vendredi 23 novembre 2018

Un Picasso


Studio Hébertot
78bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
Tel : 01 42 93 13 04
Métro : Villiers / Rome

Une pièce de Jeffrey Hatcher
Adaptée par Véronique Kientzy
Mise en scène par Anne Bouvier
Décor de Charlie Mangel
Lumières de Denis Koransky
Costumes de Mine Vergez
Musique de Raphaël Sanchez

Avec Sylvia Roux (Mademoiselle Fischer), Jean-Pierre Bouvier (Pablo Picasso)

Synopsis : 1941. Paris est occupé.
Pablo Picasso est convoqué par Mademoiselle Fischer, attachée culturelle allemande, dans un dépôt où sont entreposées des œuvres d’art volées aux Juifs par les Nazis… Il doit identifier parmi elles trois de ses propres tableaux pour permettre à la propagande allemande d’organiser une exposition d’« Art Dégénéré » dont le point d’orgue sera un autodafé. Telle est la terrible mission confiée à la jeune femme dans le face à face qui l’oppose à l’artiste.
Comment Picasso va-t-il empêcher la destruction de ses tableaux ? Quels arguments peut-il employer pour faire échec à cette entreprise honteuse ? Certes, Mademoiselle Fischer est acquise à la cause nazie, mais pour autant elle a du mal à cacher la fascination qu’exerce sur elle la beauté des œuvres du maître.
Débute alors un affrontement tout en séduction, ruse, violence et ambiguïté dans lequel le peintre sait, qu’au-delà de lui-même, se joue un combat essentiel : la défense de la liberté de l’artiste face à la barbarie totalitaire qui, toujours, cherche à la détruire…

Mon avis : Cette pièce est un superbe mano a mano entre deux grands fauves, Madame Fischer et Pablo Picasso. Elle, c’est un animal à sang froid ; lui, c’est un buffle bouillonnant… En clair, nous assistons à un affrontement entre le feu ibère et la glace teutonne. L’opposition va être âpre et tendue.

Tous les éléments sont réunis pour qu’il y ait conflit. Madame Fischer est allemande. N’oublions pas que nous sommes en 1941. Le pouvoir nazi est à son apogée. Madame Fischer est Allemande. Elle se sent investie des pleins pouvoirs. Elle a la force avec elle. D’ailleurs, la Gestapo monte la garde à l’entrée de l’entrepôt. Pour arriver à ses fins, elle peut ainsi se montrer cassante, abrupte, autoritaire. Le problème, c’est qu’on ne peut imposer quoi que ce soit à un individu comme Picasso.
Lui, la guerre, il s’en fout. D’abord, il n’est même pas Français. C’est un exilé espagnol. Il n’est donc pas directement impliqué. Il ne réagit qu’en artiste et… en homme qui ne veut pas se laisser dicter sa conduite par une femme. C’est un des ressorts de la pièce. Le Pablo est non seulement très imbu de sa personne et de son immense talent, mais c’est aussi un sacré misogyne. C’est un taureau. Il ne cherche pas à esquiver, il fonce droit vers la muleta que cette torera fasciste agite devant son mufle fumant. Il n’est pas question pour lui de se laisser dominer par une représentante du sexe faible, fût-elle protégée par son statut d’occupante.

Ce face-à-face est passionnant. Il repose essentiellement sur des dialogues mordants, incisifs, drôles parfois, et sur deux comportements et deux mentalités diamétralement opposés. Autant Madame Fischer est rigide, cassante, sûre d’elle et de ce qu’elle représente, autant Picasso est rebelle, bougon et fougueux. S’appuyant sur un fonds historique solide (le texte est émaillé de nombreuses anecdotes et informations passionnantes), cette pièce, intelligente, est vraiment prenante. La bagarre est aussi intense sur le plan physique que psychologique. La tension va croissant. Un Picasso est un véritable suspense, un savoureux poker menteur qui nous tient en haleine jusqu’à la fin.

Gilbert "Critikator" Jouin

Aucun commentaire: