mercredi 30 octobre 2013

Mimie Mathy "Je (re)papote avec vous"

Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, boulevard Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 00 32
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Spectacle écrit par Mimie Mathy
Avec la collaboration de Muriel Robin et Philippe Lemonnier
Mis en scène par Roger Louret

Le propos : Mimie Mathy était célibataire et grosso modo épanouie dans son célibat. Elle revient sur scène mariée et belle-mère de famille nombreuse. Un mari, ses casseroles, le bonheur, les petits soucis, les grands soucis, la vie à deux, quatre beaux enfants, les crises d’ados, les tournages de Joséphine, une maison à la campagne avec un compost, son enterrement… Rien de grave, elle vous expliquera… Les voyages, un aller-retour au paradis, la chirurgie esthétique… Elle a hâte de re-papoter avec son public pour faire le point sur ces dix dernière années.

Mon avis : Tout est dans le titre : après dix ans d’absence sur scène, Mimie Mathy est de retour pour (re)papoter » avec nous. Pendant précisément une heure trente-deux (clin d’œil subliminal à sa taille ?), elle nous narre par le menu tout ce qui s’est passé dans son existence de plus ou moins important au cours de cette longue parenthèse. Tout de suite, on voit bien que cette mise à jour correspondait à un besoin très fort de partager, ses yeux dans nos yeux. Cette décennie a été jalonnée d’événements qui comptent dans une vie de femme.

Avec son art consommé de la comédie, cette conteuse hors pair se livre sans concession et sans pudeur à une sorte de chronique existentielle. En un raccourci troublant, elle commence sur la musique de la Marche Nuptiale en robe de mariée (avec une traîne de sept mètres !) pour terminer, vêtue de noir, avec son enterrement. Il y a là une sacrée symbolique. Mais même lorsqu’elle imagine son décès, elle déforme tout avec le prisme de l’humour et, surtout, une belle dose d’autodérision. Les ironistes de tout poil n’ont plus qu’à se taire, Dupe de rien, Mimie se moque d’elle toute seule. Ainsi se met-elle à l’abri.


Avec une belle énergie, entretenant sans cesse sa complicité avec un public qui lui est acquis dès le début, elle nous dit tout sur sa vie sans éluder grand-chose. Ses confidences autobiographiques sont régulièrement émaillées d’apartés et de réflexions absolument savoureuses. Elle s’autorise même une scène de ménage en live plus vraie que nature. Dans ce cocktail gentiment alcoolisé, elle glisse ça et là un zeste d’émotion ou de tendresse. Mimie n’a pas à se forcer, elle déclenche très naturellement chez nous de l’empathie. On voit bien qu’elle fonctionne à l’affect, qu’elle est hypersensible à la reconnaissance.

Après avoir décrit avec force détails et images quelques pans très intimes de sa vie de famille, au risque de paraître parfois impudique, elle glisse habilement de la réalité à la fiction en laissant Mimie de côté pour endosser le personnage de Joséphine avec ses fabuleux pouvoirs. « Joséphine au paradis » est un des grands moments du spectacle. Or, là aussi, elle ne triche pas. Elle nous démontre qu’elle n’est pas si angélique ça. Elle s’apparenterait même plus volontiers à un bon petit diable. Et puis quel filon que de retrouver au ciel quelques chers disparus !

Et puis Mimie ne saurait construire un spectacle sans y mêler son amour viscéral pour la chanson. D’ailleurs, elle chante de mieux en mieux. Son show aurait pu être sous-titré « La Chanson du bonheur ». Heureuse dans sa vie heureuse sur scène, Mimie irradie littéralement. Elle l’apprécie d’autant plus ce bonheur, qu’il s’est ingénié à attendre qu’elle arrive à la cinquantaine pour condescendre à la prendre enfin dans ses bras. Mais c’est peut-être aussi pour cela qu’il est si fort… et si mérité.
Je ne lui adresserai qu’un seul reproche : pendant mon retour en métro et en RER, je n’ai cessé de fredonner « C’est si bon ». Et je me suis même endormi avec… En même temps, il faut bien reconnaître que c’est vraiment « bon » de papoter avec une ami-mie Mathy que l’on pas vue depuis dix ans, même s’il n’y a qu’elle qui parle. Elle le fait si bien…


Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 28 octobre 2013

Albert Meslay "L'Albertmondialiste"

Le Grand Point Virgule
8bis, rue de l’Arrivée
75015 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Montparnasse-Bienvenue

One man show de et avec Albert Meslay

Présentation : Albert Meslay est un cas, et même un cas grave.
Du début de l’écriture, « Les premiers écrits ressemblaient à des emails gravés dans la pierre et à consulter sur place » à la fin du monde, « le jour de l’Apocalypse, en un instant, les fortunes des nantis seront anéanties et les dettes des pauvres annulées ; on aura une fin du monde de gauche », cet hurluberlu donne son opinion sur tout et même sur des sujets qu’il ne connaît pas : « le droit de se tromper est un privilège qui ne doit pas être réservé »…

Mon avis : Assister à un récital d’Albert Meslay est un plaisir d’esthète. J’emploie le mot « récital » à bon escient car il y a quelque chose de musical dans son phrasé si particulier avec une utilisation très efficace des silences. Et, avec un don d’ubiquité qui frise la schizofrénésie, il est à la fois soliste et chef d’orchestre. Soliste parce qu’il est un instrumentiste quasi inégalé dans sa discipline (dans ce registre si spécifique, je ne vois guère que Vincent Roca, François Rollin et lui) ; et, sa gestuelle, sa manière très personnelle de bouger les bras et les mains et de nous mener à la baguette lui confère ce côté chef d’orchestre.


Le nouveau spectacle d’Albert Meslay, L’Albertmondialiste, est donc, à sa façon, une symphonie. Une symphonie qui, sous des apparences complètement débridées, est très achevée, elle. Albert Meslay est un a(mot)reux transi. Il place le verbe haut, très haut. Mais comme il a l’esprit tortueux et une déviation quelque peu frankestenienne, il n’aime rien tant que d’oser des associations improbables, des associations contre nature même, mais qu’il réussit à nous faire trouver naturelles.
Avec sa moustache de loup-phoque, Albert est un « sang Meslay » car il n’aime rien tant que le métissage des mots. Avec lui, les mots filent tout en subissant une transfusion de sens. Il cultive également le paradoxe des se proclamer « Albertmondialiste » alors qu’il n’est jamais terre à terre.
Certaines de ses assertions jaillissent comme des évidences, du genre qui nous fait rager de ne pas y avoir pensé. Il est également un adepte du bon calembour, y compris en phonétique, et un virtuose de l’absurde.


Son récital ne laisse aucune place à l’improvisation. Chaque note a son importance et tout en mettant le verbe haut, il reste toujours à notre portée. Ses divagations se dégustent comme autant de délicieuses pastilles. On aimerait prendre le temps de les suçoter et de les garder en bouche, mais ça va trop vite. Il enchaîne sans cesse, nous présentant un nouveau parfum, passant sans transition du bonbon acidulé à la dragée au poivre. Son spectacle est d’une joyeuse richesse et d’une grande variété. Il y aborde des thèmes aussi divers que le Big Band, l’emploi, la bretonnitude, la cigarette, la retraite, le pétrole, la Révolution, le réchauffement de la planète, les riches, le dopage… 
Avec un sérieux imperturbable, il déambule sur la scène, faisant étape dans trois endroits privilégiés pour y traiter un sujet plus en profondeur. Car, mine de rien, Albert Meslay témoigne d’une grande culture. Très documenté, il donne des chiffres, cite des références et, toujours sans en avoir l’air,  il nous informe et nous apprend moult choses. Mais comme il ne se veut en aucun cas sentencieux, il a toujours une formule pour contrebalancer tout aspect didactique, du genre : « Je ne suis pas toujours d’accord avec ce que je pense » !... Après avoir proféré une telle affirmation, il peut faire ce qu’il veut et nous, on n’a plus qu’à se laisser prendre aux mots.


Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 25 octobre 2013

Hit parade

Les Visitors de Critikator



Après 650 critiques rédigées, je me suis amusé à voir lesquelles avaient suscité le plus de visites. J'ai ainsi classé les 50 plus lues.
En faisant abstraction de la première place étonnamment occupée par un film de série Z, on s'aperçoit que l'humour se taille la part du lion.




18718 : 2ème sous-sol (thriller de Franck Khalfoun)
16293 : La Vénus au phacochère (avec Alexandra Lamy)
11026 : Victor ou les enfants au pouvoir (avec Lorant Deutsch)
8663 : Christelle Chollet (one woman show)
7595 : Denis Maréchal joue ! (one man show)
7526 : Philippe Geluck  « Le Chat Erectus »
5059 : Le Bonheur (avec Marie-Anne Chazel & Sam Karmann)
4906 : Hair (comédie musicale)
4837 : L’étudiante et monsieur Henri (avec Roger Dumas)
3891 : Kerredine Soltani  « Fils de la Bohême »

3406 : Tout le plaisir est pour nous (une pièce de Ray Cooney)
3304 : Une semaine… pas plus ! (avec Sébastien Castro)
3085 : Dernier coup de ciseaux (adaptée par Sébastien Azzopardi)
2854 : Alpenstock (comédie de Rémi De Vos)
2829 : Sophie Aram  « Crise de foi »
2766 : Le « Best Ouf » des Chevaliers du Fiel
2713 : C’est pas le moment ! (avec Jacques Balutin)
2710 : A tort et à raison (pièce historique)
2628 : Bonjour ivresse ! (comédie de et avec Franck Le Hen)
2560 : Aurélia Decker  « Je crois qu’il faut qu’on parle !)

2591 : Roland Magdane  « Attention c’est show »
2447 : Le Gai mariage (avec Gérard Loussine)
2307 : Arnaud Tsamère  « Chose promise »
2243 : Demain il fera jour (avec Daniel Russo)
2117 : Stéphane Guillon  « Liberté surveillée »
2114 : Louis Bertignac  « Touchez pas au grizzly »
2013 : Elisa Tovati  « Le Syndrome de Peter Pan »
1976 : T’Choupi fait son spectacle
1929 : Garnier et Sentou (Two men show)
1856 : Dérec  « Gérard Bouchard, le retour ! »

1799 : François Morel  « Le soir, des lions… »
1758 : Astérix et Obélix au service de Sa Majesté (film)
1728 : Mozart, l’Opéra rock
1638 : Gaspard Proust  « Enfin sur scène ? »
1613 : Qui est monsieur Schmitt ? (de et avec Sébastien Thiéry, Richard Berry)
1606 : Inconnu à cette adresse (avec Gérard Darmon et Dominique Pinon)
1566 : Les hommes préfèrent mentir (d’Eric Assous avec François-Eric Gendron)
1564 : Gaspard Proust tapine Salle Gaveau (one man show)
1526 : Désolé pour la moquette (de Bertrand Blier avec Myriam Boyer, Anny Duperey)
1523 : Thé à la menthe ou t’es citron ? (de et avec Petrick Haudecoeur)

1519 : Jonathan Lambert  « L’Homme qui ne dort jamais »
1494 : La femme du boulanger (avec Michel Galabru)
1444 : Le Président, sa femme et moi (avec Michel Guidoni, Alexandra Vandernoot)
1402 : Stéphane Rousseau  « Les Confessions de Rousseau »
1393 : Boire, fumer et conduire vite (de et avec Philippe Lellouche)
1365 : Dieudonné  « Sandrine »
1365 : Voca People
1347 : Mamma Mia ! (comédie musicale)
1292 : Hier est un autre jour ! (avec Daniel Russo)

1279 : Mike Brant, laisse-nous t’aimer (comédie musicale)

Le Paquebot Tenacity

Essaïon Théâtre
6, rue Pierre au Lard
75004 Paris
Tel : 01 42 78 46 42
Métro : Hôtel de Ville / Rambuteau / Châtelet

Une pièce de Charles Vildrac
Mise en scène par Pierre Boucard
Costumes de Caroline Gichuki
Avec Frank Cicurel (Bastien), Barbara Castin (Thérèse), Pierre Boucard (Alfred Ségard), Michael Hirsch (Le matelot anglais), Patrick Bethbeder (Hidoux), Cécile Malo (madame Cordier) et Yves-Pol Deniélou, Gabriel Mirète, Etienne Ménard.

L’histoire : Au sortir de la Première guerre mondiale, les jeunes Bastien et Ségard décident de s’embarquer pour le Canada. Après avoir survécu à l’enfer des tranchées, ils ont soif d’une nouvelle vie. Mais une fois arrivés au port, ils apprennent que leur bateau est en cale sèche. Dans l’attente du prochain départ, ils logent à la pension Cordier où règne Hidoux, un pittoresque pilier de bar local, et où travaille la jolie Thérèse. Ce séjour forcé, propice aux réflexions et aux tentations, va changer le destin des deux amis.

Mon avis : J’ai d’abord été surpris par la jeunesse de la majorité des spectateurs et tout aussi étonné devant leurs longs et chaleureux applaudissements au moment des saluts. Un tel enthousiasme faisait visiblement chaud au cœur des comédiens. Il a même fallu que Pierre Boucard interrompe cette ferveur pour remercier et adresser quelques propos autour de la pièce.


Bien que presque centenaire, Le Paquebot Tenacity aborde plusieurs thèmes intemporels : l’amour, le désir de liberté, le choix de son destin. L’histoire se passe dans l’immédiat après-guerre 14-18. Les deux candidats à l’exil, Bastien et Ségard, sortent meurtris de longues années d’épreuves et d’affrontements. Désirant rompre avec ce terrible passé, ils ont décidé de tenter l’aventure et de partir se reconstruire au Canada. Les deux jeunes gens – c’est ce qui fait l’intérêt de la pièce – sont très dissemblables. Bastien est le meneur. Il est exalté, autoritaire, pragmatique et volubile. Alors que Ségard, le suiveur, est plus discret. C’est un idéaliste doublé d’un romantique… Et, au cours de leur séjour forcé dans la pension de madame Cordier, leur attirance commune pour la jolie serveuse, Thérèse, va être l’élément déclencheur qui va infléchir leur destin.


Le texte, d’époque, a un peu vieilli. Mais ça donne un certain charme sépia aux dialogues. J’ai trouvé la scène d’exposition un peu longuette, parce que très bavarde et dominée par le flot de paroles de Hidoux, un pittoresque pilier de bar un peu saoul et très saoulant. Ensuite, je ne sais pas si c’est l’effet « bar de zone portuaire », toujours est-il que je me suis mis à faire un parallèle avec le Bar de la Marine de la trilogie de Pagnol. Finalement, j’ai eu l’impression que Bastien/Marius et Thérèse/Fanny nous refaisaient l’histoire à l’envers avec la bienveillance de Hidoux/César. Mais, hélas, sans en avoir jamais la dimension tragique. On s’attend sans cesse, mais en vain, que ça tourne au drame. Quand on sait que l’auteur, Charles Vildrac, que l’on dit « connu pour son idéalisme et ses convictions humanistes », on comprend qu’il ait opté pour cette fin plutôt gentillette.



Pour ce qui me concerne, j’ai trouvé que cette pièce manquait parfois de souffle, comportait quelques longueurs et je me suis un peu ennuyé. Heureusement, les cinq principaux comédiens sont irréprochables. Ils font preuve d’une belle générosité qui force la sympathie. Avec une mention spéciale pour les deux femmes qui sont très justes. J'ai bien aimé aussi l'évolution de Hidoux qui, de pochetron insupportable, se métamorphose petit à petit en philosophe fataliste...

jeudi 24 octobre 2013

L'Art d'en Rire

Florence Foresti critique-dard

L’Art d’en Rire
Œuvres drôlement commentées par Florence Foresti
Et parfois recadrées par Edwart Vignot
Editions Place des Victoires
Format : 29 x 29
Pages : 208
Illustrations : 100
Prix : 29,95 €

Le thème : Dans un dialogue complice, Florence Foresti, humoriste, et Edwart Vignot, historien de l’art, nous invitent à une promenade singulière au Louvre, à Orsay, et dans les plus beaux musées du monde.
Avec un sens unique de l’observation et une drôlerie inimitable, le duo revisite les plus grandes œuvres, à travers une lecture originale, déjantée, et parfois poétique.
Que vous soyez débutants ou déjà passionnés, vous vous régalerez de cette approche joyeuse et décomplexée de l’art !

Mon avis : Il ne faudrait peut-être pas nous prendre pour des béotiens : quand on s’appelle Florence, qui est tout de même le nom de la capitale mondiale de l’art, il y a quelque chose de subliminal là-dedans, une évidence dans laquelle Edwart Vignot s’est engouffré sans vergogne pour aller titiller la fibre artistique de notre humoriste préférée.


En tout cas, l’idée est excellente. Il est plaisant d’imaginer ces deux complices en train de muser dans les musées pour s’en amuser. Florence, qui voulait jouer le jeu de la spontanéité, avait imposé une règle : ne rien savoir de l’œuvre qui allait être découverte, même pas son titre. Mise en présence d’une toile, elle réagissait à chaud, confiant ses impressions et ses observations à un dictaphone, plaise à Edwart d’y réagir et de provoquer alors une espèce de dialogue.
On s’aperçoit très vite que l’humour est un formidable filtre pour nous faire voir la peinture autrement. Paradoxalement, Florence ne cherche pas à épater la galerie. Son premier regard est vierge de toute connaissance préalable, son analyse est immédiate et instinctive, voire irréfléchie, ce qui donne à ses commentaires un tour très inattendu. Le plus souvent, elle casse la croûte, se paie une toile mais, parfois, c’est sa sensibilité de femme qui est touchée en premier… Il en résulte un ouvrage totalement atypique, riche en reproductions de tableaux célèbres, agrémenté des saillies de l’humoriste et des explications-« recadrages » de l’historien d’art.


Lorsque j’ai eu le livre entre les mains, je l’ai feuilleté au hasard et je suis tombé sur une page qui m’a tout de suite emballé, car elle était le parfait exemple de ce que, inconsciemment, j’attendais de Florence :
Pages 38-39. Un tableau de Giovanni Battista Salvi, dit Il Sassoferrato, intitulé « Judith tenant la tête d’Holopherne » où une femme brandit fièrement la tête d’un ennemi qu’elle vient de trancher. Devant cet acte horrible, Florence, péremptoire, a pensé : «  Je l’avais prévenu ! Fallait pas oublier de relever la cuvette des W.C. »… Ça sent le vécu. Femme à lunette… En tout cas, ce genre de réaction me réjouit complètement.



Cet ouvrage est une réussite. Tant sur le plan de l’esthétique que de l’esprit. On y apprend en riant, en souriant et même en étant de temps à autre touché. Le but recherché était de mettre l’art à portée de tous par le biais de l’humour, il est ô combien atteint. Ce n’est pas le genre d’ouvrage que l’on enferme dans une bibliothèque mais que l’on laisse à portée de main pour qu’il puisse être picoré à l’envi. Si ce n’est pas de la vulgarisation, ça ?..

samedi 19 octobre 2013

Elisabeth Buffet "Nouveau spectacle"

Comédie Caumartin
25, rue Caumartin
75009 Paris
Tel : 01 47 42 43 41
Métro : Havre-Caumartin / Auber

One woman show co-écrit par Elisabeth et Philippe Sohier
Mis en scène par Jarry
Lumières de Stéphane Krumhorn

Le contenu : Tout est neuf, sauf elle ! Vous allez partager les questionnements et élucubrations de cette éternelle célibataire, qui vieillit mais ne grandit pas. Bien qu’elle commence à être sérieusement bouchonnée, elle est toujours chaud bouillotte et continue à faire la gugusse dans les boîtes de nuit. On va finir par la retrouver fossilisée dans les toilettes, servant de dérouleur à PQ !...

Mon avis : Elisabeth Buffet est de retour ! Elle est toujours aussi « seule dans sa culotte », mais la grande différence avec le spectacle précédent c’est que, cette fois-ci, sa culotte a changé et elle nous la montre. Autre différence, de poids celle-là, elle nous dévoile une silhouette joliment amincie. Pendant ces quelques années d’absence, elle a découvert les vertus du sport. Elle a dû en faire des pompes et des agrès. Elle s’est considérablement musclée et, par extension, son spectacle aussi.

Si sa métamorphose physique est spectaculaire, ses tribulations sentimentales, elles, sont restées toujours aussi problématiques. A deux encablures de la cinquantaine, le besoin d’une épaule masculine s’est encore accru avec l’urgence. Alors, elle court toujours les boîtes de nuit. Faisant la navette entre le bar et la piste, notre Diane chasseresse se livre, l’alcool aidant, à une sorte de danse de la séduction de plus en plus improbable. Ne sachant plus quoi faire pour attirer l’attention sur elle, elle a trouvé un stratagème pour se faire remarquer : la pratique de la pole dance. Désormais, elle passe du bar à la barre. Et là, sidération totale ! Elle se livre à une performance gymnique qui nous cloue sur notre fauteuil. Elle pourrait nous laisser bouche bée mais les acclamations qui fusent de toutes parts dans la salle nous en empêche.


Et tout en accomplissant de véritables prouesses, elle continue à se raconter. A raconter presque exclusivement son désert affectif. La « Bubu » est toujours aussi fofolle de la foufoune. Cette blonde ne compte pas pour une prude. Son spectacle est un one woman chaud, très chaud, très sexe. Non seulement elle a épuisé tout le dictionnaire des synonymes du sexe féminin, mais elle en invente. Son texte, remarquablement écrit, abonde en images et en métaphores d’une drôlerie absolue. C’est osé, gonflé, cru mais jamais vulgaire. Parce qu’elle est nature et sa quête amoureuse, toute égrillarde qu’elle soit, est parfaitement saine. D’ailleurs le public ne s’y trompe pas qui rit de bon cœur à ses descriptions gaillardes et polissonnes, quitte à couvrir la phrase qui suit.


Elisabeth Buffet a l’art et la science de l’expression et de la formule dévastatrices. Elle ouvre la boîte à vannes et déclenche le rire à jet continu. Or, derrière la gaudriole, elle laisse apparaître en filigrane ses angoisses existentielles. Elle a peut-être perdu des formes, mais elle y a gagné en fond. Elle évoque les affres de la cinquantaine, de la solitude ; elle mêle son angoisse de l’accouchement et sa détestation des bébés avec l’imminence de la ménopause ; elle s’en prend sans vergogne et avec un sens de l’humour noir décapant aux homos et aux handicapés… La débauche d’énergie laisse subtilement filtrer une dose d’émotion. Elisabeth Buffet est humaine, misérablement humaine, simplement humaine, ce en quoi elle est touchante. Mais elle a choisi le parti d’en rire et de nous faire rire avec ses turpitudes et ses tourments. C’est sa forme d’élégance.

Le spectacle se termine avec une lueur d‘espoir qui pourrait laisser présager une happy end. Des pompes aux pompiers il n’y a qu’un pas qu’il suffira peut-être de franchir. D’autant plus qu’elle se retrouve en « pole position ». Paradoxalement, un bon coup de barre et ça repart ! Tout ça pour une seule et unique quête : atteindre l’inaccessible à poil…

Mis en scène par un Jarry très inspiré, ce nouveau spectacle d’Elisabeth est un antidote très efficace à la morosité ambiante. On y rit sans discontinuer. C’est beau de voir une salle entière debout et en liesse.

En tout cas, avec Elisabeth Buffet à 20 h et Fabrice Eboué à 21 h 30, la Comédie Caumartin n’a pas fini de faire le plein. Ce sont là vraiment deux excellents seuls en scène.

Gilbert "Critikator" Jouin

vendredi 18 octobre 2013

Des pieds et des mains

Théâtre Fontaine
10, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 48 74 74 40
Métro : Blanche / Pigalle / Saint-Georges

Une farce de Ray Galton et John Antrobus
Adaptée par Dominique Deschamps et Gérard Pinter
Mise en scène par Arthur Jugnot et David Roussel
Décors de Sarah Bazennerye
Lumières de Philippe Mathieu
Costumes de Cécile Magnan
Musique de Romain Trouillet
Avec Erwan Creignou (Oliver Blatt), Karine Dubernet (Docteur Goebbels), Jean Franco (Denis Blair), Marie-Hélène Lentini (Queenie Loverett), Yannick Mazzilli (Terry Bush), Ariane Mourier (Doris), Gilles Vajou (Le Pasteur)

L’histoire : Quand votre femme vous quitte et que vous découvrez qu’elle a aussi largué tous ses amants… qu’elle ne vous a laissé que votre dîner dans le micro-ondes et dans le congélateur que des choses qui vous désignent comme un dangereux serial-killer, vous commencez à vous poser des questions et à vous dire qu’il faut absolument réagir. Donc, avec l’aide de votre meilleur ami qui, Dieu merci, travaille dans la police, du pasteur de votre paroisse, d’un éleveur d’autruches débutant et la complicité involontaire de votre belle-mère, charcutière émérite, vous allez faire « des pieds et des mains » pour vous innocenter, quitte à fomenter un complot qui risque de changer le régime alimentaire de la monarchie britannique et de faire vaciller sur ses bases la trône de sa malheureuse souveraine…

Mon avis : Canapé et fauteuil Chesterfield, papier peint beige hideux, le décor est typiquement british. Ce qui est tout à fait idoine puisque la pièce elle aussi l’est : complètement british. On ne nous prend pas en traître puisque, sur l’affiche, c’est le mot « farce » qui est imprimé. Et cette annonce n’est vraiment pas mensongère car il faut apprécier le total non-sens pour goûter tout le suc de cette pièce. En plus, la présence de Gérard Pinter comme adaptateur nous livre aussi quelques indications quant à son univers. J’avais été emballé par ses créations comme Un putain de conte de fée et On tire bien sur les lapins, des comédies délirantes et loufoques au rythme effréné. Je savais donc à peu près à quoi m’attendre.

Le titre de la « farce », Des pieds et des mains propose finalement un double niveau de lecture. Elle n’induit pas seulement que le héros de l’histoire, Denis Blair, va devoir faire « des pieds et des mains » pour se sortir de l’imbroglio dans lequel il se trouve. Mais je laisse planer le mystère quant au second sens. Ça aurait pu s’appeler aussi bien « Bon pied, bon œil » ou « Il était un foie », et la musique aurait pu être empruntée au groupe Abats…

Le début de la pièce, grâce à un habile dispositif de parois pivotantes nous permet de faire connaissance avec les principaux personnages et de découvrir leur caractère et, surtout, leur duplicité… Ils sont huit sur scène, mais un seul, le Denis Blair précité, est sérieux tout du long. En revanche, les six autres protagonistes sont vraiment graves. C’est un des points forts de la pièce : ce brave garçon complètement dépassé par les événements qui cherche à s’en sortir par tous les moyens est comme un insecte pris au milieu d’une toile d’araignée. Plus il se débat, plus il s’enfonce. Chaque personne dont il espère recevoir de l’aide l’entraîne encore plus profondément dans son désarroi. Ils sont tous plus dingues et tarés les uns que les autres. Quelle brochette ! En tout cas, ce ne sont pas de frigides barjots car les trois hommes, Oliver Blatt, Terry Bush et le Pasteur, follement épris de madame Blair, sont très portés sur la chose, Doris est une nymphomane absolue et la belle-mère, Queenie Loverett est très friande d’allusions salaces… Il n’y a donc que ce pauvre Denis qui soit à peu près normal.

Si vous êtes un rationnel compulsif, cette pièce, vous l’aurez déduit, ne vous est pas adressée. Elle nage dans l’absurde, se vautre dans l’extravagance, cousine même parfois avec la démence. Les comédiens se prêtent avec une gourmandise évidente aux comportements les plus saugrenus. La palme de la schizophrénie revenant à mon goût à Gilles Vajou qui campe un pasteur pour le moins ambigu. Mais tous les autres sont bien gratinés eux aussi.

La pièce est un peu en dents de scie. Parmi les pointes, bien piquantes, il y a un bon humour noir avec une appétence pour le grand guignol, un passage digne du plus trépidant des cartoons, un clin d’œil (que j’espère volontaire) à Psychose, une bande-son digne du cinéma qui souligne les rebondissements, et une musique et des jeux de lumière empruntés aux films d’épouvante… Il y a aussi une autruche dressée (c’est le huitième personnage) qui se livre à une prestation tout à fait convaincante.

Et puis… Et puis il y a Karine Dubernet ! Elle n’est pas longtemps sur scène, mais sa composition à elle seule justifie que vous fassiez « des pieds et des mains » pour vous rendre au théâtre Fontaine. Cette fille est incroyable. Elle est une des dignes héritières de la bande du Splendid. Son personnage pourrait être la fille que le sinistre Papa Schultz (Francis Blanche dans Babette s’en va-t-en guerre) aurait pu concevoir avec la démoniaque Annie Wilkes (Kathy Bates dans Misery). Son numéro est digne de l’anthologie. C’est vraiment le grand moment de la pièce. Elle la booste complètement, lui donne soudain une autre dimension et, surtout, elle en fait oublier toutes les imperfections.


Parmi ces imperfections, il y a parfois un jeu un peu outré de la part de certains comédiens (un burlesque trop appuyé tue le burlesque) et puis il y a ça et là, plus particulièrement dans la bouche de Queenie Loverett, quelques grivoiseries faciles et gratuites, niveau CM2, qui n’apportent rien…

Gilbert "Critikator" Jouin

lundi 14 octobre 2013

Philippe Geluck "La Bible selon le Chat"

La Bible selon le Chat
Editions Casterman
Coffret contenant deux albums de 96 pages
14,95 €

Présentation : Philippe Geluck ne respecte décidément rien. Son 18è album se prend carrément pour l’Ancien Testament. Et pour réaliser cette fresque fondatrice, le dessinateur s’est adjoint les services d’un co-scénariste célèbre : Dieu en personne.
La Bible selon le Chat répond à toutes les questions que se posent les humains depuis la nuit des temps. Fini le doute, voici la lumière. Avec cet album, la communauté des hommes va enfin comprendre pourquoi il était vain de s’entre-massacrer depuis tant d’années.

Mon avis : Alléluia !
« Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer » a écrit Voltaire. Alors, comme Dieu n’existe pas, Geluck a décidé de l’inventer. Il a créé le Créateur. A dessins. Et sans complexe. Evidemment, quitte à se la péter, autant y aller à fond : Geluck a créé Dieu à Son image. C'est-à-dire celle du Chat.
Cela fait plus de vingt ans que je suis un inconditionnel de Philippe Geluck ; de l’homme, de son esprit, de son humour, et de son personnage. J’ai toujours apprécié ses albums, ses dessins dans VSD, ses interventions à la télévision et à la radio. Je le tiens pour un des hommes les plus fins de ces trente dernières années. Et, en plus, j’adore son côté iconoclaste. Bref ; je suis un fan absolu.

Vous comprendrez donc combien je suis marri à l’idée de reconnaître que je n’ai pas du tout aimé ce dix-huitième opus. Dieu sait à quel point je me réjouissais à l’annonce du thème de ce nouvel ouvrage. Hélas, à Dieu ne plaise, la lecture de ce diptyque m’a rarement fait sourire.
En effet, dans ce cas précis, la Bible ne fait pas le (Chat)moine, même si Geluck en a la tonsure, et le ton sûr. En dépit des meilleures dispositions et de ma plus grande indulgence, j’ai rarement retrouvé le Geluck qui me ravit par ses trouvailles. Paradoxalement, ce presque sexagénaire – et ceci n’engage que moi – s’est laissé aller à une erreur de Genèse.


La Bible selon le Chat, en deux volumes, est pour moi un aimable fourre-tout, totalement disparate, qui souffre d’un terrible manque de rigueur. Ça débute pourtant bien, mais dès que la lumière fut, ça se gâte. Le problème, c’est qu’on n’en est qu’à la page 7 ! Après, c’est du grand n’importe quoi. Le ciel m’est tombé sur la tête. Hormis le personnage du mouton qui trouve grâce à mes yeux, le bestiaire saugrenu qui défile au fil des pages, ne m’a pas arraché un sourire. De même ; je me suis demandé ce que la Mort venait faire là (la Faucheuse de Brassens est bien plus bandante).
Même sensation de gêne à la lecture des textes d’habitude si subtils. Ça tourne en rond, ça ne décolle jamais et, pour la première fois, j’ai trouvé que Geluck se laissait aller à une certaine vulgarité potache et à quelques jeux de mots faciles.

Je le dis sincèrement, j’ai de la peine. Ma déception est proportionnelle à mon immense attente. Comment, avec un tel sujet, Philippe Geluck a-t-il pu se planter ainsi ? Peut-être que, à l’instar de son Héros, il a réalisé ses deux livres en six jours ? Quand on fait les Six Jours, il faut drôlement pédaler !
Maintenant, je n’ai qu’une hâte : que grâce à son dix-neuvième album il me permette de retrouver le paradis geluckien.


samedi 12 octobre 2013

The Guitrys

Théâtre Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 35 32 31
Métro : Edgar Quinet / Gaîté

Une comédie d’Eric-Emmanuel Schmitt
Mise en scène par Steve Suissa
Décors de Stéphanie Jarre
Costumes de Pascale Bordet
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Avec Claire Keim Yvonne Printemps), Martin Lamotte (Sacha Guitry), Sylvain Katan (Marcel)

L’histoire : Dans les années folles, pendant 15 ans, le couple légendaire que formaient Sacha Guitry et Yvonne Printemps régna sans partage sur Paris et le monde entier.
Faisons un rêve : le rêve d’une pièce que Sacha Guitry aurait écrite dans sa chair et dont il aurait confié la dramaturgie et les dialogues à Eric-Emmanuel Schmitt. Voici, sous les mots d’esprit, une histoire d’amour traversée de bonheurs, de querelles, de tromperies, de jalousie ; celle de deux amants magnifiques et impossibles, la passion d’un homme de génie pour un rossignol qui ne supportait pas sa cage…

Mon avis : Cette pièce qui raconte quinze ans d’une histoire d’amour passionnelle et tumultueuse repose beaucoup sur ses dialogues. La seule présence de Guitry est génératrice de savoureux mots d’auteurs. Toute l’habileté d’Eric-Emmanuel Schmitt est de s’être ingénié à construire son texte autour de phrases qui ont été dites ou écrites en y mêlant les conversations qui auraient pu se tenir «  à la manière de »… En clair, sur un canevas existant, il a brodé une histoire très proche de ce qui a dû se passer dans la réalité. Superbe exercice de style.

Le décor, concocté par Stéphanie Jarre, a de quoi surprendre. On s’attendait à voir au moins un appartement cossu, or il n’en est rien. Le rideau s’ouvre en effet sur les coulisses grisounettes d’un théâtre où Sacha Guitry, pour se mettre à l’abri des huissiers, a installé son petit bureau de travail. On est tout de suite frappé par ce cadre anonyme et poussiéreux et le costume à rayures très chic que porte l’auteur, connu pour sa grande élégance vestimentaire. Les deux autres trouvailles de Stéphanie, sont la présence d’une mini-scène de spectacle côté jardin, et d’une loge d’artiste côté cour… Cela nous offre ainsi trois cadres dans lesquels les actions vont se dérouler en fonction de l’époque où elles ont eu lieu. Du coup la lecture de la pièce, qui a souvent recours au procédé cinématographique du flash-back, nous est facilitée…
Autre astuce pour nous aider à suivre le fil de l’histoire, la présence de Marcel, régisseur du théâtre dans lequel Guitry a trouvé refuge. Par son truchement, on reconstruit aisément l’historique des amours entre le Maître et son « Rossignol ».


On ne pouvait rêver meilleur casting que les deux comédiens qui sont réunis sur scène. Il est stupéfiant de constater combien les mots de Guitry sonnent bien dans la bouche de Martin Lamotte. L’acteur a su en restituer le timbre de voix si particulier, les intonations si caractéristiques. Un ton propice à la causticité… Quant à Claire Keim, elle hérite là d’un rôle à se mesure. Elle peut enfin exprimer sur une scène tout ce à quoi elle a travaillé depuis son plus jeune âge (quand je pense que je l’avais découverte en 1992 dans la comédie musicale de Jean-Jacques Debout, Paul et Virginie. Elle avait alors 17 ans). Elle s’approprie parfaitement le rôle d’Yvonne Printemps. Elle chante remarquablement, elle joue juste, aussi bien dans l’espièglerie, la légèreté des amours débutantes que dans la violence des scènes de ménage…
Bref, le duo Lamotte-Keim fonctionne à merveille.

Dans cette histoire, nous les spectateurs, on est un peu comme des voyeurs. Il faut bien l’avouer, ce qu’on attend le plus, ce sont ces fameuses scènes de ménage, ces escarmouches riches en échanges assassins. D’autant que les deux combattants ne sont pas issus du même milieu. Il y a de la lutte des classes en filigrane. Entre un bel esprit, aristocratique et raffiné, et une fille des faubourgs quasi inculte, mais à la réplique vive….
On peut s’amuser à résumer The Guitrys en quelques aphorismes détournés : Tel épris qui croyait prendre, ou bien tel esprit qui croyait prendre. Guitry essaie de jouer au Sacha et à la souris, mais le muridé a du répondant. En fait, on assiste plutôt à une version théâtralisée de Titi et Grosminet, c'est-à-dire à Sacha et le Rossignol. Sauf que, dans la réalité, c’est l’oiseau qui va terrasser le matou en lui picorant le cœur.


Cette pièce est un plaisir pour les yeux et les oreilles. Pour les yeux par la beauté des costumes (Claire Keim porte de fort jolies robes qui soulignent la perfection de sa silhouette), les projections qui font apparaître ou une salle de théâtre ou un restaurant, ou un personnage (la maman d’Yvonne, son chauffeur, un serveur…). Pour les oreilles, il y a ces chansons, pourtant peu évidentes, que Claire interprète vraiment remarquablement, et puis il y a cette formidable abondance de mots d’auteur.
En revanche, j’ai trouvé que, dans sa première partie, la pièce prenait une sorte de faux rythme. Ça s’arrange par la suite. Je pense aussi que la première chanson qu’interprète Claire y gagnerait avec un couplet de moins.
Hormis ces deux petites remarques, j’ai passé un agréable moment en compagnie de deux excellents artistes incarnant à merveille deux personnalités éminentes de notre patrimoine culturel.

Gilbert 'Critikator" Jouin



vendredi 11 octobre 2013

Fabrice Eboué, levez-vous !

Comédie Caumartin
25, rue Caumartin
75009 Paris
Tel : 01 47 42 43 41
Métro : Havre-Caumartin / Auber

One man show écrit et interprété par Fabrice Eboué

Le contenu : Après Faites entrer Fabrice Eboué, voici la suite des hostilités… Toujours accusé du même crime, l’agitateur fait, à travers le procès de son existence, celui de notre société… sans pudeur ni démagogie.
Adepte de la formule une phrase/une vanne, il tire plus vite que son ombre sur les communautés, l’actualité, le politiquement correct et, tant qu’à faire, sur lui-même ! Cynique mais attachant, Fabrice Eboué adore dépasser les bornes…

Mon avis :
Fabrice Eboué ? Assurément, Fabrice est doué ! Depuis qu’il s’est arrogé, il y a plus de dix ans, le droit d’être « Envers et contre tout », il a aboli les limites, toutes les limites. Son nouveau spectacle, Fabrice Eboué, levez-vous ! en est la preuve manifeste. Levez-vous !, en anglais cela ne se traduirait-il pas par « Stand-up » ?... il est en effet aujourd’hui un de nos grands maîtres de cette discipline. Il y est remarquable en tout point : au niveau du jeu, au niveau de l’écriture, au niveau de l’audace.


J’ai vu à la Comédie Caumartin un artiste serein, dans la pleine maîtrise de son art, assumant totalement son registre. Il peut proférer la pire énormité (et ça arrive souvent) sans que cela nous heurte car il l’accompagne d’un sourire de sale gosse à qui l’on pardonne tout. Bégueules ou pisse-froids de tout bord, abstenez-vous ! Fabrice Eboué n’épargne rien ni personne. Y compris lui-même. Il se rit des races, rend commun le communautarisme, il est impoli avec les politiques, les différences l’indiffèrent, il rend les clichés négatifs… Rien n’échappe à son œil de prédateur. Il ne connaît pas la pitié. Bref, il balance à tout-va. Et plus il va loin, plus il est content. Et nous aussi…

Comme dans son spectacle précédent, Fabrice Eboué rappelle qu’il est le vilain petit canard d’une famille d’intellectuels dont la majorité fait partie du corps médical. A sa manière, il n’a pas voulu trop se désolidariser. Lui aussi, il pratique une forme de médecine, la médecine légale… En effet, il dissèque avec un scalpel trempé dans l’acide tous les travers, tous les dysfonctionnements, toutes les hérésies, toutes les bassesses et turpitudes de notre société. Ça, pour tailler, il taille ! Et dans le vif. Le geste et le mot sont sûrs. Et, s’il le faut, il racle jusqu’à l’os. Ça crisse, ça nous fait délicieusement grincer des dents. Son humour, lui, n’est pas métis. Il est franchement noir.


Pour moi, Fabrice Eboué fait partie d’un trio qui ose tout avec un formidable talent. Pendant quelques années, la plupart de nos humoristes se sont cantonnés dans une espèce de politiquement correct craintif et consensuel. On se demandait si on reverrait apparaître des iconoclastes tous risques façon Coluche et Desproges. Et bien oui. Il y a trois lascars qui, chacun à sa façon, a fait exploser le plafond de ver-tu : Fabrice Eboué, Jérémy Ferrari et Gaspard Proust (par ordre alphabétique car je n’ai pas de préférence).

Il faut aller voir Fabrice Eboué. C’est salvateur. Pendant une heure et quart, il envoie une vanne toutes les vingt secondes. Il faut le faire. Surtout qu’il n’y a aucun déchet, aucune facilité, aucune complaisance. Son écriture est constamment sur le fil du rasoir, aiguisée à souhait. En fait, je n’ai qu’un regret : il y a tant et tant de bonnes vannes qu’on ne peut pas tout retenir. Il faudrait presque, ainsi qu’on le fait pour certaines pièces, mettre son texte en vente… Mais comme cet ouvrage n’existe pas, je me dis qu’il faudra que je retourne à la Comédie Caumartin un de ces soirs…

Gilbert "Critikator" Jouin


mercredi 9 octobre 2013

Nicolas Peyrac "Et nous voilà !"

Et nous voilà !
(MJ/Wagram)

38 ans de carrière, 20 albums, une bonne dizaine de tubes dont ceux qui l’ont fait connaître, So Far Away From L.A., Et mon père et Je pars, Nicolas Peyrac sort Et nous voilà !, un album de duos produit par Mathieu Johann.
Hormis le fait que ce CD nous permet d’avoir la confirmation que Nicolas Peyrac est un sacrément bon mélodiste et un excellent parolier, il faut saluer la qualité et l’originalité d’arrangements qui donnent aux douze titres une toute nouvelle couleur. Sur ce plan-là, c’est une totale réussite. On redécouvre totalement des titres que l’on pensait fossilisés dans notre mémoire. Jolie résurrection !

J’ai beaucoup aimé cet album qui rassemble quelques uns de nos tout meilleurs interprètes. Six chansons ont plus particulièrement recueilli mes faveurs, par ordre d’entrée en scène :
-          Et nous voilà, avec Anaïs, un titre qui swingue follement et deux voix qui s’harmonisent à ravir.
-          Satanée question, avec Mickaël Furnon, pleine d’une gentille ironie. Une belle complicité masculine.
-          Mississippi River, avec San Severino, où le Mississippi se métamorphose en un torrent jazzy à grand renfort de banjo.
-          Je pars, avec Serge Lama. Serge se l’approprie avec une conviction telle qu’on croirait qu’elle a toujours appartenu à son répertoire. Et son timbre de voix accentue l’aspect nostalgico-léger du sujet.
-          Ne me parlez pas de couleurs, avec Ycare ; deux voix qui s’entremêlent joliment avec des cuivres onctueux.
-          Et vice versa, avec Emmanuel Moire. Le refrain, c’est du velours !
Et puis, j’ai également une certaine tendresse pour l’interprétation pleine de poésie de François Morel sur De l’autre côté de la lune.


Du bien bel ouvrage !...

Grégoire "Les Roses de mon silence"

Les Roses de mon silence
(My Major Company / Warner Music)

Grégoire est de retour !
Après les Nuages de 2009, La promesse de lendemains meilleurs a commence à se faire jour deux ans plus tard. Bien sûr, ce n’était plus Le même soleil ; mais celui qui s’est levé en 2012, bien plus radieux, a éclairé le résultat de l’addition la plus basique qui soit : Toi + Moi
Garçon pudique et réservé, Grégoire se dévoile comme jamais dans ce troisième opus. Il est vrai que pendant les trois années qui se sont écoulées entre son deuxième album et celui-ci, sa vie a connu les bouleversements les plus heureux qui soient. Tout cela se ressent dans ses textes. Oh, bien sûr, il reste ça et là quelques scories d’une inquiétude quasi chronique, mais il y a surtout beaucoup, beaucoup d’amour.


En fait, il se livre à une auto-analyse d’une extrême sincérité dès le premier titre. Tout est dit sur les non-dits, sur la difficulté à s’exprimer dans Les Roses de mon silence. La voix est douce, empreinte d’une forme de mélancolie qu’accentue les accents de l’accordéon. On devine en filigrane que cet aveu correspond à un besoin impérieux. Au diable cette foutue pudeur, il offre son propre mode d’emploi caché derrière un bouquet de fleurs. L’éclat d’une rose qui vient tempérer le gris du silence. Chanson très personnelle servie par une très belle écriture.

Quand j’évoquais ses petites angoisses qui restent tapies au fond de son esprit, on les retrouve dans certains titres où il s’amuse à se faire peur. C’est le cas de C’est pas l’enfer et de sa suite logique Si tu me voyais. On dirait deux chansons gigognes, la seconde développant la première. Il y revient dans Coup du sort, dans Je reviendrai te chercher, dans Tu ne me manques pas.


Et puis il reste au plus profond de lui la tache indélébile de la disparition d’êtres aimés, cette terrible sensation de manque, ce chagrin inextinguible. D’où ce clin deuil qu’est En souvenir de nous, en souvenir d’un temps où mêmes les « disputes » étaient du bonheur… Cela se traduit par deux réactions complètement humaines : une peur viscérale de l’abandon et un besoin permanent de se sentir rassuré et aimé. Ça se retrouve dans Viens avec moi, La plus belle maman, Dis-moi

Et pourtant… Pourtant, on le sent visiblement heureux en amour. Il n’y a qu’à écouter ces deux magnifiques déclarations que sont Elle est et Variations. Les chansons d’amour, c’est ce qu’il y a de plus difficile à écrire. Ces deux titres sont lumineux, enthousiastes, positifs. Quel hommage à la femme aimée ! C’est un peu moins évident dans Si parfois, où le ton se fait plus grave.

Enfin, toujours dans la logique des chansons binômes, Les Roses de mon silence contiennent deux formidables hymnes à la vie, deux incantations pleines d’énergie : Réveille et Lève-toi ; cette dernière n’étant pas sans rappeler la mélodie enlevée de Toi + moi.


Discrètement, sans faire trop de bruit, fidèle à son image, Grégoire s’est hissé en cinq ans dans le peloton de tête de nos auteurs-compositeurs-interprètes. C’est un bel artisan.

samedi 5 octobre 2013

Nos femmes

Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 48 74 25 37
Métro : Trinité / Blanche / Saint-Lazare

Une pièce d’Eric Assous
Mise en scène par Richard Berry
Décor de Philippe Berry
Lumières de Christophe Offenstein
Costumes de Pascale Louange
Avec Daniel Auteuil (Paul), Richard Berry (Max), Didier Flamand (Simon)

L’histoire : Votre meilleur ami, dont le mariage bat de l’aile depuis des années, débarque chez vous effondré et vous annonce que, dans un moment de folie, il a tué sa femme. Que faites-vous ?
-          a/ Vous le dénoncez à la police
-          b/ Vous ne voulez rien savoir et lui demandez de se débrouiller tout seul
-          c/ Vous pardonnez et l’aidez à échapper à la justice
C’est le dilemme qui se pose à Max et à Paul. Cette situation va conduire nos deux amis à débattre, s’opposer, et dresser un inventaire de leur propre existence : leur vie familiale et professionnelle, leurs réussites, leurs échecs, leur rapport aux femmes, l’amitié qui les unit. Une confrontation tragi-comique aux multiples conséquences qui les amènera à prendre une décision grave…

Mon avis : Un théâtre de Paris archicomble, empli d’un public tout frémissant à l’idée de voir réunis pour la première fois sur scène deux de nos plus grands comédiens, Daniel Auteuil et Richard Berry. L’association est, il est vrai, on ne peut plus attractive.

Le décor est à la hauteur de l’événement. Nous sommes dans le salon cossu et très haut de plafond de Max (Richard Berry), radiesthésiste de son état. Trois des murs sont dévolus à de gigantesques discothèques remplies de disques vinyles. On apprendra plus tard qu’elles ne contiennent que les œuvres de « chanteurs morts » et des 33 tours classiques… Max et Paul (Daniel Auteuil) commencent à s’impatienter du retard de leur ami Simon avec lequel il est prévu leur partie de cartes habituelle. Tout de suite, les deux caractères se dessinent. Max et Paul ont des tempéraments diamétralement opposés. Autant le premier se montre nerveux et impatient, autant le second est cool et accommodant. Très vite la conversation va tourner autour des femmes, de leurs femmes. Une des forces de cette pièce, c’est qu’il n’y a aucune femme sur scène mais qu’elles sont omniprésentes. On y retrouve en effet un des thèmes récurrents de la dramaturgie d’Eric Assous : la relation hommes-femmes.

La pièce – divisée en trois actes - démarre un peu en mode diésel. C’est normal, il faut qu’on apprenne comment fonctionnent Max et Paul… Elle commence à prendre un peu de rythme à l’arrivée de Simon (Didier Flamand). Les répliques se mettent  à fuser, le jeu prend de la vigueur, les mimiques sont de plus expressives. Et, c’est au début du deuxième acte, lorsque Paul explose littéralement et pique une grosse colère, que la pièce franchit un palier pour atteindre sa vitesse de pointe. Ce monologue formidablement interprété par un Daniel Auteuil truculent agit comme un électrochoc. Le public ne s’y trompe pas qui applaudit à tout rompre la performance. La pièce bascule. Les masques tombent. Un signal subliminal est donné : la Vérité entre en scène… On a à peine le temps de récupérer notre souffle que c’est à Richard Berry de se mettre en évidence. La salle est pliée de rire… Enfin, suite à un rebondissement totalement inattendu, la pièce tourne un moment à la farce. La salle jubile, ronronne et applaudit de plus belle. Nous sommes d’autant plus chauffés à blanc que, depuis le début, on se demande comment tout ça va se terminer…


Nos femmes va être un énorme carton. C’est une très bonne comédie qui traite de multiples sujets. Il y a en premier cette incompréhension chronique que l’homme nourrit vis-à-vis de la femme. Max et Paul à l’instar de la majorité de leurs congénères, s’avouent désemparés face à la gent féminine. Il faut les voir en venir petit à petit à confesser leur impuissance. L’attitude de matamore devient posture, s’effiloche et met les cœurs à nu. C’est très habilement analysé… En plus, cet aveu de fragilité produit un effet papillon en introduisant un chapitre sur l’éducation des enfants et sur leur gestion lorsqu’ils deviennent adultes… Paul expose tout haut des difficultés que quasiment chacun des parents présentes dans la salle vivent, on vécu ou vont vivre…

Vous l’aurez compris, Richard Berry et Daniel Auteuil sont absolument irrésistibles. Richard Berry est plus dans la sobriété et dans les petits tocs révélateurs (il est entre autre maniaque de propreté) alors que Daniel Auteuil, en bon Méridional qu’il est, est beaucoup plus dans la démonstration et la faconde. Le tandem fonctionne à la perfection. Avec de tels virtuoses, le mot « comédie » prend tout son sens, toute sa valeur.

Il ne faut pas non plus négliger la prestation de Didier Flamand/Simon, le responsable du dilemme, celui qui, tout à fait involontairement, va révéler Max et Paul à eux-mêmes. Son rôle est assez complexe car, en plus de son acte terrible, il détient quelques secrets…

Gilbert "Critikator" Jouin

vendredi 4 octobre 2013

Arnaud Cosson "Tout est bon dans le Cosson"

Théâtre de Dix Heures
36, boulevard de Clichy
75018 Paris
Tel : 01 46 06 10 17
Métro : Pigalle

One man show écrit et interprété par Arnaud Cosson

Le contenu : A l’heure où les zappings sont omniprésents et la vitesse est épileptique, Arnaud Cosson prend le temps de nous faire rire… Surtout en compagnie de ses personnages sortis tout droit d’un film de Francis Weber ou de Pierre Richard. Appelez-les des cons, des lunaires, des distraits, des idiots… Ces « Pignon » en puissance jaillissent abondamment de l’imaginaire dérangé de ce breton pas tout à fait normal.
Il nous parle aussi de lui, mais c’est dans son interprétation entre autres du braqueur benêt, du fêtard à la masse, du chanteur ringard ou de cette famille entière de boulangers, que son univers prend forme.

Mon avis : C’est lui qui le clame sur son affiche : « Tout est bon dans le Cosson ! ». Et bien ce n’est en aucun cas de la publicité mensongère. Effectivement, d’une part son spectacle est vraiment bon et, d’autre part, il n’entre jamais dans des travers de porc. C’est-à-dire, même s’il aime bien de temps en temps une blagounette pipi-caca, il n’est jamais grossier. D’ailleurs c’est un garçon très propre sur lui, au physique avantageux, élancé, élégant. Et puis il est doté d’un visage qui attire irrésistiblement la sympathie. On sent qu’il est incapable de méchanceté…


Son entrée en scène se fait en deux temps. Une pour de rire, et une pour de bon. Pendant la brève première, il y a immanquablement deux-trois personnes qui se permettent de faire des réflexions à haute voix, comme si elles se trouvaient dans leur salon. Heureusement, ça n’a pas duré… Le one man show d’Arnaud Cosson est un habile mélange de stand-up dans lequel il nous parle de lui, de son enfance, de ses expériences, et de sketchs dans lesquels il campe des personnages plutôt croquignolets.
Il touche à la perfection lorsqu’il incarne les personnages minimalistes, les antihéros. Il est l’archétype de la tête en l’air, du lunaire, du loser flamboyant. Même quand il fait l’âne (pour avoir du Cosson) comme dans le sketch sur le CRS-instructeur, il n’y a jamais une once de cynisme. IL y a toujours chez lui de quoi nous attendrir. Et dans « attendrir » il y a rire. Car on rit énormément. On va même jusqu’au fou-rire dans le sketch sur le fête à la fac…


Arnaud Cosson, adore glisser ça et là un calembour. C’est son filet mignon, pardon, son pêché mignon. Certaines sont d’un très bon niveau alors que d’autres sont franchement (mais volontairement) pourries. Ça le réjouit. Il a gardé un esprit potache qui le rend encore plus attachant. C'est son côté Cosson dingue… Et puis son spectacle est également très visuel. Comme il n’est pas encombré par un excédent de poids, il bouge à merveille, fait ce qu’il veut de son corps. Très à l’aise, il a un immédiatement un échange extrêmement convivial avec le public. Enfin, jambon sur le gâteau, il joue de la guitare ! Ce qui lui permet de nous distiller quelques chansons courtes de bon aloi et, surtout, d’en interpréter une, drôle à souhait, dans laquelle il établit un parallèle savoureux entre les jeunes et les vieux. C’est si bien troussé, si finement observé, si joliment écrit, que j’eus aimé qu’elle comportât un couplet de plus. Il faudrait qu’il s’« échine » un peu pour la développer.

En conclusion, Arnaud Cosson possède une « palette » humoristique très large (J’ai toujours fortement apprécié ses sketchs et ses interventions dans On n’ demande qu’à en rire où il nous montrait encore d’autres facettes de sa personnalité). En tout cas, je vous le recommande vivement et… franco de porc. Tout est bon dans le Cosson, il n’y a vraiment rien à jeter.

Gilbert "Critikator" Jouin

jeudi 3 octobre 2013

La Madeleine Proust, une vie

Quand j’étais p’tite (1925-1939)
De Lola Sémonin
Editions : Pygmalion
459 pages. 19,90 €

Cela fait trente ans que Lola Sémonin a enfanté la Madeleine Proust, trente ans qu’elle se glisse dans ses informes robes à fleurs, qu’elle prend l’accent si pittoresque du Haut-Doubs, et qu’elle la fait vivre sur scène. Comme la poule et l’œuf, la fusion est telle entre les deux femmes qu’on s’emmêle un peu les pinceaux pour savoir qui de la Madeleine ou de la Lola était avant l’autre… Toujours est-il qu’à grands coups de réalisme, Madeleine Bobillier veuve Proust s’est mise à exister. Et l’héroïne a vampirisé son auteure.

Lola n’y a pas mis le holà. Au contraire. La Madeleine étant devenue de plus en plus prégnante, de plus en plus réelle, qu’il lui a semblé tout à fait naturel de raconter sa vie. Et comme, mine de rien, la Madeleine a souffloté ses 88 bougies au printemps dernier, sa vie ne pouvait que se narrer en tranches.
Quand j’étais p’tite, qui couvre les quatorze premières années de la Madeleine (1925-1939) est donc le premier tome de la saga Proust. En 459 pages, Lola Sémonin se révèle être une franche conteuse. Cet ouvrage se lit comme une chronique de la vie dans le Haut-Doubs pendant l’entre-deux guerres. Le style est alerte, vivant, habité par des personnages hauts en couleurs et truffé de dialogues truculents. Quand on le lit, on entend l’accent. Par exemple, On n’écrit pas « Besançon », mais « B’sançon »…

En tout cas, c’est là une excellente idée que de prolonger sur papier une existence née sur scène. Mad’leine est un vrai personnage. Elle entre aujourd’hui de plain-pied avec ses petits sabots de gamine dans la littérature. Et, déjà, on a hâte de savoir ce qui va se passer pendant son adolescence. On la quitte heureuse et amoureuse. Mais nous sommes en 1939 et, c’est de son âge, elle ne s’en soucie guerre…

mardi 1 octobre 2013

L'histoire enchantée du petit juif à roulettes

La Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Le dimanche à 19 h et le lundi à 21 h, jusqu'au 30 décembre

Spectacle musical de Frédéric Zeitoun et François d’Epenoux
Mis en scène par Alain Sachs
Avec Frédéric Zeitoun, Anthony Doux, Cécile Girard

L’histoire : Or donc, depuis le jour où il est né, Frédéric Zeitoun traverse la vie sur ses roulettes. Avec une détermination et une telle élégance qu’il a, entre autre talents, celui de nous le faire oublier… Et aujourd’hui, voici qu’il lui vient l’envie de nous en parler. D’abord sur le fond, un témoignage passionnant et passionné sur tous les aspects de sa vie qui ne peuvent que nous interpeller et nous interroger sur les nôtres. Sur la forme ensuite, celle d’une véritable comédie musicale haute en couleurs, sur la destinée, le libre-arbitre, les épreuves et les victoires inhérentes à la condition humaine…

Mon avis : Le titre est on ne peut plus explicite. Il repose sur quatre mots qui constituent autant de clés.
« L’histoire » : Frédéric Zeitoun nous raconte l’histoire de sa vie, du moins de ses cinquante premières années. C’est un parcours à la fois banal et peu commun. Un témoignage qui, comme tous les témoignages nous intéresse, nous concerne et nous interpelle… « Enchantée » : Il eût pu l’écrire « en chantée » pour être plus précis, plus explicatif, mais ce n’était pas français. Et s’il y a quelqu’un qui respecte la belle langue, c’est bien lui. Enchantée donc parce que ces tranches de vie sont jalonnées de chansons. Ce n’est pas plus compliqué que ça… « Juif » : c’est, paradoxalement le mot le moins important des quatre. Mais il était nécessaire de l’inclure car d’aucuns l’auraient plus ou moins consciemment ajouté. Il n’est pourtant pas un des moteurs les plus importants de l’histoire… « Roulettes » : en revanche, voici le mot majeur, celui qui souligne la vraie différence. Abordée d’un fauteuil, la vie n’est plus celle de tout le monde. Vous êtes irrémédiablement exposé ; aux regards, aux obstacles, aux contraintes…
Voilà, rien qu’avec le titre, vous avez le sommaire du spectacle.

On ne peut rêver de spectacle plus authentique. Frédéric Zeitoun a mis en mots et en chansons les principaux chapitres de sa vie. Le terme qui peut résumer le mieux le climat général de cette narration, c’est l’autodérision. Il faut un sacré recul pour s’amuser de son handicap. Bien sûr, cet humour, parfois très noir, le plus souvent souriant, c’est un paravent qu’il s’est patiemment construit pour se protéger. Quoi que, le connaissant plutôt bien, je suis pratiquement persuadé que cet humour décapant et distancié, il l’avait dans ses gènes. Et puis il aime bien aussi la provoc’ le Fred. C’est salutaire.

Bref, ce spectacle est vraiment bien ficelé. L’épopée du « Petit juif à roulettes » débute en 1961. La façon dont son avènement est traité donne le ton de la pièce : il arrive trop tard dans le Bureau des Grands Destins. Les principaux rôles ont été distribués. Il ne reste donc plus que sa propre vie à accomplir… Mais je ne vous dévoilerai pas la suite, c’est-à-dire les cinquante années qui restent… Des écrans distillent régulièrement des informations qui nous permettent de savoir à quelle époque nous sommes (1961, 1968, 1976, 1981, 1986…). Ce sont des étapes marquantes de la vie de Frédéric et, en corollaire, de la nôtre. Une idée très judicieuse que ces écrans. Ils ponctuent, relancent et illustrent la narration.


Ce spectacle est une formidable leçon de vie doublée d’une émouvante déclaration d’amour à icelle. Il est remarquablement écrit, ponctué de jolies formules et parsemé de jeux de mots d’un très bon niveau. Les textes des chansons sont fort bien ciselés et leurs couleurs musicales très variées. Frédéric Zeitoun n’est pas un chanteur, mais c’est un excellent interprète. Et c’est mieux ainsi. Une bonne technique vocale ne permettrait sans doute pas de faire passer aussi bien la dérision, la tendresse, la joie de vivre et la mélancolie. Tous ces sentiments, Fred les fait jaillir à leur juste valeur à travers son sourire, ses regards, ses gestes. Pas une seconde il ne tombe dans le misérabilisme et encore moins dans le pathos. Il nous embarque dans son histoire et on l’y suit la plupart du temps joyeusement. De temps en temps, il nous provoque quelques picotements au coin de l’œil parce que ce qu’il évoque nous touche au plus profond. Mais ce n’est qu’un beau moment de partage.

Au-delà de ce qu’il nous raconte, ce spectacle prend une vraie dimension en raison de la présence des deux partenaires de Frédéric. Anthony Doux, l’accordéoniste, joue un personnage un peu lunaire et premier degré à la fois. Il est le champion de la maladresse et de la blague approximative ; sauf avec son instrument. Là, il est plutôt brillant. Et puis on décèle en lui une profonde humanité…
Mais la vraie, la belle trouvaille, c’est Cécile Girard. D’abord, le scénario lui offre un rôle en or. Elle apporte à son personnage une grâce, une féminité, une douce fermeté aussi, qui nous ravissent. Et avec son "violon-ciel", elle nous emmène avec une folle virtuosité vers des sommets. Elle a le son et le ton justes. Quelle jolie présence !


Sincèrement, courez, roulez (si c’est le cas) à la Gaîté Montparnasse. Vous y passerez une heure trente d’humour et d’émotion ponctuée de bien belles chansons. Frédéric Zeitoun a écrit et interprété son propre biopic. Et c’est drôlement bien réussi. Il nous fait rire avec ses tourments et, sans nous forcer la main et le cœur, il nous donne à réfléchir.

Gilbert "Critikator" Jouin