Théâtre Fontaine
10, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel :
01 48 74 74 40
Métro :
Blanche / Pigalle / Saint-Georges
Une farce de Ray Galton et John Antrobus
Adaptée par Dominique Deschamps et Gérard Pinter
Mise en scène par Arthur Jugnot et David Roussel
Décors de Sarah Bazennerye
Lumières de Philippe Mathieu
Costumes de Cécile Magnan
Musique de Romain Trouillet
Avec Erwan Creignou (Oliver Blatt), Karine Dubernet (Docteur
Goebbels), Jean Franco (Denis Blair), Marie-Hélène Lentini (Queenie Loverett),
Yannick Mazzilli (Terry Bush), Ariane Mourier (Doris), Gilles Vajou (Le
Pasteur)
L’histoire :
Quand votre femme vous quitte et que vous découvrez qu’elle a aussi largué tous
ses amants… qu’elle ne vous a laissé que votre dîner dans le micro-ondes et
dans le congélateur que des choses qui vous désignent comme un dangereux
serial-killer, vous commencez à vous poser des questions et à vous dire qu’il
faut absolument réagir. Donc, avec l’aide de votre meilleur ami qui, Dieu
merci, travaille dans la police, du pasteur de votre paroisse, d’un éleveur
d’autruches débutant et la complicité involontaire de votre belle-mère,
charcutière émérite, vous allez faire « des pieds et des mains » pour
vous innocenter, quitte à fomenter un complot qui risque de changer le régime
alimentaire de la monarchie britannique et de faire vaciller sur ses bases la
trône de sa malheureuse souveraine…
Mon avis :
Canapé et fauteuil Chesterfield, papier peint beige hideux, le décor est
typiquement british. Ce qui est tout à fait idoine puisque la pièce elle aussi
l’est : complètement british. On ne nous prend pas en traître puisque, sur
l’affiche, c’est le mot « farce » qui est imprimé. Et cette annonce n’est
vraiment pas mensongère car il faut apprécier le total non-sens pour goûter tout
le suc de cette pièce. En plus, la présence de Gérard Pinter comme adaptateur
nous livre aussi quelques indications quant à son univers. J’avais été emballé
par ses créations comme Un putain de
conte de fée et On tire bien sur les
lapins, des comédies délirantes et loufoques au rythme effréné. Je savais
donc à peu près à quoi m’attendre.
Le titre de la « farce », Des pieds et des mains propose finalement un double niveau de
lecture. Elle n’induit pas seulement que le héros de l’histoire, Denis Blair,
va devoir faire « des pieds et des mains » pour se sortir de l’imbroglio
dans lequel il se trouve. Mais je laisse planer le mystère quant au second
sens. Ça aurait pu s’appeler aussi bien « Bon pied, bon œil » ou « Il
était un foie », et la musique aurait pu être empruntée au groupe Abats…
Le début de la pièce, grâce à un habile
dispositif de parois pivotantes nous permet de faire connaissance avec les
principaux personnages et de découvrir leur caractère et, surtout, leur
duplicité… Ils sont huit sur scène, mais un seul, le Denis Blair précité, est
sérieux tout du long. En revanche, les six autres protagonistes sont vraiment
graves. C’est un des points forts de la pièce : ce brave garçon
complètement dépassé par les événements qui cherche à s’en sortir par tous les
moyens est comme un insecte pris au milieu d’une toile d’araignée. Plus il se
débat, plus il s’enfonce. Chaque personne dont il espère recevoir de l’aide l’entraîne
encore plus profondément dans son désarroi. Ils sont tous plus dingues et tarés
les uns que les autres. Quelle brochette ! En tout cas, ce ne sont pas de
frigides barjots car les trois hommes, Oliver Blatt, Terry Bush et le Pasteur, follement
épris de madame Blair, sont très portés sur la chose, Doris est une nymphomane
absolue et la belle-mère, Queenie Loverett est très friande d’allusions salaces…
Il n’y a donc que ce pauvre Denis qui soit à peu près normal.
Si vous êtes un rationnel compulsif, cette pièce, vous l’aurez
déduit, ne vous est pas adressée. Elle nage dans l’absurde, se vautre dans l’extravagance,
cousine même parfois avec la démence. Les comédiens se prêtent avec une
gourmandise évidente aux comportements les plus saugrenus. La palme de la
schizophrénie revenant à mon goût à Gilles Vajou qui campe un pasteur pour le
moins ambigu. Mais tous les autres sont bien gratinés eux aussi.
La pièce est un peu en dents de scie. Parmi les pointes,
bien piquantes, il y a un bon humour noir avec une appétence pour le grand guignol,
un passage digne du plus trépidant des cartoons, un clin d’œil (que j’espère
volontaire) à Psychose, une bande-son
digne du cinéma qui souligne les rebondissements, et une musique et des jeux de
lumière empruntés aux films d’épouvante… Il y a aussi une autruche dressée (c’est
le huitième personnage) qui se livre à une prestation tout à fait convaincante.
Et puis… Et puis il y a Karine Dubernet ! Elle n’est
pas longtemps sur scène, mais sa composition à elle seule justifie que vous
fassiez « des pieds et des mains » pour vous rendre au théâtre
Fontaine. Cette fille est incroyable. Elle est une des dignes héritières de la bande
du Splendid. Son personnage pourrait être la fille que le sinistre Papa Schultz
(Francis Blanche dans Babette s’en
va-t-en guerre) aurait pu concevoir avec la démoniaque Annie Wilkes (Kathy
Bates dans Misery). Son numéro est
digne de l’anthologie. C’est vraiment le grand moment de la pièce. Elle la
booste complètement, lui donne soudain une autre dimension et, surtout, elle en
fait oublier toutes les imperfections.
Parmi ces imperfections, il y a parfois un jeu un peu outré
de la part de certains comédiens (un burlesque trop appuyé tue le burlesque) et
puis il y a ça et là, plus particulièrement dans la bouche de Queenie Loverett,
quelques grivoiseries faciles et gratuites, niveau CM2, qui n’apportent rien…
Gilbert "Critikator" Jouin
Gilbert "Critikator" Jouin
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