mardi 1 octobre 2013

L'histoire enchantée du petit juif à roulettes

La Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Le dimanche à 19 h et le lundi à 21 h, jusqu'au 30 décembre

Spectacle musical de Frédéric Zeitoun et François d’Epenoux
Mis en scène par Alain Sachs
Avec Frédéric Zeitoun, Anthony Doux, Cécile Girard

L’histoire : Or donc, depuis le jour où il est né, Frédéric Zeitoun traverse la vie sur ses roulettes. Avec une détermination et une telle élégance qu’il a, entre autre talents, celui de nous le faire oublier… Et aujourd’hui, voici qu’il lui vient l’envie de nous en parler. D’abord sur le fond, un témoignage passionnant et passionné sur tous les aspects de sa vie qui ne peuvent que nous interpeller et nous interroger sur les nôtres. Sur la forme ensuite, celle d’une véritable comédie musicale haute en couleurs, sur la destinée, le libre-arbitre, les épreuves et les victoires inhérentes à la condition humaine…

Mon avis : Le titre est on ne peut plus explicite. Il repose sur quatre mots qui constituent autant de clés.
« L’histoire » : Frédéric Zeitoun nous raconte l’histoire de sa vie, du moins de ses cinquante premières années. C’est un parcours à la fois banal et peu commun. Un témoignage qui, comme tous les témoignages nous intéresse, nous concerne et nous interpelle… « Enchantée » : Il eût pu l’écrire « en chantée » pour être plus précis, plus explicatif, mais ce n’était pas français. Et s’il y a quelqu’un qui respecte la belle langue, c’est bien lui. Enchantée donc parce que ces tranches de vie sont jalonnées de chansons. Ce n’est pas plus compliqué que ça… « Juif » : c’est, paradoxalement le mot le moins important des quatre. Mais il était nécessaire de l’inclure car d’aucuns l’auraient plus ou moins consciemment ajouté. Il n’est pourtant pas un des moteurs les plus importants de l’histoire… « Roulettes » : en revanche, voici le mot majeur, celui qui souligne la vraie différence. Abordée d’un fauteuil, la vie n’est plus celle de tout le monde. Vous êtes irrémédiablement exposé ; aux regards, aux obstacles, aux contraintes…
Voilà, rien qu’avec le titre, vous avez le sommaire du spectacle.

On ne peut rêver de spectacle plus authentique. Frédéric Zeitoun a mis en mots et en chansons les principaux chapitres de sa vie. Le terme qui peut résumer le mieux le climat général de cette narration, c’est l’autodérision. Il faut un sacré recul pour s’amuser de son handicap. Bien sûr, cet humour, parfois très noir, le plus souvent souriant, c’est un paravent qu’il s’est patiemment construit pour se protéger. Quoi que, le connaissant plutôt bien, je suis pratiquement persuadé que cet humour décapant et distancié, il l’avait dans ses gènes. Et puis il aime bien aussi la provoc’ le Fred. C’est salutaire.

Bref, ce spectacle est vraiment bien ficelé. L’épopée du « Petit juif à roulettes » débute en 1961. La façon dont son avènement est traité donne le ton de la pièce : il arrive trop tard dans le Bureau des Grands Destins. Les principaux rôles ont été distribués. Il ne reste donc plus que sa propre vie à accomplir… Mais je ne vous dévoilerai pas la suite, c’est-à-dire les cinquante années qui restent… Des écrans distillent régulièrement des informations qui nous permettent de savoir à quelle époque nous sommes (1961, 1968, 1976, 1981, 1986…). Ce sont des étapes marquantes de la vie de Frédéric et, en corollaire, de la nôtre. Une idée très judicieuse que ces écrans. Ils ponctuent, relancent et illustrent la narration.


Ce spectacle est une formidable leçon de vie doublée d’une émouvante déclaration d’amour à icelle. Il est remarquablement écrit, ponctué de jolies formules et parsemé de jeux de mots d’un très bon niveau. Les textes des chansons sont fort bien ciselés et leurs couleurs musicales très variées. Frédéric Zeitoun n’est pas un chanteur, mais c’est un excellent interprète. Et c’est mieux ainsi. Une bonne technique vocale ne permettrait sans doute pas de faire passer aussi bien la dérision, la tendresse, la joie de vivre et la mélancolie. Tous ces sentiments, Fred les fait jaillir à leur juste valeur à travers son sourire, ses regards, ses gestes. Pas une seconde il ne tombe dans le misérabilisme et encore moins dans le pathos. Il nous embarque dans son histoire et on l’y suit la plupart du temps joyeusement. De temps en temps, il nous provoque quelques picotements au coin de l’œil parce que ce qu’il évoque nous touche au plus profond. Mais ce n’est qu’un beau moment de partage.

Au-delà de ce qu’il nous raconte, ce spectacle prend une vraie dimension en raison de la présence des deux partenaires de Frédéric. Anthony Doux, l’accordéoniste, joue un personnage un peu lunaire et premier degré à la fois. Il est le champion de la maladresse et de la blague approximative ; sauf avec son instrument. Là, il est plutôt brillant. Et puis on décèle en lui une profonde humanité…
Mais la vraie, la belle trouvaille, c’est Cécile Girard. D’abord, le scénario lui offre un rôle en or. Elle apporte à son personnage une grâce, une féminité, une douce fermeté aussi, qui nous ravissent. Et avec son "violon-ciel", elle nous emmène avec une folle virtuosité vers des sommets. Elle a le son et le ton justes. Quelle jolie présence !


Sincèrement, courez, roulez (si c’est le cas) à la Gaîté Montparnasse. Vous y passerez une heure trente d’humour et d’émotion ponctuée de bien belles chansons. Frédéric Zeitoun a écrit et interprété son propre biopic. Et c’est drôlement bien réussi. Il nous fait rire avec ses tourments et, sans nous forcer la main et le cœur, il nous donne à réfléchir.

Gilbert "Critikator" Jouin

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