dimanche 29 avril 2018

Germain "Comme un eunuque dans un harem"


La Cible
62bis, rue Jean-Baptiste Pigalle
75009 Paris
Tel : 09 81 39 30 25
Métro : Pigalle

Le vendredi à 20 h 15 jusqu’au 30 juin

Ecrit par Jean-Baptiste Germain et Sylvain Lacourt
Mis en scène par Aslem Smida

Présentation : « La poésie, c’est comme une première fois : pas besoin d’expérience pour y trouver du plaisir »…
Comme un eunuque dans un harem, c’est avant tout l’histoire d’un mec banal qui va rencontrer la poésie. Pas celle qu’il récitait à l’école sans rien comprendre, mais la poésie qui le touche, qui parle de sa vie et qui va la changer.
Il nous la raconte sans nous prendre la tête et sans en faire des caisses. Tout y passe : ses souvenirs d’enfance, l’amour et même le rap. De la poésie en toute simplicité, ça fait du bien !
Son défi : faire du moderne avec du classique pour que la poésie devienne pétillante, actuelle et pleine d’humour. Un spectacle original, qui marie les époques et les styles, pour toucher toute la famille.

Mon avis : Ce spectacle, qui se distingue vraiment par l’originalité de son propos, se déguste et se savoure comme un bonbon délicieusement acidulé. Pour faire court, on l’apprécie avec la même délectation qu’un beau poème dont on goûte chaque vers…
Oh la la, le gros mot est lâché : « poésie » !!! C’est désuet, décadent ; ça sent la naphtaline parfumée à la fleur bleue, la préciosité, le romantisme exacerbé… A quoi ça rime, la poésie, en 2018, à une époque où règnent le pragmatisme, l’urgence en tout, l’écriture automatique… On n’a plus de temps à accorder à la contemplation, à la beauté d’un rythme qui nous berce… Et pourtant, si on y prête un tantinet attention, la poésie est partout, elle est en nous, elle fait partie de notre ADN. Elle est su-bli-mi-nale !


C’est tout cela que s’attache à nous expliquer Germain. Il nourrit avec la poésie un rapport très particulier. Elle l’a toujours accompagné. D’abord à son insu, puis à son corps défendant. En fait, il nous narre une histoire d’amour comme il en existe tant. Il la vit dès son enfance comme une relation honteuse, voire même avec un sentiment de répulsion car, dès qu’il l’utilise, elle est synonyme de moquerie et d’échec. Et les poèmes qu’il pond finissent en cata-strophes. Alors, cette prime amourette tôt avortée, il pense à l’oublier. Il fait tout pour l’éviter, mais elle est comme le bout de scotch du Capitaine Haddock. Impossible de s’en débarrasser.


Bien sûr, c’est à un moment où il s’y attend le moins, dans un endroit insolite, qu’il va se faire rattraper et piéger. Les retrouvailles se passent dans le métro. Erato lui adresse un message qui va l’interpeller, le bouleverser et reprendre définitivement possession de son esprit. Pour le reséduire, la muse s’est offert un allié de poids : Victor Hugo. Dès lors, Germain va comprendre que cette passion était inéluctable et, plutôt que de la combattre, mieux valait s’en faire une amie. Cette idylle va tourner au jeu de l’amour et du hasard. Il va découvrir que la poésie ne se niche pas que dans les livres, elle peut se cacher partout. Il suffit d’être attentif. Désormais convaincu, il va nous faire partager son enthousiasme.


Comme un eunuque dans un harem nous permet de vivre un grand moment d’amour, d’humour et de partage. A travers ses confidences, Germain remet la poésie au centre du débat. Il multiplie les anecdotes et les exemples à grand renfort de citations, d’images, de comparaisons et de digressions. Tout est argumenté. Il n’hésite pas à employer énormément le name-dropping. Dans son spectacle, Jean-Luc Lahaye côtoie Baudelaire, Joe Dassin voisine avec Verlaine, le rappeur Seth Gecko est cité avec les mêmes égards que Prévert et Vianney se tire la bourre avec Edmond Rostand… On boit du petit lait, on se gargarise avec le miel des mots. Germain paie sa tournée et les vers qu’il ne cesse de nous offrir nous amènent à cette forme d’ivresse conviviale que seul un bon spectacle peut nous procurer. D’autant qu’il n’est jamais soûlant.


Parce que, en plus de son emballement pour la poésie, Germain s’avère être un sacrément bon comédien et il occupe remarquablement la scène. Sans cesse en mouvement, nous prenant quasi individuellement à partie, il joue beaucoup avec sa voix et possède toute une panoplie de mimiques irrésistibles. Son spectacle est aussi drôle qu’intelligent.
Actuellement, il se produit à La Cible, une petite salle de 48 places. Son talent, la sympathie qu’il dégage et son originalité lui autorisent les plus grands espoirs. Je suis convaincu que ce garçon qui, comme scandait Nougaro « ne poète pas plus haut que son cul » est promis à un bel avenir.

Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 18 avril 2018

Patrick et ses fantômes


Casino de Paris
16, rue de Clichy
75009 Paris
Tel : 08 92 69 89 26
Métro : Liège / Saint-Lazare / Trinité

Spectacle écrit par Normand Chaurette
Sur une idée originale de Jean-Claude Dumesnil
Mis en scène par Normand Chouinard
Direction musicale de Jean-Pascal Hamelin

Avec Patrick Poivre d’Arvor, Vincent Bilodeau (Bach), André Robitaille (Mozart / Papageno), Sylvain Massé (Beethoven), Gilbert Lachance (Erik Satie)

Présentation : Une histoire intemporelle où la musique classique prend vie sur scène grâce aux fantômes de grands compositeurs et qui se révèle ainsi en toute simplicité au travers de l’imagination fertile d’un mélomane passionné.
Patrick et ses Fantômes démystifie les grands classiques grâce à l’apport du théâtre. Les chefs-d’œuvre immortels de la musique revêtent une nouvelle signification ouvrant ainsi, à un tout nouveau public, les richesses du théâtre et de la musique classique.

Mon avis : Patrick Poivre d’Arvor, on le sait, est un esthète. Il aime les beaux esprits, les belles lettres, les belles mers, les belles femmes et… la belle musique. Aussi, lorsqu’il a assisté à Montréal à une représentation d’Edgar et ses fantômes, il a immédiatement compris la portée didactique de cette pièce toute entière vouée à la musique classique. En fait, ce spectacle est hybride car il fusionne avec beaucoup de finesse deux arts majeurs : le théâtre et la musique. Se retrouver ainsi entouré de deux muses, Thalie pour la comédie et Euterpe pour la musique, ne pouvait pas déplaire à PPDA. Séduit par cette bigamie artistique, il s’est donc projeté légitimement dans le personnage d’Edgar. Et il se l’est approprié pour offrir au public français cette expérience unique.


Je risque de manquer de superlatifs et de dithyrambes pour exprimer le plaisir que j’ai eu à découvrir et, surtout, à vivre Patrick et ses fantômes, un spectacle total, drôle et intelligent ; en un mot, enthousiasmant.
Patrick Poivre d’Arvor s’est glissé avec malice et élégance dans le costume de ce mélomane érudit et passionné qui, par le truchement d’une flûte enchantée (tiens, tiens) et d’une boule magique, va recevoir dans son salon trois « stars » absolues de la musique dite classique : Jean-Sébastien Bach, Wolfgang Amadeus Mozart et Ludwig van Beethoven. Quel pied !

Patrick est tellement investi et impliqué dans ce rôle qu’il a créé un nouvel emploi, celui de « narracteur ». Il est tout simplement, et sans aucune présomption, le chef d’orchestre de cette pièce. Il est le deus ex machina de cette « Nuit des Rois » car il réalise le prodige de réunir trois génies intemporels et de les faire se confronter.
C’est très confortable pour lui : il est chez lui, il est dans son époque et, énorme privilège, il sait tout de ces grands maîtres. Dans cette sorte de « Retour vers le futur » inversé, c’est lui qui les convoque parce que, à juste titre, ce sont les trois cadors de la « profession ». Ce scénario permet donc toutes les licences et autorise de savoureux anachronismes (la découverte du stylo par Mozart est particulièrement plaisante)…


On est immédiatement happé et captivé par les comportements des trois compositeurs. Les observer lorsqu’ils redécouvrent leur propre musique interprétée par un orchestre moderne de 25 musiciens est un pur délice. On est en totale empathie avec eux, on partage leur bonheur… L’auteur a pu tout se permettre tout en restant plausible car il connaît visiblement ses sujets sur le bout des doigts. Non seulement il sait tout de leur œuvre, mais il connaît aussi leur histoire et leurs caractères. Ainsi Bach est austère, rigide, profondément croyant, limite revêche… Mozart est exalté, facétieux, insolent, virevoltant… Beethoven est misanthrope, idéaliste, amer, brutal… Tous trois sont immensément orgueilleux, conscients de leur talent exceptionnel. Ces trois mâles dominants de la musique n’étant pas des tièdes, ils vont d’abord en toute logique se jalouser, se quereller puis, l’objectivité aidant, se respecter, s’estimer et, finalement, s’admirer.

Bach joue du Mozart, lequel, par l’intermédiaire du chef d’orchestre, Jean-Pascal Hamelin, s’auto-dirige au piano ou compose en direct devant nous l’ouverture de son Don Giovanni… Chacun d’entre eux évoque sa vie, son métier, ses difficultés en s'appuyant sur de nombreuses anecdotes personnelles. C’est tout autant pédagogique que divertissant.


En démiurge avisé, Patrick Poivre d’Arvor nous offre une version positive et enjouée du Petit joueur de flûte de Hamelin (eh oui, comme le chef d’orchestre). Au son de son flageolet magique, il extirpe de leurs limbes les trois illustres musiciens et les matérialise en d’aimables fantômes pour son propre plaisir autant que pour le nôtre… Taquin dans l’âme, histoire de leur titiller l’égo, il se permet même l’audace et le luxe de leur faire entendre des œuvres de leurs héritiers : Verdi, Strauss, Prokofiev, Rossini, Lehar, et même Schönberg et Satie…
Dans ce spectacle esthétique dans tous les domaines (on y revient !), Patrick joue sa partition sans aucune fausse note. Il nous invite à un « Vol de nuit » musico-théâtral de haute portée. S’il se montre tout à fait convaincant dans cet exercice, c’est dû à deux facteurs essentiels : premièrement, il est dans son élément, dans un des volets de son immense culture, et il est accompagné par quatre solistes hors pair, des comédiens québécois qui incarnent à la perfection leurs prestigieux personnages.

Il faut impérativement citer le sixième personnage ô combien indispensable de cette pièce : l’orchestre. Dirigé avec autant de fougue que d’humour par Jean-Pascal Hamelin, cet orchestre symphonique composé de 25 jeunes virtuoses exécute avec un talent exceptionnel plus d’une vingtaine de morceaux qui appartiennent à l’Histoire de la Musique. C’est simple : il n’y a que des tubes ! J’emploie ce mot à bon escient car, ici, le mystique s’accorde parfaitement avec le populaire, dans le sens noble du terme. Les mélodies de tous ces titres sont gravées à jamais dans la mémoire collective universelle.


Vous l’aurez compris, j’ai été emballé, enchanté (comme la flûte), transporté par ce spectacle d’une incomparable richesse. C’est bien écrit, les dialogues, ciselés, livrent une petite musique légère, c’est remarquablement interprété tant théâtralement que musicalement. C’est un bonheur absolu.

J’ai toutefois une seule (petite) réserve : je pense que convoquer le fantôme d’Erik Satie n’était pas indispensable. Même s’il n’y a rien à reprocher à son interprète, bien au contraire, il n’est pas au diapason des trois monstres que sont Bach, Mozart et Beethoven. Il n’a pas la même envergure, le même poids, la même influence, la même descendance. Je n’ai pas compris l’utilité de son intrusion dans le salon de Patrick. C’est comme un chapitre de trop en clôture d’un best-seller. L’auteur doit avoir ses raisons ; il faudrait le lui demander… Personnellement, j’estime que les Trois Fantastiques précités se suffisaient à eux-mêmes. 

Gilbert "Critikator" Jouin 




vendredi 13 avril 2018

Madame Marguerite


Théâtre de Poche Montparnasse
75, boulevard du Montparnasse
75006 Paris
Tel : 01 45 44 50 21
Métro : Montparnasse-Bienvenüe

Ecrit par Roberto Athayde
Mise en scène par Anne Bouvier
Lumières de Denis Koransky
Costumes d’Elisabeth Tavernier
Décors d’Emmanuel Charles

Avec Stéphanie Bataille

Présentation : Institutrice de CM2 atypique, Madame Marguerite se sent investie d’une mission vitale : vous apprendre l’essentiel de l’existence. Vous prenez place dans la salle de classe de cette femme généreuse, déterminée et parfois un peu folle. Son cours est complètement baroque, tour à tour absurde, tragique, cynique et comique. Vous n’avez pas le temps de vous remettre de vos émotions tant Madame Marguerite vous fait rebondir d’une pensée à l’autre.
Bienvenue dans le monde poétique, vertigineux et drôle de Madame Marguerite.

Mon avis : Pendant une heure, je vous l’assure, j’ai eu 10 ans ! A partir du moment où Madame Marguerite a posé son regard acéré sur moi, je me suis senti comme un petit garçon vivant son premier jour en CM2.
Quels enseignements, si jeune et si influençable, aurais-je tirés de cette heure de cours si intense, si riche et aussi si déstabilisante ? Je pense que c’est une question de caractère(s). Un gamin curieux et suffisamment pragmatique, donc apte à faire le tri, en eût tiré sans aucun doute énormément de connaissances. En revanche, la petite tête blonde un tantinet fragile et impressionnable, en serait ressortie avec un dangereux blocage.


C’est qu’elle est spéciale cette institutrice. C’est une missionnée, une intégriste du savoir. Elle est visiblement avide de transmettre, mais elle s’y prend de façon tellement imprévisible qu’elle fait en permanence souffler le chaud et le froid. Méticuleuse, maniaque, exigeante, tyrannique, elle estime que c’est en choquant et en provocant qu’elle pourra d’une part, faire mieux passer ses messages et, d’autre part, mieux aiguiser les esprits. Sa ligne de conduite est une ligne brisée. En un quart de seconde, en fonction de ses sautes d’humeur, elle passe de l’excellence à la mesquinerie, de l’amabilité à la brutalité, de la poésie à la trivialité. Cette femme est schizophrène. Son désir de bien faire est régulièrement contrebalancé par ses tocs. Elle a en effet quelques obsessions récurrentes comme le sexe ou la religion (Jésus, le Messie, le Saint-Esprit).


Madame Marguerite veut expliquer la vie et ses duretés à ses élèves, y compris en leur annonçant d’abord qu’ils sont mortels. C’est violent. Elle donne la priorité à la biologie, prône l’importance de l’éducation et la nécessité de la lecture. Elle abhorre l’injustice, dénonce les méfaits de la drogue. Tout cela est éminemment positif. Elle veut tout donner quitte à trop donner. Mais sa belle mécanique est en permanence perturbée par son grain de folie. Parfois Madame Marguerite perd les pétales, se détache d’elle-même, se regarde enseigner et se met à parler d’elle à la troisième personne. Cette cyclothymie est impressionnante.


Pour interpréter cette femme paradoxale, pour la rendre crédible, pour la faire exister, il faut une sacrée comédienne. Il faut être soi-même un peu barrée pour parler avec la même sincérité de culture que de cul. Stéphanie Bataille se livre pendant une heure à une prestation d’une rare intensité. Elle est habitée par son personnage. Dès le début, elle dégage une forme d’autorité qu’elle veut souriante mais que son regard inquisiteur contredit. Madame Marguerite n’est pas un personnage cohérent ou linéaire. C’est une rivière qui s’écoule parfois paisiblement et qui se transforme soudain en torrent. Face à elle, on n’est jamais tranquille, jamais longtemps détendu. On reste sur nos gardes. Il en faut du talent pour happer ainsi un public. Même s’il est ramené à son enfance.
Bref, on est au-delà de la performance d’acteur, on est carrément dans l’incarnation.

Gilbert « Critikator » Jouin


lundi 9 avril 2018

L'être ou ne pas l'être


Le Grand Point Virgule
8bis, rue de l’Arrivée
75015 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Montparnasse Bienvenüe

Du 14 au 22 avril

Une comédie de la Troupe Les Voyageurs Sans Bagage
Ecrite et mise en scène par Mohamed et Oussamah Allouchi
Chorégraphies de Valérie Cornelis et Shakty Malcause
Sons et lumières de Denis Longrée
Costumes d’Anaïs Tossings

Avec Rachid Hirchi (Richard III), Mohamed Ouachen (Catesby), Anaïs Tossings (Lady Anne), Barbara Borguet (Juliette), Nidhal Saadi (Hamlet), Martin Goossens (Shakespeare), Nihale Touati (Ophélie), Yassin El Achouchi (Mercutio), Fionn Pery (Roméo)

L’histoire : Richard III, dictateur avide de pouvoir est prêt à tout pour arriver à ses fins.
Personnage emblématique de Shakespeare, il en veut au dramaturge de l’avoir façonné sous ces traits de caractère. Soudainement assoiffé d’honorabilité littéraire, le tyran décide d’enfermer son créateur afin que celui-ci réécrive son histoire.
Heureusement, Shakespeare peut compter sur l’aide d’autres personnages dont Lady Anne, cheffe des révolutionnaires, ainsi qu’Hamlet et Mercutio qui mettent en place un plan pour faire libérer l’auteur. Au même moment, Juliette est recueillie et adoptée par Richard III qui n’est pas indifférent à ses charmes. Le beau Roméo, quant à lui, revient d’un long voyage au Japon sensé lui faire oublier son amour perdu, Rosaline.
Sur fond d’amour, de trahisons, de loyauté et de soif de pouvoir, la lutte acharnée entre la résistance et le machiavélique tyran peut dès lors prendre place…

Mon avis : On a parfois tendance à oublier que la Belgique est un pays où l’on cultive avec gourmandise le surréalisme et une certaine forme de non-sens. L’être ou ne pas l’être est un ovni particulièrement réjouissant et abouti issu de cette culture.

Photo KOV
 En gros, ce sont trois pièces essentielles de l’œuvre du génie de Stratford-upon-Avon qui sont ici synthétisées : Richard III, Hamlet, prince de Danemark et Roméo et Juliette. De Richard III, les (brillants) auteurs ont conservé Richard, Lady Anne et Catesby ; de Hamlet, ils ont extrait le héros, le spectre de son père et Ophélie ; et de Roméo et Juliette, ils ont gardé les deux tourtereaux et Mercutio… Ils ont donc retenu ces huit personnages emblématiques, ils les ont introduits dans le grand mixer de leur imaginaire fécond, ils ont bien touillé le tout, et il en est sorti un cocktail aussi surprenant que savoureux.

Photo KOV
 Et, hommage leur soit rendu, ils ont réussi le tour de force de respecter l’esprit shakespearien, sauf que, dans cette pièce, cet esprit est un tantinet dérangé. Et encore, c’est un doux euphémisme tant le délire est permanent et les extravagances foisonnent.
Pour qui aime le burlesque quand il est intelligemment traité, cette pièce est un pur bijou. L’idée de départ est subtile : Richard III, qui est fort marri du portrait que Sir William a brossé de lui, décide de l’emprisonner jusqu’à ce qu’il accepte de le rendre beau et sympathique pour la postérité. Voir une créature se rebeller contre son démiurge, c’est un procédé qui a déjà fait ses preuves. L’idée est imparable. On y retrouve tous les ingrédients qui constituent l’œuvre de Shakespeare : la passion, la jalousie (sublime Ophélie !), la trahison, la violence, le surnaturel, la truculence, l’amitié, la soif du pouvoir…

Photo KOV
 Cette pièce est remarquablement bien écrite, dialoguée, mise en scène et interprétée. L’esprit de troupe y règne en maître. La complicité entre les comédiens passe largement la rampe. Leur plaisir de jouer et de donner est communicatif. Tout est prétexte pour faire rire mais avec les apparences du plus grand sérieux. Dans ce registre spécifique qu’est le burlesque, c’est du très haut niveau. On va de surprise en surprise. Gags, jeux de mots, situations grotesques, mime, ralentis, chorégraphies, clins d’œil à l’actualité, parodies, attitudes grandiloquentes et lamentables, anachronismes, postures caricaturales, bouffonneries, excellente bande-son… on a droit à tout. C’est un spectacle total, parfaitement maîtrisé. Il y a une foultitude de moments, de tableaux, de saynètes que je me refuse d’évoquer pour ne pas en gâter la saveur de la découverte.

Photo KOV
 Et puis il y a cette formidable troupe. Ils sont tous épatants ; à fond dans leurs rôles respectifs. Malgré tout, et bien que ce soit un travail choral, il est impossible de ne pas mettre en exergue la performance irrésistible de Mohamed Ouachen dans le personnage de Catesby. Quel éventail de jeu, quelle finesse, quelle inventivité. De Funès sors de ce corps !
En tout cas, pour une troupe de Voyageurs Sans Bagage, on peut affirmer qu’ils en ont un sacré, de bagage, tant sur le plan culturel que dans le domaine de la comédie. Un pur régal !

Gilbert « Critikator » Jouin



vendredi 6 avril 2018

Alex Ramirès "Sensiblement viril"


Comédie des Boulevards
39, rue du Sentier
75002 Paris
Tel : 01 42 36 85 24
Métro : Bonne Nouvelle

Ecrit et interprété par Alex Ramirès
Mis en scène par Alexandra Bialy

Présentation : On entend souvent l’expression « le spectacle de la maturité »… Avec ce one man show, Alex Ramirès offre celui de la sincérité, à l’image de ce masque qu’il enlève dès les premières secondes du spectacle.
Dans Sensiblement viril, il se livre sans faux-fuyant et s’interroge sur la masculinité et sur ce entre-deux qu’il représente entre virilité et sensibilité.
Alex assume tout, à commencer par ses contradictions et s’offre une mise à nu à la fois drôle et attachante : on peut se la péter à la salle de sport et perdre tous ses moyens à un premier rendez-vous, faire ses courses comme un bad boy et pleurer sur du Adèle, bruncher en amoureux mais rêver de plan d’un soir ou adorer les enfants en ayant une furieuse envie de frapper ses potes qui viennent d’être parents.
Enfant de la pop culture, Alex Ramirès présente un spectacle construit comme un véritable show et s’offre un final qui fait la part belle à son sens du rythme et sa passion pour les clips.
Un spectacle décalé pour tous ceux qui n’entrent pas dans les cases.

Mon avis : « Une belle découverte ! Un garçon bien sympatoche ! »
Alex Ramirès tombe le masque, au propre comme au figuré, dès le début du spectacle. En quelques secondes, il nous brosse son portrait avec une désarmante sincérité que son œil bleu qui frise compense malicieusement. On sait tout de suite où on en est et qui il est. Après ce court préambule identitaire, il n’a plus qu’à ouvrir largement les vannes de son formidable humour.
Vif, souriant, chaleureux, très à l’aise sur scène, il enchaîne les situations avec un sens de l’observation très aigu. Son langage, imagé et éminemment descriptif, est servi par une science cartoonesque de la mimique et du geste. On a dû instiller une bonne dose de Tex Avery dans son bol de hip-hop-corn flakes dans son enfance. En effet, ce qui est immédiatement évident, c’est que sa drôlerie est naturelle, innée, spontanée. Jamais il ne surjoue. Tout est simple avec lui. Il a l’humour à fleur de peau.


Aussi moqueur avec les autres qu’avec lui-même, il nous décrit, quasi chronologiquement, quelques chapitres de sa vie. Son écriture, fine et évocatrice, son art du contre-pied, n’ont d’égal que son jeu parfaitement abouti. Alex Ramirès est un sacré comédien. Il est servi en cela par un visage on ne peut plus expressif et par un physique affûté qui lui permet de se livrer à une irrésistible débauche d’énergie. Aucun temps mort dans ce spectacle. Le rythme est étourdissant. Ses facultés pour le mimétisme (et dans « mimétisme », il y a « mime », une discipline dans laquelle il excelle) lui permettent d’incarner les personnages particulièrement hauts en couleurs qu’il est amené à croiser : l’instit’ qui tente de le formater, le patron de la salle de sport, l’agent immobilier, la vieille nounou…  et bien d’autres.


Attardons-nous un petit moment sur « Tatie », la vieille nounou. Elle lui permet de nous offrir une saisissante métaphore entre l’ivresse et l’amour. L’écriture est ciselée, précise, le texte et son interprétation sont aussi pleins de bon sens que de poésie. Ce passage, très émouvant, lui sert également de passerelle pour adresser un bref éloge à la mélancolie… Intelligemment, après cette parenthèse empreinte de sensibilité, il termine en trombe en nous faisant partager sa passion pour le clip. Ce qui nous permet de découvrir, en plus de ses nombreux autres dons, ses spectaculaires qualités de danseur. Il se démène tellement et si bien qu’il pourrait revendiquer la paternité d’un nouveau mode d’expression, le clip kangourou !


Alex Ramirès a l’art de saupoudrer du fond dans ses propos. 90% d’humour et 10% d’émotion. Equilibre parfait. Personnellement, j’ai été emballé par sa prestation du début à la fin de son spectacle. Il m’a joliment embarqué dans son petit monde. Tout m’a plu. On rit sans arrêt ; mais d’un bon rire, un rire fin, positif, un rire complice… Si ce jeune homme qui se définit lui-même comme étant « le chaînon manquant entre le beauf et la fiotte », ressent le besoin de parler beaucoup c’est parce qu’il a envie qu’on l’aime… Qu’il soit rassuré : on ne peut que l’aimer. Il est trop vrai, trop franc, trop sincère et, vraiment, trop, trop drôle.
Ah oui, j’oubliais. Je crois qu’Alex Ramirès est homo. Mais on s’en fout ! Il est d’abord, surtout et avant tout un formidable humoriste (homoriste ?)

Gilbert « Critikator » Jouin