« Humour Liberté »
31ème
album studio de Pierre Perret, Humour
Liberté s’inscrit dans la lignée de ses opus généralistes, c’est-à-dire non
thématiques.
Trousseur
de mots, détrousseur d’idées, retrousseur de zygomatiques, l’ami Pierrot,
revisite dans ce nouvel album toutes les formes, tous les styles de chansons qui
font sa renommée depuis… 1957 (61 ans !).
Pierre
Perret… Père éternel dont l’œuvre fait partie depuis belle lurette du
patrimoine de la chanson française, nous propose douze titres au contenu éclectique.
Cela fait déjà un bon moment qu’il s’applique à faire se côtoyer dans ses
albums des chansons rigolotes et coquines avec des chansons engagées.
Dans
Humour Liberté, on retrouve donc le
Perret traditionnel, le Perret rabelaisien et égrillard (Le beau matelot), le Perret témoin de son temps (Humour Liberté, Les émigrés), le Perret à la nostalgique souriante (La communale, Mémé Anna, Django, Ils se
gourent), le Perret contemplatif (Ma
France à moi), le Perret moralisateur (Pédophile),
le Perret stylistique (Héloïse) et l’ami
Pierre (L’ami fidèle, La ouananiche)…
En
même temps, certaines de ces chansons se sentent un peu à l’étroit quand on les
place dans des cases ainsi étiquetées. Elles dégagent des sensations, des
sentiments, voire des dénonciations plus complexes.
Prenons
donc la « liberté » d’analyser le contenu de cet album :
1/
Comment réduire Humour Liberté à un simple fait divers ? Accompagnée par
une musique martiale avec roulements de tambours en intro, cette chanson qui
évoque la tragédie de Charlie est un hommage fraternel. Dans l’esprit de
Pierre, juxtaposer ces deux mots est un pléonasme. Il est tellement évident que
l’humour se doit d’être libre, sans tabous, sans interdits, fussent-ils
religieux. Quant à la liberté d’expression, elle devrait faire partie des
saints sacrements et être œcuménique… Que des « grands gosses » armés de
leurs seuls « crayons », certes bien pointus, bien aiguisés, puissent
perdre la vie pour le seul motif de blasphème, c’est ahurissant. Pierre rejoint
ici deux des ses pairs, Brassens, qui supputait que l’on puisse « mourir
pour des idées » - ici pour des dessins qui les colportent -, et Béart qui
déplorait « Le poète a dit la vérité, il doit être exécuté »…
Résultat : on tombe dans une funeste caricatuerie…
Qu’elle
est belle et forte cette chanson écrite d’une « plume alerte » !
2/
La
communale s’inscrit en pleins et en déliés dans la plus pure tradition
perretienne. Sur un ton guilleret, il égrène les quatre piliers sur lesquels
s’est érigée sa scolarité castelsarrasinoise : la castagne, l’entraide
pour les leçons en fonction des points forts de chacun, le goûter, et l’éveil à
la sexualité. Souvenirs savoureux d’une époque bénie où le portable et Internet
n’existaient pas.
3/
Les
émigrés est une chanson-message dans la lignée de Lili. Pierre se met carrément dans la peau d’un émigré lambda qui
se fait le représentant de tous ceux qui, comme lui, fuient leur pays pour
différentes raisons. Il nous narre son odyssée avec les nombreux dangers qui
l’ont émaillée. Il termine toutefois avec cette note d’espoir : le projet
de rentrer un jour au pays.
4/
Retour aux grands classiques avec cette chanson polissonne qu’est Le beau matelot. Avec ses expressions et
son langage très imagés, le chevalier paillard nous raconte par le menu un
dépucelage. On se gondole et on se marre quasiment tout du long. Et puis il y a
la chute, une chute qui pourrait s’apparenter à une sorte de coït interrompu et
qui laisse un goût saumâtre.
5/
Ma
France à moi appartient à la catégorie des chansons-énumérations. Pierre
y dresse un bilan très personnel en citant toutes les personnes qui ont
contribué à lui apporter son « gai savoir » : les écrivains, les
poètes, les peintres, les humoristes, les musiciens, les grandes figures
féminines, les savants, les comédiens, des hommes ou femmes politiques… Bref,
une sorte d’inventaire à la Perret, un best of de ces personnalités que « les
écoliers devraient apprendre par cœur ». Tous ces grands personnages étant
des apôtres de la liberté d’expression, cette chanson vient compléter le thème exposé
dans Humour Liberté.
6/
Une sacrée luronne que cette Mémé Anna un peu
« chtarbée ». Quelle gaillarde ! Elle aussi exprimait son humour et sa fringale de vie en toute liberté. Sentencieuse, convaincante,
consciencieuse (n’est-ce pas monsieur le Vicomte ?), licencieuse,
anticléricale… Avec un tel modèle, une telle hérédité, le petit Pierrot ne
pouvait pas être un ange.
7/
L’ami
fidèle est une chanson cérébrale à suspense. Pierre Perret se met à
gamberger et à se poser un tas de questions pour tenter de deviner quelles
peuvent être les raisons du silence d’un ami. On analyse avec lui toutes les
suppositions qui appartiennent au champ du possible. Sauf que la réalité ne fait pas
partie des idées qu’il s’est faites. Elle est en fait toute simple. Lorsqu’il
découvre enfin le poteau rose, il n’a de cesse que de lui démontrer à son vieux complice l’intangibilité de son amitié.
8/
J’ai ressenti un certain malaise à l’écoute de Pédophilie. C’est une
chanson à la fois explicite et ambiguë. Le désert sexuel que leur religion
impose aux prêtres les amène à des pratiques que la morale réprouve. Il ne faut
pas surtout pas laisser venir à eux les petits enfants. Il y a des ouailles
adultes pour cela... C’est une chanson qui fait désordre car la fin des quatre
couplets leur donnerait quasiment l’absolution puisque « les faits sont
prescrits », alors « on n’en parle plus »… Au contraire, il
faudrait l’abroger cette prescription et ne pas mettre ces turpitudes
ecclésiastiques sous l’éteignoir.
9/
Django
est le pendant de Ma France à moi,
mais vis-à-vis du jazz. Pierre y liste tous ces musiciens qui lui ont enchanté
les cages à miel, fait swinguer l’âme et « mis le soleil au cœur ». Quelle
compilation !
10/
Grand amateur de figures de styles, le Pierre a dû se régaler avec l’imparfait
du subjonctif qui agrémente le texte d’Héloïse. C’est un petit bijou
d’écriture au charme désuet mis au service d’une histoire un tantinet coquine.
11/
J’ai beaucoup aimé Ils se gourent car c’est une chanson qui se termine sur belle
note rassurante d’espoir. Quatre couplets pour démontrer à grand force d’images
qu’en amour on ramasse plus de râteaux que de pelles ; donc qu’il est
superfétatoire d’y croire… Et puis survient dans le cinquième couplet la
« bandante » Raymonde qui met à bas toutes ces certitudes nées
d’échecs sentimentaux répétés. Conclusion : il faut espérer en l’amour et
remettre sans cesse son métier sur l’ouvrage.
12/
Dans le refrain, Pierre Perret, grand pêcheur devant l’Eternel, nous explique
ce qu’est La ouananiche. Pas besoin donc d’ouvrir votre dico. C’est les
copains d’abord en goguette sur les rives du Saint-Laurent ou des lacs canadiens
pour une mémorable partie de « pêche miraculeuse ». C’est avant tout
une superbe histoire qui tourne autour de ce pivot, essentiel pour lui, qu’est
l’amitié… La ouananiche permet ainsi à
cet album de finir en queue de poisson. On peut donc imaginer que le Pierre a
déjà appâté pour un 32ème opus…
Gilbert "Critikator" Jouin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire