Théâtre du Palais-Royal
38, rue de Montpensier
75001 Paris
Tel : 01 42 97 40 00
Métro : Palais-Royal
Spectacle écrit et interprété par Anne Roumanoff
Collaboration artistique : Gilles Galliot
Lumière : Sébastien Debant
Le pitch : Dans ce nouveau spectacle, la pétillante
femme en rouge revient plus mordante que jamais pour croquer à pleines dents
dans l’actualité. Rien n’échappe à son regard acéré : la crise de la
dette, les stagiaires, la quête du bonheur, les smartphones, les diktats
alimentaires…
Elle sait raconter mieux que personne l’égoïsme et la
superficialité de notre époque.
Pourtant, on ressort de son spectacle le cœur léger car elle
parvient avec finesse et humanité, à nous faire sourire de tout ce qui nous
angoisse.
Mon avis : Cette fois, Anne Roumanoff affiche la
couleur ans le titre même de son spectacle. « Rouge », ça va être
rouge. On connaît son attachement indéfectible à sa couleur fétiche mais, non
contente de se parer de vermillon, elle franchit un palier en en fardant ses
propos. Christophe a chanté les Mots bleus, elle, elle balance les Mots rouges.
Pour Rimbaud, le rouge correspond à la voyelle « i ». Pourquoi pas. C’est
son droit de poète à l’Arthur. Anne se contente d’y mettre les points (les poings ?)
sur les « i ». Jamais un de ses shows n’a été aussi saignant. Le
rouge est mis ! Le doux rouge-gorge s’est fait carnassier, et ça lui va
bien.
Il n’y a que pour le début du spectacle qu’elle n’est pas
dans le rouge. Elle commence pile à l’heure. Par respect. C’est assez rare pour
que ça puisse être relevé…
Pour son entrée en scène, elle a choisi la dérision. Sachant
qu’elle n’est pas une sylphide, elle prend néanmoins le risque de se présenter en
accomplissant une chorégraphie. Approximative, certes, mais une chorégraphie.
Et son sourire pas dupe coupe court à toute velléité de critique. Elle met d’emblée
dans sa poche un public déjà complètement acquis à sa cause. Mais encore
faut-il pouvoir le garder dans cet état extatique, ce cher public. Et pendant
une heure et demie !
Une fois encore, Anne Roumanoff force l’admiration par sa
faculté à se renouveler. Où puise-t-elle ses ressources pour écrite un
spectacle intégralement neuf si peu de temps après le précédent, quand on sait
toutes ses activités annexes (radio, presse écrite…) ? C’est une
formidable bosseuse.
Revêtue d’une petite robe rouge toute simple, déambulant sur
un plateau ton sur ton, elle débute son récital – car c’en est un – par du
stand-up, une discipline qu’elle a peu abordée auparavant. C’est une sorte de
fourre-tout habile dans lequel elle peut passer allègrement du coq à l’Anne,
parler aussi bien de politique que de Facebook, de son sang mêlé russo-marocain,
de la quête du bonheur aux psys… Devant son irrésistible don de souligner ses
propos avec des mimiques ô combien expressives, le public part au quart de tour…
Passé ce tour de chauffe, Anne revient à ses fondamentaux, les sketchs. On
retrouve avec bonheur la célèbre bouchère, mame Lemontu et son Jean-Claude de
mari. Ce qui est bien avec un tel personnage qu’elle peut arroser tous azimuts.
Avec son bon sens et sa dent dure, elle parle aussi bien de l’actualité (la
Grèce, la crise, l’Europe, Angela Merkel…) que de ses problèmes personnels
entre autres avec sa banque. Dans son discours sont distillées ça et là
quelques perles absolument savoureuses.
Le troisième sketch repose sur une idée géniale : un
cours de morale dans une petite classe dont les élèves seraient nos hommes et
femmes politiques quand ils étaient enfants. C’est une superbe trouvaille, si
ingénieuse que je me suis senti frustré qu’elle ne la développe pas un peu
plus. C’est une mine… Ensuite, place à l’ado. Elle aussi est un personnage qui
revient en fil (évidemment) rouge dans ses différents spectacles. Cette fois,
elle soumet à sa mère un exposé qu’elle a dû rédiger toute seule ans avoir
accès à wikipédia sur la guerre 14-18. Transposition caricaturale de ce que
pourrait être la vie roumanovienne avec interventions intempestives de la
petite sœur. C’est plein d’autodérision mais ça se termine sur un précepte qui
donne à méditer : la pensée, la parole et l’action… On n’a à peine le
temps de se prendre la tête qu’Anne nous reçoit dans son repaire, Radio Bistro.
C’est son évangile cathodique, sa messe dominicale récitée sous le regard
bienveillant du Père Michel, moment sacrosaint qui a fait venir vers elle des milliers
de fidèles. Un guéridon, un ballon de « rouge » à demi-plein, une
diction hésitante mais des vannes qui ne le sont pas, c’est devenu un
classique. Elle ne peut plus ne plus y sacrifier. Ce serait un sacrilège… C’est
une discussion de bar émaillée de très bons jeux de mots, des brèves de
comptoir où tout est passé en revue, de DSK à la prolifération de vieux, du
prix de l’essence à la dette…
Radio Bistro, c’est le tube incontournable. Pour en sortir,
Anne revient à l’intime pour nous parler sans retenue de son sempiternel combat
contre le poids et de ses aventures avec les différents régimes. Derrière l’ironie
et les pirouettes, les échappatoires et l’apologie des dodues du 17è siècle, on
sent malgré tout poindre une certaine souffrance… Très vite, Anne revient à la
gaudriole avec l’accent québécois de Marie-Hélène en prime. Coach de bien-être
intérieur, la jeune femme nous explique par spectateur-cobaye interposé comment
évacuer ses toxines…
On croit qu’Anne a pris son rythme de croisière, et bien
non. La suite nous prouve le contraire. Elle réussit à hausser encore le niveau
de sa prestation en enchaînant trois merveilles de sketchs. C’est pour moi le passage
le plus fort du spectacle. Rien que pour ces trois moments de grâce, il faut
courir au théâtre du Palais-Royal. Je ne les raconterai pas. Il faut les
découvrir pour en goûter tout le suc… Le premier est une fable aussi
intelligente que drôle, un magnifique exercice de style, une idée magistrale…
Le deuxième est une savoureuse manif’ à l’envers d’une finesse redoutable… Et
le troisième est une saynète cocasse sur la fonction de stagiaire, efficace et
rudement bien écrite…
Après cette parenthèse enchantée, la Roumanoff nous propose
le seul sketch qui ne soit pas inédit, une sorte de parodie de Toute une histoire avec Sophie Davant.
Quand on a vu le spectacle précédent on en connaît le thème. Tout le sel est
dans la prestation des spectateurs arbitrairement appelés à « témoigner ».
Le public adore ce concept, surtout quand il n’en est pas la victime… Et voici
madame Lemontu de retour ! Cette fois, elle célèbre ses 35 ans de mariage
avec Jean-Claude, ce qui l’amène tout naturellement à parler de vie de couple
avec sa fille et sa mère. Trois générations de femmes qui, évidemment, n’en ont
pas la même conception et la même pratique. Là encore, il faut souligner la
qualité de la chute… Le spectacle ne pouvait pas finir sans un petit crochet
par Radio-Bistro où, là aussi, les bonnes formules et les gimmicks font florès.
Une fois de plus, Anne Roumanoff a fait du bon travail. C’est
du solide, elle ne se moque pas du monde. En parlant beaucoup plus de
politique, tradition française oblige, elle a élargi son public. Son spectacle
est bien construit, parfaitement équilibré. On ne peut lui reprocher quelques
facilités en utilisant des blagues que l’on connaît déjà, mais elle a l’art de
les placer dans un contexte où elles font quand même leur petit effet… Donc, en
résumé, on passe en compagnie de La Dame en Rouge, une heure et demie de drôlerie,
sans temps mort, avec tout plein de bonnes trouvailles. Elle assure vraiment !
Finalement, la couleur rouge qui lui convient le mieux, c’est…
l’amarante…
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