Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet
Ecrit et composé par Pierre
Lericq
Mis en scène par Manon Andersen
et Pierre Lericq
Lumières de Véronique Claudel
Son de Philippe Moja
Avec Manon Andersen (pipeau, malle, voix), Svante Jaccobson (contrebasse), Marwen Kammarti (violon),
Pierre Lericq (guitare, voix),
Fabien Magni (guitare, accordéon),
Lionel Sautet (accordéon, malle, voix)
Présentation : Dieu crée Boucieu-le-Roi. Il s’emmerde, alors
il crée Manon, une Eve un peu cloche et en cloque d’Alexandre, pantin
dégingandé, amoureux. Puis, Dieu crée le Mal (le mâle ?) et l’interprète
lui-même.
Pierre, proxénète à Paris, vient
visiter son frère Alexandre dans son village d’Ardèche. Il séduit sa femme,
Manon, enceinte. Il l’enlève. Il la met sur le trottoir. Elle l’aime. Elle aime
aussi son mari…
Mon avis : Groupe inclassable, Les Epis Noirs sont de retour
sur leur scène fétiche, la Gaîté Montparnasse avec un spectacle parfaitement
rôdé et particulièrement ambitieux puisqu’il a la prétention de nous raconter
en une heure et demie l’histoire de l’Humanité… Heureusement pour nous, Pierre
Lericq, auteur complètement mégalo (il se prend pour Dieu !) a le sens de
l’ellipse. En effet, il nous fait passer en un éclair de la Genèse au 21ème
siècle. En clair, mélangeant sans vergogne les mythologies, il nous transfère
de l’Eden aux Champs Elysées ! Or, en dépit de ce saisissant raccourci, il
parvient à nous brosser un portrait plutôt fidèle de notre humanité. Dans ce
qu’elle a de pire d’abord, puis dans ce qu’elle peut générer de positif. De
toute façon, comme Il est Dieu, Il peut tout se permettre !
Il est gratiné son Dieu. Pour ne
pas dire diabolique. Comme il s’embête depuis l’ennui des temps, il décide de
se métamorphoser en homme. Ou plutôt en mâle. Et comme ce n’est pas un bon
Dieu, son mâle, possessif pervers et jaloux, se complaît à faire le mal tout
autour de lui. Mais ce n’est pas très glorieux car ses deux créatures, Manon et
Alexandre, sont de faibles proies. Manon est ce qu’on peut appeler avec un
petit sourire entendu « une brave fille ». C’est une gourdasse,
quoi ! Mais elle est vachement gentille. Elle a beau se faire exploiter,
maltraiter, mépriser, elle ne sait rendre que de l’amour… Quant à Alexandre, il
est lui aussi un naïf, un doux rêveur, un être inoffensif ; un bon gars,
quoi !
Leur force d’inertie, toute
involontaire qu’elle soit face au Mal, va finir par épuiser toutes les
velléités de leur bourreau. C’est là la morale de l’histoire. L’amour reste
plus fort que la haine.
Ça, c’est le synopsis. Après, il
y a la narration. Et la forme présentée par Les Epis Noirs, le spectacle en
lui-même, ne se raconte pas, il faut le voir et l’écouter. Ce sont des Epis
phénomènes. Ils chantent, ils dansent, ils jouent de la musique. Paroles
farfelues, gestuelle improbable, chorégraphies extravagantes, postures
théâtrales, attitudes grotesques… Ils n’ont peur de rien, et surtout pas du
ridicule.
Manon, une fois de plus est
impayable. Faisant fi de toute féminité, elle assume son personnage avec une
incroyable débauche d’énergie. Il faut la voir jouer de la malle. TrEPIdante, complètement
habitée, son corps et ses yeux ne lui appartiennent plus, elle est comme en
transes… Dans ce registre de la folie burlesque, elle est parfaitement épaulée
par Lionel Sautet, qui incarne Alexandre. Véritable athlète, on a l’impression
que ses membres sont indépendants. C’est un mélange de Buster Keaton et de
Pierre Etaix avec la tête de Benoît Hamon. Il a une présence comique sidérante.
Quelle vitalité !
Et puis il y a le deus ex
machina, le démiurge, Pierre Lericq. Il tient avec un sérieux inébranlable son
rôle de Dieu sans foi (eh oui, c’est un paradoxe qui donne à réfléchir) ni loi.
C’est le méchant de l’histoire. Il n’a de bon que sa science divine du jeu de mot et
la qualité de ses calembours. Et quelle voix ! J’ai été particulièrement touché par
ses accents bréliens lorsque Dieu se lamente sur sa solitude. Un grand moment
de chanson.
Mais des morceaux de bravoure, il
y en a à la pelle dans ce spectacle où l’on passe du tableau le plus déjanté à
une plage chargée de tendresse et d’émotion ; où l’on passe d’une ambiance
slave ou celtique à une ballade empreinte de douceur. Ces arythmies sont la
force de ce spectacle. On n’est pas tout le temps dans le délire. C’est comme
dans la vie. Et puis, tout est conçu pour en arriver à un dénouement heureux
qui ouvre grand son cœur à une humanité triomphante.
A ces trois hurluberlus précités, il faut
ajouter les trois musiciens qui les accompagnent à la fois avec talent, complicité, humour
et une pêche communicative.
Raison pour laquelle, venant une
salle debout, conquise par tant de générosité, les applaudissements que les
Epis quêtent n’explosent pas en vain…
Gilbert « Critikator »
Jouin
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