jeudi 5 août 2010

Le Grand jour


Le Splendid
48, rue du Faubourg Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 21 93
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Une comédie de Vincent Azé
Mise en scène par Michèle Bernier
Avec Emilie Caen (Manon), Maud Leguénédal (Cécilia), Elisa Ménez (Sashka), Vincent Azé (Pierre), Thomas Neitzert (Alex), Benjamin Zeitoun (Florian)

Ma note : 7,5 /10

L’histoire : Un hôtel. Dans une suite, trois garçons se préparent à enterrer la vie de garçon d’Alex. A l’étage en-dessous, leurs femme, compagne et future sont réunies pour la même raison, version féminine bien sûr. Que va-t-il résulter de cette double veillée d’armes où tous les sentiments son exacerbés ?

Mon avis : La suite relativement modeste d’un hôtel 2 étoiles va servir de cadre à une soirée forte en émotions et en questionnements en tous genres. Florian, Flo pour ses intimes, et Pierre sont venus soutenir leur vieux pote Alex la veille de son mariage. Un enterrement de vie de garçon somme toute classique avec alcool en abondance et perspectives de distraction coquine avec des professionnelles de la détente. Bon, ça c’est ce qui était prévu. Ce qui l’étais moins, c’était la présence à l’étage d’une voisine tellement attirante qu’elle en devient une source de fantasme obsessionnel chez deux de nos garçons, Pierre, ce qui ne nous surprend pas, mais aussi Alex, ce qui est beaucoup plus ennuyeux…
Ce genre de situation dégage une sensation de déjà vu, de déjà entendu qui pourrait nous désintéresser. Mais Le Grand jour est comme les chansons d’amour ; on en écrit depuis des siècles et on arrive quand même à se renouveler. Question de ton et de forme.
Déjà, les principales forces de cette comédie, ce sont d’une part des caractères bien dessinés et, d’autre part, des dialogues redoutablement efficaces. Alex est plutôt un garçon zen, équilibré, visiblement amoureux de Manon qu’il doit épouser le lendemain. Florian, lui, est vraiment spécial. Ecervelé, chroniquement menteur, gaffeur, un peu radin, il souffre en outre d’une pathologie rare, la narcolepsie. En clair, sous le coup d’une émotion forte, il s’endort soudainement. Il vit le début d’une histoire d’amour avec une certaine Sashka. Pierre, avocat de son métier, est un grand tchatcheur, un jouisseur assumé, plutôt content de lui, qui a tendance à tout tourner en dérision. Il est marié avec Cécilia.

Le Grand jour est divisé en trois parties bien distinctes. Il y a d’abord les deux actes du grand soir. Pour les garçons d’un côté, pour les filles de l’autre. Et ensuite, il y a le matin du grand jour… pour tout le monde cette fois.
La mise en scène est très habile. Après avoir fait connaissance avec les garçons, on nous emmène chez les filles. La symétrie est parfaite, tant dans les propos que dans les personnages. Les profils psychologiques de ces dames sont effectivement fort bien brossés. Et elles sont les pendants idéaux de leurs mecs. Marion est raisonnable, romantique, heureuse et amoureuse. Ce mariage représente quelque chose d’essentiel à ses yeux. Sashka, qualifiée de « godiche » par ses nouvelles copines, est effectivement particulièrement nunuche, crédule, hypocondriaque et largement aussi gaffeuse que peut l’être son Florian. Cécilia est une femme déjà mûre, qui a son vécu de femme mariée. Elle est réaliste, lucide, crue avec une propension à l’amertume qui la rend souvent cinglante.
Donc, premier tableau : la suite des garçons. Deuxième tableau : la suite des filles. Deux tableaux auxquels s’intègrent subtilement deux flash-back en parallèle, la rencontre entre Alex et Manon racontée par l’un, puis par l’autre. Belle astuce de comédie.
En fait, mais on ne le comprend qu’à la fin, les deux premières parties se servent qu’à préparer la troisième qui est une forme d’apothéose. Déjà, chacun des trios est croquignolet, mais alors quand ils sont réunis, ça dépote !

Vous l’aurez compris notre sensation de déjà vu du début – particulièrement sur les relations hommes-femmes - est rapidement estompée par le jeu des comédiens, par des répliques percutantes, par une analyse pointue de la notion de l’engagement dans le couple. Et tout cela est servi par une distribution impeccable. Chacun(e) dans son rôle est incontournable. Le couple Florian-Sashka atteint des sommets de drôlerie. Benjamin Zeitoun possède une formidable présence comique. Elisa Ménez est absolument irrésistible dans son rôle de bécasse sympathique et attachante. Vincent Azé, l’auteur de la pièce, donne à son personnage de Pierre une véracité criante. Il frise sans cesse la caricature mais il n’y tombe jamais. Il devrait nous agacer, or il nous amuse d’abord avant de réussir à nous émouvoir. Maud Leguénédal, c’est l’anti-Sashka. Beaucoup de femmes se reconnaîtront en elle. Dupe de rien, elle joue les dures, les blasées, mais… Emilie Caen est une Manon idéale. Elle est touchante dans sa quête de bonheur. C’est vraiment quelqu’un qu’on a envie d’aimer. C’est du moins ce qu’elle réussit à faire passer. Et enfin, Alex, Thomas Neitzert. Lui, c’est vraiment le mec lambda. Il n’a pas la fantaisie de ses deux partenaires, il est banalement normal. Velléitaire, frileux, rongé par la peur de s’engager tout en en rêvant, il lui faut un électrochoc pour enfin se trouver face à lui-même et à ses responsabilités…
Dans la salle, on n’entend personne rire aux éclats, ce qui est reposant. Mais on sourit quasiment en permanence et on capte de nombreux murmures de contentement, des petits rires brefs quand les saillies sont percutantes, et on sent flotter un doux parfum de complicité et d’adhésion tant certaines situations nous parlent.
Sincèrement, ce Grand jour fait passer une belle soirée.

mardi 3 août 2010

Karine Dubernet "vous éclate"


Le Point-Virgule
7, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie
75004 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Hôtel de Ville

Ecrit pas Karine Dubernet
Mise en scène de Rodolphe Sand

Ma note : 8/10

Présentation : De l’humour, de l’émotion, des cascades. Des milliers de sketches, une centaine de personnages plus drôles les uns que les autres, des animaux, de la chanson, des recettes de cuisine, des paniers garnis, et tout ça en une heure. Incroyable ! Si vous n’y allez pas, vous ne saurez jamais si c’est vrai.

Mon avis : Plutôt conquis par sa prestation dans Le Gang des potiches au Gymnase, une comédie qu’elle a écrite, j’ai eu envie de vérifier ce que pouvait donner Karine Dubernet en solo. Direction de Point-Virgule, ce creuset où sont nés tant de nos humoristes actuellement au premier plan. Premier indice, la salle était pleine, le public, majoritairement féminin, bruissait joliment, l’atmosphère ambiante était idéale.
On ne voit pas tout de suite Karine Dubernet. Mais on l’entend. On entend sa voix depuis les coulisses, ronchonnant qu’elle n’est pas prête. Et soudain, elle surgit… Je ne vous décrirai pas la première image qu’elle donne, mais pour ce qui est de se poiler, on se poile. Le ton est donné. Elle ose. Cette boule d’énergie est branchés sur le haut débit ; dans tous les domaines. Il y a toujours quelque chose en mouvement chez elle. Parfois, un sourcil qui se lève ou un menton qui s’affaisse suffisent à apporter une note de drôlerie. Elle bouge vachement bien, occupe parfaitement l’espace de l’immense scène du Point-Virgule, et elle est très, très expressive.
La demi-douzaine de sketches qu’elle interprète est vraiment originale. C’est gonflé, cru, provocateur. Karine ne fait pas couler l’eau tiède. Elle y va à fond. Les quelques personnages qu’elle campe sont pour la plupart très dérangeants ; et très dérangés. A l’instar de cette gamine de 6 ans qui fait sa lettre au Père Noël. Si ses pulsions de violence n’étaient pas atténuées par l’ingestion de calmants costauds, on ne serait pas loin de L’exorciste. Elle fout la trouille, la pisseuse… La rédaction de cette missive nous permet en outre de constater combien ce spectacle est bien écrit. Bien joué, certes, mais aussi très bien écrit… Comme je le soulignais plus haut, il y a vraiment des idées et ses personnages ont de l’épaisseur. Lorsqu’elle quitte les mondes de l’enfance et de la BD des deux premiers sketches, elle rentre bille en tête dans les relations familiales. Et là, place à un humour féroce. Pas de cadeau. On se dit les choses crûment. L’humour filial a droit à un enterrement de première classe. Enfin, quand je dis « classe », le terme n’est pas vraiment approprié. Dans ce sketch noir, elle se livre à un petit intermède musical qui, comme elle, nous laisse bouche-bée.
Le sommet du délire est atteint avec l’irruption haute en verbe et en couleur de la grand-mère. Mauvaise comme une teigne l’aïeule ! C’est la gamine de 6 ans quatre-vingt ans plus tard. Elle a vraiment grandi en méchanceté. Quel personnage. Sacrée création !
Karine Dubernet truffe son spectacle d’expressions, de citations et de formules très judicieuses, souvent croustillantes et, surtout originales. Et elle n’hésite jamais à se moquer d’elle-même. Genre : « C’est quand on a vu ma gueule qu’on a inventé la cagoule ». Elle joue énormément avec le public, nous démontre qu’elle a aussi du chien… Elle termine son spectacle en apothéose avec une parodie improbable de la Grande Zoa, avec un boa constrictor… de rire. Et, passant d’une plume à l’autre, elle finit avec une pirouette fort habile qui nous ramène subtilement au premier sketch. Comme quoi rien ne reste jamais lettre morte.

Si elle, elle se fait suer sur scène (because la chaleur + les accoutrements + la débauche d’énergie), nous on ne s’ennuie pas une seconde. La seule chose qu’elle essuie, c’est une salve d’applaudissements enthousiastes. Karine Dubernet est une excellente comédienne, pleine de finesse et de maîtrise, avec un sens remarquable du détail comique. C’est un vrai personnage, un phénomène pétri de talent. Et « pétri » est l’anagramme de pitre. Quel est d’ailleurs le féminin de « pitre » ? Karine Dubernet ?