Nicole la soubrette, le comédien qui campe le Comte, à la fois très séduisant et intrigant à souhait, et Héloïse Wagner, qui apporte au personnage de Dorimène, la Marquise, un réel brin de folie avec son allergie chronique à la simple évocation du mariage…
Bref, on peut conclure en affirmant haut et fort que François Morel a parfaitement réussi son passage du Jourdain !

mardi 24 janvier 2012

Age Tendre "La Tournée des Idoles"


Nostalgie positive

Samedi après-midi, j’ai zappé exceptionnellement le rugby à la télévision, pour me rendre au Palais des Congrès assister à une des quatre représentations de la tournée Age Tendre (exit les Têtes de bois sans doute trop vermoulues). Et bien je puis vous affirmer que l’on ne se moque pas du monde. La production a vraiment mis les moyens pour offrir à un public, certes conquis, un spectacle absolument superbe.
Un orchestre symphonique, de belles robes et de beaux costumes, des lumières féériques, des arrangements somptueux, des danseurs, cinq choristes qui sont un show à elles seules… Que voulez-vous de mieux ? En tout cas, l’écrin est véritablement magnifique. Après, bien sûr, selon que l’on aime ou pas tel artiste, tout est subjectif. Sur la quinzaine de chanteurs et chanteuses qui se succèdent, il y a largement de quoi se faire plaisir. D’autant que la plupart des chansons sont inscrites à jamais dans notre mémoire collective. C’est ce que j’appelle de la nostalgie positive. En plus il y a de sacrées mélodies (magnifiées par la présence de l’orchestre symphonique) et, souvent, de très beaux textes. Comment rester insensible à la version de L’Orange de Bécaud reprise par Michel Orso, au timbre éraillé de Demis Roussos, à l’interprétation habitée de La chanteuse a 20 ans et de Je suis malade d’Alice Dona, à l’organe incomparable, puissant et mélodieux de Claude Dubois… Chacun, visiblement heureux d’être là, donne son maximum. Le plaisir est partagé. Les gens, enthousiastes et joyeux,chantent, dansent, filment et prennent des photos ; les nombreuses standing ovations sont spontanées. Que du bonheur, vous dis-je.
Et la Saison 7, qui commence le 3 mars, promet d’être tout aussi appétissante avec l’arrivée entre autres de Philippe Lavil, de Catherine Lara, de Chico & les Gypsies, de Francis Lalanne. Il va encore y avoir de l'ambiance sur la scène et dans les travées…

lundi 23 janvier 2012

Panik


Théâtre Saint-Georges
51, rue Saint-Georges
75009 Paris
Tel : 01 48 78 63 47
Métro : Saint-Georges

Une pièce de Mika Myllyaho
Adaptée par Yhomas Joussier et Jean-Claude Idée
Mise en scène par Jean-Claude Idée
Décor de Sophie Jacob et Jean-Claude Idée
Avec Anthony Delon (Joni), Thomas Joussier (Léo), Eric Delcourt (Max)

Synopsis : Trois hommes, trois amis d’enfance, au bord de la crise de nerfs, partagent leurs angoisses et leurs névroses. Car il est bien difficile d’être un homme aujourd’hui !
Laurs conceptions de l’amour divergent totalement. Max, le graphiste, est un solitaire abstinent. Léo, le vendeur d’ascenseurs, s’est enlisé dans une vie de couple pépère. Joni, le présentateur télé, est un coureur invétéré.
Ils vont s’’affronter au cours d’une joute hilarante. Ils n’ont, au fond, plus que deux points communs : leur amitié et la panique que leur inspirent la vie et les femmes.

Mon avis : Cette pièce est sous-titrée à tort « Hommes au bord de la crise de nerfs ». C’est faux ! Pour au moins deux d’entre eux, ils ne sont pas au bord, ils sont en plein dedans. Et on le réalise très vite… La garçonnière ultramoderne de Max, avec son mur d’écrans et ses couleurs jaune, bleu et rouge pétantes, va servir de cadre à une sarabande infernale. Pourtant, le démarrage est plutôt mollasson. On y apprend que Max est un garçon monomaniaque et timoré, un obsédé de la propreté, et que Léo est immature et un peu con-con. C’est d’ailleurs avec son personnage que les difficultés commencent. Il est tellement dans l’excès qu’il en devient pas du tout crédible. Il est trop bouché pour être vrai…
Ensuite, après une demi-heure à peu près cohérente de sa part, c’est au tour de Max de commencer à dériver pour échouer sur les rives de l’absurde. Non pas qu’il le fasse mal, mais il en fait trop et c’est très puéril. D’ailleurs, Léo, sans le faire exprès, fait carrément leur autocritique en évoquant un « psychodrame à la con ». Ce n’est pas moi qui l’ai dit !

J’étais pourtant dans de bonne disposition en me rendant au théâtre Saint-Georges. L’affiche était plaisante, le sous-titre excitant et le trio réuni alléchant. Hélas, j’ai décroché assez vite… De fait, on est en présence de trois excellents comédiens dont la folle générosité n’est pas à mettre en cause. Ils se donnent vraiment à fond. Mais c’est la pièce qui n’est pas bonne. J’ai été également très gêné par le texte. Certaines phrases sont ampoulées, alambiquées, parfois même techniques. Du coup, ça sonne faux dans la bouche de nos trois quadras. Personne ne s’exprime ainsi. Ou alors dans quelques cercles privés où l’on se targue de parler philosophie ou psychologie. En tout cas pas dans une comédie qui se veut être populaire. Cette dissonance avec le parler naturel est fort dommageable car elle rend la pièce verbeuse.

Si je n’ai pas encore parlé d’Anthony Delon, c’est qu’il a la chance d’avoir hérité du rôle le plus « normal ». Son personnage, Joni, est bien structuré. Quand on fréquente un peu le monde des médias, on en croise des Joni. Lorsqu’à son tour, ses nerfs lâchent à la fin, il en a suffisamment montré pour gagner notre indulgence. Et puis cette séquence où il craque va beaucoup plaire aux dames, aux demoiselles et à quelques autres, voire à rendre jaloux certains…
Je me dois d’être honnête en évoquant une scène qui m’a quand même bien amusé pour son côté glace déformante : celle des toilettes. Difficile de ne pas la trouver drôle.
En tout cas, vu l’évidence de la complicité et du plaisir de jouer ensemble du trio Delcourt-Delon-Joussier, ils méritent vraiment mieux que cette pièce.

vendredi 20 janvier 2012

Rose



La Pépinière Théâtre
7, rue Louis-le-Grand
75002 Paris
Tel : 01 42 61 44 16
Métro : Opéra

Une pièce de Martin Sherman
Traduite par Perrine Moran et Laurent Sillan
Mise en scène par Thierry Harcourt
Musique d’Eric Slabiak

L’histoire : Véritable épopée miniature, Rose nous entraîne de son Shtetl en Russie à Miami Beach, en passant par les années noires du ghetto de Varsovie, sa fuite à bord de l’Exodus, la création de l’état d’Israël, la réussite du rêve américain et le conflit actuel du Moyen-Orient. Le récit intime et plein d’humour d’une femme juive qui porte un regard affectueux mais lucide sur son peuple, un texte fort et terriblement ancré dans l’actualité qui dénonce les meurtres commis au nom de la Nation quelle qu’elle soit et refuse tout parti pris simpliste.

Mon avis : Que dire ?... On ne peut qu’être fasciné par cette destinée incroyable d’un romanesque fou. Rose est une anti-héroïne anonyme et, d’abord et surtout, une femme. Une femme qui a côtoyé le pire avant de connaître des meilleurs. Ce qui frappe dans le récit, scrupuleusement chronologique, que nous brosse une Judith Magre totalement incarnée en Rose, c’est le recul qu’elle y met.

Rose est née en 1920 en Russie (dans l’actuelle Ukraine) et elle va se retrouver mêlée malgré elle aux bouleversements que vont connaître l’Europe et le monde au milieu du 20è siècle. Rose est totalement banale. Rien ne la prédestinait à connaître un tel parcours plein de bruit et de fureur. Rien ne l’y avait préparée. Il faut l’écouter parler de ses parents et, partant, de son enfance. Elle y met une telle drôlerie ! D’ailleurs, tout du long du spectacle, pratiquement tout sera analysé à travers le prisme de l’humour. En dépit des tragédies qui vont jalonner son existence, elle garde une authentique distance. C’est vraisemblablement ce qui lui a permis inconsciemment de se protéger et de survivre. Car Rose est une survivante. Elle n’est en aucun cas une battante. Elle s’est comportée un peu comme un bouchon qui se laisse emporter par le torrent impétueux de l’horreur absolue et qui flotte jusqu’à atteindre des rivages plus accueillants. On a l’impression que son cerveau s’est mis de lui-même en veille, atténuant ainsi les terribles drames qui allaient la frapper. Du coup, sa description des événements est en permanence décalée. Elle ne sombre jamais dans le pathos ; et encore moins dans la haine. Elle constate, analyse et elle passe à autre chose. De toute façon, le courant l’emmène toujours ailleurs. C’est un bouchon, vous dis-je… Même ses amours, qu’elle décrit à la fois avec espièglerie et un réalisme cru, elle ne les a jamais choisies. Ce n’est guère que dans le dernier tiers de sa vie qu’elle va prendre son destin en main. Bien qu’elle semble toutefois s’excuser de réussir soudain en affaires et de connaître la réussite.

Rose est une vraie modeste. Elle ne réalise même pas quelle force de caractère elle a dû avoir pour s’en sortir. Tout en subissant les événements, elle n’a jamais été dupe de rien. Son sens critique ne l’a jamais abandonnée. Sa nature viscéralement moqueuse et irrespectueuse lui a permis d’échapper à tout fanatisme et à tout endoctrinement, faisant d’elle une femme libre. Libre malgré tout.

Pour nous présenter Rose et nous la faire aimer, il y a Judith Magre. Avec son jeu tout en finesse, son air mutin, elle nous embarque avec légèreté dans 80 ans d’histoire. Elle est magnifique. A 85 ans (elle en fait 30 de moins !), elle dégage un charme et un pouvoir de séduction invraisemblable. C’est une grande dame qui s’est mise au service d’un grand personnage pour nous offrir un grand moment de comédie.

jeudi 19 janvier 2012

Bronx



Bouffes Parisiens
4, rue Monsigny
75002 Paris
Tel : 01 42 96 92 42
Métro : 4 Septembre / Pyramides

Une pièce de Chazz Palminteri
Adaptée par Alexia Perimony
Mise en scène par Steve Suissa
Lumières de Jérôme Almeras
Décor de Stéphanie Jarre
Costume de Christian Dior
Avec Francis Huster

L’histoire : Le Bronx des années 60. Un quartier en pleine ébullition où la mafia règne sans partage et où le racisme fait son apparition… De ses 9 ans, le petit Cologio observe le monde des « affranchis ». Il est particulièrement fasciné par Sunny, leur chef. Son père, Lorenzo, accepte mal l’intérêt de son fils pour les malfrats. Chauffeur d’autobus, il a toujours refusé de se compromettre.
Un soir, Cologio est témoin d’un meurtre perpétré par Sunny, mais il ne dit rien à la police. Reconnaissant, le gangster le prend sous son aile… En grandissant, Cologio hésite entre le mode de vie que lui propose le milieu et celui de sa vraie famille. Résistera-t-il à l’attrait de l’argent facile ?

Mon avis : Et bien, une fois de plus, j’ai été bluffé par la performance qu’accomplit Francis Huster sur la scène des Bouffes Parisiens. Je n’ai jamais été inconditionnellement béat devant ses prestations et il m’est parfois arrivé de le juger à côté de la plaque ou d’être (son principal défaut) dans l’outrance… Là, pas de posture, pas de grandiloquence, pas de concession, mais une justesse de jeu absolue. Il se livre carrément à un numéro à la Caubère en s’appropriant tous les personnages (18) d’une chronique sur le Bronx des années 60.
Même à nous, Français, cette histoire nous parle. Nous ne sommes pas dépaysés car la littérature, le cinéma et la télévision ont abondamment traité le sujet. On a donc plein de repères et on peut sans problème suivre la narration de cette parenthèse de huit années dans la vie d’un gamin italo-américain qui va passer de l’enfance à l’adolescence, écartelé qu’il est entre son attachement respectueux à sa famille et sa fascination pour le monde des gangsters qu’il observe quotidiennement sur le pas de sa porte.

C’est un homme élégant d’une soixantaine d’années (dans l’histoire, il est né en 1951) qui revient sur les lieux de son enfance. Son quartier du Bronx, autrefois si vivant, est aujourd’hui quasi à l’abandon, déshérité. Cologio – c’est son prénom – s’assied sur les marches qui mènent à l’ancien appartement de ses parents, des marches sur lesquelles il a usé ses culottes courtes en contemplant les circonvolutions d’un quartier entièrement sous la coupe de la mafia, représentée ici par le fascinant Sunny et ses deux « frigidaires » de gardes du corps…
A travers ses mots et sa vision des choses, on voit Cologio grandir et mûrir sous nos yeux. Parce qu’il n’a pas dénoncé Sunny à la police pour un meurtre dont il a été le témoin, il s’attire non seulement la reconnaissance du malfrat, mais surtout sa réelle affection. Celui-ci va s’ingénier même à compléter son éducation. Car, en dépit de l’aspect violent et impitoyable de sa fonction de « capo di tutti capi », il s’avère être un authentique sage, un vrai philosophe. Avec énormément de bon sens, il va apporter beaucoup au gamin. Gamin qui, du coup, se trouve tiraillé entre les préceptes de son mentor, et le sens des valeurs que lui a toujours prodigué son chauffeur de bus de père. Il va essayer de se débrouiller en s’attachant à l’un sans toutefois décevoir l’autre. La seule chose qui pourrait lui apporter un sentiment de vénalité, c’est l’agent facile dont il bénéficie de la part de Sunny.
De ses 9 ans à ses 17 ans, Cologio va parcourir une sorte de chemin initiatique. A la fin de la pièce, il sera devenu un homme. Et, au vu de son maintien et de sa distinction, un homme qui semble avoir réussi sa vie… On aimerait bien d’ailleurs savoir quelle a été sa vie après le Bronx.

Physique de jeune premier, Francis Huster nous prend par la main, et se livre à une sorte de lecture animée. Passé le premier quart d’heure plutôt statique au cours duquel il pose les bases (indispensables) de son histoire et nous dresse le portrait de ses principaux protagonistes, il adopte un rythme beaucoup plus élevé. Nous entrons alors de plain-pied sans la commedia dell’arte. Francis se met à camper tous les personnages. Ils ont chacun leur propre gestuelle et leur propre voix. Le ton est empreint d’une nostalgie ironique. On rit souvent devant les expressions et les descriptions d’individus particulièrement hauts en couleurs.
Francis a l’art de nous captiver. Reflet d’une époque éminemment romanesque, son histoire nous intéresse de plus en plus, et sa trajectoire humaine aussi. En effet, malgré sa fréquentation assidue du milieu, Cologio garde une vraie fraîcheur d’esprit et une faculté d’émerveillement qui frisent souvent la naïveté. C’est Candide au pays des mafieux. La narration de ses premiers émois amoureux est entre autres un moment tout-à-fait délicieux.
Donc, en résumé, Francis Huster se livre à un exercice d’une rare perfection, à un numéro impressionnant. Sans être vraiment sobre (latinité de son personnage oblige), il ne grossit jamais le trait et ne tombe pas dans les effets gratuits. Il est impeccable de bout en bout. C’est tout de même un sacré acteur !

Enfin, il faut également souligner la qualité de la bande-son, qui s’appuie sur de grands standards en majorité jazzy, qui sont autant de ponctuations sonores glissées à bon escient pour souligner certains passages de l’histoire. ET, encore une fois, saluer le travail de Stéphanie Jarre qui ne nous a pas réellement concocté un décor, mais un superbe tableau impressionniste en clair obscur.

lundi 16 janvier 2012

La femme du boulanger



Théâtre Hébertot
78bis, boulevard des Batignoles
75017 Paris
Tel : 01 43 87 23 23
Métro : Villiers / Rome

Une pièce de Marcel Pagnol
D’après Jean le Bleu, un conte de Jean Giono
Mise en scène d’Alain Sachs
Décor de Stéphanie Jarre
Costumes de Marie Pawlotsky
Lumières de Philippe Quillet
Avec Michel Galabru (Le boulanger), Christophe Abrial (Casimir), Julien Cafaro (Le curé), Jean Galabru (L’instituteur), Sylvie Genty (Miette), Marianne Giraud (Melle Angèle), Bernard Larmande (Barnabé), Maxime Lombard (Maillefer), Christophe Mondoloni (Le berger), Dominique Regnier (La boulangère), Roger Souza (Antonin), Philippe Uchan (Le marquis)

L’histoire
: Dans un village de Haute-Provence, un boulanger récemment installé découvre que sa femme est partie avec un berger. Il décide de faire la grève du pain tant que sa femme n’est pas revenue. Le village se mobilise pour retrouver sa boulangerie…

Mon avis
: Le premier enchantement de cette pièce, c’est son décor. Nous sommes sur la placette ensoleillée (pléonasme) et joliment fleurie d’un petit village provençal. Côté cour se trouve la devanture d’un café, côté jardin trône la fameuse boulangerie et, au fond, au beau milieu de la scène, se dresse le charmant balcon qui donne sur, la chambre d’Aimable et Aurélie Castanier, le couple de boulangers nouvellement installé. Tout y est : les couleurs, la lumière, l’accent… Il ne manque que les cigales !... Un peu plus tard, magie de la technique, toutes ces façades pivotent et s’effacent pour laisser la place au fournil, lieu intime dans lequel le boulanger exerce son talent, mais qui va devenir bientôt le cadre de son malheur et de son désespoir.
Un tel décor, magistralement dessiné par Stéphanie Jarre, nous met d’emblée dans les meilleures dispositions pour recevoir cette pièce ô combien connue qu’est la pagnolesque Femme du boulanger.

Dès le début, on plonge dans l’ambiance du village avec ses habitants hauts en couleurs. On assiste à leurs bisbilles, à leurs petites querelles intestines aussi futiles qu’antédiluviennes. Ce sont tous de braves gens, bien sympathiques, qui adorent galéjer et se chamailler. Et, bien sûr – n’oublions pas que nous sommes en 1938 -, le curé est en soutane et l’instituteur est viscéralement anticlérical… Le ton est donné. Nous nageons dans la joie de vivre et l’insouciance. L’inquiétude majeure pour tous les autochtones, c’est la qualité du pain. Qu’est-ce qui va sortir du four de ce nouveau boulanger au prénom prédestiné, Aimable ? Nous aussi, avec eux, nous allons donc faire connaissance avec cet artisan et son épouse… Dès son apparition, Michel Galabru nous réjouit. Il est conforme à ce que l’on attendait de lui. Sa maîtrise est totale. C’est un bonhomme, dans le sens littéral du terme, un vrai brave type. Galabru fait du Galabru mais sans jamais tomber dans l’outrance. Sous la houlette d’Alain Sachs, il reste en permanence dans le personnage, tout en se livrant à un numéro de comédie « énôôôôrme ». Sa palette de jeu contient toutes les nuances. Il sait autant nous faire rire que nous émouvoir. C’est du grand art. Il manie même aisément le second degré car, à certains moments, on ne sait s’il joue la crédulité ou s’il l’est réellement. On a, bien sûr, notre petite idée. Il est en outre servi par des dialogues particulièrement ciselés auxquels sa faconde ou son chagrin donnent toute leur saveur… Et sa voix, parfois caverneuse, vibre comme un instrument de musique.

La distribution est épatante avec de belles compositions de Roger Souza (Antonin), Julien Cafaro (le curé), Philippe Uchan (le marquis), Maxime Lombard (Maillefer) ou Bernard Larmande (Barnabé). Sans oublier celle sans qui il n’y aurait pas cette tragédie, la boulangère Aurélie. Dominique Regnier déborde d’une incroyable sensualité. La moindre de ses attitudes, le moindre de ses gestes ou de ses regards sont de silencieux mais véhéments appels à l’amour. Comment le berger pourrait-il y résister ? C’est la femme fatale dans toute sa splendeur. Et on comprend sa fringale. Son vieux mari ne fait pas le poids. Ou, plutôt, il le fait trop. Elle, elle est au somment de sa féminité ; elle veut en jouir avant qu’il ne soit irrémédiablement trop tard. Il lui sera donc beaucoup pardonné.
Pour en revenir au berger, une victime lui aussi, quelle bonne idée que d’en avoir fait un pâtre corse, ce qui nous vaut de superbes interludes chantés qui sont autant de virgules dans le déroulement de l’histoire.

La pièce, qui dure deux heures, conserve presque tout du long un très bon rythme. Je n’y ai déploré qu’une petite baisse de régime lors de la scène des préparatifs de l’expédition pour aller rechercher la pècheresse. Sinon, j’ai eu un peu de mal avec le personnage de la rosière, mademoiselle Angèle, et physiquement, et auditivement. Je l’aurais imaginée autrement. Marianne Giraud est trop mignonne et l’accent méditerranéen pointu qu’elle adopte est parfois dérangeant. Mais ceci n’est que broutille en regard de l’intégralité d’un spectacle absolument réussi, riches en scènes d’une qualité rare. J’ai particulièrement aimé celle où Galabru, juché sur le balcon de sa chambre, se sert de la rambarde comme de la barre d’un tribunal pour se livrer à un plaidoyer magistral, plein d’émotion et de poésie.
Quant à la très attendue scène de fin, elle est largement à la hauteur de notre attente. Le jeu décalé de Galabru et celui, premier degré, de Dominique Regnier, nous étreignent littéralement le cœur.
Enfin, quel plaisir que de voir le bonheur de Galabru au moment des saluts. Il a les yeux et le sourire d’un gamin. Il vient de nous donner tellement qu’on ne peut que lui renvoyer que de longs et vibrants témoignages d’amour. Cet homme est généreux comme du bon pain.

lundi 2 janvier 2012

Nicolas Bedos "Journal d'un mythomane"


Journal d’un mythomane
Chroniques. Vol. 1
Préface de Régis Jauffret
Editions Robert Laffont (312 pages. 19 €)

Présentation : Déjà dramaturge, metteur en scène et comédien, Nicolas Bedos a agité le petit écran pendant plusieurs mois avec sa « semaine mythomane », moment fort dans l’émission de Franz Olivier Giesbert Semaine critique… Cet ouvrage réunit donc toutes ses chroniques télé, y compris celles, antérieures, qu’il a faites sur Oui FM ainsi que les nouvelles qu’il a écrites pour L’Officiel de la Mode.

Mon avis : Il a tout prévu, le bougre, en titrant son bouquin Journal d’un mythomane. Ainsi étouffe-t-il dans l’œuf toutes les critiques qui se auraient inévitablement pris pour angle cette formidable hypertrophie de l’encéphale qui envahit la moindre de ses chroniques. Difficile dès lors de la lui reprocher puisqu’il la revendique… On ne va donc pas lui intenter un quatorzième procès pour cette forfanterie démesurée, cette autosatisfaction permanente ce nombrilisme assumé. Ni même d’ailleurs pour Fog et usage de FOG…

En revanche, il est bon de s’attarder et sur la forme et sur le fond de cet ouvrage. Ce qui s’en dégage à la première lecture, c’est la grande qualité de l’écriture. L’homme sait manier la plume. Il a du style. Il est évident qu’il aime les mots. Il les aime même tellement qu’il a tendance à se complaire à les empiler pour en faire parfois des phrases interminables (à sa décharge, il faut toujours garder en tête que ces chroniques ont été faites d’abord pour être dites à l’antenne et non pour être lues). On sent que chacun de ses billets, qu’il ait été lu à la télévision ou à la radio, ou écrit dans un magazine, fût-il de mode, ont été polis à l’extrême. Même si leur contenu, lui, l’est bien moins, poli.
La deuxième évidence qui m’est apparue c’est que, sous ses dehors hâbleurs et sûr de lui, ce garçon est pétri de paradoxes. Par exemple, alors qu’il se conduit en caustique, il ne cire pratiquement jamais les pompes de qui que ce soit. Ensuite, tout autant qu’il s’acharne sur les autres, il n’hésite jamais à se moquer de lui-même. Il le fait sans complaisance aucune, ce qui, encore une fois, le met à l’abri de tout reproche de méchanceté gratuite… Il est indéniable que Nicolas Bedos est très compliqué. Dans sa tête, ce n’est pas de tout repos. En dépit d’une outrecuidance plus ou moins feinte et d’un incontestable contentement de soi, on sent percer en lui les pointes rouillées du doute, les aiguilles acérées de l’angoisse (ainsi, coquetterie toute masculine,sa séparation d’avec ses cheveux ne se fait pas du tout à l’amiable. Il aimerait bien les retenir un peu plus longtemps sur son crâne fécond). Il ne se fait aucun cadeau. Aussi maso qu’il est mytho, il adore se flageller, se vautrer dans ses turpitudes. Il dénonce lui-même son « esprit caustique de libertin foireux ». Devant une telle franchise, faudrait-il encore le piétiner avec des hauts talons de douze centimètres ? Que nenni. Il faut prendre ce Bedos-là avec son paquet de contradictions et son indéniable talent. Il est en effet bien plus proche du Père Fouettard que de Saint Nicolas, son patron.

Journal d’un mythomane est un pavé de 300 pages qu’il jette dans la mare (et parfois dans le Marais), faisant un gros plouf dans le PAF, en jouissant visiblement des éclaboussures qu’il provoque. Tout au long de ce bouquin empli de name dropping, on croise régulièrement ses têtes de Turc préférées : Nagui, Mathilde Seigner, Jean-Luc Delarue (celui d’avant la maladie), Arthur, Laurent Gerra, Nadine Morano, Franck Dubosc, Marc Lévy, Eric Zemmour, Jean-François Copé…). Il revendique tout aussi franchement ses amitiés pour Benjamin Biolay, David Foenkinos, Michel Denisot, Thierry Ardisson, Fabrice Luchini, Frédéric Begbeider, Edouard Baer…De même avoue-t-il être totalement druckerophile ; et surtout, il n’hésite jamais à afficher son admiration, son estime, sa tendresse et son amour pour ses géniteurs dont, bien sûr, le sieur Guy.

Bref, ce livre ne se réduit pas qu’à un brillant exercice de style (s). Il y a beaucoup de fond. Personnellement, ma chronique préférée dans le chapitre FOG (Franz Olivier Giesbert), est celle intitulée « La réforme des retraites ». De même j’ai trouvé particulièrement astucieux l’angle sur lequel il s’est appuyé pour évoquer Marine Le Pen… Mais, en définitive, là où j’ai trouvé que sa plume excellait, c’est dans les chroniques qu’il avait réalisées pour Oui FM. Son papier titré « Nicolas Rey » en est, à mon goût, le plus abouti.
On prend donc énormément de plaisir à se laisser emporter par les délires, les élucubrations, les digressions, la perfidie, les comparaisons osées, les explications très imagées, les excès, la mégalomanie d’un authentique auteur. Même si on se prend parfois à regretter de ne pas l’entendre nous les dire. L’ironie du ton et le sourire dans la voix permettant souvent de gommer un effet que l’on aurait tendance à trop prendre au premier degré durant la lecture… Là, c’est moi qui fait le mythomane… pour avoir du son.