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samedi 22 février 2014

Antonie de Rendinger "Travail, Famille, Poterie"

Théâtre des Mathurins
36, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 90 00
Métro : Havre-Caumartin / Auber

One woman show écrit par Antonia de Rendinger
Mis en scène par Olivier Sitruk

Présentation : Bienvenue dans la loge de madame Cayeux, 80 ans, concierge de son état et plaque tournante d’un petit immeuble où, au fil des rencontres, se croisent autant de points de vue que de personnages variés…
On embarque dès que le noir se fait dans un voyage d’une heure quinze qu’on ne saurait vraiment qualifier de « seule en scène » tant nombreux sont les protagonistes qui s’y invitent ! On remarquera surtout la manière dont chacun fait écho à l’autre, composant un puzzle jubilatoire, dans l’esprit des films choraux…

Mon avis : Je m’attendais à un bon spectacle. J’ai découvert une prestation d’une qualité allant au-delà de mes espérances. Comme beaucoup, Antonia m’avait époustouflé par son talent et son culot avec son sketch sur Miss France et ses apparitions à On n’ demande qu’à en rire m’avaient fréquemment enchanté. Et bien, Antonia gagne encore plus à être vue sur la longueur, pendant les Quatre-vingt minutes que dure son one woman show.

Antonia de Rendinger (oui, oui, comme Olivier de Benoist, c’est une aristocrate grand teint) est un véritable phénomène. Mine de rien, ça fait vingt ans qu’elle écume les planches. Ligue d’impro, théâtre, sketchs en solo… elle a un sacré bagage et de l’expérience à revendre. Et, particularité qu’il ne faut surtout pas négliger, elle a fait des études de lettres modernes et possède une maîtrise de littérature française. D’où la remarquable qualité de son écriture… Antonia, c’est de 4G agrémentée du haut débit. 4G comme Gaîté, Grâce, Générosité et Grivoiserie ; avec une touche de Génie comique.

Huit sketchs, huit performances de très, très haut niveau. Dès son entrée en scène, elle nous déclenche une irrépressible envie de faire l’humour avec elle. Elle nous entraîne dans son monde, un monde fait de folie, d’extravagance et d’irrévérence. Je crois que l’adjectif qui la qualifie le mieux à mes yeux (et à mes oreilles), c’est « truculente » (Petit Larousse : « Qui exprime les choses avec crudité et réalisme ; pittoresque, haut en couleurs »… Elle est rabelaisienne dans le sens le plus noble ‘normal pour une aristocrate qui pratique l’irrévérence) du terme. Dans son spectacle, en effet, comme chez Rabelais, il y a de l’épique, du parodique, de l’exagération, de la satire, de la paillardise, voire de la scatologie et, surtout, elle est la démonstration vivante de l’adage « le rire est le propre de l’homme ».


Olivia sait tout faire. Du mime (voir le premier sketch), elle prend tous les accents, elle danse remarquablement (voir sa bluffante chorégraphie du septième sketch), elle a l’art d’incarner des personnages. Visiblement, elle n’a aucune limite. Elle n’a peur de rien. Elle est sacrément gonflée… J’ai tout aimé dans ce spectacle : le jeu, l’audace, le délire, l’écriture, la mise en scène. C’est d’une efficacité rare. Jacqueline Cayeux, la concierge qui est le fil rouge de Travail, Famille, Poterie, est une sorte de compromis pour la voix entre Michel Serrault et la Gisèle des Vamps. Cette bignole est une sacrée nature. Son franc-parler est dévastateur. Comme Monsieur Jourdain, elle pratique sans le savoir l’anticonformisme, la xénophobie, le politiquement (très) incorrect, la subversion. Etre, en même temps, elle peut s’avérer touchante.
Dans ce spectacle qualitativement impeccable, deux sketchs m’ont arraché encore plus que les autres des spasmes de rire : l’épilation et la conférence sur le nombril. Mais, motus et clavier cousu, je n’en révélerai absolument rien.
Précipitez-vous aux Mathurins. Vous y passerez un moment de bonheur total. Antonia de Rendinger possède un talent monstrueux. C’est une auteure et une comédienne hors pair. Elle a largement sa place au Panthéon de l’humour…


Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 3 décembre 2013

Ariane Brodier "Ariane fait sa mytho"

Théâtre Le Bout
6, rue Frochot
75009 Paris
Tel : 01 42 85 11 88
Métro : Pigalle

One woman show écrit par Ariane Brodier, Yannick Vabre, Clément Charton

Présentation : Telle une funambule, Ariane Brodier avance sur le fil et jongle avec des personnages tout droit issus de l’Olympe. Elle revisite les grandes figures mythologiques… « Ariane fait sa mytho » répond à toutes les questions que l’on ne s’était jamais posées.

Mon avis : Je m’étais toujours demandé pourquoi il y avait des demi-dieux et pas de demi-déesses, d’autant que les femmes sont sensées être des moitiés. Je suis allé au Bout, à Pigalle, et là j’ai eu l’explication. J’ai vu sur scène une authentique déesse et, qui plus est, ne fait pas les choses à moitié : Ariane Brodier !

Sur son affiche, elle annonce la couleur : « Ariane fait sa mytho ». Mais nous, évidemment, béotiens que nous sommes, vu que c’est une jeune femme, on pense tout de suite à la mythomanie. Normal, ce mot qui vient du grec signifie « mensonge pathologique » ; un truc bien féminin quoi. Eh ben pas du tout. On a tout faux. Et elle nous l’explique tout de go : on reste néanmoins chez les grecs car la « mytho » dont il est question est tout bonnement la… mythologie. Le fil (rouge) d’Ariane, c’est donc la mythologie grecque… Inattendu, non ?


Ariane Brodier réussit le tour de force de nous faire rire (énormément) avec un texte intelligent et une vraie culture. Elle sait de quoi elle parle. Si bien qu’elle peut se permettre, à partir d’une base didactique solide, de déraper et de nous embarquer dans un univers complètement louftingue… Bénie des dieux, Ariane possède un bagage incroyable : elle est très belle à regarder mais, visiblement, elle s’en contrefout car elle n’a aucun scrupule à se ridiculiser. Elle se livre à des cascades improbables, prend (judicieusement) toutes sortes d’accents, s’autorise des imitations, flirte avec la ventriloquie. Visiblement, ce n’est pas à l’hydromel qu’elle a été abreuvée, mais au cartoon. Ses gags sont très visuels. Elle imprime à son spectacle une cadence de dessin animé avec, en prime s’il vous plaît, une bande son particulièrement élaborée.

Elle se mélange un peu les crayons entre les mythologies grecque et latine. Mais il est vrai qu’apostropher le dieu de l’amour « Cucu » (pour Cupidon) c’est bien plus trognon que « Eh-Eh » (pour Eros). Elle réussit même à remonter le temps et à quitter l’Olympe pour l’Eden afin de camper notre maman à tous, madame Eve. En cinq minutes, elle nous offre un condensé implacable de l’éternel féminin. L’Autre Eternel (celui qui a la barbe) en prend pour son grade ! On comprend mieux pourquoi la femme est responsable de notre punition perpétuelle à tous…


Bref, le one woman show d’Ariane Brodier vaut autant pour son fond que pour sa forme. C’est gonflé, c’est coquin, c’est farfelu ; c’est inventif. On passe au Bout un moment quasi divin en compagnie d’une Aphrodite complètement déjantée qui déborde d’énergie et de bonne humeur. Elle est franchement olympienne.

Gilbert "Critikator" Jouin

samedi 30 novembre 2013

Anne Bernex "Dans l'air du temps"

Le Temple
18, rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
Tel : 01 43 38 23 26
Métro : République

Ecrit par Anne Bernex
Mis en scène par Alex Goude
Musiques d’Adella Gerstenhaber
Chorégraphies de Johan Nus
Costumes de Matthieu Camblor

Présentation : A l’heure où la mode est au « prêt à enlever » et au « prêt à consommer », cette splendide créature, bien décidée à trouver l’âme sœur, va tout tenter.
Tiraillée entre le bien et le mâle, entre sa moitié séductrice, sa moitié hilarante et… sa moitié blonde aussi, Anne Bernex vous emmène à coup sûr dans un tourbillon jubilatoire.
Entre sketchs inoubliables et parodies hystériques de chansons, Anne vous invite à un spectacle sans la moindre fausse note.

Mon avis : Tout, ou presque est dit dans la présentation. Eh oui, Anne Bernex cherche désespérément l’âme sœur. Mais elle ne vit pas sa solitude comme une Anne en peine, au contraire. Elle fait de sa disette affective une tribune, prend le public à témoin. Anne chasseresse a la « bredouillitude » partageuse et, paradoxalement, joviale. Aucune amertume chez elle, au contraire. Elle ne se morfond pas, ne s’apitoie pas sur son cas, elle déborde d’énergie et de vitalité. Cette petite cylindrée carbure au super, elle tourne à plein régime, elle ne s’économise pas une seconde. Tout passe par son corps et son visage. Son spectacle est très visuel. Elle danse (très bien d’ailleurs), fait des grimaces, fait des incursions dans la salle, change fréquemment de tenue, elle parodie Britney Spears, fait des claquettes en chaussons... Elle donne, elle donne, elle donne…
Sur le plan de la générosité, on lui attribue une note maximale. Elle finit complètement vidée… et heureuse. Rien à se reprocher : elle a tout donné.


Dans le spectacle d’Anne Bernex, il y a à voir et à changer. Il y a beaucoup à voir, et un peu à changer. La proportion joue en sa faveur. C’est une excellente comédienne, elle chante et danse admirablement. Son show est émaillé de jolies trouvailles. Dans le rayon bonus, je range une remarquable bande-son, cette métaphore on ne peut plus explicite avec sa chatte « Moumouille », sa tentative d’expérience saphique (toutes les goudous sont dans la nature), j’ai beaucoup apprécié le passage dans lequel elle met en opposition la raison et le désir, son clin d’œil très réussi à L’Exorciste, la rencontre entre Golum et Blanche Neige, sa truculente composition de pétasse-gourdasse avec tous les accessoires, un bon rappel, ses imitations de Piaf et Lady Gaga…

Les parodies… C’est là où, pour moi, le bât blesse. Autant je les ai trouvées superbement interprétées, autant je les ai trouvées approximativement écrites. Quel dommage ! Même si cette faiblesse est, comme je l’ai dit, largement compensée par le jeu, les textes eussent mérité un peu plus de soin et de rigueur. Mes oreilles ont frémi en entendant des « e » muets très appuyés à la fin des mots « réfléchir » et « veste en cuir ». Ce n’est vraiment pas beau à entendre… C’est, avec quelques petites vannes égrillardes un peu faciles, le seul reproche que je formule sur ce spectacle très abouti.


Anne Bernex a du tonus à revendre, elle est visiblement heureuse sur scène et elle aime son public (ce soir-là, elle a même fait preuve de beaucoup de patience et de bienveillance envers une crétine du premier rang au rire aigu systématique très perturbant). Elle est dans son élément, elle ne triche pas. Elle mérite amplement les nombreux rires qui ponctuent ses extravagances orales et physiques, et les longs applaudissements qui saluent sa performance. Car c’en est véritablement une.

vendredi 22 novembre 2013

Nora Hamzawi

Théâtre du Gymnase
38, boulevard Bonne Nouvelle
75010 Paris
Tel : 01 42 46 79 79
Métro : Bonne Nouvelle

One woman show écrit et interprété par Nora Hamzawi

Présentation : Reine de la mauvaise foi, Nora dresse un portrait acide d’une femme d’aujourd’hui, en un peu plus ballonnée.
C’est avec un sens du détail obsessionnel qu’elle décortique son quotidien. Cachée derrière ses lunettes, elle scrute ses névroses et taquine celles de son public. Anxieuse et parano, elle est la girl next door qu’il vaut mieux croiser sur scène que sur son palier.

Mon avis : Jeudi soir. Salle comble. Plus un seul strapontin. Public composé essentiellement de jeunes de 20 à 30 ans. Deux-tiers de filles… dont beaucoup à lunettes. On a l’impression d’une soirée entre copines avec l’une d’entre elles qui serait monté sur scène pour synthétiser leur quotidien.
Le spectacle de Nora Hamzawi est résolument générationnel. Elle parle de ce qu’elle vit, de ce qu’elle connaît. Très décontractée, elle est en connexion directe avec son public. Nora, c’est surtout un sacré tempérament. Son énergie et son débit sont impressionnants. Tout le temps en mouvement, elle se livre à un stand-up tonique et effréné. Il faut la suivre la Nora dans ses délires. Très expressive, elle émaille son discours de descriptions très imagées. C’est une championne de la métaphore imparable et de la comparaison qui fait mouche.


Sa thématique est très simple : elle raconte sa vie de jeune femme de 28 ans, ses états d’âme, ses doutes, ses relations avec les mecs. On voit qu’elle vient de la pub et de la communication. Elle a à la fois le sens de la formule et le talent pour la faire passer. Et puis il faut voir comme elle bouge et comme elle danse ! Elle est vraiment faite pour la scène.
Nora décrypte l’ambiance des soirées où elle se rend, elle décrit l’attitude des filles, elle avoue sans détour sa recherche du soutien de l’alcool, son meilleur désinhibant, mais aussi son meilleur ennemi. Elle égratigne les mecs avec gourmandise et va même jusqu’à aborder un sujet plutôt tabou dans la bouche d’une jeune femme, la sodomie. Mais elle le fait avec une telle finesse qu’elle en désamorce l’audace, tout en donnant au mot oculaire un sens que la phonétique rend soudain plus explicite.


Consciente de la crudité de certains de ses propos, elle nous livre elle-même le jugement que nous ressentons tous : « ça passe bien avec son petit minois ! ». C’est vrai, elle se montre tellement heureuse d’être sur scène et de partager ses tribulations avec des gens qui vivent les mêmes qu’on accepte tout d’elle. Cette fille est lumineuse, elle rayonne.


Très sincèrement, elle n’a pas besoin que l’on écrive de critiques sur elle. Le bouche à oreilles devrait lui suffire amplement car elle touche un cœur de cible particulièrement dynamique et friand de ce genre de propos, celui des 20-30 ans... Mais quel que soit son âge, on rit vraiment beaucoup.

Gilbert "Critikator" Jouin

mercredi 30 octobre 2013

Mimie Mathy "Je (re)papote avec vous"

Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, boulevard Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 00 32
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Spectacle écrit par Mimie Mathy
Avec la collaboration de Muriel Robin et Philippe Lemonnier
Mis en scène par Roger Louret

Le propos : Mimie Mathy était célibataire et grosso modo épanouie dans son célibat. Elle revient sur scène mariée et belle-mère de famille nombreuse. Un mari, ses casseroles, le bonheur, les petits soucis, les grands soucis, la vie à deux, quatre beaux enfants, les crises d’ados, les tournages de Joséphine, une maison à la campagne avec un compost, son enterrement… Rien de grave, elle vous expliquera… Les voyages, un aller-retour au paradis, la chirurgie esthétique… Elle a hâte de re-papoter avec son public pour faire le point sur ces dix dernière années.

Mon avis : Tout est dans le titre : après dix ans d’absence sur scène, Mimie Mathy est de retour pour (re)papoter » avec nous. Pendant précisément une heure trente-deux (clin d’œil subliminal à sa taille ?), elle nous narre par le menu tout ce qui s’est passé dans son existence de plus ou moins important au cours de cette longue parenthèse. Tout de suite, on voit bien que cette mise à jour correspondait à un besoin très fort de partager, ses yeux dans nos yeux. Cette décennie a été jalonnée d’événements qui comptent dans une vie de femme.

Avec son art consommé de la comédie, cette conteuse hors pair se livre sans concession et sans pudeur à une sorte de chronique existentielle. En un raccourci troublant, elle commence sur la musique de la Marche Nuptiale en robe de mariée (avec une traîne de sept mètres !) pour terminer, vêtue de noir, avec son enterrement. Il y a là une sacrée symbolique. Mais même lorsqu’elle imagine son décès, elle déforme tout avec le prisme de l’humour et, surtout, une belle dose d’autodérision. Les ironistes de tout poil n’ont plus qu’à se taire, Dupe de rien, Mimie se moque d’elle toute seule. Ainsi se met-elle à l’abri.


Avec une belle énergie, entretenant sans cesse sa complicité avec un public qui lui est acquis dès le début, elle nous dit tout sur sa vie sans éluder grand-chose. Ses confidences autobiographiques sont régulièrement émaillées d’apartés et de réflexions absolument savoureuses. Elle s’autorise même une scène de ménage en live plus vraie que nature. Dans ce cocktail gentiment alcoolisé, elle glisse ça et là un zeste d’émotion ou de tendresse. Mimie n’a pas à se forcer, elle déclenche très naturellement chez nous de l’empathie. On voit bien qu’elle fonctionne à l’affect, qu’elle est hypersensible à la reconnaissance.

Après avoir décrit avec force détails et images quelques pans très intimes de sa vie de famille, au risque de paraître parfois impudique, elle glisse habilement de la réalité à la fiction en laissant Mimie de côté pour endosser le personnage de Joséphine avec ses fabuleux pouvoirs. « Joséphine au paradis » est un des grands moments du spectacle. Or, là aussi, elle ne triche pas. Elle nous démontre qu’elle n’est pas si angélique ça. Elle s’apparenterait même plus volontiers à un bon petit diable. Et puis quel filon que de retrouver au ciel quelques chers disparus !

Et puis Mimie ne saurait construire un spectacle sans y mêler son amour viscéral pour la chanson. D’ailleurs, elle chante de mieux en mieux. Son show aurait pu être sous-titré « La Chanson du bonheur ». Heureuse dans sa vie heureuse sur scène, Mimie irradie littéralement. Elle l’apprécie d’autant plus ce bonheur, qu’il s’est ingénié à attendre qu’elle arrive à la cinquantaine pour condescendre à la prendre enfin dans ses bras. Mais c’est peut-être aussi pour cela qu’il est si fort… et si mérité.
Je ne lui adresserai qu’un seul reproche : pendant mon retour en métro et en RER, je n’ai cessé de fredonner « C’est si bon ». Et je me suis même endormi avec… En même temps, il faut bien reconnaître que c’est vraiment « bon » de papoter avec une ami-mie Mathy que l’on pas vue depuis dix ans, même s’il n’y a qu’elle qui parle. Elle le fait si bien…


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 19 octobre 2013

Elisabeth Buffet "Nouveau spectacle"

Comédie Caumartin
25, rue Caumartin
75009 Paris
Tel : 01 47 42 43 41
Métro : Havre-Caumartin / Auber

One woman show co-écrit par Elisabeth et Philippe Sohier
Mis en scène par Jarry
Lumières de Stéphane Krumhorn

Le contenu : Tout est neuf, sauf elle ! Vous allez partager les questionnements et élucubrations de cette éternelle célibataire, qui vieillit mais ne grandit pas. Bien qu’elle commence à être sérieusement bouchonnée, elle est toujours chaud bouillotte et continue à faire la gugusse dans les boîtes de nuit. On va finir par la retrouver fossilisée dans les toilettes, servant de dérouleur à PQ !...

Mon avis : Elisabeth Buffet est de retour ! Elle est toujours aussi « seule dans sa culotte », mais la grande différence avec le spectacle précédent c’est que, cette fois-ci, sa culotte a changé et elle nous la montre. Autre différence, de poids celle-là, elle nous dévoile une silhouette joliment amincie. Pendant ces quelques années d’absence, elle a découvert les vertus du sport. Elle a dû en faire des pompes et des agrès. Elle s’est considérablement musclée et, par extension, son spectacle aussi.

Si sa métamorphose physique est spectaculaire, ses tribulations sentimentales, elles, sont restées toujours aussi problématiques. A deux encablures de la cinquantaine, le besoin d’une épaule masculine s’est encore accru avec l’urgence. Alors, elle court toujours les boîtes de nuit. Faisant la navette entre le bar et la piste, notre Diane chasseresse se livre, l’alcool aidant, à une sorte de danse de la séduction de plus en plus improbable. Ne sachant plus quoi faire pour attirer l’attention sur elle, elle a trouvé un stratagème pour se faire remarquer : la pratique de la pole dance. Désormais, elle passe du bar à la barre. Et là, sidération totale ! Elle se livre à une performance gymnique qui nous cloue sur notre fauteuil. Elle pourrait nous laisser bouche bée mais les acclamations qui fusent de toutes parts dans la salle nous en empêche.


Et tout en accomplissant de véritables prouesses, elle continue à se raconter. A raconter presque exclusivement son désert affectif. La « Bubu » est toujours aussi fofolle de la foufoune. Cette blonde ne compte pas pour une prude. Son spectacle est un one woman chaud, très chaud, très sexe. Non seulement elle a épuisé tout le dictionnaire des synonymes du sexe féminin, mais elle en invente. Son texte, remarquablement écrit, abonde en images et en métaphores d’une drôlerie absolue. C’est osé, gonflé, cru mais jamais vulgaire. Parce qu’elle est nature et sa quête amoureuse, toute égrillarde qu’elle soit, est parfaitement saine. D’ailleurs le public ne s’y trompe pas qui rit de bon cœur à ses descriptions gaillardes et polissonnes, quitte à couvrir la phrase qui suit.


Elisabeth Buffet a l’art et la science de l’expression et de la formule dévastatrices. Elle ouvre la boîte à vannes et déclenche le rire à jet continu. Or, derrière la gaudriole, elle laisse apparaître en filigrane ses angoisses existentielles. Elle a peut-être perdu des formes, mais elle y a gagné en fond. Elle évoque les affres de la cinquantaine, de la solitude ; elle mêle son angoisse de l’accouchement et sa détestation des bébés avec l’imminence de la ménopause ; elle s’en prend sans vergogne et avec un sens de l’humour noir décapant aux homos et aux handicapés… La débauche d’énergie laisse subtilement filtrer une dose d’émotion. Elisabeth Buffet est humaine, misérablement humaine, simplement humaine, ce en quoi elle est touchante. Mais elle a choisi le parti d’en rire et de nous faire rire avec ses turpitudes et ses tourments. C’est sa forme d’élégance.

Le spectacle se termine avec une lueur d‘espoir qui pourrait laisser présager une happy end. Des pompes aux pompiers il n’y a qu’un pas qu’il suffira peut-être de franchir. D’autant plus qu’elle se retrouve en « pole position ». Paradoxalement, un bon coup de barre et ça repart ! Tout ça pour une seule et unique quête : atteindre l’inaccessible à poil…

Mis en scène par un Jarry très inspiré, ce nouveau spectacle d’Elisabeth est un antidote très efficace à la morosité ambiante. On y rit sans discontinuer. C’est beau de voir une salle entière debout et en liesse.

En tout cas, avec Elisabeth Buffet à 20 h et Fabrice Eboué à 21 h 30, la Comédie Caumartin n’a pas fini de faire le plein. Ce sont là vraiment deux excellents seuls en scène.

Gilbert "Critikator" Jouin

mardi 24 septembre 2013

Robin revient 'Tsoin Tsoin"

Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, boulevard Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 00 32
Métro : Strasbourg Saint-Denis

One woman show écrit et mis en scène par Muriel Robin
Assistée de Clara Guipont
Lumières de Xavier Maingon

Le spectacle : On en rêvant depuis huit ans, Muriel l’a fait. Robin revient. On retrouve sur scène celle qu’on a connue, celle qui nous a fait rire avec les choses de la vie. On la reconnaît : ses yeux noirs ronds comme des billes, de petite fille qu’elle n’a jamais été. Muriel Robin revient de loin. Tout a changé. Elle a changé. La silhouette et la femme dedans. Elle est prête. Et toujours aussi drôle. Nouvelle Muriel, nouveau spectacle où se trame l’histoire de sa vie qui est un peu la nôtre…

Mon avis : Robin revient ! Plus qu’un retour, c’est une re-naissance. 2005-2013… Huit ans qu’elle ne s’était pas produite sur une scène. Certes on avait pu la voir, mais c’était en duo (Fugueuses avec Line Renaud en 2008 et Les diablogues avec Annie Grégorio en 2009). Elle avait sans doute besoin de jouer, mais avec des béquilles pour conserver l’équilibre. Seule, elle n’aurait pas tenu debout. Ce n’est pas un hasard si son dernier one woman show s’intitulait Au secours !. L’appel était réel. Le désarroi était profond. Elle aurait pu également baptiser son spectacle « Attention, fragile ». Pour elle, plus viscéralement que chez d’autres, l’humour est véritablement la politesse du désespoir. Et elle est très polie Muriel. Trop pudique aussi.

Robin revient ! Elle n’a pas huit ans de plus, mais huit ans de moins. Robin de jouvence… Radieuse, épanouie, bien dans son corps et dans sa tête. Dans son cœur aussi. Pourquoi éprouve-t-elle ce besoin de clamer son retour à grand renfort de « Tsoin-tsoin » ? Envie de rassurer certainement. Rassurer son entourage, rassurer son public, se rassurer elle-même aussi. Alors, dès son entrée en scène, entourée de voiles noirs, elle s’explique sur ce foutu tunnel. Un tunnel néanmoins éclairci par deux lucarnes télévisuelles : Marie Besnard et Mourir d’aimer ; deux histoires sombres et dramatiques qui correspondaient parfaitement à son état d’esprit de l’époque. Mais deux succès aussi qui permettaient de franchir à gué, non pas huit, mais « sept années de dépression ». Elles les a comptées.


Robin revient ! Elle revient pour raconter sa vie. Essentiellement son enfance, sa jeunesse et ses débuts dans le métier qu’elle s’est choisi. Une drôle d’autobiografille pas si marrante que ça. Mais elle la raconte avec son regard aujourd’hui distancié et un sens de l’humour salvateur. Muriel a mis huit ans – sans doute plus encore – pour atteindre et briser son oppressant plafond de verre.
Je ne raconterai pas son seule en scène. Elle le fait très bien elle-même. Robin revient en présentant une autre forme de spectacle. Les sketchs sont mis de côté pour un instant au profit d’une sorte de stand-up dans lequel il y a plus du Muriel, du « Mumu » même, que du Robin. Elle se livre avec une franchise totale. Y compris dans les relations les plus intimes. Elle nous aide à comprendre comment elle a été déconstruite. Elle évoque ses questionnements, ses complexes, ses angoisses. Mais elle ne tombe jamais dans le pathos parce qu’elle le fait à la Robin, avec cette force comique qui n’appartient qu’à elle, ses intonations si personnelles, cette gestuelle unique.
Vous l’aurez compris, Robin revient n’est pas un spectacle où l’on se tape sur les cuisses. Le rire vient plutôt du cœur. C’est le mot : on rit de bon cœur. On rit parce qu’elle a envie de nous faire rire avec ses mésaventures. Et puis elle a ce talent de savoir distiller l’émotion sans appuyer le trait, avec une forme de bienveillance régénératrice. Et nous, on est en totale connivence avec elle. Je pense qu’avec se spectacle Muriel, qui a toujours eu faim d’amour, va être rassasiée.

Muriel outragée ! Muriel brisée ! Muriel martyrisée ! Mais Muriel libérée !!! Libérée de sept ans d’occupation d’une sale maladie.
Et, à la fin, image on ne peut plus symbolique, les voiles noirs se décrochent et tombent sur la scène.

La salle est debout. La ferveur enfle et envahit la scène. Muriel essuie furtivement quelques perles de joie. On pense au bonheur de Brel avec sa Mathilde : « Muriel est revenue ! »

Gilbert "Critikator" Jouin

jeudi 14 février 2013

Noëlle Perna : Mado prend Racine


Casino de Paris
16, rue de Clichy
75009 Paris
Tel : 08 926 98 926
Métro : Trinité
Jusqu’au 17 février
Puis en tournée
Sortie de ce spectacle en DVD le 4 mars (Sony Music)


One woman show écrit par Noëlle Perna, Richard Chambrier, Alain Sachs
Mis en scène par Alain Sachs
Lumières de Gérard Pernet

L’intention : Star autoproclamée du « chauve-binz » national, la truculente Mado vient d’avoir une nouvelle idée toute à son image : généreuse et ingénieuse ! Elle décide de transformer la morosité des clients de son célèbre bar du vieux Nice en énergie créatrice. Et les voilà embarqués dans un grand moment de théâtre classique… ou presque !

Mon avis : Troisième spectacle en dix ans de Noëlle Perna dans le rôle de Mado la Niçoise… Intégralement nouveau, Mado prend Racine, nous permet de la retrouver égale à elle-même. On sait avec qui on a rendez-vous, mais l’attente repose entièrement sur ce qu’elle va nous raconter et où elle va nous emmener. Car Noëlle est d’abord et avant tout une formidable conteuse. Dès qu’elle endosse la blouse vichy bleu ciel ou la robe de cuir rouge vif, dès qu’elle a lourdement fardé ses paupières d’un bleu pétant et qu’elle s’est couronné le chef de frisettes flamboyantes, elle devient une autre. Une autre qui n’a aucune inhibition, aucun tabou, qui porte sur la vie et la société un regard à la fois candide et ironique, qui n’hésite jamais à faire passer des messages et à prendre des positions radicales…

Mado, c’est une nature. Il faut la prendre telle qu’elle est. Ou la laisser… Car certains ne parviennent pas à goûter une forme d’humour qui lui n’appartient qu’à elle. En revanche personne n’a le droit de contester son incroyable générosité, sa folle énergie et son inventivité tout terrain.
Elle n’arrête pas de parler et de se démener pendant une heure et demie. C’est une véritable performeuse au sens américain du terme. S’exprimant autant avec son corps, ses bras et sa bouche, elle occupe la scène avec une vitalité confondante. Son spectacle est un patchwork. On y trouve de tout : des effets spéciaux (dans le sens « vêtements » du terme), des accents (africain, pied-noir, corse…), c’est un mélange habile de stand-up et de sketchs dans lesquels elle interprète différents personnages plutôt hauts en couleurs, et elle parle beaucoup d’elle est de sa famille, surtout de son mari.
Son langage est on ne peut plus imagé, elle est très moqueuse, faussement candide, pleine de bon sens, elle adore les jeux de mots, les excellents comme les éculés, et les formules approximatives. Et elle aborde des tas de thèmes divers et variés : la gastronomie, les sports d’hiver, l’écologie, le divorce, les enterrements, le naturisme… Et, pour l première fois, elle se livre à une revue de presse qui lui permets de commenter l’actualité à travers sa vision décalée et avec une impertinence de bon aloi.


Si Mado prend Racine, c’est parce qu’elle entre de plain-pied dans la tragédie grecque en proposant à ses collaborateurs, pour leur faire oublier leur quotidien et leurs soucis, de jouer une version très « salade niçoise » du Phèdre de Racine. Ses supposé partenaires étant absents ce soir-là, elle s’amuse à interpréter elle-même une partie de leur rôle. C’est le fil rouge du spectacle.
Par rapport à ses deux shows précédents, j’ai trouvé beaucoup plus coquine que de coutume. A partir du deuxième tiers du spectacle, elle joue volontiers à « Mado la grivoise ». Elle pratique l’allusion avec une gauloiserie qui s’inscrit dans la tradition française. Mais elle le fait sans jamais se montre vulgaire ou grossière. Elle préfère intelligemment se cantonner dans la suggestion (vous n’aurez jamais plus le même regard sur les quenelles). Ô Niçoise qui au mâle pense… En tout cas, vu les rires que cela déclenche, cela plaît au public.

Mado n’a aucune autre ambition que de nous distraire et de nous amuser. Et elle y réussi remarquablement. Elle sa son public, ses fidèles ; et c’est amplement mérité. Mado, c’est un sacré personnage. On ne peut que l’aimer et, surtout, saluer sa vitalité et son immense générosité.

vendredi 10 août 2012

Anne (Rouge)manoff !


Théâtre du Palais-Royal
38, rue de Montpensier
75001 Paris
Tel : 01 42 97 40 00
Métro : Palais-Royal

Spectacle écrit et interprété par Anne Roumanoff
Collaboration artistique : Gilles Galliot
Lumière : Sébastien Debant

Le pitch : Dans ce nouveau spectacle, la pétillante femme en rouge revient plus mordante que jamais pour croquer à pleines dents dans l’actualité. Rien n’échappe à son regard acéré : la crise de la dette, les stagiaires, la quête du bonheur, les smartphones, les diktats alimentaires…
Elle sait raconter mieux que personne l’égoïsme et la superficialité de notre époque.
Pourtant, on ressort de son spectacle le cœur léger car elle parvient avec finesse et humanité, à nous faire sourire de tout ce qui nous angoisse.

Mon avis : Cette fois, Anne Roumanoff affiche la couleur ans le titre même de son spectacle. « Rouge », ça va être rouge. On connaît son attachement indéfectible à sa couleur fétiche mais, non contente de se parer de vermillon, elle franchit un palier en en fardant ses propos. Christophe a chanté les Mots bleus, elle, elle balance les Mots rouges. Pour Rimbaud, le rouge correspond à la voyelle « i ». Pourquoi pas. C’est son droit de poète à l’Arthur. Anne se contente d’y mettre les points (les poings ?) sur les « i ». Jamais un de ses shows n’a été aussi saignant. Le rouge est mis ! Le doux rouge-gorge s’est fait carnassier, et ça lui va bien.

Il n’y a que pour le début du spectacle qu’elle n’est pas dans le rouge. Elle commence pile à l’heure. Par respect. C’est assez rare pour que ça puisse être relevé…
Pour son entrée en scène, elle a choisi la dérision. Sachant qu’elle n’est pas une sylphide, elle prend néanmoins le risque de se présenter en accomplissant une chorégraphie. Approximative, certes, mais une chorégraphie. Et son sourire pas dupe coupe court à toute velléité de critique. Elle met d’emblée dans sa poche un public déjà complètement acquis à sa cause. Mais encore faut-il pouvoir le garder dans cet état extatique, ce cher public. Et pendant une heure et demie !
Une fois encore, Anne Roumanoff force l’admiration par sa faculté à se renouveler. Où puise-t-elle ses ressources pour écrite un spectacle intégralement neuf si peu de temps après le précédent, quand on sait toutes ses activités annexes (radio, presse écrite…) ? C’est une formidable bosseuse.

Revêtue d’une petite robe rouge toute simple, déambulant sur un plateau ton sur ton, elle débute son récital – car c’en est un – par du stand-up, une discipline qu’elle a peu abordée auparavant. C’est une sorte de fourre-tout habile dans lequel elle peut passer allègrement du coq à l’Anne, parler aussi bien de politique que de Facebook, de son sang mêlé russo-marocain, de la quête du bonheur aux psys… Devant son irrésistible don de souligner ses propos avec des mimiques ô combien expressives, le public part au quart de tour… Passé ce tour de chauffe, Anne revient à ses fondamentaux, les sketchs. On retrouve avec bonheur la célèbre bouchère, mame Lemontu et son Jean-Claude de mari. Ce qui est bien avec un tel personnage qu’elle peut arroser tous azimuts. Avec son bon sens et sa dent dure, elle parle aussi bien de l’actualité (la Grèce, la crise, l’Europe, Angela Merkel…) que de ses problèmes personnels entre autres avec sa banque. Dans son discours sont distillées ça et là quelques perles absolument savoureuses.

Le troisième sketch repose sur une idée géniale : un cours de morale dans une petite classe dont les élèves seraient nos hommes et femmes politiques quand ils étaient enfants. C’est une superbe trouvaille, si ingénieuse que je me suis senti frustré qu’elle ne la développe pas un peu plus. C’est une mine… Ensuite, place à l’ado. Elle aussi est un personnage qui revient en fil (évidemment) rouge dans ses différents spectacles. Cette fois, elle soumet à sa mère un exposé qu’elle a dû rédiger toute seule ans avoir accès à wikipédia sur la guerre 14-18. Transposition caricaturale de ce que pourrait être la vie roumanovienne avec interventions intempestives de la petite sœur. C’est plein d’autodérision mais ça se termine sur un précepte qui donne à méditer : la pensée, la parole et l’action… On n’a à peine le temps de se prendre la tête qu’Anne nous reçoit dans son repaire, Radio Bistro. C’est son évangile cathodique, sa messe dominicale récitée sous le regard bienveillant du Père Michel, moment sacrosaint qui a fait venir vers elle des milliers de fidèles. Un guéridon, un ballon de « rouge » à demi-plein, une diction hésitante mais des vannes qui ne le sont pas, c’est devenu un classique. Elle ne peut plus ne plus y sacrifier. Ce serait un sacrilège… C’est une discussion de bar émaillée de très bons jeux de mots, des brèves de comptoir où tout est passé en revue, de DSK à la prolifération de vieux, du prix de l’essence à la dette…

Radio Bistro, c’est le tube incontournable. Pour en sortir, Anne revient à l’intime pour nous parler sans retenue de son sempiternel combat contre le poids et de ses aventures avec les différents régimes. Derrière l’ironie et les pirouettes, les échappatoires et l’apologie des dodues du 17è siècle, on sent malgré tout poindre une certaine souffrance… Très vite, Anne revient à la gaudriole avec l’accent québécois de Marie-Hélène en prime. Coach de bien-être intérieur, la jeune femme nous explique par spectateur-cobaye interposé comment évacuer ses toxines…

On croit qu’Anne a pris son rythme de croisière, et bien non. La suite nous prouve le contraire. Elle réussit à hausser encore le niveau de sa prestation en enchaînant trois merveilles de sketchs. C’est pour moi le passage le plus fort du spectacle. Rien que pour ces trois moments de grâce, il faut courir au théâtre du Palais-Royal. Je ne les raconterai pas. Il faut les découvrir pour en goûter tout le suc… Le premier est une fable aussi intelligente que drôle, un magnifique exercice de style, une idée magistrale… Le deuxième est une savoureuse manif’ à l’envers d’une finesse redoutable… Et le troisième est une saynète cocasse sur la fonction de stagiaire, efficace et rudement bien écrite…

Après cette parenthèse enchantée, la Roumanoff nous propose le seul sketch qui ne soit pas inédit, une sorte de parodie de Toute une histoire avec Sophie Davant. Quand on a vu le spectacle précédent on en connaît le thème. Tout le sel est dans la prestation des spectateurs arbitrairement appelés à « témoigner ». Le public adore ce concept, surtout quand il n’en est pas la victime… Et voici madame Lemontu de retour ! Cette fois, elle célèbre ses 35 ans de mariage avec Jean-Claude, ce qui l’amène tout naturellement à parler de vie de couple avec sa fille et sa mère. Trois générations de femmes qui, évidemment, n’en ont pas la même conception et la même pratique. Là encore, il faut souligner la qualité de la chute… Le spectacle ne pouvait pas finir sans un petit crochet par Radio-Bistro où, là aussi, les bonnes formules et les gimmicks font florès.

Une fois de plus, Anne Roumanoff a fait du bon travail. C’est du solide, elle ne se moque pas du monde. En parlant beaucoup plus de politique, tradition française oblige, elle a élargi son public. Son spectacle est bien construit, parfaitement équilibré. On ne peut lui reprocher quelques facilités en utilisant des blagues que l’on connaît déjà, mais elle a l’art de les placer dans un contexte où elles font quand même leur petit effet… Donc, en résumé, on passe en compagnie de La Dame en Rouge, une heure et demie de drôlerie, sans temps mort, avec tout plein de bonnes trouvailles. Elle assure vraiment !
Finalement, la couleur rouge qui lui convient le mieux, c’est… l’amarante…

jeudi 22 mars 2012

Constance "Les mères de famille se cachent pour mourir"


Comédie de Paris
42, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 42 81 00 11
Métro : Blanche / Pigalle

One woman show écrit par Constance et Jérémy Ferrari
Mis en scène par Nicolas Lartigue

Le pitch : Constance s’ennuie quand elle est toute seule, alors elle fait payer des gens pour venir l’écouter. Et comme vous êtes des voyeurs, vous vous précipiterez pour découvrir l’expression de son déséquilibre mental.
Sa force est qu’elle est toutes les femmes à la fois. En permanence sur le fil du rasoir, elle de bascule jamais. Son écriture aiguisée et son jeu réaliste sont au service de son regard insolent sur le monde. Et l’insolence, ça a du bon !

Mon avis : Je suis régulièrement emballé par les prestations de Constance dans l’émission de Laurent Ruquier On n’ demande qu’à en rire. C’est donc avec une certaine gourmandise que je voulais la découvrir sur la longueur d’un spectacle au cours duquel, fatalement, elle en livre beaucoup plus sur elle-même et son univers… Et bien je n’ai pas été déçu. Mieux même, elle m’a emporté au-delà de mes espérances, au-delà de limites « politiquement correctes » qu’on n’ose plus espérer depuis belle lurette (sauf avec Gaspard Proust). En étant quelque peu réducteur et en ayant recours à cette foutue manie que nous avons de dresser systématiquement des comparaisons, je dirais que Constance c’est une Lemercier qui ne fait pas dans la dentelle ; ô que non. En plus, quand on découvre qu’elle a vu le jour près d’un village répondant au joli nom de Cuise-la-Motte, on est en droit d’imaginer que les vapeurs qui ont réchauffé son intimité lui sont montées jusqu’à la tête… J’extrapole bien sûr, mais on ne connaît jamais les fondements de la mécanique qui met en branle notre subconscient. Et encore plus quand on est une jeune femme…

Je vous entends déjà crier au misogyne. Que nenni. C’est Constance elle-même qui a construit son spectacle autour de la voix off et virile d’un monsieur qui frise le misogyne intégriste bon teint. Et, en fonction de ses injonctions, elle campe le personnage qui correspond… Je ne veux vraiment rien déflorer de ce one woman chaud. La galerie de personnages qu’incarne la jeune femme, c’est du gratiné. Tant au niveau des tenues vestimentaires, de la gestuelle, du jeu, que du verbe. Car elle ne les mâche pas les mots, surtout les gros. Constance appelle un chat un chat (doux euphémisme). Totalement décomplexée, elle réussit à effacer d’un sourire enjôleur ou d’un œil candide l’énormité qu’elle vient de proférer. De la gamine de CE2 à la mamie, elle visite la féminité à travers les âges. Elle se vautre avec délectation dans l’enlaidissement, revêt des jupes infâmes ou des robes hideuses, arbore perruques et lunettes. Chacun de ses personnages a son look et sa couleur vocale propres. Elle est particulièrement à l’aise avec l’accent de sa région d’origine. Elle pique hard, la Picarde !. Elle touche un peu à tous les genres, passant avec une égale maîtrise du loufoque à l’humour noir. Si Coluche recherchait ce qu’il pouvait y avoir qui soit plus blanc que blanc, avec elle on découvre le noir plus noir. Cruelle, indécente, provocante, nunuche, coquine, fausse naïve, elle sait tout jouer à la perfection. Et on voit qu’elle y prend un sacré plaisir. Très culottée (on peut le vérifier), elle adore choquer. Oreilles chastes s’abstenir. Et malgré tout, elle n’est jamais vulgaire.
Remarquable comédienne, Constance est un monstre charmant doté d’une sacrée présence. Je suis heureux de l’avoir découverte le jour du printemps, au milieu d’une salle pleine comme un œuf. Les rires sont incessants, entrecoupés de petits hoquets horrifiés ou amusés. Ma voisine riait tellement qu’elle secouait toute la rangée de ses soubresauts hilares. Si vous voulez vivre une heure et quart de pur bonheur, ça se passe à la Comédie de Paris à 21 h 30. Si les mères de famille viennent s’y cacher, c’est pour mourir… de rire.

vendredi 10 février 2012

Gratin de famille


Théâtre du Petit Saint-Martin
17, rue René Boulanger
75010 Paris
Tel : 01 42 02 32 82
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Ecrit et interprété par Marie Montoya
Mise en scène de Lucie Muratet
Lumières et vidéo de Christoph Guillermet

Le propos : Comédienne d’une puissance comique incroyable, Marie Montoya, après nous avoir régalés dans Hors Piste, nous plonge dans l’univers drôle et poétique de son nouveau spectacle Gratin de Famille.
Seule en scène, elle refait le parcours digestif de sa vie. Comment digère-t-on nos bonheurs et nos coups durs ? Les évènements du quotidien parcourent-t-ils le même chemin que les aliments ? Que faisons-nous de tout cela ?
« je suis ce que j’ai bouffé, ingéré, digéré. Je suis faite de toutes ces miettes. Je suis comme une boule de pain à la croûte épaisse. »

Mon avis : On ne peut imaginer spectacle plus personnel. Encadrée par six réfrigérateurs ( ?), quatre gros combinés en fond de scène et deux petits modèles au milieu qui vont à la fois tenir leur mission de frigo et servir d’écran de projection, Marie Montoya nous offre une heure d’un one woman show tout à fait original. Lorsqu’elle déboule, tout de blanc vêtue, telle une joueuse de tennis des années 30, avec bandeau dans les cheveux, on comprend très vite que l’on n’a pas affaire à une femme mais à une gamine de 5 ans.

En effet, Gratin de famille se décompose en trois époques : Sept dixièmes d’enfance, deux dixièmes d’adolescence et un d’âge adulte. Marie va donc nous raconter l’histoire. Pourquoi y avoir associé le mot « gratin » ? Pour deux raisons : d’abord parce que la majorité de ses proches était particulièrement gratinée, ensuite – et là il faut prendre le mot dans son sens propre – parce qu’il y est régulièrement cesse question de références culinaires ou gastronomiques. Rappelez-vous que nous sommes dans la tête d’une fillette de 5 ans. Tout ce qu’elle vit, elle le voit à travers le prisme de ses sensations, qu’elles soient visuelles ou gustatives, environnementales ou existentielles.
Elle passe sans cesse du coq à l’âne, réagit par flash. Elle essaie de nous retraduire toutes ses perceptions d’un quotidien rythmé par les événements familiaux, la radio, la télévision, les chansons, les réclames. La petite Marie est une éponge. Elle absorbe, puis elle régurgite en nous éclaboussant de son insouciance, de ses indignations, de ses emballements… Bien sûr, comme toutes els petites filles, elle déborde d’énergie. Elle saute comme un cabri, court, danse, chante, fait des grimaces, grimpe sur les meubles, triture ses vêtements, imite l’accent toulousain de sa mère et de ses copines, rejoue pour nous Angélique Marquise des Anges… En même temps, se contentant des faits sans les analyser, elle grandit devant nous et observe ce qui se passe autour d’elle ; ses parents séparés, ses quatre grands frères et plus particulièrement le numéro 2 qui s’avère être, de loin, le plus « gratiné » de la fratrie. Nous avons ainsi droit à un maelstrom de brèves avec un seul fil rouge : la nourriture. Il est tout de même rare de voir une enfant se shooter devant… un morceau de pâté ! Mais elle est tellement candide et fofolle que l’on accepte tout.
Avec sa bouille mutine, son incroyable présence comique, Marie Montoya est une sacrée nature. Ce spectacle autobiographique, elle l’a écrit toute seule. Elle avait envie d’évoquer cette famille paradoxale et pourtant si semblable à tant d’autres. Elle a vécu des drames, des disparitions, des choses tout de même violentes, mais elle a la grande finesse d’éviter le moindre larmoiement. Le pathos, ce n’est pas son registre. Elle est viscéralement pour le positivisme et la reconstruction.

Déjà, tout ce qu’elle raconte, ça parle aux trentenaires qui sont dans la salle. Ils ont tous été accompagnés par les mêmes artistes, nourris aux mêmes programmes télé, gavés aux mêmes spots publicitaires. Mais Gratin de famille va bien au-delà du simple partage générationnel, tout le monde en fait est concerné par les rapports parents-enfants, frères-sœurs, par l’école, par les premiers émois amoureux… Inévitablement, à un moment ou à un autre du spectacle, par un simple effet mémoriel, on est ramené dans notre propre vécu. Son histoire, si personnelle, nous intéresse et nous interpelle par ricochets.
Enfin, il faut souligner les nombreuses astuces de mise en scène et l’utilisation attendue ou inattendue des réfrigérateurs. Si certains contiennent ce qu’il est naturel d’y trouver, œufs, yaourts, conserves… d’autres, au contraire, s’ouvrent sur des objets qu’il est totalement incongru d’y trouver. Je vous en laisse la surprise.
Quant à Marie Montoya, elle occupe l’espace avec une générosité et une énergie débordantes et communicatives. Et, à travers ce spectacle intime mais pas intimiste, elle va chercher des choses qu’elle n’avait pas pu nous montrer dans ses précédentes comédies chorales. Elle nous offre là une vraie performance d’actrice, et de femme... Et puis, pour ce qui me concerne, c’est la toute première fois que j’assiste à un vol de chouquettes…

vendredi 9 décembre 2011

Delphine McCarty dérape !


Théâtre de Dix Heures
36, boulevard de Clichy
75018 Paris
Tel : 01 46 06 10 17
Métro : Pigalle

One woman show écrit par Delphine McCarty, Michaël Quiroga et Eric Théobald
Mis en scène par Elie Semoun

Mon avis : Quelle adorable petite peste ! Tout au long de ce spectacle bien écrit et remarquablement interprété, Delphine McCarty nous apporte la confirmation que l’on peut à la fois être ravissante et drôle. Pour paraphraser ce cher Brassens, c’est « une jolie fleur dans une peau d’ vache ». Parce que pour y aller, elle y va la drôlesse ! Avec son air de sainte Nitouche, sa frimousse juvénile, ses grands yeux ronds et candides, son sourire enjôleur, elle n’a pas son pareil pour débiter des chapelets d’insanités avec un naturel confondant. Les termes les plus crus et les détails les plus osés nous paraissent moins choquants lorsqu’ils sortent d’une bouche aussi aimable et purpurine.

Delphine McCarty nous propose un bon vieux one woman show à l’ancienne, c’est-à-dire à base de sketches. Treize au total, à travers lesquels elle faut montre de qualités de comédienne hors pair. Parfaitement à l’aise, faisant ce qu’elle veut avec sa voix et avec son corps, elle nous propose une galerie de personnages qui, la plupart du temps, tutoient l’odieux, se délectent dans le cynisme, se complaisent dans la méchanceté, se vautrent dans la luxure… Des personnages peu fréquentables qui, s’ils n’étaient pas aussi brillamment interprétés par une jolie fille, nous seraient totalement abjects. Mais comme je l’ai précisé plus haut, son naturel teinté d’une bonne dose d’autodérision fait tout passer, rend tout digeste. Plutôt que de se sentir outré, on rit de bon cœur devant tant d’audace.

Pourtant, le sketch d’ouverture où elle apparaît revêtue d’une robe de princesse de taffetas rose et coiffée d’un diadème en toc m’a laissé dubitatif. Impression de déjà vu, de déjà entendu, accent du Midi et grossièretés gratuites en prime… Je me souviens avoir pensé « Bof, elle est très mignonne à regarder mais elle nous sert du Disney réchauffé ». Et puis, avec une logique imparable, après le premier sketch est venu le deuxième. Et là, le ton est devenu différent. Est-ce dû au changement de costume. Est-elle plus elle-même quand elle est en jeans et t-shirt ? L’habit ne fait pas la nonne mais il contribue dans son cas à plus d’authenticité. D’autant que ce deuxième sketch, que je qualifierai « d’exposition », préfigure pour moi ce qui va suivre et qui va aller crescendo. Elle y parle d’elle, se rit d’elle-même, aborde le second degré et se lance avec une saine ironie dans une étude comparative des séries télé américaines et françaises. On sent qu’elle parle de ce qu’elle connaît puisqu’elle est apparue dans une bonne vingtaine de téléfilms dont Julie Lescaut, Alice Nevers, Le Tuteur, Diane femme flic, Crimes en série… Elle a donc le droit d’avoir la quenotte dure.

Et c’est seulement à partir du troisième sketch qu’elle se met à camper les fameux personnages dont je parlais en préambule. Il y en a huit car trois d’entre eux (la caissière, la fille à l’enterrement et la représentante) réapparaissent pour notre plus grand plaisir une seconde fois, histoire d’en remettre une couche. Tous ces personnages m’ont vraiment plu, et certains encore plus, comme Zoé la nouvelle belle-maman désinvolte et perverse (un des mieux écrits) ou la « caillera » qui lui permet une subtile étude anthropologique du croisement inopiné de deux mondes et de deux cultures… Mais elles sont toutes formidables ces filles, la caissière qui pratique l’ingérence parce que ça lui permet d’exister, la maman dépressive, Elvire, la « copine » acide et vacharde, la représentante détestable, la bourge couguar en mal de sexe… C’est un gant de crin manié par une main de velours qui nous gratte agréablement la peau et nous fait frissonner d’aise. Débitées ainsi, ces dragées au poivre réussissent à avoir un goût de bonbon acidulé. De toute façon, sucer n’est pas tromper. Et ce spectacle est fort bien léché. On y sent la patte Semoun. Il a dû se régaler l’Elie à mettre en scène une aussi jolie poupée à l’apparence inversement proportionnelle aux insanités qu’elle débite. Mignonne, allons voir si la rosse…

Delphine McCarty est une teigne (il faut savoir qu’une teigne est aussi un joli petit papillon) qui se réjouit visiblement de nous embrouiller en mélangeant le fond et les formes. Le fond, elle le puise en piochant dans une veine d’humour noir. Quant aux formes, ce sera à vous de juger, bien qu’elle n’en abuse nullement. C’est en effet le mot « naturel » qui revient lorsqu’on essaie de la définir. En tout cas, sa fraicheur et sa simplicité lui permettent sans aucune réserve notre absolution. Puisse-t-elle « déraper" encore longtemps pour notre plus grande joie…

jeudi 3 novembre 2011

Sophie Mounicot "Consensuelle !"


Théâtre du Gymnase
38, boulevard Bonne Nouvelle
75010 Paris
Tel : 01 42 46 79 79
Métro : Bonne Nouvelle

Ecrit par Gérald Sibleyras
Mis en scène par Isabelle Malin

Le thème : Sophie Mounicot est consensuelle… Ecologiste, progressiste, humaniste, généreuse, elle aime tout le monde avec une sincérité bouleversante. Le temps est enfin venu où elle va pouvoir déballer sur scène son trop-plein d’amour dans un grand spectacle œcuménique et fraternel. Son amour du prochain n’épargnera personne.

Mon avis : Trois ans après son précédent one woman show, C’est mon tour, Sophie Mounicot est de retour au théâtre du Gymnase avec un nouveau spectacle dont le titre annonce le propos sans détour : Consensuelle !...
C’est décidé, totalement assumé, elle se range du côté du plus grand nombre et se prend à vouloir aimer tout le monde. Ou presque. Car c’est plus délicat lorsqu’il s’agit des Nazis… Adepte de la pensée unique, elle chausse ses œillères et ne regarde que dans une seule direction, là où il n’y a pas de remous, de polémique, d’affrontement. Sophie (« sagesse » en grec) se fond avec détermination dans la majorité silencieuse. Son horizon, sa ligne bleue des Vosges, c’est quasiment le doux pays de Oui-Oui. La personnalité préférée des Français, c’est Yannick Noah ? Alors elle est yannickophile convaincue. Elle ne se pose pas de questions. L’écologie est à la mode ? Soit, elle sera une Ecolo Pratiquante Intégriste. Pas de problème, elle va dans le sens du vent…

Mais – car il y a un gros mais – derrière cette acceptation de façade, se cache en réalité une sacrée dose d’hypocrisie et de mauvaise foi. Sinon, il n’y aurait pas de spectacle. Et c’est presque en se tapant sur les doigts qu’elle susurre quelques vacheries, assène un certain nombre de vérités, distille force pointes assassines. Certes le ton est à la limite du fielleux. Elle dit les choses en faisant mine de ne pas les dire, se pose et nous pose des questions existentielles sur un ton quasiment jésuitique. Mounicot excelle dans ce double langage pernicieux. C’est un peu son fonds de commerce. Elle adore jouer avec la duplicité. Elle est une anti-héroïne professionnelle, une loseuse chronique. Elle dissimule son amertume d’une prétendue vie plate et monotone derrière un pseudo détachement qui ne trompe personne.
Dans « Consensuelle », il y a aussi « sensuelle ». Pourtant, elle s’ingénie à gommer tout excès de féminité. Elle se complaît à camper un personnage à la hussarde. Sauf quand elle danse, moment de grâce dans lequel elle est la séduction incarnée. C’est tout Mounicot, ça. En permanence dans la dualité. Ce n’est pas parce qu’on joue les faux-culs qu’on ne sait pas tortiller du popotin. C’est même loin d’être incompatible.

Vous l’aurez compris, ce nouveau one woman show de Sophie Mounicot n’a de consensuel que son titre. Pour elle, il doit être plus difficile à jouer que le précédent où le propos était plus direct, plus premier degré. Ici, elle nous la fait sournoise. Sans compter que, dans cette cuisine particulière, elle ne dédaigne pas utiliser des ingrédients comme l’absurde, la cruauté et l’humour noir. Elle se régale à passer du coq à l’âne (Johnny et Laeicia ?), des primaires (quelques vannes politiques) aux primates (les bonobos). Elle se livre même à plusieurs cascades hyper périlleuses, ou pour se servir un verre d’eau ou pour escalader un tabouret haut perché. Et son chapitre sur l’art et la culture est un pur moment de comédie… Sophie Mounicot est un personnage. Elle ne ressemble à aucune autre femme humoriste, et dans son registre et dans sa façon brute de décoffrage de se mouvoir sur scène. Elle ne compose pas, elle est elle-même, allant jusqu’à s’amuser de ses trous de mémoire passagers ou quand sa langue se met à savonner.

dimanche 12 juin 2011

Divins Divans


Théâtre Hébertot
78bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
Tel : 01 43 87 23 23
Métro : Villiers / Rome

Une pièce écrite par Eva Darlan et Sophie Daquin
Mise en scène par Jean-Paul Muel

Ma note : 7,5/10

Le thème : Quoi de mieux qu’une bonne thérapie pour se raconter tel qu’on est : obsédé, castratrice, raté, conseillère ès névroses, impuissant, mythomane… Pouvoir s’allonger en disant des horreurs, quel bonheur ! Oui, vraiment, les divans, c’est divin !

Mon avis : Quelle bonne idée au fonds inépuisable que de parler de la psychanalyse à travers ses patients. On peut y aborder tous les sujets, des plus répandus au plus saugrenus. Et nous sommes tous concernés, ou directement, ou indirectement. On a tous nos petits travers, nos addictions, nos tocs, nos névroses, nos angoisses, nos obsessions, et j’en passe…

L’entrée en scène d’Eva Darlan est déjà très originale ; et conviviale. On est tout de go dans le vif du sujet. L’unité de lieu – le cabinet du docteur Annie Azoulay – est respectée. Mais c’est à peu près tout ce qui va être respecté, parce qu’en suite, Eva Darlan va s’en donner à cœur joie en campant une multitude de personnages… et des gratinés. Normal, puisqu’ils ne le sont pas… normaux. S’ils allaient bien, ils ne viendraient pas consulter et s’allonger sur le divan.
Un accessoire, une pièce de vêtement particulière, et Eva devient quelqu’un d’autre. On mesure très vite l’étendue de son talent de comédienne. Elle est excellente dans tous les registres, elle sait tout jouer. Avec un art consommé, elle change de ton, de timbre de voix, de rythme, de gestuelle et elle nous embarque malicieusement dans cet univers si troublant.

Et les patientes défilent. Madame Baudoin qui ne sait pas garder un homme, la précieuse qui fait rien qu’à critiquer son psy et à jauger sa réussite matérielle, La « noniste », snob et blasée, qui veut tout analyser et dit non à tout, la poissonnière adepte de la chirurgie réparatrice, la catho intégriste qui vient essayer de récupérer une de ses ouailles, la mamy veuve qui yoyote un tantinet et frise le syndrome de Gilles de la Tourette en proférant à son insu force insanités (un sketch simple mais terriblement efficace qui récolte des salves de rires), la bourge hyper possessive qui amène sa gamine de 3 ans en consultation, alors que…, monsieur Cotillon qui souffre d’un dérèglement sexuel suite à un dérèglement de son quotidien trop bien huilé, l’amoureuse complexée vampirisée par un Patrick qu’elle idolâtre, la femme trompée grossière et pleine de mépris pour la psy… Ainsi que d’autres trouvailles savoureuses qu’il ne faut pas raconter pour en garder tout le sel. Comme cette mini-conférence sur la névrose qui revient en forme de fil rouge…

C’est aussi remarquablement écrit que c’est formidablement interprété. Tous les sketches sont bons et certains atteignent même un très haut niveau. Eva Darlan se livre avec une belle générosité, parfois interactive, à une réjouissante satire du monde de la psychanalyse. Elle nous offre surtout une superbe galerie de portraits. On peut sans mal, tant le sujet est riche, imaginer des « Divins Divans 2 » et un « Divins Divans, le retour ». On ne s’en lasserait pas.
Porté par cette actrice magnifique, joueuse et sympathique, ce mieux divan culturel, on l’aime à la phobie.